Réduction collective du temps de travail. Pierre d’angle d’un projet économique alternatif ?
La revendication de la réduction du temps de travail est décidément bien ancrée dans les préoccupations d’une frange non négligeable de la population. Par exemple, on notait dans les résultats belges constatés à l’occasion de la dernière enquête quinquennale européenne (2015) sur les conditions de travail (EWCS – European Working Conditions Survey) qu’à l’intérieur du groupe des salariés de 50 ans et plus, 27% des hommes et 26% des femmes exprimaient le désir de diminuer leur temps de travail. Pour plus de 60% d’entre eux, il s’agissait d’une réduction importante, c’est-à-dire de minimum 8 heures par semaine. 41% des travailleuses et travailleurs sondé-e-s en Belgique estimaient, à cette époque, travailler à un rythme rapide durant au moins la moitié de leur temps de travail.
Cette même source nous enseigne que 18% des femmes et 24% des hommes indiquent que le travail exerce une influence négative sur leur santé psychique ou physique. Parmi les seniors, 29% des hommes et 31% des femmes estimaient ne pas pouvoir continuer à travailler dans les mêmes conditions au-delà de la soixantaine[1].
Le Capital n’aime pas
Le moins que l’on puisse dire est que la presse écrite mainstream (à propos de laquelle on ne répétera jamais assez qu’elle est aux mains du capital privé et ceci n’est évidemment pas sans rapports avec ce qui va suivre) s’est montrée particulièrement tiède quant aux propositions de réduction du temps de travail. La palme revient incontestablement aux titres du groupe Roularta, notoirement proche du VOKA (l’organisation représentative des employeurs flamands), qui n’ont pas hésité à titrer que la proposition de réduction du temps de travail rendait les socialistes francophones indésirables en Flandre[2]. De manière tout aussi peu surprenante, la Fédération des Entreprises de Belgique (FEB) s’est empressée de dénoncer « un mauvais signal » dans la presse sans être, au demeurant, excessivement contredite[3].
De ce point de vue, la fréquentation, assez régulière, de la gent journalistique par l’auteur de ces lignes fut particulièrement révélatrice. En « off », comme on dit dans le milieu, les commentateurs ayant leur rond de serviette dans les grands média de ce pays, en ce compris d’ailleurs la frange d’entre eux professant plus ou moins publiquement des sympathies pour la gauche de gouvernement, n’hésitaient pas à chuchoter discrètement que « la réduction du temps de travail, cela ne fait tout de même pas très sérieux ».
Cette belle unanimité doit être interrogée tant il est vrai que « tout ce qui va de soi est énigmatique » (Louis Althusser). Pourquoi l’apparence de sérieux en politique (car tout est question, hélas, d’apparence en politique de nos jours) correspond-elle presque instinctivement au sein de l’opinion publique, et singulièrement de ceux qui la font, au fait d’être porteur de mauvaises nouvelles pour les classes populaires ? A y regarder de plus près, cette posture n’a rien d’évident du tout, chez nous comme ailleurs, hier comme aujourd’hui. Pour nous en convaincre, on commencera par ailleurs (mais pas trop loin) et hier (en tout cas, à peine plus longtemps). Il y a une petite dizaine d’années, les programmes d’austérité que l’on imposait à la Grèce, pour que cette dernière puisse s’acquitter des remboursements à honorer sur sa dette publique, n’ont aucunement renforcé la solvabilité de la République hellénique. Loin de là, les coupes claires dans les dépenses publiques du pays, à force de plomber la croissance économique, ne faisaient que renforcer le poids de la dette en relation avec le Produit intérieur brut (PIB). Au total, les programmes d’austérité imposés à Athènes se sont soldés par une chute drastique du PIB (de l’ordre de 25% en termes réels et 30% en termes nominaux) entre 2008 et 2014. A cette époque, le pays est devenu à ce point insolvable qu’il a fallu en restructurer la dette publique.
Tout ceci nous prouve qu’il arrive parfois que rationalité économique et défense de la justice sociale aillent de pair. Et pourquoi n’en irait-il pas de même en ce qui concerne la réduction du temps de travail ? Et si cette dernière n’était pas aussi néfaste que ce que l’idéologie dominante veut nous contraindre à « penser » ?
Il faut bien en convenir. A ce stade notre réflexion, la réduction du temps de travail n’a pas la cote chez les patrons. C’est une évidence et par conséquent, cela mérite d’être creusé d’un point de vue théorique. Nous allons, dans un premier temps, définir ce qu’est la réduction du temps de travail de manière à ce que ne subsiste aucune ambigüité quant à la suite de notre propos. Ensuite, nous allons nous interroger, toujours d’un point de vue théorique, sur la dimension économique de la journée de travail.
La réduction du temps de travail à laquelle il est fait référence dans la suite de ce document se caractérise par une dimension d’organisation collective. Cette nuance est éminemment importante. En fait, le travail est déjà partagé par le capital. Le temps de travail nécessaire à la production des biens et services dans une société capitaliste donnée s’effectue, en effet, par la répartition de la pénurie sur une base individuelle de manière à ce que certains travailleurs soient moins employés que d’autres, cette situation étant corrélée à leurs caractéristiques individuelles. Par exemple, faute de services publics leur permettant de concilier vie familiale et vie professionnelle, certaines femmes n’auront d’autre solution individuelle que de travailler à temps partiel. Plus globalement, les travailleurs ne satisfaisant pas à toutes les exigences du patronat (ces dernières ayant d’ailleurs tendance à devenir plus strictes en période de chômage élevé) seront contraints individuellement de réduire leur temps de travail à rien. Ils seront alors chômeurs. Idéalement, d’un point de vue capitaliste, il conviendrait que l’allocation qu’ils perçoivent soit la plus proche possible de leur nombre d’heures travaillées, c’est-à-dire rien, de façon à ce que leur statut ne fasse pas trop d’envieux au sein de la partie employée de la main d’œuvre. Celle-ci ne sera alors pas trop tentée de rechigner devant des conditions de travail qu’elle jugerait, par le plus grand des hasards, indécente.
Un chômeur, c’est effectivement toujours très utile pour le patronat. Les salariés mis au rebut et non-intégrés au sein de l’appareil productif forment collectivement ce que Marx a qualifié d’ « armée industrielle de réserve »[4]. Cette armée d’un genre particulier constitue un outil important pour le maintien du cadre de gestion capitaliste de l’économie. A ce propos, Marx repère que « l'excès de travail imposé à la fraction de la classe salariée qui se trouve en service actif grossit les rangs de la réserve, et, en augmentant la pression que la concurrence de la dernière exerce sur la première, force celle-ci à subir plus docilement les ordres du capital »[5]. D’un point de vue économique, il existe donc bien un lien organique entre la formation du profit et cette armée de réserve. On commence à mieux comprendre la double hostilité du patronat à la fois à l’endroit de systèmes d’indemnisation du chômage trop généreux (que ce soit du point de vue de la durée de l’indemnisation et/ou du montant de cette dernière) et d’une répartition de la charge de travail sur une autre base que l’armée industrielle de réserve comme « pivot sur lequel tourne la loi de l'offre et la demande de travail »[6].
Pour établir un lien avec l’actualité, il est établi que pour des raisons démographiques, le recours à l’armée industrielle de réserve va s’avérer de plus en plus compliqué en Europe dans les années à venir. C’est ainsi que le rapport 2023 de la Commission européenne au sujet de l'évolution en Europe de l'emploi et de la situation sociale constatait qu’en 2022, en dépit du choc économique de la guerre en Ukraine, laquelle s’est concrétisée par une diminution de la croissance économique à partir du mois de juin 2022, les différents marchés nationaux du travail au sein de l'Union européenne n’ont pas souffert. Au total, le taux d'emploi sur le Vieux Continent a atteint un niveau historiquement élevé de près de 75% en comptant 213,7 millions d'actifs au travail alors que le taux de chômage se situait à un niveau particulièrement bas, un vrai record d’ailleurs, de 6,2%[7].
Ne nous méprenons pas. Ces chiffres ne constituent pas spécialement une bonne nouvelle pour le patronat. L’armée de réserve diminue et c’est évidemment à ce moment que l’on observe une attaque tous azimuts contre les systèmes d’indemnisation du chômage en Europe. Alors que les Engagés ou le Mouvement Réformateur chez nous font campagne pour une limitation du chômage dans le temps, en France, Bruno Lemaire plaide pour un durcissement de l’accès aux allocations pourtant déjà limitées à deux ans outre-Quiévrain. L’armée de réserve, pour le dire simplement, ça paie, et même bien, spécialement les actionnaires !
Evidemment, dans ces conditions, l’idée de partager le temps de travail de manière collective (c’est-à-dire négociée avec le mouvement ouvrier) ne séduira jamais vraiment le patronat. C’est ici qu’il s’avère important de comprendre comment fonctionne la journée de travail du point de vue de la rationalité économique du capitalisme.
Le travail est purement et simplement une marchandise sous le capitalisme dans la mesure où il permet, avant toute chose, la valorisation du capital. Cela signifie que dans le cadre d’une économie capitaliste, le salarié vend sa force de travail. Contrairement à son employeur qui vend des biens, le salarié, lui, ne peut vendre qu’une et rien qu’une chose : sa force de travail et à la base des profits, il y a du surtravail. Cela signifie que tout le travail presté pour produire les marchandises n’est pas payé intégralement au collectif des travailleurs. Pour comprendre ce point, il faut partir de la vision de l’économie qu’ont développée les économistes classiques, comme Adam Smith ou David Ricardo, adeptes du libéralisme économique. Selon ces derniers, l’origine de la valeur d’échange des marchandises (c’est-à-dire le prix contre lequel elles s’échangent sur les marchés) réside dans le travail nécessaire à leur fabrication. L’apport de Marx, dans la lignée des classiques mais aussi de façon à les dépasser, consiste à repérer qu’une partie de la journée de travail n’est pas payée. Marx parle d’ailleurs clairement de « travail impayé ». Ce que nous venons d’énoncer ici constitue un paradigme, c’est-à-dire une vision du monde propre à un courant intellectuel. En l’occurrence, cette vision, qui est celle des pères de l’économie politique et de Marx à leur suite, fonde la valeur des marchandises dans le travail.
Pour clarifier les choses, prenons l’exemple simplifié à l’extrême d’une fabrique de cotons-tiges. Admettons que cette entreprise commande chaque mois, afin de fabriquer ses cotons-tiges, pour 1 million de sesterces de petites billes de cotons à fixer à des petits bâtons en bois également achetés 1 million de sesterces. En tout, il y en a pour 2 millions de sesterces de matières premières. Le processus de production consiste à joindre les petites billes de coton aux petits bâtons. L’achat des petites billes de coton et des petits bâtons, ce sont les matières premières de l’entreprise de cotons-tiges. Cette dernière emploie des ouvriers. Le prix de vente des cotons-tiges, une fois les petits bâtons et les petits bouts de bois assemblés manuellement, est de 4 millions de sesterces chaque mois. Les ouvriers employés dans la fabrique de cotons-tiges sont payés 800.000 sesterces pour un mois de travail. Il y a 1.000 ouvriers dans cette fabrique et ils travaillent chacun 40 heures par semaines à raison de 8 heures par jour pour une semaine de 5 jours. Si un mois compte 4 semaines de travail, on conclura que chaque travailleur preste 160 heures de travail (40X4) sur une base mensuelle. Jusque là, rien de bien compliqué à signaler. Pour calculer le nombre total d’heures prestées dans cette entreprise, on multiplie le nombre d’heures travaillées par ouvrier par le nombre d’ouvriers (c’est-à-dire 1.000). On sait donc maintenant que chaque mois, le collectif des salariés preste 160.000 heures de travail.
Pour comprendre comment du travail impayé intervient dans la fabrication de nos cotons-tiges, il faut réaliser un petit calcul. Chaque mois, la fabrique de cotons-tiges achète pour 2 millions de sesterces de billes de coton et de petits bâtons de bois. Il reste donc 2 millions de sesterces à partager chaque mois entre le propriétaire de la fabrique et les travailleurs de cette dernière. Si les travailleurs perçoivent collectivement 800.000 sesterces, il reste 1.200.000 de sesterces comme plus-value pour le propriétaire de l’entreprise. Ce profit, si l’on part du postulat que c’est le travail qui crée la richesse, provient logiquement du fait que les salariés n’ont pas reçu dans leurs salaires la totalité de la valeur qu’ils ont créée par leur travail.
Nous sommes à présent en mesure de calculer cet écart, ce surtravail. Dans notre exemple, la valeur ajoutée (c’est-à-dire la différence entre le prix de vente de quatre millions de sesterces et le prix d’achat des matières premières de deux millions de sesterces) est de deux millions de sesterces. Si le collectif des travailleurs reçoit 800.000 sesterces en contrepartie de son effort productif, chaque heure de travail est rémunérée à hauteur de 5 sesterces. Nous venons de voir que le propriétaire de l’usine reçoit mensuellement 1.200.000 sesterces du simple fait de posséder l’usine, éventuellement après en voir hérité (comme c’est majoritairement le cas au sein des classes dominantes). Autrement dit, une heure de travail produit 12,5 sesterces (soit 2.000.000 sesterces/160.000 heures de travail prestées collectivement). De tout ceci, on peut conclure qu’une journée de travail, équivalant à 8 heures, produit, d’une part, 100 sesterces de valeur (12,5X8) tout en étant rémunérée, d’autre part, à hauteur de 40 sesterces (5X8), A partir de ces constats, on peut calculer le surtravail (c’est-à-dire le travail non rémunéré par l’employeur et qui correspond à son profit). Dans le cas qui nous occupe, c’est-à-dire une journée de travail de 8 heures, le surtravail équivaut à 60% de la journée, soit (100-40)/100. Dans cet exemple, on peut estimer que le surtravail non-rémunéré, puisque la journée de travail pour chaque ouvrier est de 8 heures, va s’élever à 4,8 heures (0,6X8), c’est-à-dire 4 heures et 48 minutes. Chaque jour, ce collectif ouvrier n’est donc rémunéré qu’à hauteur de 3 heures et 12 minutes de production. La majorité de la richesse produite finit donc dans la proche du patron. C’est cette partie non rétribuée de la création de valeur marchande qui constitue le profit du propriétaire de l’usine. Voilà pourquoi nous disions que sous le capitalisme, le travail est une marchandise que la classe dirigeante entend acheter au meilleur prix.
La part de surtravail mise en évidence dans l’exemple qui précède peut sembler très exagérée. On précisera, à ce propos, que les chiffres présentés n’avaient pas pour autre but qu’exemplifier un concept. Il est cependant tout-à-fait évident que dans le cas d’un pays comme la Belgique, où le travail est fortement régulé, de tels niveaux de surtravail sont absolument inconcevables. En revanche, dans certains pays nouvellement industrialisés, des chiffres similaires n’ont absolument rien de théorique ou d’exagéré. C’est ainsi qu’au début du siècle, une armée de réserve a vu ses effectifs surabonder au Sud de la planète car « la productivité (y) augmentait plus vite que les salaires de 50% »[8]. On imagine le niveau de surtravail dans de telles formations sociales. Il devait, à peu de choses près, se situer aux mêmes niveaux que lors de la première vague d’industrialisation au XIXème siècle en Europe. Au tournant de ce millénaire, c’était surtout l’Asie orientale qui était concernée par un tel niveau de surtravail. Aujourd’hui, ce serait davantage le cas des nouveaux pays touchés par cette vague de modernisation de la production, notamment en Afrique (par exemple, l’Ethiopie depuis 2015).
En tout état de cause, c’est également cette caractéristique du travail salarié en tant que marchandise qui se trouve au fondement de l’automation de la production, c’est-à-dire le recours à des automates. Le salarié devient alors un appendice de la machine. Le processus de production n’exige de lui que des gestes simples de façon à ce que le prix de son travail soit le plus bas possible. Au total, l’industrialisation se caractérise par d’incessantes innovations qui conduisent à subordonner le collectif des travailleurs à des machines.
D’un point de vue patronal, il va de soi qu’une réduction collective du temps de travail pose problème en ce sens qu’elle finira par entraîner une hausse du salaire horaire des travailleurs, ce qui correspond logiquement à une forme de limitation, voire de diminution, du surtravail. Voilà pourquoi le patronat préfère la limitation du temps de travail presté individuellement via, notamment, le recours au chômage. Au passage, on se poser la question ce savoir si cette opposition à la réduction collective du temps de travail ne relève pas du combat d’arrière-garde, spécialement quand on scrute l’évolution du temps de travail depuis la fin du XIXème siècle dans les sociétés industrialisées.
Temps long du temps de travail
En Belgique, la semaine de travail en 1870 était de 63 heures contre 53,8 heures en 1913. On constate là une baisse de 15% en l’espace de deux générations. Cette diminution n’est à attribuer que partiellement à la mécanisation des procès de production qui a permis de produire davantage et de manière plus efficiente au fil du temps. En effet, la corrélation entre diminution du temps de travail et émergence du capitalisme ne va pas de soi. Pour cela, il faut voir les choses plus en profondeur dans le temps, c’est-à-dire en comparant les réalités existantes sous le capitalisme avec celles d’un autre mode de production. Pour rappel, le mode de production d'une société ne correspond pas à un simple processus technique. Au contraire, ce concept provient d’une conception plus large de l’organisation sociale. Il s’agit de la base de la vision marxienne de l’histoire. Un mode de production désigne, dans ce cadre, l’articulation entre une base productive (par exemple, au Moyen Âge, l’agriculture et sous le capitalisme, la production industrielle de masse) et une superstructure (c’est-à-dire les champs de la politique et des institutions)[9].
L’amélioration constante des systèmes productifs a clairement un rapport avec la dynamique propre au capitalisme. C’est ainsi que des chercheurs ont établi que le Moyen Âge et son mode de production étaient moins exigeants en terme de temps de mobilisation au travail de sa classe productive, en l’occurrence la paysannerie.
L’un des mythes les plus diffusés par le capitalisme consiste précisément à mettre en avant le fait est qu’il aurait réduit la journée de travail. Cet élément idéologique est généralement défendu par une comparaison de la semaine moderne de quarante heures avec son homologue de soixante-dix ou quatre-vingts heures au XIXème siècle. L’hypothèse implicite de cette comparaison, mais jamais formulée aussi directement, est que la norme des quatre-vingts heures prévalait depuis la nuit des temps. Cette comparaison prend pour point d’appui la vie des paysans médiévaux, présentés comme des masses abruties par le travail de l’aube au crépuscule. Un examen critique et rationnel de cette question permet de conclure très nettement à la fausseté de ces images d’Epinal.
A y regarder de plus près, ces dernières consistent en une série de projections rétrospectives à partir des modes de mise au travail de l’ère contemporaine. Comme toutes les autres formes de projections, elles s’avèrent, en fin de compte, peu conformes à la réalité. Dans le cadre du mode de production féodal, la majorité de la population en Europe ne connaissait, en fait, pas des semaines de travail particulièrement chargées. A l’opposé du mouvement d’innovation permanente de la modernité et de l’agitation que cette dernière suppose, leur rythme de vie était plus paisible. La pression au travail était moins prégnante que dans les sociétés modernes. Le déficit d’innovation technique au Moyen Âge ne permettait certes pas la création de richesses matérielles de manière massive mais nos ancêtres disposaient de davantage de loisirs.
Si l’on regarde les choses davantage dans le détail, on s’aperçoit, à la suite de l’économiste anglais James Edwin Thorold Rogers (1823-1890)[10], que le travail, loin de s’étendre du matin au soir (ce qui est rigoureusement impossible sur un plan strictement physiologique), était, en fait, intermittent durant le Moyen Âge. C’est ainsi que des pauses étaient prévues pour le déjeuner et le dîner mais également pour la sieste habituelle de l'après-midi. En fonction des saisons, des pauses permettant le rafraîchissement des paysans étaient organisées en fin de matinée ou encore au milieu de l'après-midi. D’un point de vue juridique, ces plages de repos constituaient des droits traditionnels du monde du travail le plus souvent consacrés religieusement, y compris durant les périodes de récolte. Durant la basse saison, et cette dernière représentait la majorité du temps de travail de la paysannerie médiévale, les horaires de travail réguliers diminuaient drastiquement. Au total, la journée de travail médiévale n’a jamais excédé les huit heures. A ce stade du débat notionnel, on peut penser que l'ouvrier syndiqué prenant part aux mouvements en faveur de la journée de huit heures à la fin du XIXe siècle essayait tout simplement de retrouver la durée de travail de ses ancêtres, quatre ou cinq siècles auparavant.
En tout état de cause, au Moyen Âge, une journée de travail au service d’un seigneur était, en fait, généralement considérée, en dehors des périodes de récolte, comme une demi-journée. Par conséquent, si un serf travaillait une journée entière, cela était comptabilisé comme deux journées de travail[11]. Des comptes détaillés des journées de travail des artisans sont, d’ailleurs, disponibles pour cette époque. C’est ainsi que nous disposons de chiffres pour le XIVème siècle qui donnent une moyenne annuelle de 9 heures par jour (hors repas et pauses, lesquelles excédaient souvent une heure)[12]. D’autres études évoquent une journée moyenne de 8,6 heures pour les maçons de l’époque pré-industrielle sur les chantiers royaux en Angleterre[13]. En fait, il y a de bonnes raisons de croire que la durée du travail au milieu du XIXème siècle a constitué l’effort de travail le plus prodigieux de toute l’histoire de l’humanité. La question de la propriété privée des moyens de production n’est évidemment pas sans rapports avec ce constat.
Le contraste entre les modèles de travail capitalistes et précapitalistes est particulièrement saisissant dès lors que l’on s’intéresse aux congés octroyés à la main d’œuvre employée dans le procès de production. On peut constater que le calendrier médiéval comptait d’innombrables jours fériés à caractère religieux. Ces derniers comprenaient, pour commencer, de longues périodes de vacances à Noël, à Pâques et au milieu de l'été pour le culte marial mais aussi de nombreux jours de repos liés à la célébration de saints particuliers. Selon les circonstances, certains de ces jours fériés donnaient lieu à des réjouissances ou au contraire, à des moments de pénitence. En tout état de cause, personne ne travaillait durant ces longues périodes. De surcroît, des fêtes profanes, vieilles survivances au niveau local ou régional des temps païens, rythmaient également l’emploi du temps des populations au Moyen Âge tant et si bien qu’au total, les époques de temps libéré de la sphère productive représentaient dans l’Angleterre médiévale un tiers de l’année. A ce propos, il semble que les rigueurs du climat contraignaient les Anglais à travailler plus durement que d’autres peuples d’Europe. C’est ainsi que l'Ancien Régime en France garantissait cinquante-deux dimanches, trente-huit jours fériés et nonante jours de repos. En Espagne, des sources historiques estiment que les vacances duraient près de cinq mois par an. Sous le mode de production féodal, le temps libre du paysan s'étendait donc au-delà des jours fériés officiellement sanctionnés par l’Eglise. De plus, on dispose depuis un certain temps déjà de nombreuses preuves de périodes de fortes baisses d’offre de travail correspondant au fait qu’en raison de salaires en augmentation, la main d’œuvre fournissait des prestations moins importantes. C’est ainsi qu’à la fin du XIVème siècle, alors que les rémunérations étaient inhabituellement élevées, de nombreux ouvriers du bâtiment refusaient de travailler à l'année et se contentaient de prester le nombre de jours nécessaire pour gagner leur revenu habituel, soit l’équivalent de 120 jours. A la même époque, la paysannerie ne consacrait pas plus de 150 jours par an au travail de la terre. Les registres seigneuriaux de l'Angleterre du XIVe siècle indiquent une année de travail extrêmement courte de l’ordre de 175 jours pour les ouvriers serviles. Quant à la catégorie des agriculteurs-mineurs, tout porte à penser qu’elle ne prestait guère plus de 180 jours par an[14].
On n’idéalisera évidemment pas les conditions de travail au Moyen Âge. Celles-ci, en raison d’une mécanisation très faible, étaient particulièrement pénibles. De plus, à cette époque, la main d’œuvre ne disposait pas de la sécurité sociale. Néanmoins, on fera remarquer que le travailleur médiéval n’avait pas à revendiquer le droit au repos (on peut même, par certains aspects, carrément parler d’oisiveté organisée). On peut, dans cet ordre d’idées, expliquer le nombre élevé de jours de congé officiels par le fait que le clergé avait compris qu’il fallait ménager les milieux populaires pour que la production reste constante. C’est à partir de ce constat que l’économiste états-unienne Juliet Schor a démenti, dans un texte resté célèbre, l’assertion selon laquelle les conditions de travail se sont caractérisées par une dynamique d’amélioration constante au cours des siècles[15].
Ce type de constats se situe dans le droit fil de l’analyse du mode de production capitaliste produite par Karl Marx. L’analyse marxienne repère, en effet, une différence fondamentale entre le capitalisme et les modes production antérieurs. Le capitalisme, en tant que nouveau mode de production dans l’histoire, repose sur un impératif d’accumulation constante et illimitée de capital. Au contraire, au Moyen Âge, l’échange marchand était beaucoup moins pratiqué que sous le capitalisme. Par conséquent, les possibilités d’accumulation par les classes dominantes étaient nettement plus limitées. Faute d’importants surplus monétaires, il était très compliqué d’améliorer le procès de production via le recours à des innovations technologiques. Le but de la domination de classe consistait alors à ce que la production reste constante. Pour le dire familièrement, le Moyen Âge était conservateur. Les seigneurs féodaux ne disposaient pas de la possibilité matérielle de pouvoir chercher à extraire toujours davantage de valeur à partir de l’activité productive de leurs serfs. C’est là la différence essentielle avec le capitalisme. Au Moyen Âge, le surtravail n’existait tout bonnement pas. L’accumulation y était particulièrement faible et de ce fait, l’innovation technologique des plus limitées. On ne peut s’empêcher de voir un lien entre cette spécificité et le fait que l’espérance de vie à la naissance a, en moyenne, été multipliée par 3,5 en France depuis trois siècles puisqu’elle n’était que de 25 ans en 1740[16].
Modernité, accumulation et travail
C’est ici qu’il faut se poser sans détours une question tout-à-fait fondamentale et, au demeurant, un brin provocatrice. Doit-on assigner comme but premier au mouvement social le retour au Moyen Âge ? Ecartons immédiatement cette hypothèse d’un revers de la main. Personne, même parmi les décroissants, n’est partisan d’un tel basculement[17]. Il s’agirait, en tout état de cause, d’un mot d’ordre bien trop unilatéral car il ne sert à rien de nier les progrès que le capitalisme a rendus possibles dans l’histoire de l’humanité.
En revanche, il s’avère intellectuellement beaucoup plus fécond de comprendre qui s’approprie, et dans quelles proportions, les fruits de ces innovations. C’est d’ailleurs, quitte à surprendre, également le point de vue de Marx au sujet de la colonisation, envisagée par ce dernier comme une modalité particulière de diffusion du progrès technique dont l’amélioration permanente constitue, comme vu auparavant, une caractéristique fondamentale du capitalisme. A ce sujet, Marx se montre des plus tranchants. La citation est un peu longue mais très éclairante d’un point de vue politique : « Tout ce que la bourgeoisie anglaise sera forcée de faire n’émancipera pas plus la masse du peuple qu’elle n’améliorera sa condition sociale, car cela ne dépend pas seulement du développement des forces productives, mais de leur appropriation par le peuple »[18]. Ce qui est dit ici au sujet des travailleurs indiens valait également dans l’esprit de Marx pour les travailleurs britanniques à la même époque.
Le progrès technique et le progrès social ne vont, en effet, pas nécessairement de pair. Là où l’idéologie de la classe dominante associe unilatéralement ces deux dimensions, la clé de lecture marxienne discerne un rapport dialectique entre elles de telle sorte qu’on ne peut en comprendre le dynamisme sans faire intervenir une analyse concrète de la lutte des classes dans le contexte particulier de la modernisation capitaliste. Cette dernière se caractérise par la mise en œuvre au sein des procès productifs de deux types distincts de travail : le travail vivant et le travail mort. Le premier désigne la force de travail rémunérée pour permettre de dégager du profit à partir de l’expérience du surtravail. Le second, quant à lui, provient précisément de cette partie non-rémunérée de la journée de travail. Il s’agit de la partie du profit qui est transformée en moyens de production, lesquels se substituent, à leur tour, au travail vivant. D’un point de vue plus directement économique, le travail mort équivaut au capital constant et l'achat de la force de travail salariée correspond à la quantité de capital variable présente dans le procès de production.
Quelle utilité procure le capital constant aux propriétaires des moyens de production ? L’injection de capital constant a pour but la diminution du prix relatif des marchandises par le biais des gains de productivité et par là-même, celle du niveau de valorisation de la force de travail par rapport à la valeur de la production totale. De ce fait, le coût réel permettant le maintien du niveau de vie des salariés diminue également. Au total, les propriétaires des moyens de production jouissent de la disponibilité d’extraire davantage de valeur du procès de production sans devoir baisser les salaires nominaux, et parfois même en les augmentant comme ce fut le cas durant certaines périodes du capitalisme (on songera, par exemple, aux Golden Sixties).
Du point qui précède, on ne peut évidemment tirer la conclusion que le capital a trouvé la solution infaillible pour augmenter de manière constante ses profits tout en permettant un haut de niveau de vie pour les salariés. En effet, le capitalisme se caractérise par la survenue de crises régulières, plus ou moins profondes selon les époques. Par exemple, la récession de 1992-1993 a été moins violente que la Grande Récession de 2007-2009. Mais cela, personne ne pouvait le deviner en temps réels alors que la conjoncture venait à peine de se retourner. Chaque crise représente, en effet, un nouveau saut dans le vide pour le capitalisme. A ce sujet, il faut avoir, dans sa vie, fait l’expérience d’un tour de table dans un média hégémonique au moment où se dessine la perspective d’un ralentissement économique un peu sérieux pour constater l’effroi (et le mot est faible) de la classe capitaliste, car c’est principalement elle qui intervient à la télévision et dans les journaux pour parler d’économie.
De surcroît, il faut garder à l’esprit que le capital constant a pour base la survaleur extraite du travail variable et ce dernier est d’ailleurs qualifié de variable précisément du fait qu’il est remplaçable par des machines. De ce constat, on peut tirer une observation concernant le taux de profit, qui constitue la pierre d’angle de toute société capitaliste. Le taux de profit peut s’appréhender sur un plan logique comme une fraction entre au numérateur, la survaleur représentant le surplus économique tiré du procès de production et au dénominateur, l’addition des deux capitaux nécessaires à la création de valeur (soit, le capital variable et le capital fixe).
Pour résumer ce constat, on proposera la formule suivante : TP= [(S/C+V)]-1.
Dans cette formule, TP désigne le taux de profit, S la survaleur au numérateur et C, le capital constant.
Puisque c’est le travail vivant, le capital variable qui est à la base de toute valeur, en ramenant à cette origine commune chacune des variables composant le taux de profit, on obtient alors :
TP=[(S/V)/(C/V)+(V/V)]-1
S/V permet de mesurer l’intensité de l’exploitation du travail vivant. On peut le désigner par E dans la formule qui va suivre. C/V mesure l’importance dans le procès de production des machines, bref, du capital constant. Dans le modèle analytique marxien, la fraction C/V permet de mesurer la composition organique du capital, que l’on notera CO. Pour ce qui est de V/V, elle est égale à 1 et cela se passe de commentaires superflus. Au total, on peut appréhender la dynamique du taux de profit comme suit
TP=[E/(CO+1)]-1)
On voit dans cette formule que le capital constant se rencontre uniquement au dénominateur de la fraction. Cela signifie concrètement que plus le procès de production sera automatisé de manière à pouvoir se passer de travail vivant, plus le taux de profit sera bas en tant que résultat de la fraction car le dénominateur sera de plus en plus élevé. Le courant marxien en économie politique parle, à ce propos, d’alourdissement de la composition organique du capital.
Il existe plusieurs parades à la tendance ainsi établie à la baisse du taux de profit. Tout d’abord, les classes dominantes peuvent tenter de faire remonter TP en essayant d’augmenter E au numérateur. Cette stratégie repose donc sur une intensification de l’exploitation du collectif des travailleurs. Historiquement c’est ce qui s’est, par exemple, produit dans les années 1960-1970, époque à laquelle une part non-négligeable de la production reposait sur du travail à la chaîne, avec les cadences infernales qui consistaient à faire produire un plus grand nombre de pièces à l’heure par le collectif ouvrier. A l’époque, on a constaté un fort mouvement d’opposition de la part des salariés à cette intensification de l’extraction de valeur dans les procès de production. Devant ces mouvements de résistance, le patronat a d’ailleurs été contraint de revoir ses dispositifs de production et d’implication de la main d’œuvre à rebours de la division du travail connue jusque là[19]. Plus largement, l’exploitation des salariés (E) est bornée par certaines limites qui correspondent à des données d’ordre biologique (on ne peut, par exemple, pas faire travailler très longtemps la main d’œuvre sans repos et sans pause de manière très intense comme dans l’exemple des usines à cadences infernales). En revanche, la composition organique du capital peut toujours être augmentée au dénominateur mais alors, elle fait baisser le résultat de l’équation, c’est-à-dire TP, donc le taux de profit.
Il existe une deuxième option qui consiste à miser sur un remplacement accéléré des équipements. En effet, l'augmentation de la composition organique du capital combinée à des sauts qualitatifs sur le plan technologique permet d’engranger des gains de productivité qui, par effet de ricochet, vont limiter l’alourdissement de la composition organique via un déclassement rapide des équipements, ce qui entraîne leur dépréciation accélérée. L’exemple qui suit va nous prouver que ce n’est pas aussi évident sur le long terme. Imaginons le cas de monsieur Engels qui fabrique des cotons-tiges. Dans son usine, il y a 20 machines valant 5.000 sesterces chacune pour un total de 100.000 sesterces. Dans son usine, monsieur Engels emploie 20 ouvriers pendant un an et les paie 5.000 sesterces chacun pour l'année, soit un total de 100.000 sesterces de « coûts salariaux ». Sa production est de 300.000 cotons-tiges, dont le prix unitaire est de 1 sesterce. Nous pouvons, à partir de cet ensemble de données, calculer la composition organique du capital dans la fabrique de monsieur Engels. Pour cela, on construira une fraction ayant au numérateur la valeur des machines et au dénominateur, la valeur des salaires versés aux travailleurs. On obtient donc 100.000/100.000, donc 1. C’est sur cette base que l’on va pouvoir calculer le taux de profit TP. Pour ce faire, on dispose de S (=300.000 sesterces), C (=100.000 sesterces) et V (=100.000 sesterces). On obtient alors [(300.000-200.000)-1], soit 0,5 (et donc 50%). Le taux de profit de la fabrique de cotons-tiges de monsieur capital équivaut à 50%. On va partir du principe que ce taux de profit de 50% est, par ailleurs, le taux de profit moyen en vigueur dans le secteur des cotons-tiges. La fabrique de monsieur Engels n’est donc ni la meilleure ni la plus performante du secteur. Elle se situe juste au milieu.
Cependant, Monsieur Engels est un producteur avisé soucieux de moderniser son outil de production. Il contacte donc un fabriquant de machines qui lui promet de pouvoir lui livrer un équipement plus performant pour un prix inférieur de moitié. Monsieur Engels peut donc acquérir 40 machines pour 2.500 sesterces pièce. Il garde un capital constant s’élevant à 100.000 sesterces. Chaque machine doit être maniée par un ouvrier. Par conséquent, monsieur Engels doit engager 40 ouvriers et il les paiera 200.000 sesterces, c’st-à-dire 5.000 sesterces par tête et par an (on remarquera, au passage, que les modèles marxiens sont parfaitement capables d’intégrer l’hypothèse de rigidité des salaires nominaux, tout comme leurs homologues keynésiens). La composition organique, dans ce cas, est de 0,5 (100.000/200.000). La production de monsieur Engels va doubler l’année suivante et va atteindre le chiffre inouï de 600.000 cotons-tiges par an. Leur prix unitaire, pour simplifier notre calcul, reste identique, soit 1 sesterce. C’est le prix en vigueur sur le marché. Le produit de la vente de cotons-tiges de la fabrique de monsieur Engels est donc de 600.000 sesterces. Comme monsieur Engels est le seul fabriquant du secteur à utiliser ces nouvelles machines, il va pouvoir doubler son taux de profit. En effet, ce dernier s’élève maintenant à (600.000/300.000)-1, soit au total, 100%.
L’année suivante, un autre fabricant propose à monsieur Engels des machines qui valent sensiblement plus cher que les précédentes, en l’occurrence, 7.500 sesterces la pièce, mais elles permettent de produire quatre fois plus de cotons-tiges. Le nombre de salariés employés par machine ne varie pas. On garde toujours un ouvrier par machine. Pour monsieur Engels, il faut acheter à ce fabricant et c’est la bonne décision. Le calcul est, en effet, très simple. 40 machines à 7.500 sesterces chacune, cela donne un capital constant de 300.000 sesterces. 40 ouvriers à 5.000 sesterces per capita et par an, cela donne un capital variable de 200.000 sesterces. Mais cette fois, monsieur Engels va produire 1.800.000 cotons-tiges à 1 sesterce l’unité (soit le prix du marché). On peut donc obtenir le taux de profit de la compagnie de monsieur Engels cette année-là. Nous avons un revenu de 1.800.000 sesterces qu’il faut rapporter à un dénominateur de 300.000 sesterces (capital constant) et 200.000 variables (capital variable). On note un net alourdissement de la composition organique avec un taux de profit qui va augmenter puisqu’il s’élèvera cette fois à 260%, soit (1.800.000/500.000)-1. Pour le surplus, on observe que la composition organique est, cette fois, de 1,5 (300.000 sesterces de capital constant divisé par 200.000 euros de capital variable).
Jusqu’à présent, nous avons raisonné à partir du cas d’un producteur unique et avons fait comme si le taux de profit de monsieur Engels ne dépendait que de ses décisions individuelles d’innovation de procès, donc comme si ses concurrents n’avaient pas accès à ces nouvelles technologies. Or, les développeurs de nouvelles technologies ne se lèvent pas tous les matins en se demandant comment ne satisfaire que monsieur Engels et rien que lui. Eux aussi veulent engranger les profits les plus importants possibles et pour cela, ils assurent la diffusion de leurs inventions auprès de toutes les usines de cotons-tiges. Ces quelques lignes de clarification vont nous permettre de vérifier de quelle manière l’alourdissement de la composition organique intervient pour faire baisser le taux de profit. Postulons à présent que les concurrents de monsieur Engels, qui ne sont pas nés de la dernière pluie, ont compris eux aussi l’intérêt de moderniser leurs processus de production. Ils décident enfin de suivre le mouvement du progrès et ne se laissent plus distancer par la firme Engels. Ils possèdent à présent des machines aussi performantes que cette dernière. La compétition fait alors rage sur le marché des cotons-tiges. La production augmente vigoureusement du fait de ces innovations technologiques. Le prix du coton-tige va alors beaucoup diminuer. La concurrence accrue va faire plonger ce dernier au niveau, mettons, de 0,50 sesterces. Quel sera l’impact de cette baisse pour la firme Engels ?
Comme l’année précédente, la firme Engels possède toujours 40 machines à 7.500 sesterces chacune, ce qui donne un capital constant de 300.000 sesterces. Elle emploie toujours 40 ouvriers pour des salaires unitaires de 5.000 sesterces par an, soit un capital variable de 200.000 sesterces. Sa production sera toujours de 1.800.000 cotons-tiges. Mais comme nous l’avons vu, la concurrence qui se déchaîne a fait baisser le prix unitaire des cotons-tiges. Ces derniers, puisqu’ils ne valent plus que 0,50 sesterces la pièce, ont tout juste permis à la firme Engels de dégager un chiffre d’affaires de 900.000 euros. Nous pouvons à présent calculer le taux de profit de la compagnie Engels. Il équivaut à présent à 80%, ce qui correspond au résultat de la fraction suivante : (900.000/(300.000+200.000))-1. Jamais son taux de profit n’a été aussi bas. Cette diminution du taux de profit est la conséquence de l’alourdissement de la composition organique de la composition organique qui est passée de 1 à 1,5. En fait, la décision de monsieur Engels d’avoir recours à une composition organique plus importante était indiscutablement rationnelle, tout comme l’était celle des entreprises concurrentes d’innover pour ne pas être dépassée dans la lutte pour la survie individuelle sur le marché.
Une dernière stratégie de contournement de la baisse des taux de profit consiste en l’exportation des capitaux excédentaires, un point que nous n’avions fait qu’évoquer auparavant alors que nous citions Marx au sujet de la colonisation. Nous voici à présent au cœur de cette problématique. En colonisant de vastes territoires en Afrique, en Asie ou en Amérique latine, les pays européens ont, à la fin du XIXème siècle, mené une politique étrangère de conquête de nouveaux territoires qui correspondait, en fin de compte, à la nécessité d’échapper à la crise de surproduction et la baisse du taux de profit qu’elle suppose inévitablement. Les capitaux excédentaires ont, à cette époque, servi à aménager des infrastructures modernes dans les colonies de manière à faciliter l’insertion de ces zones au sein du marché mondial et en retirer du profit. On pourrait se dire que l’ère de l’impérialisme est derrière nous puisque des pays comme la Belgique, la France ou le Royaume-Uni ne comptent plus de colonies.
Ces dernières sont, certes, devenues indépendantes. Cependant, cette manière d’envisager la question souffre d’un excès de formalisme juridique. Evidemment, sur le papier, ces pays sont pleinement souverains mais dans la réalité, il en va tout autrement. Par exemple, la libéralisation du commerce international a été décidée au Nord de la planète et ce sont principalement nos multinationales qui en ont profité. Les ressorts de l’accumulation capitaliste en sont sortis renforcés. C’est ainsi que l’Université nationale du Mexique avait estimé, qu’entre le début des années 1980 et le début du troisième millénaire, le Sud avait ainsi fourni au Nord un montant astronomique de cinq trillions de dollars (c’est-à-dire 5.000 milliards de dollars) au bas mot[20].
Politique, l’économie !
Du point de vue de la lutte des classes et de la formation des taux de profit, la mondialisation a fonctionné in concreto comme un puissant adjuvant au service des intérêts du capital. La mise en concurrence des travailleurs a permis que s’installe une pression constante à la baisse de la part des salaires par rapport à la valeur totale de la production. Voilà pourquoi depuis une quarantaine d’années, le statut de salarié, même sous nos latitudes, ne protège plus nécessairement contre la pauvreté. Il est vrai que la mondialisation a permis d’aller plus loin dans l’inversion du rapport de forces entre capital et travail qui avait débuté quelques années auparavant au début des années 1980. A la base de cet approfondissement, on retrouve une augmentation du ratio travail/ capital, c’est-à-dire que l’ouverture à la concurrence internationale de nouveaux territoires particulièrement peuplés comme la Chine ou l’Inde, après la chute du mur de Berlin, a mis davantage de travailleurs au service d’un stock à peu près identique de capital. Il s’en est suivi une importante baisse du niveau des salaires par rapport à la richesse créée dans le monde. Cette tendance a concerné au premier chef les pays se caractérisant par un haut niveau des salaires et une forte protection du travail.
Le dernier rapport sur les salaires de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ne dit pas autre chose. Depuis le début des années 1980, la progression des salaires a évolué plus faiblement que les gains de productivité du travail en tant que facteur de production dans la plupart des grandes économies développées. Cette tendance au décrochage entre la progression de la productivité, d’une part, et celle des salaires, d’autre part, s’est amplifiée à partir du début du siècle. C’est ainsi que dans 52 Etats à revenu élevé pour lesquels des données étaient disponibles, on pouvait observer, l’année dernière, une croissance des salaires réels inférieure à celle de la productivité depuis l’an 2000[21]. Du point de vue de la détérioration du taux de profit, alors que la mondialisation accroît l'accumulation et de ce fait, intensifie l’alourdissement de la composition organique, on doit noter que la pression à la baisse sur les salaires précédemment décrite participe bien d’une intensification de l’exploitation du travail, laquelle vient contrebalancer la baisse de la profitabilité des procès productifs aujourd’hui globalisés.
Autant le dire d’emblée, l’idée de diminuer le temps de travail avec embauche compensatoire et maintien des salaires vient heurter de front la dynamique d’accumulation en vigueur de nos jours. A ce stade de l’analyse, on peut observer une contradiction de classe tout-à-fait fondamentale entre la progression de l’accumulation se matérialisant par d’importants progrès techniques et la pression à la baisse sur les salaires réels. Cette contradiction pourrait potentiellement s’accompagner d’un renouveau de la lutte des classes car à côté des salaires structurellement comprimés, on observe une explosion des profits depuis l’été 2021.
C’est ainsi que 722 entreprises transnationales ont accumulé 1.000 milliards de dollars de superprofits en 2021 puis 2022. A cette époque, l’inflation frappait plus durement les ménages que de nos jours à tel point que les spécialistes parlaient d’inflation tirée par les profits. Cela dit, l’année 2023 a, malgré la baisse de l’inflation, continué à assurer de beaux revenus au capital avec un versement de dividendes de 1.500 milliards d’euros aux actionnaires des 1.200 entreprises les plus importantes de la planète. Cela représente une augmentation de 5,2% par rapport à l’année précédente. Un tel niveau de contradiction entre capital et travail ne sera peut-être plus tenable pendant très longtemps, spécialement si l’on tient compte d’une agitation sociale de plus en plus marquée en Europe depuis les Gilets Jaunes en 2018. C’est ainsi qu’en Allemagne, pays pourtant réputé pour ses traditions de cogestion et son haut degré de concertation sociale, les grèves se multiplient depuis deux ans[22].
On s’interrogera, au passage, sur la viabilité macroéconomique d’un tel niveau de concentration du capital. En effet, lorsque les richesses se concentrent en aussi peu de mains et aussi rapidement que ce que l’on observe en ce moment, il va se produire mécaniquement un effet de renforcement de la composition organique, lequel comme nous l’avons vu contribue fondamentalement à la baisse tendancielle du taux de profit. Jusqu’à présent, l’intensification de l’exploitation du travail a permis de contrebalancer cette dynamique. Or, cette intensification n’est pas reproductible à l’infini. Par conséquent, cela finira bien par coincer quelque part. En tout état de cause, l’absence de coordination qui résulte de la compétition entre les différents acteurs de marché, laquelle constitue la base même de l’accumulation capitaliste, empêche les producteurs de poser les bases d’une meilleure répartition des profits entre capital et travail, tout occupés qu’ils sont par leur volonté de survie individuelle. Vu ce blocage structurel inhérent au fonctionnement de l’économie capitaliste, il faudra donc qu’une pression vienne du dehors des salons feutrés des conseils d’administration.
Voilà pourquoi le garde-fou le plus efficace à ce type de dérives repose sur la combativité de la classe travailleuse coalisée dont l’action est, comme chacun l’aura compris, motivée par la volonté d’obtenir une meilleure rétribution de son effort productif. Le lien entre cet état de choses et la réduction collective du temps de travail doit être explicité.
Pour ce faire, il convient d’inscrire nos perspectives analytiques à rebours du discours idéologiquement dominant. Que nous dit ce dernier au sujet de la réduction du temps de travail ? Pour répondre à cette question, on reproduira les commentaires de la RTBF (donc pas spécialement, une source ultraconservatrice) au sujet de la semaine des quatre jours en Belgique. Afin de fixer les notions, on rappellera que depuis 2022, une possibilité d’aménagement des carrières existe chez nous qui laisse la possibilité aux travailleurs pris individuellement d’accomplir leur travail à temps plein mais à durée de travail non-modifiée. Bref, avec cette formule, on fait sa semaine en quatre jours mais on preste la même durée de travail au total. La semaine des quatre jours trouve son origine dans la volonté du gouvernement de permettre aux travailleurs, en accord avec leurs employeurs, d’améliorer les possibilités d’organisation de leur « temps de travail en fonction des contraintes et des joies de la vie de famille »[23]. Le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’a guère fait d’émules chez nous. En effet, à peine un Belge sur 200 a opté, d’après des chiffres fournis par le service social Securex, pour cette formule d’aménagement individuel de la durée hebdomadaire du travail en effectuant les 38 heures hebdomadaires sur quatre jours, ou bien en pratiquant, c’était une autre variante prévue par la loi, une alternance entre une semaine de 31h prestée pendant quatre jours et une autre semaine se caractérisant par des journées de 9 heures pendant 5 jours, c’est-à-dire 45 heures par semaine[24].
Du côté des salariés, on voit bien ce qui a pu freiner. Conserver la même durée de travail mais en la prestant sur un nombre moindre de jours, cela revient à se fatiguer plus pour se reposer à peine plus longtemps au total. Le gain n’est guère évident. Il est même peut-être même nul dans bon nombre de cas. Pour le patronat, les choses sont tout aussi claires. La réduction de la semaine de travail entraîne bien une hausse de la productivité horaire des travailleurs mais cette dernière n’est pas de même ampleur que la concentration de la semaine de travail sur quatre jours. Au total, faire passer l’ensemble des travailleurs à la semaine des quatre jours même sans modification de la durée hebdomadaire de travail se soldera par une baisse de la production. Pour que cette dernière reste inchangée, il faudra engager davantage de personnel, ce qui représentera la nécessité de ponctionner davantage les profits pour compenser une augmentation du montant des salaires.
Et c’est ici que l’on voit poindre le museau de l’idéologie dominante au sein des médias mainstream, pour nombre de commentateurs, c’est un problème. Il ne faut pas avoir peur de l’affirmer clairement, ce renchérissement du travail, c’est, au contraire, la solution. Ce point nécessite évidemment quelques mots d’explication et de recontextualisation.
Après la Grande récession de 2007-2009, laquelle s’était manifestée par la crise de financière d’octobre 2008 qui avait entraîné toutes les grandes banques occidentales au bord de la faillite, les politiques publiques ont été réorientées en fonction de l’impératif de la relance. Fort bien, mais pour que cette dernière reste en ligne avec le maintien de la valorisation du capital telle qu’elle existe depuis le début des années 1980, il fallait qu’elle soit financée non pas à partir d’une ponction sur le capital mais, au contraire, sur les salaires. C’est bien ce à quoi correspondent les politiques d’austérité que nous avons vécues en Europe après le tourbillon de l’automne 2008. Du point de vue capital financier, une politique de subventions destinées prioritairement au niveau de vie des allocataires sociaux, à l’aménagement du territoire, aux infrastructures ou aux services publics tels que la mobilité, l’éducation ou la santé s’avère parfaitement improductive. Pour qu’il puisse être envisagé comme productif par le capital, un euro supplémentaire de dépense publique doit avant toute autre considération permettre de gonfler ses profits. Que la dépense publique soit génératrice de richesses à plus long terme importe peu, ce qui compte d’abord, c’est la garantie de juteux dividendes pour les actionnaires.
Il y a donc relance et relance. Expliquons-nous. Spontanément, le capital préférera toujours que le politique relance, en fait, sa capacité à extraire davantage de valeur du facteur travail via des politiques publiques ad hoc. Voilà pourquoi il n’inclut jamais dans sa lutte contre l’assistanat les soutiens de diverses natures dont il bénéficie ainsi que les subventions directes ou indirectes permettant le maintien du niveau des profits. Le contenu concret des politiques de relance dépend in fine de rapports de force sociaux qui correspondent à des intérêts de classe aux contours bien marqués. En fonction d’une lutte tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’appareil d’Etat pour piloter les politiques d’investissement public, les budgets de soutien à l’économie permettront, en bout de course, de construire davantage de piscines dans le Brabant wallon ou au contraire, d’améliorer l’isolation des logements sociaux à Charleroi ou à La Louvière. Au lecteur tenté de reprocher à ces propos un côté un brin manichéen, on conseillera de jeter un coup d’œil sur certaines réalités qui sont nettement plus caricaturales que ces lignes. C’est ainsi que la part de logements sociaux a baissé en Wallonie durant la période s’étendant de la fin des années 1990 à nos jours[25]. En ce qui concerne Bruxelles, on note que même l’OCDE, peu suspecte de sympathies marxisantes voire même plus classiquement social-démocrates, dénonce la violence de la crise du logement et met l’accent sur la nécessité renforcer soit la construction de logements sociaux soit l’encadrement des loyers sur le marché privé[26]. Dans le même temps, on a pu assister à une explosion des prix de l’immobilier, signe de ce que la priorité des politiques d’austérité au niveau européen a davantage consisté à soutenir les marchés (lire spéculateurs) que les ménages et le secteur de la construction au sein des Etats membres.
Revaloriser le pouvoir d’achat de la population implique nécessairement de diminuer le niveau général des profits. Par conséquent, les formules de réduction du temps de travail envisagées dans le droit fil de cette revendication générale devront nécessairement déboucher sur une augmentation du salaire horaire et une embauche compensatoire de manière à permettre au niveau général des salaires dans l’économie d’augmenter.
Pour cette raison, elles devront nécessairement être collectives et ne dépendront pas fondamentalement d’arrangements individuels entre employeurs et salariés comme c’est le cas, par exemple, de la semaine des 4 jours en Belgique, mais, au contraire, de législations contraignantes. De plus, elles seront intégrales dans la mesure où elles viseront à abaisser la durée totale du travail presté. Cette manière d’envisager la réduction du temps de travail est celle du mouvement ouvrier depuis le XIXème siècle et il n’y a guère de raison pour que cela change car comme nous l’avons vu auparavant, les profits n’ont jamais été aussi importants.
De ce point de vue, le modèle d’accumulation du capitalisme contemporain est sans doute plus proche dans sa logique de fonctionnement du XIXème siècle que des Trente Glorieuses. Les passéistes ne sont peut-être pas finalement ceux que l’on croit, entre les « conservateurs » du modèle de protection sociale mis en œuvre après 1945 et les « réformateurs » désireux de retourner encore un peu plus vers le XIXème siècle.
Laisser le temps au temps
Les temps longs de l’économie s’avèrent, de fait, implacables pour les gens qui, au sujet de la réduction du temps de travail, ont la mémoire courte ou dans certains cas d’ailleurs, feignent, en fait, de l’avoir. La diminution du temps de travail a déjà été mise en œuvre de longue date depuis l’émergence du capitalisme à la fin du XVIIIème siècle. C’est ce que nous prouve l’économiste et historien britannique, Angus Maddison (1926-2010) dans l’une de ses études rédigées pour l’OCDE en 2001. Examinons cela d’un peu plus près.
La lecture de Maddison permet d'établir que le temps de travail a diminué en Belgique depuis 1973. On voit, en effet, bien que le nombre d’heures de travail par personne a baissé chez nous. Cependant, la durée légale du travail n’a plus baissé dans le plat pays depuis la même époque. Contradiction ? Non, car ce à quoi nous renvoie ce bien intéressant graphique correspond en fait au nombre d’heures effectivement prestées par travailleur. Il s’agit donc d’une moyenne. Cette dernière occulte donc le fait que tous les travailleurs ne sont pas à égalité devant cette baisse du nombre d’heures de travail. Finalement, ce tableau démontre surtout qu’il y a eu flexibilisation croissante, au cours des trente dernières années, du marché du travail en Belgique et dans les autres pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). La réduction du temps de travail a donc surtout eu lieu sur une base inégalitaire. C’est précisément le contraire d’un processus de réduction uniforme de la durée légale du temps de travail avec embauche compensatoire et maintien intégral du salaire, une revendication récurrente du mouvement ouvrier, disions-nous.
Ce tableau est riche d’enseignements à plus d’un titre. Il nous enseigne, en effet, que la baisse la plus importante de la durée du travail légal s’est produite chez nous entre 1913 et 1940. Que s’est-il donc passé à cette époque ? En une génération à peine, la durée du travail a diminué de plus de 300 heures par an et par travailleur en passant de 2.600 à 2.300 heures. Cette baisse importante a pour origine un fort mouvement revendicatif et un contexte politico-économique qui n’est pas sans rappeler l’époque contemporaine.
La longue marche du salariat vers l’obtention de droits sociaux a rythmé l’activité de l’Organisation internationale du Travail (OIT) durant une bonne partie du XXème siècle. Ainsi, en 1935, l’OIT va promouvoir la semaine des 40 heures avec maintien du salaire et embauche compensatoire. L’article premier de la Convention des quarante heures déclare, d’ailleurs, sans fioritures que « tout membre de l’Organisation internationale du Travail qui ratifie la présente convention se déclare en faveur (...) du principe de la semaine de quarante heures appliqué de telle manière qu’il ne comporte pas de diminution dans le niveau de vie des travailleurs »[1]. Quelles étaient, à l’époque, les raisons qui poussaient l’OIT à militer aussi vigoureusement en faveur d’une vieille revendication du monde ouvrier et de ses organisations représentatives ? Après le krach de 1929, on assiste à une explosion du chômage dans les pays industrialisés de l’époque. Cette vague de fond a dominé les années 1930. Ainsi, en Grande-Bretagne, entre « 1921 et 1940, le taux de chômage ne tomba jamais au-dessous de 10% ; au début des années trente, quand le monde entier traversa la plus douloureuse crise économique de son histoire, le chômage dépassa 20% (…). Dans certains pays, la démocratie s’effondrait »[2]. L’époque était donc plutôt portée sur la conflictualité sociale.
L’influence de cette dernière sur les réformes du droit de travail au niveau international ne date, d’ailleurs, pas de cette époque. Comme nous l’avons déjà exposé, l’une des plus anciennes revendications, dès le XIXème siècle, du salariat en matière de législation sociale a porté sur la durée du travail. La première convention de l’OIT remonte à 1919. Elle vise à limiter la durée du travail. En son article 2, elle prévoit que « dans tous les établissements industriels, publics ou privés, (…) la durée du travail du personnel ne pourra excéder huit heures par jour et quarante-huit heures par semaine »[3]. Cette norme continue à constituer une référence pour l’Organisation. Son adoption coïncide avec l’évènement de la révolution russe (1917) et l’écrasement de la révolution allemande (1919). La logique qui a présidé à son adoption procède du même principe que l’octroi du suffrage universel en Belgique (1918). Coïncidence pour le moins troublante, les classes laborieuses, autrefois dangereuses mais passives, s’étaient bien organisées et étaient donc en mesure d’arracher des réformes substantielles.
La réaction du patronat, à cette époque, est sans équivoque et rappelle les cris d’orfraie que l’on entend de nos jours dès lors qu’il est question de toucher à la durée légale du travail. Les 40 heures allaient, d’après la Fédération des Entreprises de Belgique (FEB), ruiner la patrie. Aussi dénonçait-elle à ce sujet une entrave imposée au bon fonctionnement des entreprises en plaçant le tissu économique national dans une posture plus difficile que celles des autres pays[4]. On croirait lire un communiqué signé de la main de Pieter Timmermans, l’actuel administrateur délégué de la FEB.
Les entreprises, dans les années 1930, craignaient déjà pour leur compétitivité. On ne jurera pas pour autant que le contexte de cette époque est absolument identique à l’économie mondialisée aujourd’hui. Une économie comme celle de la Belgique s’est très fortement internationalisée depuis cette époque de telle sorte que si on réduisait le temps de travail de manière unilatérale chez nous, l’augmentation concomitante du salaire horaire qui en résulterait pourrait, en tout cas dans un premier temps, pénaliser l’économie du pays. Voilà pourquoi il semble important de remettre sur le tapis, afin de la repolitiser, la dimension de mondialisation des échanges jusqu’ici esquissées.
Avec le recul, on peut aujourd’hui affirmer que la construction européenne a induit une flexibilisation et une précarisation accrues du monde du travail. Pour ce faire, les élites dirigeantes du Vieux Continent ont mobilisé les instruments législatifs et les institutions communautaires dans une optique clairement néolibérale. En un mot comme en cent, l’idée européenne sert aujourd’hui de cheval de Troie à des stratégies d’adaptation à pas forcés de nos sociétés à la mondialisation capitaliste. De ce fait, le développement des politiques économiques au niveau européen suit de très près les injonctions néolibérales des institutions financières internationales (Fonds monétaire international et Banque mondiale).
Les élites européennes ont, à cette occasion, inventé une parade, un jeu d’écran de fumée leur permettant de se défausser de leurs responsabilités en reportant le poids de ce détricotage sur la seule Commission. En omettant de mentionner, et c’est là que réside la supercherie, que rien ne peut vraiment se décider au niveau européen sans l’aval des gouvernements nationaux qui ne peuvent donc légitimement se poser en victimes de l’ « Europe ». Pour en finir avec ce mythe, il faut en revernir à un constat clair : c’est au sein des Etats-nations que se noue la trame des rapports sociaux suscitant la mise en œuvre des politiques de précarisation et de flexibilisation du temps de travail. Parallèlement, c’est à l’intérieur de ces mêmes entités nationales que se sont, jusqu’à présent, manifestées les résistances à cette vague de fond. C’est ainsi que les « non »français et hollandais à la Constitution européenne ont brusquement et heureusement réveillé un débat que l’on croyait en coma profond depuis la ratification du traité de Maastricht, en 1992 et fait apparaître les « non » précédents, danois, irlandais et suédois, comme de profonds symptômes du malaise généralisé de l’Europe plutôt que, selon la bonne parole des dirigeants européens, de simples péripéties conjoncturelles.
La montée des nationalismes, depuis ces référendums de désaveu, n’a fait que s’accentuer en Europe. Il y a lieu de se poser la question des conditions de possibilité de réenchantement de l’idée européenne via la réactivation du progrès social à partir des instances créées en 1958 par le Traité de Rome. De ce point de vue, la mise en œuvre de la réduction du temps de travail sous l’impulsion des institutions européennes ne constitue qu’un élément de réhabilitation du mouvement européen au sein des classes populaires du Vieux Continent. La question de la taxation des grands patrimoines devrait indiscutablement faire partie de cet agenda européen alternatif.
Force est de constater que ces revendications sont bien peu portées au sein des cénacles qui comptent au niveau continental. Il est également obvie que de nos jours, le rapport de forces idéologique ne penche guère en faveur de la gauche. Cet état de choses explique sans doute que lorsque des partisans de la diminution de la durée légale du travail jouissant d’une appréciable notoriété s’expriment publiquement en faveur de cette dernière, tout en reconnaissant parallèlement qu’il s’agit, avant tout, d’une utopie directrice, le petit monde des média oublie de saluer la lucidité de ce point de vue. Tactiquement, ce type de manœuvres discursives vient à point nommé jouer un rôle de surdétermination idéologique afin que personne ne songe à vérifier qu’à l’échelle européenne, la réduction du temps de travail s’avère parfaitement viable.
Pour vérifier cette hypothèse, on prendra soin de suivre scrupuleusement les précieux conseils de Pierre Bourdieu, lequel recommandait de conquérir le fait contre le savoir immédiat, lequel constitue le plus souvent un pseudo-savoir inculqué à des fins de préservation d’une hégémonie politique et sociale. En imaginant que tous les pays d’Europe diminuent leur temps de travail dans une même proportion (en l’espèce, un passage à 32 heures représenterait une baisse de près de 15% dans le cas de notre pays), l’augmentation du salaire horaire qui en résulterait sera proportionnément la même à l’échelle du continent. Par conséquent, pour un pays comme la Belgique dont plus de 80% du commerce extérieur s’effectue avec l’Union européenne, un tel scénario permettrait d’éviter une détérioration de la compétitivité de ses entreprises. D’un point de vue davantage politique, on vérifie au passage qu’en dépit de la difficulté à faire émerger un rapport de forces davantage en faveur du travail face au capital en Europe depuis une vingtaine d’années, la constitution, dans la lignée d’Enrico Berlinguer, d’un pôle européen alternatif, se basant sur la coexistence sur le Vieux Continent de différents modèles de capitalisme plus redistributifs que dans le monde anglo-saxon, constitue aujourd’hui plus que jamais une perspective prometteuse permettant de retrouver le chemin des conquêtes sociales.
Bien entendu, une diminution plus modérée de la durée légale du travail pourrait également être envisagée de manière graduelle. Des politiques de ce type sont actuellement en voie d’application dans d’autres pays européens. C’est ainsi qu’en Espagne, Yolanda Díaz (Parti communiste espagnol), la ministre du Travail et deuxième vice-présidente du gouvernement espagnol, a engagé la coalition dont son parti est membre à faire évoluer la durée légale hebdomadaire de travail de 40 heures actuellement à 37 heures et demie en 2025[5]. Il s’agit là d’une baisse de 6,25%. Si une telle décision était appliquée en Belgique, le temps de travail légal chez nous serait de 35 heures pas semaine, soit la durée du travail de la France depuis la fin des années 1990. On sera bien inspiré de vérifier l’effet que le réaménagement du temps de travail aura sur l’économie espagnole. A ce stade de l’expérience qui n’en est qu’à ses débuts, on repérera toutefois que le cas particulier de l’Espagne permet d’infirmer les propos pessimistes quant à la dégradation de la productivité générale que ne manquerait pas d’entraîner, selon ses détracteurs, la réduction de la durée légale du travail. Prenons la mesure du problème. Les gains de productivité ont recommencé à croître aux Etats-Unis après la crise Covid, contrairement au Vieux Continent où la productivité est stagnante voire déclinante. A la fin de l’année dernière, le PIB américain par heure prestée avait grimpé de 6% par rapport aux données antérieures avant la pandémie. En revanche, en Europe, le PIB par heure travaillée n'avait connu qu’une timide hausse de 0,8 % à la même époque. En tout état de cause, ces considérations ne doivent, pour l’heure, pas trop impressionner le gouvernement progressiste dont s’est doté l’Espagne puisque la patrie de Cervantes présentait, l’année dernière, un taux de croissance de 2,5%, c’est-à-dire un montant cinq fois supérieur à la moyenne de la zone euro[6].
Pour la Belgique, les données se présentent comme suit. Dans les années 1970, les gains de productivité de l’économie belge s’élevaient à 4,5%. À l’aube des années 2000, ils sont retombés à 1,3%. Après la crise financière de 2007, ils ont chuté au niveau de 0,7%. Et depuis la crise Covid et la guerre en Ukraine, ils ne dépassent plus le seuil historiquement bas depuis 1945 de 0,4% en moyenne annuelle[7]. Pour autant, doit-on faire peser sur la seule réduction du temps de travail cette faiblesse structurelle de l’économie européenne ? Il n’échappera, en effet, à personne que les Etats-Unis, dans la foulée de la Grande Récession de 2007-2009, n’ont pas hésité à activer leurs dépenses publiques au service de la croissance et c’est toute la différence avec le dispositif de l’Europe austéritaire qui depuis 2010, contraint tout un continent à expérimenter une semi-léthargie économique. Telle est l’analyse de deux économistes français, Olivier Cardi et Romain Restout, respectivement professeurs à l’Université Paris II et à l’Université de Lorraine, qui estiment, dans une tribune parue dans les pages du journal Le Monde, que des commandes publiques importantes conduisent le secteur privé à innover et à réorganiser sa production, donc à améliorer leur productivité[8].
Osons aller un pas plus loin. C’est, en réalité, l’augmentation du coût du travail qui contraint les entreprises à devoir améliorer leurs procès de production afin d’en extraire davantage de valeur, ce qui évidemment fait augmenter la productivité du travail. De surcroît, si l’on revient sur les principales caractéristiques du capitalisme financiarisé[9], on doit pointer sa fragilité intrinsèque dans la mesure où les crises financières, depuis le milieu des années 1980, ont tendance à s’approfondir et se multiplier puisqu’elles sont intrinsèquement liées à un excédent d’épargne de plus en plus important au fil du temps. Or, l’élément d’incontestable revalorisation économique du travail comme facteur de production que représente la réduction de la durée légale du travail est susceptible, en augmentant les coûts de production, d’améliorer l’allocation du capital, c’est-à-dire de dégonfler les bulles financières et partant, de favoriser davantage l’investissement productif.
Ce point de vue est clairement hétérodoxe en économique politique. La théorie néoclassique veut, en effet, que des liquidités abondantes, quand bien même elles sont spéculatives, vont inévitablement entraîner un effet d’accélération de la croissance et de l’innovation. « Or, c’est tout le contraire qui se produit : les marchés étant loin d’être tous concurrentiels, si le degré de monopolisation est suffisant, leaders et laissés pour compte de la répartition peuvent survivre sans avoir à investir dans la productivité. Les seconds en accédant à bas coût au crédit, les premiers en rachetant des start-up ayant réussi au lieu d’investir de manière risquée dans des innovations maison. Ils peuvent ainsi continuer à maintenir un ROE [Return on Equity. Traduction française : rentabilité des capitaux propres[10]] élevé pour leurs actionnaires, tout en agissant en lobbies puissants sur les gouvernements et en pratiquant l’évasion et la concurrence fiscales et sociales »[11].
Cette orientation, foncièrement rentière, du capitalisme contemporain se traduit notamment par le fait qu’en Europe, la formation brute de capital fixe (c’est-à-dire l’investissement dans des actifs tangibles) a légèrement baissé (-0,1%) alors que tous les indices boursiers se sont envolés. Pour la Belgique, la comparaison des deux variables s’avère tout aussi intéressante. C’est ainsi que le Bureau fédéral du Plan nous apprend qu’en moyenne pour le Royaume, la croissance de la formation brute de capital fixe entre 2025 et 2028 devrait se situer aux alentours de 1,5%. Pour la région wallonne, cette augmentation serait de 1,4% et de 1,2% à Bruxelles durant la même période. La Flandre serait un peu mieux lotie avec une croissance prévue de 1,7%[12]. Sauf crise financière majeure (susceptible, en réalité, de se produire à tout moment), qui peut croire un seul instant que la progression du Bel 20 sera du même ordre ? Effectivement, le taux de croissance de l’indice de la Bourse de Bruxelles a augmenté de 3,22% d’avril 2019 à 2024. On mentionnera que le niveau d’avril de cette année (date à laquelle furent rédigées ces lignes) correspondait à une forte récupération se situant au-delà des 35% par rapport à la grande chute des actions liée au confinement en mars 2020.
Le saisissant décalage entre la timidité de la progression de la formation brute de capital fixe et celle bien plus spectaculaire du Bel 20 nous informe de ce que la faiblesse des investissements chez nous a d’abord un rapport structurel avec la financiarisation du capitalisme observée dans la plupart des pays de l’OCDE. On ne voit d’ailleurs pas bien pour quelle mystérieuse raison la Belgique aurait échappé à cette lame de fond. A ce propos, n’oublions pas non plus qu’un jour ou l’autre, le Bel 20, dont le profil de long terme ressemble davantage aux montages russes qu’à une gentille promenade de santé, renouera avec l’instabilité caractéristique de l’économie-casino. Ce nouvel esprit, rentier en l’occurrence, du capitalisme ne va pas, en effet, sans drames pour la stabilité financière.
Pour toutes ces raisons à la fois théoriques et pratiques, on peut estimer que la réduction collective du temps de travail, loin de constituer un leurre, fonctionne, au contraire, comme un remède au mode de gestion de l’économie capitaliste tel qu’il s’est généralisé à partir des années 1980. En l’espèce, ce dernier s’est montré nettement plus favorable au capital que travail. Un effet de rattrapage ne serait évidemment pas malvenu.
[1] Organisation internationale du Travail (OIT), Convention (n° 47) des quarante heures, 1935, article 1.
[2] Stewart, Michael, Keynes, Editions du Seuil, 1967, collection Points-Economie, Paris, p.4.
[3] Organisation internationale du Travail (OIT), Convention numéro 1 de l’OIT sur la durée du travail (industrie), 1919
[4] Archives de l’Etat en Belgique, Inventaire des archives de la F.E.B. (Fédération des Entreprises de Belgique) et du Comité National Belge de la Chambre de Commerce Internationale, 1897-2007, p.37.
[5] Les Echos, La gauche espagnole promet la réduction généralisée du temps de travail, édition mise en ligne du 24 octobre 2023.
[6] La Tribune, édition mise en ligne du 26 mars 2024.
[7] Conseil National de la Productivité, rapport annuel 2023.
[8] Cardi. O. & Restout. R., Une augmentation des dépenses publiques conduit à une forte hausse des gains de productivité des entreprises, Tribune parue dans Le Monde du 24 octobre 2023.
[9] A ce sujet, lire Aglietta Michel, Capitalisme. Le temps des ruptures, Odile Jacob, Paris, 2019.
[10] Le REO désigne un indicateur de performance des entreprises présentant au numérateur le résultat net de l’entreprise (c’est-à-dire la différence entre les produits et les charges, y compris les impôts, au cours d’un exercice comptable) et au dénominateur, les capitaux investis. Il s’agit de la mesure comptable la plus proche du taux de profit au sens marxien du terme. Les marchés financiers sont sans doute plus marxistes que bien des commentateurs de la vie économique dans la presse mainstream dans la mesure où ils utilisent cet indicateur au quotidien pour évaluer les entreprises.
[11] Aglietta, M, op.cit, pp.94-97.
[12] Bureau fédéral du Plan, Perspectives économiques régionales 2023-2028, juillet 2023, p.5.
[1] KUL, Jobskwaliteit in België in 2015. Analyse aan de hand van de European Working Conditions Survey EWCS 2015 (Eurofound), 2016, pp.284-303.
[2] Trends-tendances, édition mise en ligne du 19 février 2024.
[3] Le Soir, édition mise en ligne du 19 février 2024.
[4] Karl Marx, Le Capital (Livre premier), Le développement de la production capitaliste, 7ème section : Accumulation du capital, chapitre XXV : Loi générale de l’accumulation capitaliste (III. Production croissante d’une surpopulation relative ou d’une armée industrielle de réserve).
[5] Ibid.
[6] Ibid.
[7] European Commission Directorate-General for Employment, Social Affairs and Inclusion Directorate F, Employment and Social Developments in Europe Addressing labour shortages and skills gaps in the EU, 2023 Annual review, juillet 2023.
[8] Houtart. F., « Délégitimer le capitalisme. Reconstruire l’espérance », Ed. Colophon, 2005, Bruxelles, p. 22.
[9] Althusser, Louis (dir). « Qu'est-ce qu'un mode de production ? » in Sur la reproduction, Presses Universitaires de France, Paris, 2011, pp. 53-81.
[10] Thorold Rogers, James Edwin, Six Centuries of Work and Wages : The History of English Labour. London, Swan Sonnenschein (1884), Url :https://historyofeconomicthought.mcmaster.ca/rogers/sixcenturies.pdf. Date de consultation : 23 mars 2024.
[11] Bennett, Henry Stanley, Life on the English Manor, Cambridge University Press, Cambridge, 1960, p.104.
[12] Knoop, Douglas &Jones, Gwilym Peredur, The Mediaeval Mason, Manchester University Press, Manchester, 1933.
[13] Allen Brown, Reginald, Colvin, Howard Montagu &Taylor, Alan John Percival ,The History of the King's Works, Her Majesties Stationary Office, London, 1963.
[14] Rodgers, Edith, Discussion of Holidays in the Later Middle Ages, New York, Columbia University Press, 1940.
[15] Schor, Juliet, The Overworked American. The Unexpected Decline of Leisure, Basic Books, New York City, 1992.
[16] INED, La durée de vie en France, janvier 2018.
[17] A ce sujet, lire Reporterre, « On peut concilier décroissance et progrès technologique », entretien avec le philosophe Vincent Bontems, 30 juin 2023.
[18] Article paru dans le New York Daily Tribune le 8 août 1853 in Karl Marx&Friedrich Engels, Du colonialisme en Asie, Ed. Mille Et Une Nuits, 2001, Paris, pp.44-46.
[19] Pour un témoignage d’époque, lire Gorz, André (dir), Critique de la division du travail, Le Seuil, Paris, 1975.
[20] Houtart. F., ibid, p. 22.
[21] OIT, Rapport mondial sur les salaires 2022–23, Genève, 2023, p.12.
[22] Les Echos, édition du 1er mars 2024.
[23] Site web de la RTBF, https://www.rtbf.be/article/la-semaine-de-quatre-jours-payee-cinq-est-elle-applicable-partout-11266083, 4 octobre 2023. Date de consultation : 3 avril 2024.
[24] Le Soir, Le flop de la semaine des 4 jours, édition du 20 novembre 2023.
[25] Le Soir, édition du 5 février 2024.
[26] Perspectives régionales de l’OCDE 2023, Belgique, octobre 2023.
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