Hugo Chavez est-il vraiment antisémite ?
Le 9 janvier, Jean Hebert Armengaud a révélé, à la suite d’une information du centre Wiesenthal, qu’Hugo Chavez aurait eu des propos antisémites lors de son discours du 24 décembre.

Libération, par la voix de Jean Hebert Armengaud, aura jeté l’anathème le 9 janvier 2006, à travers un article donnant à lire des fragments du discours de Hugo Chavez, laissant croire que ce dernier aurait, le 24 décembre 2005, fait une diatribe antisémite, accusation provenant à l’origine du centre Wiesenthal, réputé pour son sérieux dans ses informations.
L’accusation d’antisémitisme est grave, et si, en effet, le caractère antisémite des propos était avéré, il serait nécessaire, comme pour Mahmour Ahmadinejad, que la communauté internationale se prononce sur ce fait.
Toutefois, face à une telle accusation, il est aussi nécessaire de savoir précisément ce qu’a dit Hugo Chavez dans son discours.
Ce qu’a accompli Romain Migus, et qui a été publié sur le site de Michel Collon : Romain Mingus donne à lire la partie non tronquée du discours incriminé, partie qu’on retrouve en bas de la page 15 du discours prononcé par Hugo Chavez. Je redonne ici la traduction telle qu’elle est proposée :
« Je viens de terminer ce matin le dernier rapport de l’ONU sur la situation du monde, et c’est alarmant. C’est pour ça que je dis que, aujourd’hui plus que jamais en 2005 ans, il nous manque Jésus-Christ, parce que le Monde est en train de se consumer jour après jour, ainsi que les richesses du monde, parce que Dieu et la nature sont sagesse, le monde a de l’eau en quantité suffisante pour que chacun ait de l’eau, le monde a suffisamment de richesses et de terres pour produire de la nourriture pour la population mondiale, le monde a suffisamment de pierres pour construire, pour que personne ne soit laissé sans habitat. Le monde possède pour tous, donc, mais dans les faits, DES minorités, les descendants de ceux qui crucifièrent le Christ, les descendants de ceux qui jetèrent Bolivar hors d’ici et le crucifièrent aussi à leur manière à Santa Marta en Colombie, une minorité s’est appropriée les richesses du monde, une minorité s’est appropriée l’or de la planète, de l’argent, des richesses minérales, des eaux, des bonnes terres, du pétrole, toutes les richesses donc, et a concentré les richesses entre quelques mains : moins de 10% de la population du monde est propriétaire de la moitié de la richesse du monde entier et... plus de la moitié des habitants de la planète sont pauvres, et chaque jour, il y a de plus en plus de pauvres dans le monde. Ici, nous avons décidé de changer l’Histoire. »
Si l’on considère ce discours, tel qu’il se présente, et à la lumière de la tradition du christianisme d’Amérique du Sud, désavoué par ailleurs à certains moments par la papauté, notamment Jean-Paul II, puisqu’il s’agit d’un christianisme socialiste, fondé souvent sur la tradition de prêtres ouvriers, et du Christ libérateur, il est évident que, loin de renvoyer à un antisémitisme, il est bien plus une attaque de l’impérialisme économique de minorités qui sont propriétaires des terres et des moyens de production (tradition marxiste) et de la logique néolibérale. Pour son attaque du capitalisme, Hugo Cavez se rapporte à des données fournies par un rapport de l’ONU, ce qui signifie que son référent est ce qui fonde sa parole. Or, quand on lit l’article de Jean Hebert Armengaud, on perçoit que le fond du discours tiendrait davantage du Protocole des Sages de Sion, que de la situation économique de son pays et du problème de la pauvreté mis en avant par l’ONU.
Ce qui apparaît ici, au-delà de cette question de l’anti-sémitisme de Chavez, tient davantage, à mon sens, à la question de l’usage qui peut être fait de problèmes réels. Si l’antisémitisme doit être combattu, au même titre que le racisme et beaucoup de formes de discrimination, cependant, il est nécessaire de ne pas jouer de l’amalgame, pour qu’il n’y ait pas perte de puissance de ces causes. L’amalgame est souvent lié- et ne serait-ce pas le cas ici ?- à une instrumentalisation de causes justes, afin de servir le plus possible des causes sous-jacentes, voilées, qu’on n’énonce pas selon une volonté stratégique (ce qu’analyse parfaitement Chomsky dans La fabrique de l’opinion). Cela tient à l’art des sophistes : construire un discours qui semble juste à partir de fondements faux, afin, in fine, de mettre en porte-à-faux un autre discours, qui, lui, pourrait reposer sur des fondements justes et vrais. Art du simulacre. Si l’on veut, avec raison, rendre compte de certains antisémitismes, et les exposer avec force d’un point de vue critique, il est nécessaire de ne pas diluer ce trait dans des motifs qui reposent sur d’autres raisons. Car autrement, peu à peu, les causes les plus justes ne pourront plus être crédibles, seront d’emblée désavouées.
Plutôt que de condamner cet article de Jean Hebert Armengaud, pensons qu’il nous donne l’occasion de réfléchir à la rigueur des sources, et nous invite à entretenir toujours plus le débat contradictoire des interprétations, débat qui, épistémologiquement, est à la base de l’objectivité scientifique. Un énoncé objectif ne provient pas de certitudes premières, mais il est élaboré dans la confrontation de sources et la possibilité de rationnellement les comparer, et de les départager. Ceci pouvant supposer, comme a pu le souligner Habermas, un rationalisme communicationnel.
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