Contrat EADS, quelques dessous cachés ?
Cocorico, Eurococo ! EADS le consortium industriel phare de l’Europe allié à l’avionneur américain Northrop ont réussi à vendre pour 35 milliards de dollars d’avions ravitailleurs à l’armée américaine. Quelles analyses découlent de cet événement, hormis le volet le plus prosaïque et évident qu’on ne rappellera pas, renvoyant le lecteur aux journaux habituels. Soyons étonnés et réfléchissons.
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En premier lieu, un fait marquant et pour
nous assez étrange, nous qui fustigeons le chauvinisme et le patriotisme
économique américains. Si EADS a emporté le contrat, c’est parce qu’une série
d’irrégularités ont entaché l’appel d’offres remontant à 2003. Et c’est le sénateur Mc Cain qui fit capoter l’affaire en rappelant à l’Etat américain
qu’il doit rester garant de la bonne marche équitable des négociations, quitte
à ce qu’un constructeur national soit épinglé, ce qui fut le cas pour Boeing,
condamné pour avoir triché face à la concurrence. Mc Cain a en effet été
furieux de voir Boeing considérer le budget américain en vassal, devant se
plier à son diktat alors que le Pentagone rechignait à lui fournir les
documents nécessaires pour diligenter son enquête. Alors colère du sénateur
partant à l’attaque, obtenant même la condamnation d’un haut dirigeant de
Boeing, Darleen Druyun, ce proche de Donald Rumsfeld qui pendant neuf ans,
décida comme il voulut des achats de l’US Army avant d’entrer en 2002 chez
Boeing. Cet épisode illustre bien le rôle du Congrès américain qui n’a rien
d’une chambre enregistreuse comme notre Assemblée, tout en laissant
transparaître quelques inimitiés puissantes au sein d’une famille politique,
les républicains, tout aussi unie et fraternelle que peut l’être l’UMP avec nos
deux amoureux, Sarkozy et Villepin. Du coup, le programme de Boeing a été
stoppé et l’US Army s’est retrouvée dans la merde car elle avait jugé prioritaire
le renouvellement des avions ravitailleurs dont la flotte actuelle, jugée
obsolète, se chiffre à environ 400, et qui devrait atteindre 700 selon les
volontés affichées par le Pentagone. Cela dit, l’important est caché et nul ne
sait ce qui a été spécifié dans un contrat mis soudainement en exergue sur la
place médiatique, alors qu’EADS s’est associé avec un constructeur américain et
que l’assemblage se fera là-bas. Nul ne sait quel est le bénéfice exact que
tireront nos industriels en termes d’emplois et de rentrées financières. Peu
importe le contrat, seul importe l’ivresse de l’annonce médiatique !
Mais au fait, quel est l’intérêt de ces
avions ravitailleurs ? La presse semble peu loquace sur ces sujets sensibles
dont quelques illustrations pourraient venir de nos actions en Afrique, là où
paraît-il des Mirage français ont bombardé des positions rebelles sur fond de
coopération non officielle, avec l’utilisation d’avions ravitailleurs. En
effet, vu qu’il est difficile de faire naviguer un porte-avions dans les
steppes du désert, un ravitailleur s’impose. Son rôle est de permettre à des
chasseurs de voler plus loin que le rayon d’action ne le leur permet, avec leur
réservoir limité pour des raisons techniques évidentes. L’autre solution étant
le porte-avions dont les inconvénients sont multiples. Leur coût est élevé, leur
nombre limité et leur délai d’intervention assez lent s’ils ne sont pas
positionnés au bon endroit. Et quand bien même ce serait le cas, le champ
d’action des avions interdit toute opération éloignée des zones côtières. On
comprend que, moyennant quelques pays amis offrant une base, une flotte composée
de ravitailleurs et de chasseurs bombardiers est d’un usage plus souple, tout
en permettant une couverture largement plus étendue.
Les ravitailleurs ont été utilisés dans
plusieurs conflits récents. Notamment lorsque les chasseurs ont bombardé les positions
des Talibans en Afghanistan l’année qui suivit les attentats du WTC.
L’intervention en Irak en 2003 a fait appel à ce type de dispositif. Alors
qu’en 1991, les chasseurs bombardiers américains se sont envolés des bases
turques avec leurs ravitailleurs pour mener la première guerre du Golfe, Tempête
du désert. Dans tous ces conflits, somme toute conventionnels, les forces
aériennes ont joué un rôle important et complémentaire des interventions
terrestres. Mais ce n’est pas forcément la règle puisque dans le conflit avec
la Serbie, les forces terrestres n’ont pas été utilisées, pour la bonne raison
qu’il n’était pas question d’occuper ce pays mais de le contraindre à cesser
ses exactions contre les communautés dans une ex-Yougoslavie privée de son
ancien ordre politique. Tout comme il sera question d’exiger de l’Iran qu’il ne
développe pas son armement nucléaire. Pas question d’envahir l’Iran mais de sévères
frappes préventives en perspective. Voilà ce qui se projette entre le
Département d’Etat américain et le Pentagone. Et vu la géographie iranienne, la
présence d’avions ravitailleurs s’impose. Et vu l’état du dossier, il était
temps d’envoyer un signal fort et ne pas faire traîner l’armement, d’autant
plus que Boeing s’était démotivé. Et puis, une telle armada peut aussi servir
en d’autres lieux, en Afghanistan, ou ailleurs, ou au Pakistan, on ne sait
jamais... L’aviation américaine, ce n’est pas moins de 5000 appareils mais le budget
de l’armée reste modeste en pourcentage du PIB.
Au bout du compte, tout se sait et donc
tout est incertain car l’essentiel nous est caché, se logeant dans les âmes
humaines des dirigeants, des masses, des classes. Un amateur de gros bolides
peut très bien faire l’acquisition d’une Ferrari sans être certain de pouvoir
la piloter un jour. L’US Army achète des ravitailleurs. Les industriels, leurs
actionnaires, leurs salariés peuvent se réjouir, c’est sûr, et après, ça peut
éventuellement servir si les instances concernées le décident. Mais c’est aussi
une tactique de dissuasion. Car une nouvelle donne est apparue il y a quelque
dix ans. La puissance de frappe conventionnelle peut être dissuasive et si on
doit lire ce contrat avec EADS, c’est sans doute la lecture la plus
consistante. Sans oublier que cette industrie fait vivre beaucoup de gens.
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