La bataille juridique du traité de Lisbonne est lancée

Le traité de Lisbonne n’a pas fini de faire parler de lui. Présenté comme le traité devant « sauver l’Europe » (rien que ça !) par ce que notre monde compte de personnes s’estimant suffisamment compétentes pour faire le bonheur des peuples sans obtenir en préalable leur consentement, celui-ci est depuis le 12 juin 2008, juridiquement caduc, mort, c’est-à-dire inapplicable.
Ce qui n’empêche pas tous les dirigeants européens (hormis la République tchèque) à demander la poursuite des ratifications d’un traité qui n’a plus d’existence juridique, dans l’espoir, une fois celles-ci obtenus, de faire suffisamment pression sur l’Irlande pour que son Premier ministre décide de faire « revoter » son peuple, dans la perspective d’obtenir un vote plus « conforme » aux vœux de Bruxelles.
Il y a néanmoins de nombreux obstacles. Ainsi, le vote du Parlement allemand n’est pas encore un « oui » faute d’une approbation par la Cour constitutionnelle du pays. Celle-ci devant faire ses conclusions en octobre. De même, l’Angleterre est elle-même « bloquée » par le recours d’un citoyen anglais, dont la plainte a été acceptée, et qui en faisant « appel » du premier verdict de la Haute Cour, contraint le gouvernement de Brown à la patience. L’Italie est dans la même situation que l’Allemagne, depuis qu’un juriste « médiatique » a stoppé le processus de ratification, aux motifs que le traité dit de Lisbonne viole les droits fondamentaux des citoyens, à commencer par la reconnaissance de leur souveraineté.
De son côté, la République tchèque ne semble pas pressée d’accélérer le mouvement. Fort de son expérience, le Premier ministre de ce pays fait des risettes à l’UE tout en jouant du registre du « je voudrais bien mais on m’en empêche ». Le parti dont est issu le Premier ministre est d’ailleurs celui qui a eu recours à la Cour constitutionnelle… Laquelle ne voit pas grand inconvénient à faire traîner les choses. En Irlande, la situation est tout aussi délicate. Faire revoter un peuple, en 2001, sur un traité transitoire, ayant franchement peu attiré l’électeur, pouvait se concevoir… Demander aux Irlandais, en revanche, de se déjuger sur un traité où leur vote est parfaitement clair (forte majorité) et où le taux de participation ne laisse aucun doute sur la prise de conscience de l’enjeu par les Irlandais, est beaucoup plus dur. D’autant que le Premier ministre irlandais n’est pas forcément prêt, pour les beaux yeux de l’Europe, à consentir à l’abandon d’une carrière politique plus ou moins longue. Or, si tous les partenaires de Brian Cowen tentent évidemment de le persuader de la versatilité du choix populaire, il n’est pas certain que celui-ci acceptera de prendre le risque d’un nouveau désaveu… D’autant que sa « majorité » désireuse (et on le comprend) de gagner les élections européennes, n’a pas vraiment le désir de passer par une traversée du désert en pleine période électorale.
Outre ces considérations d’ordre politique ou constitutionnel, commence à éclore ici ou là, par ailleurs, une bataille humaine et juridique. Sur une initiative d’Etienne Chouard, les Mocries, mouvements des populations demandant le respect de leur volonté souveraine, se développent en France, mais aussi en Allemagne, et en Italie (pour les autres pays européens, c’est également possible, mais je n’ai pas de précision là-dessus)
Dans le même temps, sur une initiative de juristes et de professeurs de droit, une plainte collective a été lancée, par le biais du site 29mai.eu, qui devra être examiné par le Conseil de l’Europe.
Mais la bataille semble prête à continuer, comme le démontre la plainte portée par un citoyen anglais, à l’attention de la Haute Cour, et la prise de conscience de plus en plus de peuples, d’avoir été abusés par leur gouvernement, et par leurs représentants élus.
Car désormais, s’ajoute au problème lié à la procédure de ratification, qui est assez difficilement attaquable, les répercussions, en droit, du « non » irlandais. Et ces conséquences, elles, peuvent être beaucoup plus utilisables, plus défendables, tant par les associations, les citoyens, que par les élus respectueux de la démocratie (oui, il y en a encore).
D’abord, l’Union européenne, dans chacun des traités qui constituent ses institutions, reconnaît à ses membres le respect de leurs règles constitutionnelles. C’est pour cette raison, par exemple, que les Irlandais ont « droit » de voter par référendum, l’Union ne pouvant pas obliger ces derniers à violer leur Constitution, ou leur imposer par exemple, à tous, une procédure parlementaire ou référendaire (pour ce qui concerne l’Allemagne).
Toute la légitimité d’un traité (qu’il soit international ou européen) repose donc sur la Constitution nationale de chaque Etat membre, après la signature et la ratification de ces derniers, selon les règles posées par les traités.
C’est-à-dire que les règles de révisions prévues par les traités européens, doivent s’appliquer, et que c’est en fonction du respect de celles-ci, que l’on peut considérer si un traité est oui ou non valide, et donc applicable dans les Etats membres de l’UE.
Tous les traités, actuellement validés, ont été signés par les vingt-sept chefs de gouvernement et d’Etat, et ratifiés par le pouvoir constituant, qui en démocratie se trouve être soit le peuple (originaire) soit le Parlement (dérivé), et en monarchie, conformément aux Chartes ou aux Constitutions, le pouvoir constituant est à la fois le pouvoir exécutif et le pouvoir constituant dérivé.
Au niveau international, la France s’est engagée par ailleurs à respecter la Convention de Vienne de 1969, qui régit les traités, y compris ceux de l’UE, laquelle s’est également engagée à respecter cette Convention. Or, cette Convention dit clairement que, pour être validé, un traité doit respecter les règles adoptées par les contractants, antérieurement.
La Constitution dit aussi que le président de la République est garant des traités. Il s’agit de l’un de ses devoirs, défini dans l’article 5 de celle-ci. Si le président passait outre ce « devoir » il procéderait donc à des « manquements à ses devoirs dans l’exercice de ses fonctions », c’est-à-dire qu’on pourrait éventuellement considérer, maintenant, ou plus tard, que ses actes ne respectant pas le mandat, qui est sien, sont illégitimes.
Il apparaît ainsi très clair que le traité dit de Lisbonne est mort juridiquement. D’abord, par respect envers la règle de l’unanimité qui conditionne l’adoption d’un traité européen, et par respect envers la Convention de Vienne de 1969, laquelle interdit qu’on isole un pays d’une ratification. Il n’y a donc pas de possibilité de trouver une astuce juridique, pour faire adopter par vingt-six Etats le traité, puisqu’il y a vingt-sept signataires… D’où nécessité d’avoir vingt-sept ratification, rappel de la règle de la double unanimité. Ensuite, parce que la Constitution française dit clairement que la France ne reconnaît comme légaux que les éventuels traités, sur lesquels elle s’engage, qui respecteraient les règles conclues entre Etats : c’est-à-dire, en matière de traité international, ce qu’est le traité dit de Lisbonne, comme l’affirme le Conseil constitutionnel, la règle de la double unanimité, qui implique que quand un pays dit « non », tous les contractants reconnaissent que le traité est caduc, mort. Il n’y a rien d’antidémocratique à cette règle… Puisqu’elle a été adoptée (traité Maastricht) par le pouvoir constituant (originaire et dérivé).
Enfin, par respect envers le droit européen. La France s’est engagée à respecter la règle de l’unanimité qui est inscrite (au moins) dans le traité de Rome (ratifié par le Parlement) et dans celui de Maastricht (ratifié par référendum, c’est-à-dire par le peuple souverain). Partir du principe que le traité de Lisbonne est valide, alors qu’il ne respecte pas les règles imposées par les traités antérieurs, signifierait en quelque sorte violer la Constitution, en ce qu’elle a de plus essentiel : son caractère démocratique. En effet, en violant le traité de Rome, et celui de Maastricht, on considère que le Parlement et le peuple comptent pour du beurre, puisque c’est une remise en cause, dans les deux cas, de la souveraineté nationale.
S’ajoute à cela, et même s’ils n’en font pas état, que les élus ont des devoirs envers la France, qui sont inscrits dans la Constitution (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, inscrite dans le préambule de la Constitution, lequel a une valeur contraignante pour le constituant et le législateur depuis l’avis du Conseil constitutionnel datant, il me semble, de 1971).
Art. 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.
Quels sont ces droits inaliénables que les pouvoirs constitués, ainsi que les partis ont la tâche de faire respecter ?... Et donc de respecter en premier lieu conformément à la volonté souveraine exprimée de 1789 à 1958 par les Français ?
Art. 5. La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.
La Déclaration garantit la liberté, et lui pose aussitôt des bornes légales. Ce schéma "affirmation limitation" se retrouve dans de nombreux autres articles (notamment 7, 10, 11 et 17) ; mais la Loi elle-même a des limites. Le Parlement ne peut pas interdire tout et n’importe quoi, mais seulement les "actions nuisibles à la société".
L’article se complète par une disposition capitale connue sous le nom de "principe de liberté". Quand la Loi ne dit rien, alors c’est permis. Ce qui n’est pas expressément interdit est autorisé. La relaxe des pirates informatiques au début des années 90 se fondait sur cet article. Le "principe de liberté" n’est toutefois applicable qu’aux individus. Pour l’administration, la situation est rigoureusement contraire - elle est connue sous le nom de "principe d’autorité". Pour une administration, tout ce qui n’est pas expressément autorisé est interdit. Sur le rôle d’impôt sur le revenu, le fisc mentionne les articles du Code général des impôts l’autorisant à exercer cet acte. De même lorsqu’un agent de police interpelle une personne, il doit en principe lui signifier la cause de l’arrestation et l’article de loi l’y autorisant. Principe de liberté et principe d’autorité se combinent ainsi pour donner une solution chaque fois que la loi ne prévoit "rien".
Contrairement à ce que prétendent nombre de journalistes ignorants, il n’existe aucun "vide juridique" en France : quand la loi "ne dit rien", elle habilite les particuliers et empêche l’administration.
Ce qui signifie que les citoyens ont la possibilité de demander aux parlementaires, et au Conseil constitutionnel, le respect de la Constitution, puisque le « non » des Irlandais rend caduc le traité, et invalide tous les votes antérieurs et postérieurs à ce « non »… Mais aussi autorise les citoyens à porter plainte individuellement ou collectivement, auprès des juridictions nationales compétentes, pour que celles-ci opèrent un contrôle a posteriori de la conformité du traité dit de Lisbonne à la Constitution, au motif que ce contrôle concerne l’application de « conventionalité » (du droit européen), c’est-à-dire les traités européens et internationaux.
La Loi n’interdit pas aux citoyens de faire prévaloir la Constitution sur la Loi. Il n’est écrit nulle part que les citoyens n’ont pas le droit d’effectuer un contrôle a posteriori de la Loi fondamentale. En vertu du principe énoncé, les citoyens français, s’ils décidaient de porter plainte, pourraient ainsi contester le traité de Lisbonne, mais aussi les traités antérieurs à ce dernier… Puisque le traité mort-né de Lisbonne, en violant le traité de Rome, de Maastricht, etc., remet en cause la conformité des premiers à la Constitution, condition pourtant nécessaire pour la validation de ces derniers, et pour qu’ils se voient reconnus une supériorité juridique sur la Constitution.
Les citoyens qui porteraient éventuellement plaintes, en demandant un contrôle a posteriori des traités, et de la Constitution, ne pourraient que gagner. Car cet article 5 est « inaliénable » c’est-à-dire protégé par l’article 16 de la même Déclaration, laquelle est juridiquement contraignante. Et la seule manière de s’opposer, éventuellement, aux plaintes, serait que le Parlement décide de voter une révision constitutionnelle interdisant un contrôle a posteriori de la Loi. Ce qu’ils peuvent difficilement faire… Cette mesure étant inscrite dans l’actuel projet gouvernemental visant à réviser notre Constitution, et ayant obtenu le soutien des parlementaires pendant les débats.
Autre article contraignant pour le constituant dérivé, et le législateur.
Art. 6. La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.
Article pratiquement recopié de Rousseau. Puisque les députés représentent le peuple tout entier (et non leur circonscription, la majorité qui les a élus ou le parti dont ils portent les couleurs, voir article 3 de la DDHC 89), les lois qu’ils votent sont forcément l’expression de la volonté générale - et pas seulement l’expression de la volonté de la majorité. La loi doit tenir compte de l’opinion minoritaire et les gouvernants ne peuvent se prévaloir de leur majorité, même large, pour opprimer les groupes minoritaires. C’est ce qui oppose les Etats de droit au Troisième Reich, et la République à la simple démocratie.
Si tous les citoyens ont droit de concourir personnellement à la formation de la Loi, c’est donc qu’ils peuvent, en posant une plainte, faire en sorte qu’un cas de jurisprudence soit déclenché. Là encore, cela démontre que, un peu à la manière du Conseil constitutionnel, qui s’est attribué de nouveaux « droits », et à donner une valeur juridique à la Déclaration, les citoyens peuvent, parce qu’ils sont souverains, concourir à la formation de la Loi.
Si, comme le dit la Déclaration, tout ce qui n’est pas interdit par la Loi est autorisé… Donc l’inverse est aussi vrai. La France ayant inscrit dans sa Constitution, qui est la Loi fondamentale du pays, qu’elle s’engageait à respecter les traités européens valides, les parlementaires n’ont dès lors pas le droit de remettre en cause la Loi, en faisant comme si la règle de l’unanimité n’existait pas, ou comme si la Loi commune ne concernait pas les « gouvernants ».
Vouloir donner un statut juridique différent à l’un des membres de l’UE est aussi interdit par la Loi, puisque l’Union européenne, dans chacun des traités l’engageant auprès des Etats membres, a certifié qu’elle respectait l’identité constitutionnelle des Etats qui ont choisi de participer à sa construction. Or, la Constitution nationale de la France dit très clairement que notre pays respecte le droit international, lequel ne tolère aucune rétroactivité des règles communes acceptées par les contractants, avant l’élaboration d’un traité. Un traité doit être adopté selon la règle de la double unanimité. Le traité européen est donc mort, avec le « non » irlandais, comme il était mort avec le « non » français en 2005, ou avec le « non » parlementaire à la proposition française d’une défense commune.
Dans le même ordre d’idée, les citoyens Irlandais peuvent contester la volonté du Premier ministre, éventuellement, de les refaire voter. Pourquoi ? Parce qu’ils se sont déjà exprimés. Et je dirais même que tous les citoyens de l’UE pourraient porter plainte, dans chacun des pays membres, auprès des Conseils ou des Cours constitutionnelles, pour demander le respect de la volonté souveraine, laquelle a un caractère définitif.
Si les citoyens partaient du principe que lorsqu’ils choisissent des élus, leur volonté souveraine ne peut être contestée que si, et seulement si, on se trouve dans un cas de fraudes, de corruptions, souligné par l’instance chargée de vérifier le bon déroulement des scrutins (en France c’est le Conseil constitutionnel), et que hors ces cas-ci, l’élection décerne une légitimité qui ne saurait être remise en cause, qui se manifeste par l’acceptation par le peuple des mandants qui auront dès lors la charge de les représenter… Ils pourraient demander aux Cours constitutionnelles respectives des Etats membres la garantie de ce caractère « définitif », c’est-à-dire exiger qu’un traité, dès lors qu’il est remis en cause par un peuple souverain, conformément aux dispositions des traités européens) par la voie référendaire, doit être officiellement déclaré caduc. Et dès lors, cela implique la fin de la poursuite des ratifications, les citoyens devant éventuellement se prononcer sur un autre traité, mais non sur le traité actuel, y compris s’il est amendé.
Il est possible de ne pas être passif en cette affaire, de faire primer la démocratie, y compris si l’on est favorable au traité dit de Lisbonne, à l’UE ou à l’Europe. Mais il faut encore le vouloir.
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