Quand les juges se prennent pour des économistes...
La Cour d’appel de Paris, dans le cas d’une employée de Longjumeau embauchée suivant un contrat CNE et qui avait contesté son licenciement sans succès auparavant auprès des prud’hommes, vient de juger que le contrat CNE (contrat nouvelles embauches) n’était pas conforme au droit du travail international et en particulier à l’article 7 de la convention 158 de l’OIT(Organisation internationale du travail) intitulée Convention de licenciement que la France à signé.
Ladite convention prévoit les conditions dans lesquelles le licenciement d’un salarié peut s’effectuer et ses modalités. Son article 7 auquel la Cour d’appel de Paris fait référence prévoit que le salarié doit pouvoir se défendre contre les allégations faites à son encontre pour justifier le licenciement. Le CNE prévoit lui que pendant deux ans l’employeur n’a pas à justifier en quoi que ce soit ce licenciement. Il est donc en principe contraire à la Convention OIT, à ceci près que ladite convention en son article 4 prévoit qu’un Etat signataire de la convention peut en exclure certaines catégories de travailleurs dont les travailleurs à contrat à durée déterminée ou ceux en période d’essai à condition que sa durée soit fixée d’avance et d’une durée raisonnable.
Voila les textes qui, comme c’est souvent le cas en matière légale, peuvent être interprétés dans un sens ou un autre. En l’occurrence, c’est la "durée raisonnable de la période d’essai" qui a été interprétée de manière restrictive par la Cour d’appel de Paris. Notons que d’autres Cours d’appel se sont prononcées dans le même sens que celle de Paris et d’autres en sens contraire (Roubaix) ainsi que nombre de tribunaux prud’homaux. Enfin le Conseil d’Etat, consulté avant l’instauration du CNE avait, lui, jugé en faveur de la conformité du CNE avec le droit international du travail. En principe soit la Cour de Cassation, soit l’OIT lui même doit se prononcer sur la légalité du CNE d’ici novembre prochain.
Ce qui interpelle dans ce jugement, ce n’est pas qu’il ait jugé de la légalité du CNE par rapport au droit du travail français et international qui est le rôle exact que l’on attend des juges, mais qu’ils se soient crus autorisés à justifier ce jugement pour des raisons économiques. C’est le cas dans un attendu qui affirme que "dans la lutte contre le chômage, il est paradoxal de penser encourager les embauches en facilitant les licenciements" et qu’en quelque sorte, j’extrapole à peine, il suffirait d’interdire les licenciements pour résorber le chômage.
Pour avoir côtoyer les juristes en entreprise, j’avais pu constater que la rigueur souhaitable pour l’étude et l’application de leur discipline leur rendait difficile la compréhension du commerce, de l’économie, de la négociation et des décisions de la vie courante qui relèvent plus de l’intuitif que d’un raisonnement construit. Il n’y a aucun mal à cela et chacun doit trouver dans la vie, la discipline qui correspond à sa personnalité profonde. Encore faut-il ne pas considérer que l’obtention d’un diplôme dans un domaine donné et la réussite professionnelle vous autorise à revendiquer de compétences dans des domaines très différents. C’est ce que les juges de la Cour d’appel de Paris se sont crus autorisés à faire et cela me paraît plus affaiblir leur jugement juridique que de le renforcer. Un petit péché d’orgueil auquel on succombe parfois quand votre profession vous met en position d’infaillibilité permanente.
En tous cas, le CNE continue à mourir lentement. L’insécurité juridique, que le jugement de la Cour d’appel de Paris a contribué à renforcer, va le faire abandonner par les chefs d’entreprises à court terme. Que de bruit et de fureur a-t-il suscité pour finalement pas grand-chose (si quand même, 900 000 embauches dont 100 000 liées à son statut particulier !). Il va falloir maintenant rebâtir dans le Grenelle social qui est en train de se mettre en place d’autres conditions de licenciement qui apportent la flexibilité dont les entreprises ont besoin tout en maintenant le niveau de protection que souhaitent les salariés. Le fameux contrat unique dont Nicolas Sarkozy s’était fait l’avocat pendant la campagne.
Bonne chance aux négociateurs pour trouver ce juste équilibre.
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