Chàvez ou la tentation bolivarienne en Amérique latine
Le changement radical qui s’est opéré depuis trente ans en Amérique latine a complètement redessiné le visage politique de cette région où la prédominance politique des Etats-Unis a fait long feu.
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Passant de la contestation par les armes à la conquête du pouvoir par la démocratie, l’Amérique latine a vu naître une génération de dirigeants politiques aux idéaux socialistes très différents qui de l’ancien leader sandiniste Ortega désormais Président de la république du Nicaragua, à Juan Evo Morales en Bolivie, à Luiz Inácio Lula au Brésil n’ont cessé de défier la première puissance mondiale et de montrer au reste du monde la perte de son autorité morale. De plus, cet antiaméricanisme traditionnel dans la région s’est renforcé de façon plus prégnante devant l’égarement de la politique américaine menée durant les deux mandats de l’administration Bush.
Si on pose de côté, l’expérience cubaine menée par Fidel Castro, le cas du Nicaragua rend préoccupante l’évolution politique de ce continent qui pourrait une fois de plus, l’éloigner d’un encrage démocratique durable et profond.
Le 4 février 1992, le lieutenant colonel Chàvez, à la tête d’un bataillon de parachutistes fit son entrée dans le paysage politique vénézuélien en reconnaissant l’échec de son coup d’état qu’il avait tenté quelques jours plutôt.
Revenu une première fois en 1998 sur la scène politique par la voie démocratique des urnes, puis réélu en 2000, puis révoqué en 2004, il a finalement renoué avec le pouvoir en décembre 2006. Il a face à lui une opposition quasi inexistante et très fractionnée qui s’est faite hara-kiri en boycottant les élections législatives de 2005 ce qui a eu pour conséquence immédiate la constitution d’un parlement composé uniquement de députés le candidat populiste.
Dans la foulée et sans que personne ne s’en étonne, le chef d’état vénézuélien a obtenu de cette assemblée toute acquise, des pouvoirs étendus dans la plus pure tradition bolivarienne, qui vont lui permettre de gouverner par décret pendant les dix huit prochains mois.
De plus, plusieurs secteurs stratégiques seront sous sa compétence : l’énergie, la fiscalité, les télécommunications, la sécurité et la défense.
Assuré de son assise politique, il vient d’annoncer qu’il procéderait à un référendum d’ici à trois ans qui permettra au Président en place de se représenter sans limitation de mandat. Ce qui lui permettra de conserver, à titre personnel, le pouvoir au moins jusqu’en 2030 selon ses propres termes.
Malgré la proximité personnelle et leurs liens d’amitiés, il existe une différence marquée entre la politique que tente d’accomplir Hugo Chàvez au Vénézuéla et celle qui a été menée par Fidèle Castro à Cuba tout au long de son règne. Le Chàvezisme s’inscrit d’une part, dans une doctrine nationaliste, anti-américaine et autoritaire de type péroniste et d’autre part, dans une contestation idéologique de l’ordre établi suivant les valeurs chrétiennes de la mouvance de la « théologie de la libération » théorisé par le théologien péruvien Gustavo Gutiérrez qui proposa une lecture marxiste de certains textes bibliques et qui reçu un écho favorable chez les peuples très croyants d’Amérique latine souffrant de pauvreté. Chàvez souhaite donc gouverner au nom de Dieu et de la révolution.
Sur le plan international, le nouvel homme fort du Vénézuéla se retrouve sur la liste noire des Etats-Unis. La récente visite du président iranien au Caracas à été perçu, côté américain, comme une provocation. John Negroponte, le nouveau Secrétaire d’Etat adjoint américain a mis en garde l’Amérique du sud contre le danger que représente Chàvez pour la démocratie latino américaine. Le chef de file de la gauche anti-libérale du continent sud américain a tout de suite répliqué en traitant le nouveau collaborateur de Condoleezza Rice ainsi que le Président Bush de criminels de guerre n’hésitant pas à comparer le président américain à Hitler.
Menacé d’expulsion après avoir appelé le Vénézuéla à compenser équitablement les compagnies américaines touchées par la nationalisation des industries clés du pays, l’ambassadeur des Etats-Unis à Caracas, William Brownfield sera prochainement remplacé.
Neuvième producteur de pétrole au monde et sixième exportateur de brut, le Vénézuéla a transformé le rapport de force avec les Etats-Unis en faveur de l’Amérique Latine.
Poursuivant son bras d’honneur à l’adresse de l’ancienne puissance diplomatique de la région, le Vénézuéla a signé un accord militaire avec la Russie qui s’est empressée de lui fournir des armes très sophistiquées.
Il est intéressant de noter que le discours grandiloquent de Hugo Chávez sur l’égalité entre les hommes et la redistribution, qui place le problème de la solidarité au cœur de ses discours idéologique, ne vaut guère dès lors qu’il s’agisse d’évoquer la richesse pétrolière.
En effet, celui qui exploite à fond une inégalité naturelle absolue : le pétrole, ne formule aucune proposition d’aide en direction des pays du Tiers Monde, sans ressources énergétiques, dépendants des pays riches.
Quel paradoxe lorsqu’on sait qu’une telle démarche éloignerait la pauvreté par une plus juste répartition de cette matière naturelle dont beaucoup d’états dépendent !
Les tentatives des Etats-Unis de constituer un grand marché pour l’ensemble de l’Amérique du Sud (l’ALENA) se heurte au pacte commercial des peuples et à l’alliance Bolivarienne pour l’Amérique Latine (l’ALBA) qui sont autant de moyens pour contrer l’influence économique américaine en mettant en place une union économique de libres échanges concurrentielles au géant d’Amérique du Nord.
En dépit des promesses électorales de Chàvez et notamment de ses engagements en matière sociale (les missions sociales, médicales, alimentaires, les progrès contre l’illettrisme, la démocratie participative) on est frappé par la situation sociale et économique catastrophique du pays qui n’a jamais cessé de se détériorer en dépit des neuf années où il a régné à la tête du pouvoir exécutif.
Et on est en droit de se demander si les nouvelles promesses entourant son nouveau mandat (qui se décline à nouveau en missions de toutes sortes) seront tenues et à quel moment la manne pétrolifère bénéficiera au peuple ?
Le pari de Lula est hautement plus difficile et plus risqué que celui de son homologue vénézuélien qui bénéficie de la rente pétrolière et surf sur des discours démagogiques. Le Président brésilien poursuit, pour son pays, une politique de progrès social, de lutte contre les inégalités tout en respectant le jeu démocratique, dans un univers mondialisé où des contraintes financières s’imposent.
La volonté affichée des américains, au cours des années 70 de soutenir des dictatures de droite dans l’ensemble de la région, puis l’effondrement de son pouvoir moral dès les années Reagan ; les cinquante ans de pouvoir Castriste dont on a peu dénoncer les exactions en Europe sous prétexte de ne pas rompre le rapport de force bipolaire qui régna au sortir de la seconde guerre mondiale, marquent un double fiasco politique.
Cette situation a débouché sur une carence démocratique dans les pays d’Amérique du Sud : Ce qui explique très certainement les aller et retour au pouvoir d’un Hugo Chàvez et l’écho favorable que rencontrent ses positions populistes qui pourraient, si on n’y prenait pas garde, faire basculer tout un continent dans un totalitarisme ressemblant fortement aux dictatures de droite qui ont sans cesse retardé ce continent à prendre la place qui lui revient dans le concert des nations.
Dès lors, on peut espérer que le brésilien Lula bénéficiera d’un poids plus important sur la scène politique internationale et sera entendu et soutenu par les instances économiques et monétaires dans sa volonté de réformer ses institutions tout en respectant le jeu démocratique.
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