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Accueil du site > Actualités > International > L’Occident peine à réaliser ses buts de guerre en Bosnie…

L’Occident peine à réaliser ses buts de guerre en Bosnie…

…ou comment en finir avec la Republika Srpska !...

Le 21 octobre dernier marqua l’échec des pourparlers de Butmir, du nom de la base militaire de la force opérationnelle de l’Union européenne EUFOR, située dans les environs de Sarajevo, où ils se tinrent. Ceux-ci débutèrent le 09 octobre et furent menés sous la houlette du tandem USA-UE qui rassembla des représentants des sept principaux partis politiques de la Bosnie-Herzégovine. Le but annoncé de cette conférence, que certains rebaptisèrent Dayton II, en souvenir de celle tenue fin 1995 sur la base militaire US ayant mis un terme, mais pas forcément fin, au conflit bosniaque, était de faire endosser une série de mesures visant à réorganiser le pays afin de le formater aux normes OTAN et UE en vue de sa future intégration dans ces deux organisations.

La Bosnie-Herzégovine résultante des accords de Dayton, dont l’annexe 4 est la Constitution du pays, consiste en une espèce de fédération des deux entités que sont la Fédération de Bosnie et Herzégovine, qui regroupe les Bosniaques musulmans et croates d’une part, et la République serbe de Bosnie, ou Republika Srpska, essentiellement serbe de l’autre. Chaque entité est dotée de pouvoirs exécutif et législatif, que l’on retrouve également au niveau central sous la forme d’une Présidence collégiale et d’un Conseil des ministres, à la composition ethnique clairement définie, ainsi que de la Chambre des représentants et la Chambre des peuples. Ces multiples instances de pouvoir font de la Bosnie-Herzégovine, un pays de quelques 4 millions d’habitants, une championne en matière de concentration institutionnelle et l’administration pléthorique en résultant nuit au processus de prise de décisions et fournit un terreau idéal à la corruption.

A ce mille-feuille institutionnel domestique se greffe une présence internationale sous la forme du bureau du Haut Représentant international en Bosnie-Herzégovine, ce dernier étant la plus haute autorité politique du pays. Les pouvoirs dits « de Bonn » dont il dispose lui permettant d’annuler toute décision prise par les élus du peuple qu’il peut même priver de leur mandat s’il estime qu’ils nuisent à la conduite des affaires selon ce qu’il estime être l’esprit des accords de Dayton. Arguant que cette institution fait de la Bosnie-Herzégovine une sorte de protectorat, un statut sous lequel le pays ne saurait intégrer les instances euro atlantiques, il est question de transformer ce bureau en celui de Représentant spécial de l’UE, aux pouvoirs annoncés moindres mais toujours pas clairement énoncés. La dite communauté internationale, c’est-à-dire l’Occident, insiste cependant qu’une telle mue ne pourrait avoir lieu sans une révision préalable de la Constitution, d’où les pourparlers de Butmir.

L’essence des propositions soumises aux sept partis bosniaques par le Ministre des Affaires étrangères suédois Carl Bildt, qui fut d’ailleurs le premier Haut représentant international de décembre 1995 à juin 1997, le sous-secrétaire d’état américain Jim Steinberg et le commissaire européen à l’élargissement Olli Rehn, consiste à renforcer les pouvoirs de l’état central aux dépens de ceux des entités qui cèderaient ou partageraient un certain nombre de leurs domaines réservés avec ce dernier. De ce fait le Conseil des ministres deviendrait un vrai gouvernement mené par un Premier ministre, et la Chambre des peuples se muerait en simple organe de consultation désormais dénué du pouvoir de proposer ou d’opposer des lois. L’abolition du vote des entités, qui représente le principal obstacle à la centralisation politique du pays, empêcherait alors ces dernières de bloquer l’adoption de lois qu’elles estiment contraires à leurs intérêts vitaux.

Cette invocation de la défense d’intérêts primordiaux est essentiellement le fait de la Republika Srpska, la cible désignée de ces réformes alors que, paradoxalement, il s’agit de l’entité fonctionnant le mieux tant sur le point politique qu’économique, et ce probablement du fait de son homogénéité. Pointée du doigt comme création dite génocidaire, du fait de cette qualification attribuée au massacre de Srebrenica par le Tribunal Pénal pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), par nombre de Bosniaques musulmans, le plus vociférant d’entre eux étant le président du Parti pour la Bosnie-Herzégovine Haris Silajdzic, et certains cercles internationaux rompus à la pratique de diabolisation systématique de tout ce qui porte l’épithète serbe, ce haro sur cette entité sert à masquer l’engluement dans lequel se trouve la Fédération de Bosnie et Herzégovine, qui, avec ses 10 cantons aux pouvoirs étendus, constitue le gros de la tarte à la crème institutionnelle évoquée plus haut. Il est d’ailleurs intéressant de relever que les Croates réclament la dissolution des liens les unissant aux musulmans au sein de la Fédération de Bosnie et Herzégovine et la création de deux entités distinctes sur le modèle de la Republika Srpska. Il est alors fort à parier que, s’ils obtenaient gain de cause, ils seraient probablement les derniers à bouder le principe du vote par entité.

Fidèles à leur habitude les Serbes font de la résistance et le Premier ministre de la Republika Srpska Milorad Dodik, un temps qualifié de « bouffée d’air frais » en Bosnie-Herzégovine par Madeleine Albright, la Secrétaire d’état dans l’administration américaine de Bill Clinton, qui s’appuyait alors sur lui pour déboulonner le leader des Serbes de Bosnie Radovan Karadzic, est désormais devenu la personne à abattre car empêchant la conclusion du processus de réformes, entamé il y a de nombreuses années déjà. Outre les accusations d’obstruction répétées à l’envi à son encontre, dont l’adjoint du Haut Représentant international, l’Américain Raffi Gregorian, se fit un temps le chantre, Dodik est sous le coup d’une instruction dans le cadre d’allégations de corruption liées à d’importants projets d’infrastructure en Republika Srpska, ces dernières sentant fortement le souffre de la manipulation politique. Ne parvenant toujours pas à le faire plier, l’Occident alla même en août dernier jusqu’à réactiver contre lui 4 anciens responsables du parti fondé par Radovan Karadzic qui avaient eux même été écartés du pouvoir pour la même raison, à savoir leur opposition à l’abolition de la Republika Srpska.

Cette dernière mesure semble motivée par l’apparente impossibilité de s’appuyer sur l’actuelle opposition qui fait bloc derrière Dodik dès qu’il s’agit de protéger les intérêts vitaux de l’entité. Le Parlement de la Republika Srpska adopta ainsi en mai dernier des « conclusions » selon lesquelles il s’engage à réintroduire les pouvoirs dont cette dernière fut spoliée au profit de l’état central et refuse tout nouveau transfert d’autorité vers celui-ci sans consensus préalable. Il va sans dire que ces « conclusions » furent annulées un mois plus tard par le Haut Représentant international Valentin Inzko, qui usa de ses « pouvoirs de Bonn » à cette fin. Il fit à nouveau appel à ces pouvoirs quelques mois plus tard pour imposer d’autres mesures auxquelles s’opposent les Serbes, ce dernier usage de ce passe-droit entraînant alors le Parlement de la Republika Srpska à adopter le 1er octobre dernier de nouvelles « conclusions » par lesquelles il menace d’organiser un référendum sur la sécession de l’entité serbe si Inzko persiste dans cette voie.

La genèse de cette nouvelle tentative de nouveau coup de buttoir « final » porté contre la Republika Srpska est à rechercher dans le retour des Démocrates aux affaires à la Maison Blanche qui s’accompagna d’une multiplication de rapports alarmistes sur la supposée dégradation de la situation politique en Bosnie-Herzégovine, ceux-ci étant le fait d’organismes tels l’International Crisis Group (ICG), un fervent soutien à l’établissement du nouvel ordre mondial qui fit ses armes dans les Balkans, ou d’individus, tel l’amiral US à la retraite James Lyon, un ancien de l’ICG désormais à son compte et s’étant empressé de retourner en Bosnie-Herzégovine une fois Barack Obama arrivé au pouvoir. Rappelons que ce sont précisément les Démocrates qui, à l’instar de la diplomatie de la canonnière de l’Allemagne du Kaiser Guillaume à la veille de la première guerre mondiale, mirent au point contre les Serbes celle du Tomahawk dont les Républicains firent ensuite ample usage sous George Bush junior.

Les fonctionnaires de Bruxelles ne semblent pas tout à fait partager ce nouveau scénario catastrophe et ne voient pas forcément Washington remettre son nez dans les affaires bosniaques d’un très bon œil, puisqu’ils considèrent les Balkans comme le pré carré d’une diplomatie européenne commune encore balbutiante. Ils s’associèrent cependant à la mise en scène des pourparlers de Butmir, qui fut savamment orchestrée puisque intervenant dans une atmosphère propice à une resucée de la désormais classique et maintes fois éprouvée diabolisation des Serbes que permet l’ouverture du procès de l’ancien Président de la Republika Srpska Radovan Karadzic, qui ne disposa que d’une quinzaine de mois pour se préparer à un procès que les procureurs peaufinent depuis 14 ans, et la libération de Biljana Plavic, qui lui succéda à la tête de la Republika Srpska, après avoir purgé les 2/3 de la peine infligée par le TPIY qui abandonna nombre de charges pesant contre elle après qu’elle ait plaidé coupable de participation à la persécution de Croates et Bosniaques musulmans en 1992.

Ne s’avouant pas vaincus par l’échec des pourparlers de Butmir, leurs instigateurs exprimèrent l’espoir de parvenir à une percée d’ici à la prochaine réunion du PIC (le Peace implementation Council ou Conseil de mise en œuvre des accords de Dayton) devant se tenir le 18 novembre prochain. Il est à noter cependant que, à la veille de cette constatation d’échec, soit le 20 octobre au soir, le Premier ministre de la Republika Srpska Milorad Dodik était ostensiblement assis à proximité immédiate du Président russe Dimitri Medvedev lors d’une cérémonie à Belgrade marquant le 65ème anniversaire de la libération de la capitale serbe de l’occupation nazie par les Partisans yougoslaves et l’Armée Rouge.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il ne serait pas nécessairement vain de conseiller aux fervents avocats de l’abolition de la Republika Srpska de rouvrir leurs manuels de l’histoire des Balkans avant de vouloir imposer une solution aux Serbes par la force…


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18 réactions à cet article    


  • Gino 3 novembre 2009 18:39

    Mader, merci pour vous articles, mais vous dites dans un artcile précédent que Tadic est aux ordres de l’occident. Comment expliquez-vous la simple présence de Dodik aux côtés de Tadic, de Djelic entre autres, lors du dernier match de foot de la Serbie ?

    Il faut arrêter avec ce jeu macabre de l’opposition serbe, qui d’après moi, ne cherche que le chaos en Serbie, afin de tout simplement s’emparer du pouvoir, qu’ils garderont longtemps, par tous les moyens, au prétexte de :« vous avez vu ce qu’ils ont fait », mais en occultant leur propre action destructrice et anti patriote.


    • Mader Mader 3 novembre 2009 19:44

      Je vous remercie de prendre la peine de me lire et apprécie vos commentaires auxquels je souscris en partie… Pour répondre à votre remarque sur la présence de Dodik dans la tribune officielle aux côtés de Tadic & Djelic je dirais que celui-ci aime le foot, qu’il soutient l’équipe de Serbie davantage que celle de Bosnie et que, comme tout homme politique serbe au pouvoir, que ce soit en Serbie ou en Republika Srpska, il ne peut beaucoup se risquer à aller à l’encontre des sentiments patriotiques du peuple qu’il partage probablement également même s’il est monté au pouvoir en s’attaquant alors aux tenants de la rhétorique patriotique en s’appuyant sur l’Occident…

      Quant au jeu de l’opposition, au-delà des manœuvres purement politiciennes visant à acquérir le pouvoir qui sont le propre de tout parti politique, celle-ci n’est pas uniforme et son engagement patriotique est variable, voire quasi inexistant si l’on considère la LDP de Cedomir Jovanovic… Je ne crois pas que quiconque veuille le chaos que vous semblez craindre, la question étant davantage de savoir comment intégrer les notions de modernité offertes par l’Occident, ou tout au moins certaines d’entre elles, sans perdre l’âme serbe…


    • Gino 3 novembre 2009 18:49

      Mais il est clair que ce qui se passe en bosnie est une honte, et que l’UE est complètement dépassée : ce pays n’ EXISTE PAS, n’a jamais existé en tant que tel !
      Ce mode de gouvernance est une honte également.
      Et les médias français se gardent bien d’expliquer tout cela, préférant nous conter ce qui explose en Afghanistan, Pakistan, parfois Cambodge, Tibet, etc. Si loin... 


      • exocet exocet 3 novembre 2009 20:33

        Ou l’on reparle de Madeleine Allbright...

        Article concis et presque complet, Mader.

        Manque qu’une précision : les Serbes de Bosnie, après notre intervention, vivent désormais dans des enclaves ; pour se déplacer de l’une à l’autre il faut le faire en convoi sous la protection des casques bleus...

        Ce qui n’empêche pas les musulmans Bosniaques, de temps en temps, de tirer à la roquette sur l’un des cars emplis de civils...


        • stef stef 3 novembre 2009 21:18

          Idem pour les Serbes du Kosovo, hélas.


        • Didier 67 Didier 67 4 novembre 2009 06:22

          Merci pour cet article très informatif.


          • zelectron zelectron 4 novembre 2009 15:54

            Décidément « Ces pelés, ces galeux, d’où venait tout leur mal »

             LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE (in extenso, annoté)

             
             Un mal qui répand la terreur,
             Mal que le Ciel en sa fureur
             Inventa pour punir les crimes de la terre,
             La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom),
             Capable d’enrichir en un jour l’Achéron (l’ex Yougoslavie),
             Faisait aux animaux la guerre.
             Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
             On n’en voyait point d’occupés
             A chercher le soutien d’une mourante vie ;
             Nul mets n’excitait leur envie ;
             Ni Loups (Italiens) ni Renards n’épiaient
             La douce et l’innocente proie.
             Les Tourterelles se fuyaient ;
             Plus d’amour, partant plus de joie.
             Le Lion (USA) tint conseil, et dit : Mes chers amis,
             Je crois que le Ciel (l’Europe) a permis
             Pour nos péchés cette infortune ;
             Que le plus coupable de nous
             Se sacrifie aux traits du céleste courroux ;
             Peut-être il obtiendra la guérison commune.
             L’histoire nous apprend qu’en de tels accidents
             On fait de pareils dévouements :
             Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
             L’état de notre conscience.
             Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
             J’ai dévoré force moutons ;
             Que m’avaient-ils fait ? Nulle offense :
             Même il m’est arrivé quelquefois de manger
             Le Berger.
             Je me dévouerai donc, s’il le faut ; mais je pense
             Qu’il est bon que chacun s’accuse ainsi que moi 
             Car on doit souhaiter selon toute justice
             Que le plus coupable périsse.
             Sire, dit le Renard (Allemand), vous êtes trop bon Roi ;
             Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
             Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce.
             Est-ce un péché ? Non non. Vous leur fîtes, Seigneur,
             En les croquant beaucoup d’honneur ;
             Et quant au Berger (Français), l’on peut dire
             Qu’il était digne de tous maux,
             Etant de ces gens-là qui sur les animaux
             Se font un chimérique empire.
             Ainsi dit le Renard, et flatteurs d’applaudir.
             On n’osa trop approfondir
             Du Tigre (Anglais), ni de l’Ours (Russie), ni des autres puissances
             Les moins pardonnables offenses.
             Tous les gens querelleurs, jusqu’aux simples Mâtins,
             Au dire de chacun, étaient de petits saints.
             L’Âne vint à son tour, et dit : J’ai souvenance
             Qu’en un pré de Moines passant,
             La faim, l’occasion, l’herbe tendre, et je pense
             Quelque diable aussi me poussant,
             Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
             Je n’en avais nul droit, puisqu’il faut parler net.
             A ces mots on cria haro sur le Baudet (Serbe).
             Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
             Qu’il fallait dévouer ce maudit Animal,
             Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal.
             Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
             Manger l’herbe d’autrui ! quel crime abominable !
             Rien que la mort n’était capable
             D’expier son forfait : on le lui fit bien voir.
             Selon que vous serez puissant ou misérable,
             Les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir.


            • Mader Mader 4 novembre 2009 18:41

              Vous avez bien raison, il n’y a rien de nouveau sous le soleil mais on ne peut tout de même pas les laisser faire sans rien dire...
              Saviez vous que certains peuples considèrent l’âne comme un animal sacré et que Jésus en chevaucha un le dimanche des rameaux... d’où la croix qu’il porte sur le dos diront certains...


            • Vincent Jappi Vincent Jappi 5 novembre 2009 21:20

              En tant que province autonome, puis en tant que royaume à partir de 1377, enfin en tant qu’ « elayet » de l’empire ottoman après sa conquête au XV° siècle, la Bosnie-Herzégovine a une continuité historique quasi-ininterrompue depuis le XII° siècle ; alors que la Serbie, née à la même époque, a entièrement disparu dans l’empire ottoman entre 1459 et 1718, puis de nouveau de 1737 à 1817. 

              Jusqu’au massacre de Srebrenica de juillet 1995, l’OTAN a EMPECHE l’Etat de Bosnie-Herzégovine de s’armer en imposant, à l’instigation des gouvernement français et britanniques complices de Milošević l’embargo sur les armes voté le 25 septembre 1991 par le Conseil de Sécurité des Nations Unies. 

              Dans un jugement de procédure, en l’espèce du 16 Juin 2004, la chambre de première instance du Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie a conclu qu’ 

               « il y a des preuves suffisantes qu’un génocide a été commis à Brčko, Prijedor, Sanski Most, Srebrenica, Bijeljina, Ključ et Bosanski Novi », 

              poursuivant pour affirmer qu’elle 

              « pourrait être convaincue au-delà de tout doute raisonnable que l’accusé [Milošević] a participé à l’entreprise criminelle commune » 

              qui avait 

               « pour but et pour intention de détruire une partie des Musulmans de Bosnie en tant que groupe. » 

              Le 12 Juillet 2007, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a confirmé la condamnation pour « génocide » de Nikola Jorgić, chef paramilitaire serbe en Bosnie par les juridictions allemandes. 
              C’est pour « génocide » dans la région de Doboj en 1992 que Jorgić avait été condamné en Allemagne. 

              Et si, y a un an, la Cour Internationale de Justice a acquitté la Serbie de complicité dans le génocide en Bosnie, c’est parce qu’elle avait REFUSE de se procurer les preuves nécessaires, à savoir les procès-verbaux non expurgés des réunions du Conseil supérieur de défense (Vrhovni Savet Odbrane) de la République Fédérale de Yougoslavie. 

              Que ces transcriptions PROUVENT l’intention de la République de Serbie de commettre un génocide contre la population non serbe de Bosnie-Herzégovine de 1992 à 1995 est apparu au procès de Milošević devant le TPIY : les juges avaient pu y disposer des procès-verbaux en question lorsqu’ils ont déterminé qu’il y avait assez de preuves pour condamner l’accusé, non seulement pour le génocide de Srebrenica en 1995, mais encore pour les autres génocides commis depuis 1992. 

              Le TPIY a condamné Florence Hartmann pour « outrage à magistrat », parce qu’elle a attiré l’attention sur ces preuves et divulgué leur occultation lors du procès devant la Cour Internationale de Justice. 
              Ces preuves, on ne saurait douter, maintenant que l’affaire est éventée, que le procès de Karadžić permette de les examiner de nouveau puisque le TPIY, à la différence de la CIJ, les a en sa possession. 

              Il permettra de rappeler que la soi-disant « Republika Srpska », territoire disparate sur lequel il n’y avait que 51 % de Serbes en 1991, est née de l’extermination de ceux qui ne l’étaient pas. 
              Il permettra aussi de prouver qu’elle est née de l’agression internationale, derrière le faux nez transparent d’une prétendue « insurrection locale ». 
              Permettra-t-il enfin de mettre en cause l’existence de cette soi-disant « Republika Srpska » née de l’agression et du génocide ? Rien n’est moins sûr. Si les Occidentaux savaient ce qu’il faut faire, et surtout s’ils en avaient la volonté, Milorad Dodik aurait été démis depuis longtemps et a fortiori arrêtés les assassins génocidaires qui circulent toujours librement. 
              Mais le problème de la Bosnie-Herzégovine, c’est qu’elle n’a eu jusqu’à présent aucun intérêt stratégique ; de sorte que la volonté n’y est pas. On verra si, poussée par ses peuples libérés de l’occupation soviétique l’Union Européenne se réveille face aux tentatives d’infiltration du régime de Putin dans les Balkans. 

              Florence Hartmann est la meilleure spécialiste française de ces questions puisqu’elle était journaliste à Belgrade au moment où Milošević a déclenché ses multiples agressions et qu’elle a ensuite été porte-parole de Carla Del Ponte, « Procureure » du TPIY. Voici ce qu’elle écrivait en 1998 : 

              « À l’automne 91, alors que la guerre faisait rage en Croatie (en dépit des promesses de Milošević), le chef du gouvernement yougoslave, Ante Marković, présenta aux Occidentaux les preuves de la préparation militaire du dépeçage de la Bosnie-Herzégovine. Des enregistrements téléphoniques révélaient l’existence de contacts entre la JNA, Slobodan Milošević et Radovan Karadžić visant, par l’armement des populations serbes et la planification d’une intervention directe de la JNA, à permettre la prise de pouvoir du SDS sur une grande partie de la Bosnie (plan RAM). Les grandes puissances savaient, par conséquent à l’avance, que Slobodan Milošević avait mis en oeuvre son projet grand-serbe, qu’il tenterait de légitimer avec la complicité de Franjo Tuđman qui aspirait à construire une grande Croatie. »Pourquoi les plans de Slobodan Milošević n’ont-ils pas été déjoués ? Pourquoi les chancelleries ont-elles feint de croire que Milošević voulait préserver la Yougoslavie ? Peut-on émettre l’hypothèse de complicités inavouées semblables à celles récemment dévoilées au Rwanda par le Figaro ? 
              « Lorsqu’en 1992, le conflit déborde sur la Bosnie, Européens et Américains connaissaient jusque dans les moindres détails les objectifs de Slobodan Milošević... 
               »Pourquoi se soustraient-ils au devoir international de défendre l’intégrité territoriale d’une république qu’ils viennent de reconnaître et qu’ils savent victime d’une agression en règle ? 

              « Pourquoi, malgré l’ampleur des massacres dont ils ont la preuve formelle dès les premiers mois de la guerre en Bosnie dans la Vallée de la Drina (photos et témoignages HCR dès avril), à Brčko (photos dès mai), et la région de Prijedor (alertés fin juin) ne parviennent-ils pas à définir une politique commune afin d’empêcher la violence de se perpétuer ? Pourquoi étouffent-ils le scandale du génocide aujourd’hui confirmé par les actes d’accusation du TPI contre Radovan Karadžić et Ratko Mladić ? 

               »... Parmi les avocats obstinés de la cause grand-serbe, on compte des députés, des écrivains, des hommes d’affaires, des militaires... Tous ont effectué des voyages à Belgrade ou à Pale pour rompre l’isolement international des chefs de guerre serbes et les soutenir dans leur combat contre l’expansionnisme islamique« (d’où la fréquente superposition des lobbies irakiens et serbes). La plupart n’ont pas hésité à vanter leurs liens privilégiés noués avec des dirigeants inculpés depuis pour génocide. 
               »Notamment le Général Gallois qui, dans une lettre adressée au « magnanime » Ratko Mladić, assurait qu’il se serait battu à ses côtés si l’âge ne l’en avait pas empêché. À la retraite, il a néanmoins dispensé ses conseils tout au long de la guerre aux militaires français engagés dans les forces de l’ONU en ex-Yougoslavie. 
              Un haut fonctionnaire de la Mairie de Paris se targuant de pouvoir faire libérer des otages français (de l’association humanitaire Première Urgence) s’adressait quant à lui à Radovan Karadžić par un « Monsieur le Président et Cher Ami ». 
              Dans son message daté du 14 avril 1994 et remis à la presse, il ajoutait : 

              « leur détention n’améliorant en rien la situation déjà suffisamment pénible qui prévaut entre nos deux pays et que je regrette profondément » 

              (de quel pays parlait-il ?!). 

              « ... On peut s’interroger sur le rôle qu’a éventuellement joué Yves Bonnet, ancien chef de la DST (82-85), qui cumulait pendant le conflit le poste de président de l’association Serbie-Monténégro Terres d’Europe et celui de président de la Commission des Affaires Etrangères à l’Assemblée Nationale. 

               »... Autant d’interrogations qui méritent des réponses si l’on souhaite lever le doute sur les véritables raisons des atermoiements des grandes puissances pendant la guerre en ex-Yougoslavie." http://docs.google.com/Doc?id=dc2m8p62_145fnw9gffc&nbsp ;

              Des spécialistes de la région, qui sont prêts à répondre à tous les mensonges des impérialistes serbes qui n’ont pas désarmé, les exploits du camarade Milošević et de sa bande en ont fait naître bien d’autres, et ils n’ont rien oublié. 


              • Vincent Jappi Vincent Jappi 5 novembre 2009 22:05

                La Bosnie-Herzégovine était, avec la Croatie, qui date du IX° siècle, le Monténégro, qui date du XI°, et la Serbie qui date comme elle du XII° siècle, l’une des plus anciennes entités constitutives de l’ancienne Fédération yougoslave. Si la légende des Bogomiles est fausse, et si l’Eglise de Bosnie avait disparu à l’époque du Roi Tvrtko (1377), la continuité multiséculaire de la Bosnie-Herzégovine est une réalité historique. La Constitution fédérale yougoslave du 21 février 1974 reconnaissait cette « république » comme un « Etat souverain et indépendant » dont on ne pouvait modifier les frontières sans son consentement.

                En revanche, comme la Serbie avait pour sa part complètement disparu pendant trois siècles dans l’Empire ottoman, les Serbes ne savaient plus très bien où se trouvent leurs frontières : il a fallu leur montrer. 

                Il faut toujours leur montrer. 


                A chaque fois que les circonstances s’y prêtent, ceux qui ont voulu dépecer l’état multiséculaire de Bosnie-Herzégovine reprennent du poil de la bête. 
                C’était le cas en août 1939, lors de l’accord Cvetković-Maček qui, quoique mort-né parce que les impérialistes serbes ont finalement préféré tuer la Première Yougoslavie que de le voir mettre en oeuvre, n’a été possible que parce que Mehmed Spaho venait de mourir.
                Rappelons qu’en 1991 Tuđman s’était mis d’accord avec Milošević pour le partager : à l’encontre de l’Etat de Droit et de l’opinion majoritaire en Croatie, contre l’opposition expresse de la hiérarchie catholique, et à l’instigation de sa bande de catholiques d’Herzégovine occidentale –descendants de Serbes convertis au XV° siècle, et qu’on voyait sans cesse brandir des drapeaux croates où ils avaient masqué les armes des provinces, parce que celles de l’Herzégovine n’en font pas partie. Ce sont ces descendants de Serbes et de Valaques catholiques issus d’Herzégovine qui, avec ceux de Dalmatie du nord, avaient formé le gros des Oustachis de Pavelić pendant la NDH.
                Le gouvernement de Croatie a cessé tout soutien aux séparatistes croates de Bosnie-Herzégovine, mais ils trouvent encore un appui inavoué dans la faction de la HDZ au pouvoir qui est nostalgique de Tuđman.

                Ce qu’implique l’état unitaire réclamé à juste titre par les dirigeants politiques de Sarajevo, c’est la reconnaissance de l’égalité des Droits entre les citoyens, qu’ils se considèrent comme croates, comme serbes ou comme bosniaques. 

                • Mader Mader 6 novembre 2009 03:20

                  Vos sources sont le TPIY et Florence Hartmann, c’est à dire pratiquement la même chose jusqu’au jour où ils se fâchèrent...

                  Inutile de dire que je ne partage pas votre point de vue selon lequel Mlle Hartmann est la « meilleure » spécialiste des questions balkaniques du seul fait qu’elle résida à Belgrade à l’époque où débutèrent les conflits en ex-Yougoslavie... mais je ne doute pas que ses prises de position en firent un « expert » très approprié pour la mère Carla...

                  Je suis d’accord, par contre, sur le fait que les frontières des Serbes ne sont pas encore clairement établies mais doute que celles qu’on leur montre comme étant les leurs le soient effectivement, ou le seront...


                  • Vincent Jappi Vincent Jappi 7 novembre 2009 00:20
                    Florence Hartmann montre quelle a été l’attitude des Occidentaux face à l’agression serbolchévique contre la Bosnie-Herzégovine : jusqu’en 1994 complicité active des gouvernements français et britannique, complicité passive des Etats-Unis ; après les massacres de Markale et surtout de Srebrenica, et sous la pression de l’opinion qui ne prenait pas les images et les témoignages qu’on lui présentait pour des mensonges de propagande, changement de politique qui a permis d’arrêter les combats. 
                     
                    Les frontières de 1945 ont été fixées par la Commission  Đilas, aux dépens de la Croatie de 1918 (amputée de la Syrmie orientale et des Bouches de Kotor).
                    Ni la Bosnie-Herzégovine, ni la Voïvodine, ni le Kosovo ne faisaient légalement partie de la Serbie : le Parlement avait refusé d’annexer le Kosovo et la Macédoine en 1913, prétendant que leurs populations n’étaient pas assez « avancées » (en fait, elles n’étaient pas serbes) ; et la Voïvodine n’a été annexée qu’à l’Etat des Serbes, des Croates et des Slovènes en 1918. Quant à la Bosnie-Herzégovine, elle n’a jamais fait partie d’aucun état serbe, comme l’avouait encore récemment Dobrica Ćosić. Et, avant l’annexion ottomane qui a littéralement créé l’église orthodoxe en Bosnie, il ne s’y trouvait de Serbes qu’en Herzégovine et en Romanija.


                  • Gino 6 novembre 2009 17:04

                    « Il faut toujours leur monter »...

                    Mais quel beau discours digne des pires heures colonialistes.


                    • Vincent Jappi Vincent Jappi 6 novembre 2009 19:07

                      Ce serait du « colonialisme » que de s’opposer à des guerres de conquête et d’extermination ?


                      • Vincent Jappi Vincent Jappi 7 novembre 2009 06:59
                        De Nuremberg au Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie
                        Marko Attila Hoare, Globus, 12 décembre 2008, Bosnian Institute, 24 décembre 2008
                         
                        Dans un article écrit pour Globus l’hebdomadaire de Zagreb, Marko Attila Hoare, auteur de trois ouvrages sur la Bosnie, jette un regard critique sur les résultats du TPIY, où il a travaillé quelque temps comme chargé de recherches.

                         

                        Depuis la guerre en Bosnie-Herzégovine, on a vu se développer le phénomène des tribunaux internationaux en vue de poursuivre les crimes de guerre et crimes contre l’humanité. La création du Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (ICTY) en 1993 a été suivie de la création du Tribunal Pénal International pour le Rwanda ; des chambres extraordinaires des Tribunaux du Cambodge ; la Cour spéciale pour le Sierra Leone ; et, surtout, la Cour Pénale Internationale. Cette dernière s’est particulièrement signalée cet été par son acte d’accusation contre le Président soudanais Omar Hassan el-Béchir. 
                        Pourtant pour toute appréciation de son rôle comme pionnier de la justice internationale, le TPIY est depuis sa création poursuivi par la polémique, et fortement critiqué pour sa manière de procéder, non seulement par ses adversaires mais également par ses partisans. Le plus frappant est le fait que Florence Hartmann, l’ancien porte-parole de la Procureure en Chef Carla del Ponte et l’un de ses champions les plus en vue, a elle-même a été poursuivie par le tribunal pour outrage à la cour, ayant prétendument divulgué des informations confidentielles ; Florence Hartmann tentait d’exposer la politique interne et les machinations du TPIY qui ont compromis sa recherche de la justice, surtout dans le procès de Slobodan Milošević. La poursuite contre Florence Hartmann symbolise la manière dont cette institution, par ses manquements, est aujourd’hui devenue la cible de ceux-là mêmes qui en attendaient le plus dans le passé.

                        Pour expliquer ces manquements du TPIY, il y a lieu de comparer celui-ci aux Tribunaux de Nuremberg qui, à l’issue de la deuxième guerre mondiale, ont mené à bien les procès des criminels de guerre nazis, en particulier au Tribunal Militaire international (TMI), qui a jugé vingt et un des plus hauts dirigeants du socialisme national allemand. 
                        [Il se trouve en effet que] les différences entre les buts et l’organisation respectifs du TMI et du TPIY expliquent assez bien la différence entre leurs résultats.
                        Les Procès de Nuremberg se sont vus condamner par leurs critiques comme un exemple de « justice des vainqueurs ». Or en fait, ceux-ci représentaient l’option modérée pour les puissances alliées, qui avaient été victimes d’agression ou d’attaques de la part des Nazis et qui étaient bien décidées à ce que les dirigeants allemands soient punis.
                        Au début, Winston Churchill et Franklin D. Roosevelt envisageaient d’exécuter sommairement, sans jugement, des centaines voire des milliers de dirigeants allemands, ce à quoi l’opinion publique des pays alliés n’aurait pas été hostile. Pourtant à la fin, c’est la proposition de Henry Stimson, Secrétaire à la Guerre des Etats-Unis, de faire aux dirigeants nazis un procès équitable, qui a été retenue. 
                        C’est ainsi que les Procès de Nuremberg sont devenus un exemple de justice des vainqueurs et non de leur injustice. 
                        En effet, si on compare les résultats des Procès de Nuremberg à ceux du TPIY, on a bien l’impression que la justice des vainqueurs est la seule qui puisse être efficace.

                        Les Procès de Nuremberg avaient été organisés et menés à bien par des puissances alliées qui n’avaient absolument aucune intention de permettre aux dirigeants de l’Allemagne de s’en tirer impunément. Ces procès faisaient suite à une guerre d’une brutalité sans égale, au cours de laquelle les armées alliées, au prix d’énormes pertes, avaient totalement écrasé et occupé l’Allemagne nazie. C’est pourquoi il n’y avait aucune crainte, à la différence d’autres procès de ce genre avant et depuis, d’avoir à risquer la vie de soldats alliés pour appréhender des criminels de guerre ; pour battre les Nazis, le sacrifice avait été déjà fait, et les alliés pouvaient tout à fait arrêter les criminels de guerre sans risquer aucune perte supplémentaire en personnel militaire. 
                        Et naturellement il n’était pas davantage question de traîner en justice les dirigeants alliés pour tout crime de guerre qu’ils auraient pu commettre contre des Allemands ou d’autres civils innocents ; les Procès de Nuremberg partaient du principe que c’était l’Allemagne qui avait commencé la guerre, et que c’est sur elle que reposait l’intégralité de la faute : c’est cela qui allait décider de qui poursuivrait qui, et de quel pays on jugerait les dirigeants. 
                        Ces procès étaient là pour punir l’agresseur, et non pour dispenser une justice égale pour tous, et n’avaient certainement rien à faire de l’idée de ‘réconciliation’. Les rapports de force poussaient les alliés dans le sens de la sévérité, et non de la clémence.
                        C’était au premier chef le principe et l’injustice de la guerre, et non les crimes commis à cette occasion, qui avaient inspiré les dirigeants alliés pour instituer le TMI ; c’était pour le crime d’avoir conspiré contre la paix et pour avoir planifié, engagé et mené des guerres d’agression, que l’on jugeait les dirigeants de l’Allemagne, les crimes contre l’humanité – y compris l’Holocauste – passant au second plan.
                        On a présenté le TMI comme un tribunal multinational plutôt qu’international : ce sont les puissances alliées qui l’avaient directement mis en place, et non une organisation internationale du genre de l’ONU ; les alliés avaient ‘fait de concert ce que n’importe lequel d’entre eux aurait pu faire seul’.
                        Le TMI a poursuivi et jugé les principaux criminels de guerre, dont des dignitaires comme Karl Dönitz, que le Führer avait désigné comme son successeur ; Wilhelm Frick, Ministre de l’Intérieur ; Hermann Göring, Chef de la Luftwaffe ; Rudolf Hess, ancien Führer en second ; Alfred Jodl, Chef du haut commandement des opérations ; le Chef d’Etat-Major Général Wilhelm Keitel ; le Chef d’état-major de la Marine Erich Räder ; et le ministre des affaires étrangères Joachim von Ribbentrop. C’étaient ces gros poissons que les dirigeants alliés avaient envisagé de fusiller sans procès, et qui avaient été l’objet principal du TMI, alors que les criminels de moindre rang devaient être traités plus tard par des tribunaux nationaux montés par les Américains, les Allemands, les Polonais et autres. 
                        Des vingt et un prisonniers jugés par le TMI, dix-huit ont été condamnés dont onze à mort, alors que les autres recevaient des peines allant de dix ans à la prison à vie.

                        Le TPIY se distingue des tribunaux de Nuremberg sur presque tous ces points. Il ne faisait pas suite à une guerre victorieuse et n’a pas été imposé au vaincu par ses victimes, et n’a pas non plus été institué sous la pression massive de l’opinion et des classes dirigeantes en faveur d’une punition exemplaire. Bien au contraire, le TPIY n’a été conçu que comme un substitut à toute intervention réelle contre les Serbes qui avaient fomenté la guerre.
                        Les premières dispositions conduisant à l’institution du tribunal avaient été prises en 1992 par le gouvernement sortant de George Bush Sr, gouvernement qui, à part cela, n’avait pratiquement entrepris aucune mesure pour stopper l’agression de la Serbie ni pour punir ses chefs. 
                        Le TPIY était une concession à cette fraction de l’opinion politique occidentale —alors toujours minoritaire— qui s’indignait sincèrement de ce qui se passait en Bosnie et exigeait de l’action. Le TPIY a été institué par une résolution de 1993 du Conseil de Sécurité de l’ONU, alors que la complaisance occidentale vis-à-vis de la Serbie était à son comble, de sorte qu’on devrait à juste titre le considérer comme une feuille de vigne visant à dissimuler l’étendue de cette complaisance. 
                        C’est seulement vers la fin de l’été 1995 que son opposition au Congrès poussa le gouvernement de Bill Clinton à entreprendre, contraint et forcé, des mesures militaires sérieuses contre les forces serbes de Bosnie ; et néanmoins, la paix imposée par le gouvernement de Clinton à la Bosnie, sous forme des Accords de Dayton, a arraché une victoire serbe aux mâchoires de la défaite, en attribuant 49% de la Bosnie aux séparatistes serbes après avoir bloqué une poussée victorieuse des armées croate et bosnienne.
                        Collaborant avec l’envoyé de Clinton Richard Holbrooke pour imposer la paix aux Bosniens, on trouvait le principal architecte de la guerre : le Président serbe Slobodan Milošević lui-même. Milošević était disposé à signer l’Accord de Dayton, malgré le fait que celui-ci engageait toutes les autorités bosniennes, y compris les Serbes de Bosnie, à coopérer avec le TPIY. 
                        À ce stade, le Tribunal avait inculpé les dirigeants serbes de Bosnie Radovan Karadžić et Ratko Mladić — marionnettes de la rébellion pour le compte de Milošević, qui lui avaient désobéi au cours de la guerre — mais aucun dirigeant de la Serbie lui-même. Comme Milošević, Clinton et Holbrooke étaient prêts à sacrifier Karadžić et Mladić, mais ils ont continué à considérer Milošević comme un collaborateur et un pilier nécessaire de la paix.

                        Nous pouvons imaginer à quoi auraient ressemblé les Procès de Nuremberg s’ils s’étaient tenus à l’issue d’une guerre qui se serait terminée par l’attribution aux Nazis de 49% de la Pologne, et d’un accord de paix entre Hitler et les alliés, où Hitler aurait été considéré comme un partenaire essentiel. Un TMI organisé dans ces conditions, naturellement, n’aurait pas jugé et exécuté le Ministre de l’Intérieur de Hitler, ni son Ministre des affaires étrangères, ni son Chef d’Etat-major. 
                        Or, le TPIY, c’était cela produit des concessions, des compromis et de la collaboration, et non de la victoire et de la volonté de punir. 
                        Le TPIY n’a pas été imposé par les victimes à des vaincus, mais également aux victimes et aux agresseurs par des puissances extérieures. Il n’a en rien présumé de la justice ni des torts de la guerre dans son ensemble, en fait on ne l’a même pas laissé juger les crimes contre la paix ni les crimes d’agression. A la place, on ne l’a mandaté que pour ne juger que des criminels de guerre individuels de tous les côtés. Même sur cette base limitée, seuls les Etats-Unis, parmi les puissances occidentales majeures les plus impliquées dans la guerre, ont en fait montré quelque intérêt pour le projet ; de la part de la Grande-Bretagne et de la France le tribunal a souffert, en ses premières années d’existence, d’un défaut presque complet de soutien, et même d’obstruction.
                        Le TMI avait été mis en place par les puissances alliées elles-mêmes ; il a procédé promptement et efficacement, les exécutions expédiées une année après le début des procès, et une année et demie après la fin de la guerre. En revanche, le TPIY était une dépendance de l’ONU —organisation synonyme d’inefficacité, de bureaucratie, de corruption et de népotisme. Quinze ans après la création du tribunal, et treize années après la fin de la guerre en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, les procès vont toujours cahotant lourdement ; certains d’entre eux n’ont même pas encore commencé. Le procès de Milošević a duré quatre ans et s’est terminé, inachevé, par sa mort en prison de causes naturelles. Ceci a eu l’effet inévitable d’atténuer l’intérêt du public pour ces procès, surtout dans le monde extérieur à l’ex-Yougoslavie. 
                        Le puissant mouvement d’opinion en Occident, surtout aux Etats-Unis, scandalisé par ce qui se passait en Bosnie, qui avait été le catalyseur décisif pour l’apparition du Tribunal, s’est en grande partie éteint au fil des années ; ce qui demeure est une bureaucratie judiciaire soumise à son propre élan. Comme institution à part dans les affaires mondiales, il n’a pas eu l’appui que le TMI avait reçu des alliés victorieux ; ainsi que Hartmann le raconte ses mémoires, la Procureure en Chef Carla del Ponte a dû se battre pour attirer l’attention et obtenir l’appui des puissances occidentales.
                        Sans idée directrice sur la partie qui était coupable, sur lesquels de ses dirigeants avaient orchestré l’assassinat de masse et devaient de ce fait être punis, le ministère public du TPIY a entrepris d’inculper des individus singuliers sur une base fragmentaire et aléatoire, commençant par du menu fretin comme le gardien de camp de concentration Dušan Tadić, et laisser tranquilles la plupart des principaux dirigeants de la Serbie. 
                        Le bureau du procureur a certes commencé une phase plus ambitieuse lors de la guerre du Kosovo en 1999, quand il a inculpé, pour des crimes de guerre contre des Kosovars, Milošević en tant que président de la Yougoslavie, en même temps que le Président de la Serbie [Milan Milutinović], le Premier Ministre de la Yougoslavie [Nikola Šainović], le Ministre de l’Intérieur de Serbie [Vlajko Stojiljković] et le Chef d’Etat-major de l’Armée de Yougoslavie [Dragoljub Ojdanić]. 
                        Cependant, ceci a été l’exception plutôt que la règle. Non seulement le TPIY n’a eu aucun mandat pour juger les crimes d’agression, mais c’est sur des crimes commis par leurs auteurs dans leur propre état, et non contre les habitants des états voisins que les poursuites ont principalement porté. 
                        Si les hauts dirigeants serbes susmentionnés ont été inculpés de crimes de guerre contre les habitants albanais du Kosovo, c’est parce que celui-ci [passait alors pour] une province de la Serbie.

                        • Vincent Jappi Vincent Jappi 7 novembre 2009 07:02
                          On a inculpé des habitants de la Bosnie pour des crimes contre d’autres habitants de la Bosnie-Herzégovine ; des Croates pour des crimes contre des Serbes de Croatie et vice versa. 
                          En revanche, très peu de dirigeants de la Serbie ont été poursuivis pour crimes de guerre contre les résidents des républiques voisines de Croatie et de Bosnie-Herzégovine.

                          Ainsi, dans le cas de la Bosnie-Herzégovine, où la plus grande partie des massacres ont été commis —organisés, lancés et exécutés— par le régime de Milošević avec la complicité de l’armée populaire yougoslave (JNA), il n’y a que six dirigeants de Serbie qui aient jamais été poursuivis : Slobodan Milošević, Željko Ražnatović-Arkan, Jovica Stanišić, Franko Simatović, Vojislav Šešelj et Momčilo Perišić. A part Milošević lui-même, c’étaient tous des exécutants d’importance secondaire ou inférieure lorsque leurs crimes ont été commis. Le plus haut de ces dignitaires était probablement Jovica Stanišić, qui était ministre de l’Intérieur de la Serbie pendant la guerre en Bosnie, alors que Momčilo Perišić n’est devenu Chef d’Etat-major de l’armée qu’en 1993, après que les crimes directement commis par la Serbie en Bosnie avaient été déjà commis et que la participation directe de la Serbie à la guerre en Bosnie avait pris fin. 
                          Et aucun de ces six-là n’a encore été condamné. Milošević et Arkan étant morts, le nombre maximum des dirigeants de Serbie qui pourrait être condamnés pour leurs crimes de guerre contre des habitants de la Bosnie-Herzégovine est donc de quatre. 

                          En plus de ces derniers, sept autres chefs de la JNA, tous des personnages relativement mineurs, ont été poursuivis pour crimes de guerre en Croatie, et seul l’un d’entre eux a reçu une sentence plus longue que quelques années. Le nombre total des dirigeants de la Serbie qui ont été poursuivis, qui est de vingt et un, est moindre que celui des seuls Croates de Bosnie inculpés, qui est de vingt-six. Le nombre de dirigeants de la Serbie poursuivis pour crimes de guerre en Bosnie-Herzégovine, qui est de six, est moindre que celui des dirigeants inculpés de la République de Bosnie-Herzégovine, qui est de dix.
                          En outre, les plus hauts dirigeants de la Serbie, du Monténégro et de la JNA qui ont planifié et mené les agressions contre la Croatie et la Bosnie-Herzégovine, n’ont jamais été poursuivis pour cela. 
                          Ceux-ci comprennent les membres de la présidence yougoslave pour la Serbie et le Monténégro, Borisav Jović [représentant de la Serbie], Jugoslav Kostić [représentant de la Voïvodine] et Branko Kostić [représentant du Monténégro] ; les plus hauts dirigeants de la JNA : le Ministre de la défense yougoslave Veljko Kadijević et son Chef d’Etat-major Blagoje Adžić ; leurs adjoints Stane Brovet et Života Panić ; le Président du Monténégro Momir Bulatović ; et Aleksandar Vasiljević, le chef du Contre-espionnage de l’armée [KOS]. 
                          Quatre d’entre eux – Borislav Jović, Branko Kostić, Veljko Kadijević et Blagoje Adžić – ont échappé à toute inculpation en dépit du fait que l’acte d’accusation contre Milošević les cite expressément en tant que membres d’une « entreprise criminelle conjointe » pour des crimes de guerre en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. 
                          Quel que soit le critère, on constate que la Serbie s’en est très bien sortie – en fait pratiquement impunie - pour ses guerres en Croatie et tout particulièrement en Bosnie-Herzégovine.

                          La politique des poursuites du Ministère public du TPIY exige donc une explication. 
                          À Nuremberg, les alliés savaient qui étaient les coupables, entendaient bien mettre la main sur eux et ont entrepris de le faire. En revanche, c’est plus pour les apparences que pour les résultats que le TPIY avait été institué ; et le choix des inculpés a été fait par les procureurs selon leurs propres priorités, qui avaient peu de choses à voir avec la punition de ceux qui étaient effectivement les principaux responsables de la guerre.

                          Un des faits qui ont influencé la politique des procureurs était qu’à la différence de l’Allemagne, la Serbie était un pays défait mais pas écrasé ni occupé. Les procureurs de la Haye ne pourraient pas simplement compter sur des forces d’occupation pour arrêter les suspects et pour saisir les documents, mais ont dû négocier leur livraison avec les autorités de Serbie elles-mêmes. Celles-ci, naturellement, ont non seulement été loin de coopérer spontanément – à tel point que, l’année dernière, la Cour internationale de Justice (CIJ) a condamné la Serbie pour n’avoir pas puni le génocide [de Srebrenica] - mais ont à plusieurs reprises accusé le tribunal de partialité anti-serbe. 
                          En attendant, les puissances occidentales ont été inégales dans leur détermination à faire pression sur la Serbie pour que celle-ci livre suspects et documents. 
                          Même en ce qui concerne la ‘Republika Srpska’, où il y avait des troupes internationales sur le terrain, les puissances occidentales ont hésité à affronter les dirigeants serbes de Bosnie ou à risquer la vie de de leurs hommes pour appréhender les suspects de crimes de guerre. Elles pourraient même bien avoir conclu des arrangements secrets permettant à des criminels de guerre majeurs, tels que Radovan Karadžić, d’échapper à la capture pendant de nombreuses années.
                          La nécessité de négocier et de faire des compromis avec les autorités serbes, et de parer aux accusations de « partialité anti-serbe » paraît bien avoir politisé et faussé la politique des mises en accusation et autres poursuites. 

                          Contrairement au mythe, en termes de nombres d’accusés, les Serbes suspects de crimes de guerre sont sous-représentés relativement à leur participation dans le crime. 
                          Quelle que soit la manière de compter, les forces serbes ont causé plus de 80% des victimes civiles dans l’ensemble des guerres de l’ex-Yougoslavie, et les non-serbes (croates, bosniaques, kosovares, macédoniennes et de l’OTAN) moins de 20% d’entre elles. Or, des 159 inculpés, il n’y en a que 108, soit 68%, qui sont des dirigeants serbes (y compris les non-Serbes qui ont combattu du côté serbe, comme [les Croates] Dražen Erdemović et Franko Simatović) alors que 51, soit 32%, sont croates, bosniens, kosovars ou macédoniens. 
                          Ces pourcentages ne reflètent donc pas les participations relatives des Serbes et des non-Serbes dans les massacres, mais la part des ressources consacrées par le Ministère public à enquêter respectivement sur les crimes serbes et les crimes non-serbes. 
                          Par exemple, lorsqu’en 2001 je travaillais comme chargé de recherches au bureau du procureur, sur onze équipes d’enquêteurs, il n’y en avait que sept — moins des deux tiers — affectées à l’élucidation des crimes de guerre des Serbes, alors qu’il y en avait quatre sur les crimes de guerre des non-Serbes.
                          Ainsi les procureurs du TPIY ont-ils réparti leur personnel d’une manière qui garantissait que les criminels de guerre serbes — responsables de plus des quatre cinquièmes des civils massacrés — ne représenteraient que les deux tiers des inculpés. Et, de ces 108 inculpés serbes, il n’y en avait que 21 qui venaient de la Serbie elle-même ; le reste étaient la plupart du temps des Serbes de Bosnie (83) et quelques Serbes de Croatie (4). Même en ce qui concerne le rôle des Serbes dans les actes d’accusation, la Serbie a été en grande partie épargnée, tandis que ses collaborateurs locaux dans les Etats qu’elle avait attaqués – surtout en Bosnie-Herzégovine — supportaient l’essentiel de ces poursuites. 
                          Et tandis que les commandants suprêmes de la Serbie et de la JNA qui avaient planifié et exécuté les agressions serbes contre la Croatie et la Bosnie-Herzégovine échappaient à toute inculpation, on a inculpé les chefs militaires de haut rang de Croatie et de Bosnie qui avaient mené la défense de leur pays — Janko Bobetko, Sefer Halilović et Rasim Delić, pour des crimes d’une ampleur bien moindre et pour lesquels ils n’étaient pas directement responsables.
                          C’est ainsi que Veljko Kadijević et Blagoje Adžić ont échappé à toute inculpation pour Vukovar ou pour ce qui s’est produit en Bosnie jusqu’au 19 mai 1992, date où la JNA, [qu’ils commandaient en toute illégalité], s’est officiellement retirée de Bosnie-Herzégovine. Alors que Janko Bobetko a été poursuivi pour [quelques] crimes commis par l’Armée Croate dans la poche de Medak en 1993, et Rasim Delić pour des crimes commis par les moudjahiddines étrangers.
                          Ce n’est pas seulement pour le choix de ses poursuites mais aussi pour celui de sa recherche des preuves que le TPIY a permis à des considérations politiques ou tactiques de s’opposer à sa recherche de la justice. Dans le cas Milošević, on avait exigé de la Serbie qu’elle livre à ses juges du TPIY les comptes rendus du Conseil Suprême de Défense [Vrhovni Savet Odbrane] de la République Fédérale de Yougoslavie — institution composée des présidents de la Serbie, du Monténégro et de la Yougoslavie - c.-à-d. [à l’époque] de Milošević et deux de ses alliés. Au début [lors de la création de la soi-disant « République Fédérale de Yougoslavie » fin avril 1992], c’est cet organe qui avait la maîtrise de toutes les forces serbes en Bosnie, jusqu’au 19 mai 1992, et qui est ensuite plus tard demeuré aux commandes de l’Armée de Yougoslavie, y compris lors du massacre de Srebrenica où celle-ci a apporté son aide aux forces serbes en Bosnie.
                          Les juges du TPIY, cependant, ont permis à la Serbie, dans la version accessible au public et à la Cour Internationale de Justice, de censurer certains passages de ce dossier. C’est ainsi que la Bosnie n’a pas pu se servir de ces documents cruciaux dans sa plainte pour génocide contre la Serbie auprès de la CIJ. Ceci, combiné aux concessions propres de la CIJ à la Serbie, a contribué à assurer l’acquittement de celle-ci [pour cette accusation-là]. 
                          Phon van den Biesen, [avocat] de la partie bosnienne, a publiquement déclaré que l’intégralité des documents aurait probablement permis de démontrer que les forces serbes en Bosnie se trouvaient bel et bien sous le commandement de la Serbie lors du massacre de Srebrenica, dont [entre autres] le TPIY et la CIJ ont légalement constaté que c’était un génocide.

                          Ce qui nous amène au crime de génocide, qui est revenu sur le devant de la scène internationale au cours des années 90 en raison des événements de Bosnie et du Rwanda. Avec la condamnation définitive du chef serbe de Bosnie Radislav Krstić pour génocide à Srebrenica, le TPIY est la première des trois Cours internationales qui a établi que les forces serbes se sont rendues coupables de génocide en Bosnie ; il a été suivi en cela par la CIJ et par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. 
                          À cet égard, le TPIY est allé plus loin que les Procès de Nuremberg, parce que, même si l’acte d’accusation du TMI avait accusé les chefs allemands de ‘génocide délibéré et systématique’, ce n’est pas pour ce crime-là qu’il les a poursuivis, car la qualification pénale de ’génocide’ venait seulement d’être définie, et on commençait seulement à prendre le concept au sérieux. C’est pourquoi les dirigeants de l’Allemagne n’ont été accusés que de ‘crimes contre l’humanité, bien que, parmi tous leurs crimes, ce soit principalement pour le génocide des juifs qu’on s’en souvient aujourd’hui. 
                          Pourtant, malgré l’importance de son rôle dans la constatation judiciaire du génocide en Bosnie-Herzégovine, le TPIY s’est avéré être, dans ce cas-là comme tant d’autres, un tribunal édenté. Il n’a réussi à faire condamner qu’un seul individu, le modeste commandant de corps adjoint Radislav Krstić, et pour complicité. Un deuxième dirigeant serbe de Bosnie, Vidoje Blagojević, avait lui aussi été condamné pour génocide, mais acquitté plus tard en appel de toutes accusations liées au génocide, alors que pour sa part, Momčilo Krajišnik, membre de la présidence de la Republika Srpska, se faisait acquitter de l’accusation directe. Ainsi, si le TPIY a établi qu’un génocide a été commis, c’est un crime dont presque personne – et aucun haut dirigeant - n’a encore été convaincu.
                          Le TPIY n’est pas, naturellement, seul responsable de ces maigres résultats : la communauté internationale n’a toujours pas forcé la Serbie à lui livrer Ratko Mladić, que l’on soupçonne d’être le cerveau du massacre de Srebrenica. 
                           


                          • Vincent Jappi Vincent Jappi 7 novembre 2009 07:03
                            Une différence ultime distingue le TMI du TPIY : la question de la ‘réconciliation’. 
                            La résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU qui a créé le tribunal l’avait justifié comme une institution qui ‘contribuerait à la restauration et au maintien de la paix’, et ses défenseurs arguent fréquemment du fait que poursuivre individuellement les criminels de guerre serait nécessaire pour libérer les divers peuples ex-Yougoslaves du stigmate de la culpabilité collective, facilitant de ce fait la réconciliation entre eux.
                            Paradoxalement, cependant, il semble bien que ce soit un TMI plus ouvertement justicier, ainsi que ses successeurs de Nuremberg, en déterminant à l’avance quel côté était coupable et en punissant effectivement ceux de ses dirigeants qui avaient survécu, qui ont bien plus efficacement réalisé la réconciliation entre l’Allemagne et les pays qu’elle avait attaqués. En effet, on n’a pas permis à l’Allemagne d’échapper à sa condamnation comme la partie coupable de la guerre, tandis que ceux qu’elle avait attaqués ont pu constater que justice avait été faite.
                            En revanche, il n’y a aucune raison de penser que le TPIY – qui a refusé de dire quel côté était coupable de la guerre, qui aborde les crimes de guerre sur une base purement individuelle, et qui fourre dans le même sac les criminels de guerre de tous les bords – ait apporté quelle contribution que ce soit à la réconciliation entre les ex-Yougoslaves. Bien au contraire. 
                            Contrairement à ce qui s’est passé après la deuxième guerre mondiale, la communauté internationale n’a pas réussi à faire accepter l’histoire des responsabilités pour les guerres de succession yougoslave, ni à contraindre chacune des parties à l’accepter. 
                            Il s’ensuit que chaque côté continue à se percevoir comme victime du conflit, et à envisager le travail du tribunal purement en termes de la manière dont il poursuit un trop grand nombre de ses propres ressortissants et/ou un trop petit nombre des autres côtés, ou la façon dont les inculpés d’en face ont été acquittés à tort ou ont reçu des peines trop courtes. 
                            Selon l’ étude récente d’une équipe universitaire internationale dirigée par Vojin Dimitrijević et Julie Mertus :

                            ‘L’espoir qu’il [le TPIY] pourrait favoriser la réconciliation entre les peuples de la région ne semble pas s’être réalisé.’

                            Il y a une leçon à tirer des expériences respectives du TMI et du TPIY : c’est que, en matière de crimes de guerre, il ne peut pas y avoir de vraie justice sans défaite authentique des agresseurs.
                             


                            • Alexandre Latsa Alexandre Latsa 11 décembre 2009 10:35

                              Mader


                              brillant article

                              pouvez vous me contacter ne mp : [email protected]

                              cordialement

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