L’Occident peine à réaliser ses buts de guerre en Bosnie…
…ou comment en finir avec la Republika Srpska !...
Le 21 octobre dernier marqua l’échec des pourparlers de Butmir, du nom de la base militaire de la force opérationnelle de l’Union européenne EUFOR, située dans les environs de Sarajevo, où ils se tinrent. Ceux-ci débutèrent le 09 octobre et furent menés sous la houlette du tandem USA-UE qui rassembla des représentants des sept principaux partis politiques de la Bosnie-Herzégovine. Le but annoncé de cette conférence, que certains rebaptisèrent Dayton II, en souvenir de celle tenue fin 1995 sur la base militaire US ayant mis un terme, mais pas forcément fin, au conflit bosniaque, était de faire endosser une série de mesures visant à réorganiser le pays afin de le formater aux normes OTAN et UE en vue de sa future intégration dans ces deux organisations.
La Bosnie-Herzégovine résultante des accords de Dayton, dont l’annexe 4 est la Constitution du pays, consiste en une espèce de fédération des deux entités que sont la Fédération de Bosnie et Herzégovine, qui regroupe les Bosniaques musulmans et croates d’une part, et la République serbe de Bosnie, ou Republika Srpska, essentiellement serbe de l’autre. Chaque entité est dotée de pouvoirs exécutif et législatif, que l’on retrouve également au niveau central sous la forme d’une Présidence collégiale et d’un Conseil des ministres, à la composition ethnique clairement définie, ainsi que de la Chambre des représentants et la Chambre des peuples. Ces multiples instances de pouvoir font de la Bosnie-Herzégovine, un pays de quelques 4 millions d’habitants, une championne en matière de concentration institutionnelle et l’administration pléthorique en résultant nuit au processus de prise de décisions et fournit un terreau idéal à la corruption.
A ce mille-feuille institutionnel domestique se greffe une présence internationale sous la forme du bureau du Haut Représentant international en Bosnie-Herzégovine, ce dernier étant la plus haute autorité politique du pays. Les pouvoirs dits « de Bonn » dont il dispose lui permettant d’annuler toute décision prise par les élus du peuple qu’il peut même priver de leur mandat s’il estime qu’ils nuisent à la conduite des affaires selon ce qu’il estime être l’esprit des accords de Dayton. Arguant que cette institution fait de la Bosnie-Herzégovine une sorte de protectorat, un statut sous lequel le pays ne saurait intégrer les instances euro atlantiques, il est question de transformer ce bureau en celui de Représentant spécial de l’UE, aux pouvoirs annoncés moindres mais toujours pas clairement énoncés. La dite communauté internationale, c’est-à-dire l’Occident, insiste cependant qu’une telle mue ne pourrait avoir lieu sans une révision préalable de la Constitution, d’où les pourparlers de Butmir.
L’essence des propositions soumises aux sept partis bosniaques par le Ministre des Affaires étrangères suédois Carl Bildt, qui fut d’ailleurs le premier Haut représentant international de décembre 1995 à juin 1997, le sous-secrétaire d’état américain Jim Steinberg et le commissaire européen à l’élargissement Olli Rehn, consiste à renforcer les pouvoirs de l’état central aux dépens de ceux des entités qui cèderaient ou partageraient un certain nombre de leurs domaines réservés avec ce dernier. De ce fait le Conseil des ministres deviendrait un vrai gouvernement mené par un Premier ministre, et la Chambre des peuples se muerait en simple organe de consultation désormais dénué du pouvoir de proposer ou d’opposer des lois. L’abolition du vote des entités, qui représente le principal obstacle à la centralisation politique du pays, empêcherait alors ces dernières de bloquer l’adoption de lois qu’elles estiment contraires à leurs intérêts vitaux.
Cette invocation de la défense d’intérêts primordiaux est essentiellement le fait de la Republika Srpska, la cible désignée de ces réformes alors que, paradoxalement, il s’agit de l’entité fonctionnant le mieux tant sur le point politique qu’économique, et ce probablement du fait de son homogénéité. Pointée du doigt comme création dite génocidaire, du fait de cette qualification attribuée au massacre de Srebrenica par le Tribunal Pénal pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), par nombre de Bosniaques musulmans, le plus vociférant d’entre eux étant le président du Parti pour la Bosnie-Herzégovine Haris Silajdzic, et certains cercles internationaux rompus à la pratique de diabolisation systématique de tout ce qui porte l’épithète serbe, ce haro sur cette entité sert à masquer l’engluement dans lequel se trouve la Fédération de Bosnie et Herzégovine, qui, avec ses 10 cantons aux pouvoirs étendus, constitue le gros de la tarte à la crème institutionnelle évoquée plus haut. Il est d’ailleurs intéressant de relever que les Croates réclament la dissolution des liens les unissant aux musulmans au sein de la Fédération de Bosnie et Herzégovine et la création de deux entités distinctes sur le modèle de la Republika Srpska. Il est alors fort à parier que, s’ils obtenaient gain de cause, ils seraient probablement les derniers à bouder le principe du vote par entité.
Fidèles à leur habitude les Serbes font de la résistance et le Premier ministre de la Republika Srpska Milorad Dodik, un temps qualifié de « bouffée d’air frais » en Bosnie-Herzégovine par Madeleine Albright, la Secrétaire d’état dans l’administration américaine de Bill Clinton, qui s’appuyait alors sur lui pour déboulonner le leader des Serbes de Bosnie Radovan Karadzic, est désormais devenu la personne à abattre car empêchant la conclusion du processus de réformes, entamé il y a de nombreuses années déjà. Outre les accusations d’obstruction répétées à l’envi à son encontre, dont l’adjoint du Haut Représentant international, l’Américain Raffi Gregorian, se fit un temps le chantre, Dodik est sous le coup d’une instruction dans le cadre d’allégations de corruption liées à d’importants projets d’infrastructure en Republika Srpska, ces dernières sentant fortement le souffre de la manipulation politique. Ne parvenant toujours pas à le faire plier, l’Occident alla même en août dernier jusqu’à réactiver contre lui 4 anciens responsables du parti fondé par Radovan Karadzic qui avaient eux même été écartés du pouvoir pour la même raison, à savoir leur opposition à l’abolition de la Republika Srpska.
Cette dernière mesure semble motivée par l’apparente impossibilité de s’appuyer sur l’actuelle opposition qui fait bloc derrière Dodik dès qu’il s’agit de protéger les intérêts vitaux de l’entité. Le Parlement de la Republika Srpska adopta ainsi en mai dernier des « conclusions » selon lesquelles il s’engage à réintroduire les pouvoirs dont cette dernière fut spoliée au profit de l’état central et refuse tout nouveau transfert d’autorité vers celui-ci sans consensus préalable. Il va sans dire que ces « conclusions » furent annulées un mois plus tard par le Haut Représentant international Valentin Inzko, qui usa de ses « pouvoirs de Bonn » à cette fin. Il fit à nouveau appel à ces pouvoirs quelques mois plus tard pour imposer d’autres mesures auxquelles s’opposent les Serbes, ce dernier usage de ce passe-droit entraînant alors le Parlement de la Republika Srpska à adopter le 1er octobre dernier de nouvelles « conclusions » par lesquelles il menace d’organiser un référendum sur la sécession de l’entité serbe si Inzko persiste dans cette voie.
La genèse de cette nouvelle tentative de nouveau coup de buttoir « final » porté contre la Republika Srpska est à rechercher dans le retour des Démocrates aux affaires à la Maison Blanche qui s’accompagna d’une multiplication de rapports alarmistes sur la supposée dégradation de la situation politique en Bosnie-Herzégovine, ceux-ci étant le fait d’organismes tels l’International Crisis Group (ICG), un fervent soutien à l’établissement du nouvel ordre mondial qui fit ses armes dans les Balkans, ou d’individus, tel l’amiral US à la retraite James Lyon, un ancien de l’ICG désormais à son compte et s’étant empressé de retourner en Bosnie-Herzégovine une fois Barack Obama arrivé au pouvoir. Rappelons que ce sont précisément les Démocrates qui, à l’instar de la diplomatie de la canonnière de l’Allemagne du Kaiser Guillaume à la veille de la première guerre mondiale, mirent au point contre les Serbes celle du Tomahawk dont les Républicains firent ensuite ample usage sous George Bush junior.
Les fonctionnaires de Bruxelles ne semblent pas tout à fait partager ce nouveau scénario catastrophe et ne voient pas forcément Washington remettre son nez dans les affaires bosniaques d’un très bon œil, puisqu’ils considèrent les Balkans comme le pré carré d’une diplomatie européenne commune encore balbutiante. Ils s’associèrent cependant à la mise en scène des pourparlers de Butmir, qui fut savamment orchestrée puisque intervenant dans une atmosphère propice à une resucée de la désormais classique et maintes fois éprouvée diabolisation des Serbes que permet l’ouverture du procès de l’ancien Président de la Republika Srpska Radovan Karadzic, qui ne disposa que d’une quinzaine de mois pour se préparer à un procès que les procureurs peaufinent depuis 14 ans, et la libération de Biljana Plavic, qui lui succéda à la tête de la Republika Srpska, après avoir purgé les 2/3 de la peine infligée par le TPIY qui abandonna nombre de charges pesant contre elle après qu’elle ait plaidé coupable de participation à la persécution de Croates et Bosniaques musulmans en 1992.
Ne s’avouant pas vaincus par l’échec des pourparlers de Butmir, leurs instigateurs exprimèrent l’espoir de parvenir à une percée d’ici à la prochaine réunion du PIC (le Peace implementation Council ou Conseil de mise en œuvre des accords de Dayton) devant se tenir le 18 novembre prochain. Il est à noter cependant que, à la veille de cette constatation d’échec, soit le 20 octobre au soir, le Premier ministre de la Republika Srpska Milorad Dodik était ostensiblement assis à proximité immédiate du Président russe Dimitri Medvedev lors d’une cérémonie à Belgrade marquant le 65ème anniversaire de la libération de la capitale serbe de l’occupation nazie par les Partisans yougoslaves et l’Armée Rouge.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il ne serait pas nécessairement vain de conseiller aux fervents avocats de l’abolition de la Republika Srpska de rouvrir leurs manuels de l’histoire des Balkans avant de vouloir imposer une solution aux Serbes par la force…
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