......parce qu’il faudrait pas voir à pousser le bouchon des revendications salariales trop loin, Madame Z., soyez raisonnable.
On l’avait tous bien compris, ce fameux "travailler plus pour gagner plus", qui commence à sonner aux oreilles de tous comme un gimmick insupportable ayant largement dépassé le stade du comique de répétition, suggérait la possibilité ( a priori laissée au choix du salarié) de travailler plus longtemps sur une journée, une semaine ou un mois, afin de gonfler sa fiche de paie grâce aux heures supplémentaires qu’il aurait effectuées.
Les entreprises, dans l’absolu, étaient censées y trouver leur compte en se permettant ainsi de ne pas renouveler certains postes libérés du fait des départs naturels de leurs employés ou du fait de plans organisés incitant monétairement au départ volontaire, en repartageant le travail sur les effectifs toujours présents : effectivement, Madame Z, secrétaire de son état qui affiche 15 ans de bons, loyaux et réguliers services au sein de son entreprise pour 1687€ nets par mois, et qui reprend le périmètre de Josianne partie en retraite, puis de Ghislaine et Lolotte, partie en reconversion externe parce qu’on leur a filé de la thune, se retrouve donc seule aujourd’hui, à effectuer des tâches qu’elles étaient encore quatre à se partager rien qu’en juin dernier.
Madame Z, puisqu’on ne lui a manifestement pas demandé son avis avant de lui coller dans les pattes le boulot de ses anciennes collègues, décide d’en prendre son parti et reporte tous ses espoirs de gratification pécuniaire (parce qu’une médaille du travail, elle le sait, a jamais servi à acheter du Panzani chez Carrouf) sur l’éventualité, bien méritée selon elle, d’une augmentation.
-Bah quoi, pense-t-elle, de quatre salaires "on" passe à un, "on" va bien trouver moyen de s’arranger pour m’en donner un peu plus, surtout que je compte pas ma peine, moi.
Mais Madame Z. se fourvoie.
-Soyez raisonnable, s’entend-elle répondre, l’entreprise est dans une démarche d’économie de masse, nous ne nous séparons pas de nos salariés dans l’optique d’augmenter ceux qui restent. Si vous voulez que nous puissions vous verser vos 23,04€ bruts d’augmentation annuelle, cessez de réclamer plus.
Madame Z. acquiesce.....non pas qu’elle veuille mettre en danger la santé financière de son employeur par ses desiderata manifestement incongrus et disproportionnés, mais elle y tient, à ses 23€ bruts annuels : ça couvre même pas l’augmentation du loyer qui lui, en prend bien plus dans la tronche chaque premier janvier bien sûr, mais elle a conscience que toutes les entreprises ne font pas ce geste une fois l’an. Elle se sait privilégiée, alors elle se la boucle.
-Tant pis, se résout-elle, je ferai des heures supp’. Il parait qu’on peut gagner plus quand on travaille plus.
Et du travail en plus, Madame Z., elle en a.
Car au delà de son désir d’apporter un peu plus de monnaie dans la cagnotte familiale chaque fin de mois, le fait est que Madame Z. est littéralement débordée et submergée de travail.
Elle ne comptabilise pas moins de six patrons ("Quand on finit par avoir plus de patrons que de salariés, c’est qu’il y a un problème", lui a doctement asséné une amie), gère le secrétariat de plus de 200 personnes, a trois postes téléphoniques (et encore, elle a réussi à négocier qu’on ne lui en mette pas un quatrième) qui parfois sonnent tous au même moment, et multiplie les casquettes.
Dans sa tête, l’équation est simple : d’un côté on lui quadruple sa charge de travail, de l’autre on lui tanne le cuir en l’incitant à travailler plus pour ramener plus de pépettes à la maison. Donc Madame Z., qui est une personne sensée, commence à faire des heures supplémentaires.
Oh Madame Z. ne cherche pas à resquiller et à entourlouper son patron en lui collant sous le pif une dette astronomique d’heures supp’ à payer dans les plus brefs délais hein, non, loin de là ! Madame Z. est réglo et ne veut pas contourner la convention collective !
D’abord, elle pointe. En tant que simple agent en bas de la hiérarchie interne, elle a le droit de commencer à travailler dès 07h35 le matin et doit dépointer avant 18h30 le soir. Et puis son compteur de temps effectif de travail, celui qui est relié à la pointeuse, ne lui permet pas d’effectuer plus de 10h supp’ par mois : au delà, il se bloque et ne prend plus en compte les heures réellement travaillées. Mais pour Madame Z., 10h en plus dans le mois, ça reste satisfaisant : elle peut ainsi éponger la dose de travail qu’on lui donne, et ramener du beurre à coller sur ses épinards.
Donc Madame Z. commence à rester tard le soir. Et elle aime plutôt ça en fait. Le temps que les bureaux se vident, elle a plus d’une demi heure devant elle pour rattraper son retard de la journée, une demi heure où ses téléphones ne sonnent plus, une demi heure pendant laquelle personne n’est plus là pour lui rajouter du boulot, une demi heure de quasi quiétude durant laquelle elle ne chôme pas mais dont elle savoure le calme. Elle fait ça quelques jours par semaine, histoire de ne pas dépasser ce fameux quota de 10h maximum, et s’en trouve satisfaite.
Puis arrive la fin du mois, avec la fiche de paie. Madame Z. est pressée de voir ce que lui ont rapporté ces quelques heures en plus. Mais là, surprise : non seulement son salaire n’a pas varié d’un kopek, mais une feuille à l’en-tête de l’entreprise est jointe au bulletin de salaire.
"Dans la continuité de la dynamique d’effort global d’austérité et d’économie que notre entreprise suit depuis fin 2008, la décision de ne plus payer les heures supplémentaires au personnel non cadre a été prise lors du dernier Comité de Direction".
Madame Z. en tombe sur le cul du haut de l’armoire. Que vont devenir ces heures effectuées le soir,pense-t-elle.
"Les heures supplémentaires déjà comptabilisées ne seront pas monétisées, mais donneront droit à autant de journées de récupération, avec aval de la hiérarchie locale de chaque salarié, en raison des besoins du service".
Des jours de récup’.....ça non plus, ça paie pas les steaks hachés et le gaz, se dit Madame Z. en soupirant, mais bon ! Une journée de récupération dans le mois, si elle est correctement placée, ça peut rendre service. Pour amener le petit dernier chez le dentiste, voir son banquier ou simplement partir en week-end.
Madame Z. est déçue, mais pas trop trop non plus. On lui laisse son droit à travailler plus pour...euh....pour gagner autre chose, et c’est toujours ça.
Donc Madame Z. continue à travailler après 17h, d’abord parce qu’il lui faut bien exécuter toutes les tâches qu’on lui confie et que 7h21 dans une journée n’y suffisent pas, et puis parce que finalement, cette histoire d’heures récupérées ne lui déplait pas totalement. Madame Z. cumule les demi heures de rab péniblement, et lorsque son compteur affiche enfin 8h de temps supplémentaire, elle décide de s’offrir un petit extra bien mérité en demandant à ne pas travailler le mercredi d’après. Les gamins seront contents, on ira faire de la trottinette et ce sera toujours une journée de garderie économisée, se dit-elle. Elle remplit donc son bulletin de demande d’absence, coche soigneusement la case "motif : heures travaillées non monétisées et récupérées" et envoie le tout à sa hiérarchie pour accord.
Hiérarchie....qui refuse. Pour la seule et simple raison qu’une seule journée d’absence aussi peu anticipée de Madame Z. mettrait grandement en danger, du fait de l’importante charge de travail qui repose sur les épaules de Madame Z., secrétaire de base à 1600€ par mois, la continuité du service. En gros, Madame Z. est indispensable. Ce serait flatteur si ça n’était pas surtout aussi grotesque et nauséabond.
Mais Madame Z. ne se démonte pas, ces heures, elle les a travaillées, elle ne les a pas passées à faire du tricot pour une association caritative tout d’même, alors elle y a droit. Elle reformule donc sa demande, mais pour le mercredi suivant, en pensant naïvement que deux semaines d’anticipation à une seule pauvre journée d’absence d’une secrétaire devraient être suffisantes à faire en sorte que la boite ne s’écroule pas mercredi soir.
Et sa hiérarchie refuse encore.....pas par écrit cette fois ci. Madame Z., à réception de son bulletin d’absence, est appelée à se rendre immédiatement dans le bureau de son responsable de service, lequel lui explique d’un ton sec qu’elle commence à pousser un peu trop loin les demandes diverses et variées. Les journées récupérées, si elles ne coûtent effectivement rien en globalité-entreprise, ou tout du moins, pas autant que les heures supplémentaires, coûtent cependant sur la durée, en terme de retards et de tâches non effectuées à rattraper en ayant un effet boule de neige désastreux. En gros, pendant que Madame Z. fait de la trottinette avec ses gamins, personne ne fait son boulot, et ça, ça craint grave.
-" Vous comprenez, nous travaillons en effectif réduit, plus d’un tiers du personnel n’a pas été remplacé pour faire des économies, et si tout le monde, dans ces circonstances, devait s’absenter inopinément une journée par mois, ce serait l’organisation totale de la boite qui serait réduite à néant, lui explique le responsable."
Madame Z. a bien envie de lui dire que quelque chose ne tourne pas rond dans son raisonnement, que si une quantité de travail en augmentation constante est effectuée par un personnel sans cesse réduit, et qui en plus, n’a pas le droit de faire des heures supplémentaires pour exécuter toutes ses tâches, il y aura forcément un moment où l’organisation totale se pètera allègrement la gueule dans la poussière.
Mais Madame Z. se tait.
Madame Z. se contente de hocher la tête en pensant très fort qu’elle s’est bien fait couillonner, que le "travailler plus" ça, elle y a eu droit et pas qu’un peu, mais que le "gagner plus" elle peut toujours s’assoir dessus et attendre l’hiver.
Et Madame Z. c’est bibi, ma pomme, moi, me myself and I. Moi qui en suis arrivée à ne plus prendre de pause déjeuner quelques midi par semaine pour pouvoir éponger la dose de boulot qu’on me file, et pour donner la satisfaction temporaire et superficielle du "tout va bien" à mes patrons en quittant le bureau à 17h00......