L’Ukraine vue de l’intérieur
Il y encore 3 mois, personne ne connaissait l’Ukraine et personne ne s’intéressait à ce pays. Aujourd’hui le mot-clé Bandera fait fureur dans les recherches Google.
Il y a 3 mois, les français associaient l’Ukraine avec le score 3-0, les plus calés en géo arrivaient à placer Tchernobyl en Ukraine, quelques-uns se rappelaient vaguement de la révolution orange. Mais son histoire, sa culture, sa mentalité – tout le monde s’en fichait.
Et tout d’un coup, une révolte, une manif de naïfs qui veulent se rapprocher de l’UE pour espérer un meilleur avenir. Pfff, ridicule vous dites-vous. Peut-être.
Et puis ces manifestations débordent. Ça part en vrille. Il y a des morts, ça brule, ça pète. Il y a des snipers, il y a des cagoules, et puis ce nom, Bandera, qui revient tout le temps, on parle de démocratie et de fascisme….
Bref, 3 mois après, personne ne connait mieux l’Ukraine, mais tout le monde a un avis dessus. Et le plus souvent faux.
Avant tout je veux alerter l’ensemble d’internautes séduits par cette idée simpliste : l’OTAN a soudoyé des néo nazi du coin pour renverser le gouvernement élu démocratiquement afin de déstabiliser la Russie - dans la vraie vie, les choses sont plus complexes, la ligne délimitrice entre « gentils » et « méchants » n’est pas juste l’inverse de ce que les médias officiels proposent. Si les occidentaux ont joué un rôle dans ces évènements, ils ne sont pas les seuls. Les Russes ont des enjeux stratégiques géopolitiques eux aussi.
Revenons donc aux événements :
Par qui la révolution a été faite et pourquoi ?
Les sondages nationaux tout au long des événements
Comment la révolution a été soutenue : en gros 50/50 - http://www.newsru.ua/ukraine/07feb2014/poddernepodder.html et 64% « pour » à Kiev http://tyzhden.ua/News/97129 (les moins de 55 ans soutiennent beaucoup plus que les plus de 55 ans)
Globalement, 53% de personne n’ont pas participé et ne participeront pas à la révolte, 13% ont participé, 29% n’ont pas participé mais soutiennent. 13%, c’est beaucoup malgré les apparences. La révolution française s’est faite avec bien moins de 13% de la population.
74% ont condamné l’utilisation de la force par les Berkout (la police spéciale) (alors que 88% des russes sondés en Russie l’ont soutenue !!!)
Le visage des manifestants au début et à la fin
http://tyzhden.ua/News/101543 et http://www.dif.org.ua/ua/events/gvkrlgkaeths.htm
- en gros, le visage en 3 mois a changé mais pas les exigences.
Au début (novembre/décembre), c’était plutôt des jeunes étudiants ou fraichement diplômés, 50/50 hommes/femmes. En février c’était à 88% des hommes, les bac+5 ont augmenté (27%vs22% au début), la part des entrepreneurs a augmenté (17% vs 12%), les cadres représentent 40%.
En décembre, il y avait surtout des habitants des grandes villes. En février, plutôt des moyennes et petites villes.
Pendant tout le long de ce qui est devenu une insurrection, 92% n’appartiennent à aucun parti, aucune association, aucun mouvement et donc sont arrivés à Kiev/ou venus à Maïdan seuls et à leur propre initiative. 54% sont ukrainophones, les autres russophones ou bilingues.
Pourquoi sont ils là ?
Au début, en opposition à l’abandon des accords avec l’UE (avant le 01.12). Après le 01.12, pour exprimer le mécontentement face à l’utilisation de la force par la police lors des événements du 01.12. (70% ont cité ceci comme 1ère raison), pour changer la situation en Ukraine (50%). Viennent à égalité en 3ème et 4ème raisons avec 45% : renégocier les accords européens, enfin, changer le pouvoir.
Le fait que le tout a commencé par une provocation est pratiquement certain. Les premiers affrontements, le 01.12, la prise d’assaut de l’administration du président a été lancé par des provocateurs : plusieurs témoignages parlent de groupes de personnes commençant à lancer des pavés sur la police et s’enfuir quand la police a répondu http://uk.wikipedia.org/wiki/%D0%9F%D0%BE%D0%B4%D1%96%D1%97_%D0%B1%D1%96%D0%BB%D1%8F_%D0%90%D0%B4%D0%BC%D1%96%D0%BD%D1%96%D1%81%D1%82%D1%80%D0%B0%D1%86%D1%96%D1%97_%D0%9F%D1%80%D0%B5%D0%B7%D0%B8%D0%B4%D0%B5%D0%BD%D1%82%D0%B0_%D0%A3%D0%BA%D1%80%D0%B0%D1%97%D0%BD%D0%B8_1_%D0%B3%D1%80%D1%83%D0%B4%D0%BD%D1%8F_2013_%D1%80%D0%BE%D0%BA%D1%83
Ou
http://gazeta.dt.ua/internal/bankova-1-grudnya-hronika-provokaciyi-_.html.
Un nom à retenir et à suivre - Корчинський – Korchynsky – au parcours très chaotique - d’abord ultranationaliste, ensuite pro Kutchma (ancien président très corrompu), anti-révolution orange et très pro Yanoukovitch et subitement pro Maidan en 2014. A été vu le 01.12 lors de l’assaut de l’administration, a nié, a été soupçonné d’avoir organisé les provocations ce jours là par les autorités, a été recherché à l’international (Interpol) (http://www.bbc.co.uk/ukrainian/news/2013/12/131215_korchynsky_interpol_ek.shtml), aurait été arrêté 05.02 en Israël, l’affaire le concernant aurait été envoyé en Israël et classée en Ukraine (http://www.unian.ua/politics/881761-lidera-bratstva-dmitra-korchinskogo-zatrimali-v-izrajili.html
Et http://vgolos.com.ua/news/provokatora_z_bankovoi_korchynskogo_zatrymaly_v_izraili_133744.html).
Pourquoi on parle de néonazisme ?
La mise en avant des éléments fascistes dans ces évènements vient du Kremlin et des relais pro russes. Ceci a été leur axe de communication dès le début et tout au long des évènements. Parcourrez les médias russes et vous ne verrez que ça – « fascistes et extrémistes », « extrémistes et fascistes », financés par l’ennemi numéro un – les Etats unis - ont organisé un putsch et ont pris en otage la population entière. Manipulation et propagande faisant face à celle des médias occidentaux et des politiques ici qui ne vaut pas mieux. C’est la bonne vieille tactique qui a toujours fait ses preuves : une majorité de russes sont persuadés qu’il s’agit d’un putsch qui ne représente personne et n’est soutenu par personne.
Mais cette idée a séduit les « alternativistes » en France et je peux le comprendre car de nombreux « signes » et « preuves » vus de l’extérieur ont semblé persuasifs. Enfin, à travers le prisme de l’histoire propre à la France d’autres étiquettes sont venus se greffer sur les « révolutionnaires » qui ont fini par être décrit « néonazi-antisémites ». Ça se comprend. Mais c’est faux.
Premièrement, les ultra-radicaux (c’est vrai et logique que ce soit les plus radicaux qui soient les plus actifs et donc entrainent le mouvement, c’est partout pareil) qui ont participé le plus activement au renversement du président Yanoukovitch : Pravyj Sektor, ou Right Secteur, sont un rassemblement hétéroclite de différents mouvements qui s’identifient à différents mouvements des résistants ukrainiens du 20ème siècle. Ces mouvements existaient indépendamment depuis plusieurs années et ne collaboraient pas ensembles. Ils se sont regroupés après les premiers affrontements entre la police et les manifestants, la nuit du 30.11 au 01.12 où la police a éjecté tous les manifestants de Maïdan. Si leurs idéologies (ultranationalistes) sont critiquables sur le plan éthique, ce nationalisme se limite dans la grande majorité à du patriotisme (il y a des tordus comme partout qui vont plus loin mais ne sont pas représentatifs). Ils sont hostiles à toute influence étrangère, quelle qu’elle soit. Se faire financer ou même dialoguer avec une force tierce n’est pas compatible avec leurs convictions. L’exemple de l’interview d’un des membres http://medialeaks.ru/features/pravyj-sektor-majdana/
Deuxièmement, leur radicalisme s’exprime surtout comme anti russe. Anti russe, comme vous (agoravoxiens) qui êtes pour la plupart anti-américain. Ils s’opposent, de façon radicale, à toute mainmise de la Russie sur l’Ukraine.
Enfin, le néonazisme tel que vous, les occidentaux, l’entendez - apologie du 3ème Reich et à son führer - n’existe quasiment pas en Ukraine. Les nostalgiques des divisions SS type Galicie sont aussi nombreux que ceux qui sont nostalgiques de la division SS Charlemagne en France. Je vous conseille à ce sujet la lecture de cet article du 3 octobre 2008 concernant cette période tragique (http://www.perspectives-ukrainiennes.org/article-23388617.html).
En tous cas le néonazisme n’est pas l’idéologie des parties ultranationalistes dont on parle, même des radicaux.
La thèse de néonazisme concernant les parties ultranationalistes vient du soutien et de l’admiration qu’ont ces derniers pour les résistants « controversés » ukrainiens pendant la 2ème guerre mondiale, le plus connu étant Bandera. D’un point de vu français il est impossible de dissocier la 2ème guerre de la Shoah, le collaborationnisme de la lâcheté. « Collaborer » en France, c’est au mieux avoir fermé les yeux pour protéger son petit confort par faiblesse ou par peur. Se rendre compte quelques années après qu’à cause de cette faiblesse des millions des juifs ont péri - est un grand traumatisme dont les générations suivantes auront du mal à s’en remettre des années après. Bien sur.
Mais c’est votre histoire.
La guerre au total a fait 46 millions de mort civils, 15 millions de civils des ex-pays soviétiques, 5 millions de civils ukrainiens, du point de vue des pays ex- soviétiques, le génocide des juifs est une brique et non l’événement central. Chacun raconte son histoire en fonction de son vécu. En Ukraine nous, on a aussi nos victimes, notre tragédie. Pendant la guerre mais aussi avant. La terreur semée par Staline, la déportation, les goulags, la famine organisée (Holodomor) et nos 6 millions de mort en 32-33 sont aussi un traumatisme pour les ukrainiens. Si l’Est de l’Ukraine est très russophone actuellement, c’est parce que (entre autre) les russes sont venus repeupler les régions les plus touchées par la famine.
Pour ces raisons, pour cette histoire qui nous est propre, le fait que Bandera a collaboré au début de la guerre avec les allemands (il a accueilli les allemands à bras ouvert quand le génocide des juifs n’existaient pas encore, alors que la famine organisée par Staline datait de 9 années seulement auparavant), en croyant voir en eux les libérateurs de l’Ukraine, ne fait pas mourir de honte les ukrainiens, ne donne pas envie de s’écraser sous terre, parce qu’elle ne fait pas de lui un petit lâche ou opportuniste qui pourchassait les juifs pour les envoyer à Auschwitz. C’était un moyen comme un autre de rendre l’Ukraine indépendante. Et justement, en voyant que l’indépendance de l’Ukraine ça ne faisait pas partie des projets des allemands, il s’est aussi opposé à eux. Toutefois les russes n’ont jamais digéré que des ukrainiens puissent voir en l’ennemi le libérateur. Bandera est devenu traitre pour l’éternité. Et dans l’URSS, Traitre égal fasciste, fasciste égale traitre.
Bref, quand on étudie bien l’histoire des années 20-30 en Ukraine, on comprend que l’apologie de l’idéologie aryenne du Nazisme est un non-sens.
Quant à la symbolique utilisée par tous ces mouvements ultranationalistes, là encore il faut sortir de son prisme et ses associations françaises. L’argument choc pour accuser « Svoboda » de néonazisme est son emblème dans les années 90, le Wolfsangel. Si, pour un français, il est indissociable du régime allemand dans son ensemble, ce symbole a été utilisé par quelques divisions SS, d’autres divisions avaient d’autres emblèmes et surtout ce symbole vient à la base des révoltes paysannes et signifie capture de ses ennemis tels des loups (le symbole a une forme de piège à loup). En Allemagne, ce symbole est encore présent dans la ville de Wolfsangel. Autant on peut discuter le caractère provocateur de ce symbole dans le parti Svoboda, autant le lier incontestablement à l’apologie du régime hitlérien – n’a pas de sens historique ou idéologique. Le mot führer veut toujours dire guide en allemand, Hitler n’est plus leur guide depuis longtemps.
Re-bref.
Il y a un gouffre entre la perception de ces mouvements en Ukraine et ici. Autant pour la compréhension du fond, que pour la compréhension de l’importance de ces partis/mouvements.
Si aujourd’hui les ukrainiens sont reconnaissants à Svoboda, ou Parvyj Sektor, c’est parce qu’ils ont participé le plus activement à la révolte. Ces organisations et partis sont ceux qui ont perdu le plus d’hommes dans les affrontements, ils ont donné du courage à l’ensemble du peuple d’affronter la police armée. Le soutien ne tient pas compte de leurs opinions. C’est par rapport à leur comportement, pas par rapport à leurs idées.
La méfiance des internautes « alternativistes » se comprend. La façon unilatérale des médias français de raconter l’histoire avec une ligne très bien délimitée entre les gentils et les méchants – est insupportable, l’intervention de BLH à Maïdan est lamentable et complètement à côté de la plaque. Les intérêts de l’Otan à mettre le chaos en Ukraine sont innombrables.
Mais selon ex conseiller de Poutine la Russie aussi a un fort intérêt que ça pète là bas.
Les USA reprochent à la Russie de faire de la propagande et déformer les faits, la Russie riposte – Il n’y en a pas un pour rattraper l’autre.
Ma conclusion serait celle-ci : ils sont tous pareil. Les ukrainiens ne sont que des pions des uns et des autres.
Si les partis « radicaux » ont un succès aujourd’hui, c’est avant tout parce que les risques de se vendre aux uns ou aux autres sont les moindres qu’avec les partis « modérés ». En tous les cas, ils ne sont pas plus grands.
On ne connait pas la suite, la plus probable est bien sûr que cette révolution se fasse récupérer par le plus malin, comme dans chaque révolution ou presque, mais sait-on jamais, peut-être ont ils fait un tout petit pas vers du mieux ?
J’ai du mal à comprendre, que tous ces internautes passent leurs journées à se lamenter de la manipulation, mouttonisation, du pillage des richesses mondiales par 1% des gens, mais quand un peuple se révolte parce qu’il en a ras le bol qu’on le vole, ces mêmes internautes crient à l’inadmissibilité de ce procédé et ne comprennent pas pourquoi les ukrainiens n’ont pas attendu patiemment encore deux ans pour élire démocratiquement un autre voleur…
64 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON