Le Drakkar : quelle responsabilité ?
L’histoire est rattrapée par l’actualité... le 23 octobre 1983, à 6 h 24, un camion fou chargé d’explosifs pénètre dans un camp gardé français et fait exploser un immeuble de 8 étages à Beyrouth dans le quartier de Ramlet El Baida. A quelques mètres de là, l’ambassade de l’Iran et les deux camps bondés de Sabra and Shatila qui ont été attaqués et massacrés en septembre 82 par les milices chrétiennes de l’Armée du Sud-Liban d’Elie Hobeika, soutenu par Ariel Sharon. Sharon laissera les portes du camp ouvertes. Et fermera les yeux sur les exactions, un véritable crime contre l’humanité. Hobeika deviendra lui ministre sous Rafiq Hariri fin 1992, avant d’être tué par un attentat en 2002. Le Liban est un étrange pays, où les massacreurs deviennent facilement ministres (ce n’est pas le seul : Ariel Sharon aussi a dirigé un Etat). Ce jour-là, c’est l’attentat de l’immeuble du Drakkar, le surnom donné par les militaires français à l’immeuble effondré. On dénombrera 58 victimes, broyées par les étages de béton qui leur sont tombés dessus après un attentat kamikaze. C’est la version officielle, celle donnée par Charles Hernu dès les jours qui suivent. Pour renforcer l’idée, on fait assez vite courir le bruit comme quoi des coups de feu ont été entendus juste avant, pour bien accréditer la thèse du kamikaze qu’on aurait tenté de dissuader. Parmi les rescapés, pas un pourtant pour se souvenir des échanges de coup de feu. pourquoi accrédite-t-on autant tout de suite l’histoire du seul kamikaze ? L’histoire semble s’être répétée avec le WTC... dix-huit ans plus tard. La même version officielle, les mêmes pressions gouvernementales. Camion ou avion, le procédé est le même : on a une catastrophe d’un côté et de l’autre deux versions, et donc nécessairement une vraie et une fausse. Laissons le site Reopen (sans Cotillard !) s’occuper du WTC, essayons de revenir ce 23 octobre 1983 à 6 h 20 du matin. Nous allons découvrir plus loin que l’on ne peut pas et qu’il ne faut pas en fait comparer les deux cas. Tout en rappelant le choc de l’actualité du jour, ce 14 juillet 2008 : la promotion de Coëtquidan 2008 qui défilait s’était choisie il y a plusieurs mois déjà le nom d’un des morts du Drakkar. La promotion de l’Ecole militaire interarmes (EMIA) de Coëtquidan portait en effet cette année comme nom de baptême celui du "Lieutenant de la Bâtie", mort écrasé dans d’atroces souffrances ce 23 octobre funeste. Il n’avait pas été tué sur le coup et avait mis des heures à rendre l’âme, non sans avoir passé ses dernières minutes à rassurer... ses hommes. Un mort exemplaire a donc défilé ce 14 juillet devant l’héritier direct (son fils) du commanditaire de son exécution, un paradoxe de plus de la politique française actuelle. L’homme avait déjà reçu un an à peine avant la croix de la valeur militaire... avec cette citation fort élogieuse "jeune chef de section dynamique et courageux, volontaire pour toutes les missions, s’est particulièrement illustré le 8 juin 1982 lors de la prise de Tyr par les forces israéliennes (sous les ordres du général Eitan "Rafoul". L’homme qui dirigeait les troupes à Chatila, connu pour ses opinions anti-arabes ; NDLR) . Au mépris du danger, a conduit son convoi lourd, destiné à porter secours aux populations de la ville, à travers la zone de combats, sous les tirs d’artillerie et de chars". "A mené ultérieurement avec succès plusieurs patrouilles destinées à rechercher et récupérer du matériel sur le champ de bataille. A fait preuve en toutes occasions d’une détermination et d’un courage exemplaire.” Un homme mort pour avoir donné sa vie à des civils, des réfugiés palestiniens, qui étaient de parfaits étrangers pour lui. Un exemple pour la nation, dans tous les sens du terme. Pour mémoire, le général Eitan dira un jour : "Il est impossible de faire la paix avec les Arabes. C’est une guerre de civilisations. Nous représentons une culture étrangère et je pense que l’Islam n’admettra jamais une présence étrangère, qui s’offre le luxe d’être indépendante et qui les gagne dans toutes les guerres. Ils n’accepteront jamais cela." Tout l’opposé d’un simple lieutenant français venu défendre la paix dans la région !

Dans une énorme explosion et un gigantesque champignon, deux minutes à peine avant, un autre immeuble s’était effondré : celui du contingent américain de l’US Battalion Landing Team, stationné sur l’aéroport de Beyrouth, tuant 241 marines. C’est plus que le nombre de morts américains de la guerre du Golfe ! (240 morts au combat). Là aussi, on incrimine à l’explosion d’une voiture piégée. Un homme que nous connaissons bien ici à Agoravox est déjà présent. C’est Ryan Crocker, actuel ambassadeur en Irak qui constate alors son échec : "It’s a hard thing to say, it’s a hard thing to accept, but we had lost. The situation would not have gotten any better. We would have had more dead Marines." Vingt ans après un dénommé Ben Laden lui rappellera âprement le départ des troupes américaines qui a suivi l’attentat : "American soldiers are ’paper tigers’", dit Osama Ben Laden à ABC News en 1998. “We have seen in the last decade the decline of the American government and the weakness of the American soldier who is ready to wage Cold Wars and unprepared to fight long wars. This was proven in Beirut when the Marines fled after two explosions.” Les marines et les soldats français quitteront en effet le Liban, le laissant aux mains des assassins du Hezbollah et des tirs israéliens. Selon les informations des deux côtés français et américains, les deux camions auraient été chargés d’1,4 tonne d’explosifs. Deux interrogations subsistent : peut-on effondrer un immeuble ainsi et comment peut-on faire pour coordonner à 3 minutes près deux kamikazes qui vont devoir sinuer entre les blocs de protection pour se faire sauter en bas de chaque immeuble ? Dans un site américain, l’histoire du camion Mercedes américain est bien expliquée, mais aussi une version ahurissante de l’attentat du Drakkar : le camionnette aurait franchi toutes les chicanes, puis foncé pile dans la descente du garage souterrain de l’immeuble, et seulement après avoir fait sauter sa charge de dynamite. Incroyable scénario, qui vaut bien un Boeing en plein virage heurter un gratte-ciel. Et pourtant... et pourtant... Les deux ne sont pas comparables.
Personne chez les troupes atteintes n’a la réponse à cet acte qui défie l’entendement. Le Jihad islamique la possède, lui : à peine l’attentat perpétré, il cite les noms de ses deux martyrs : Abu Mazen, 26 ans, pour l’aéroport, et Abu Sijaan, 24 ans pour le Drakkar. Ce qu’il y a d’étonnant, c’est que le premier à vouloir faire croire la version c’est lui. Et qu’il sonne bizarre : c’est le surnom de Mahmoud Abbas, dirigeant encore bien vivant de nos jours de l’autorité palestinienne... Car le Hamas, à l’époque, n’existe pas encore (il sera créé en 1987). Mais Abu Azen si, c’est l’un des dirigeants secrets de Septembre Noir, la branche dure du mouvement d’Arafat, celle du commando de Munich de 72. Il y a tout intérêt : la martyrologie sinistre du Hezbollah peut commencer, et cela lui permet d’éviter des explications qui pourraient embarrasser d’autres pays que le Liban. Les martyrs déchiquetés servent aussi d’écran de fumée. Rappelons que le tout premier attentat kamikaze n’avait pas visé Israël : c’était un attentat à Beyrouth des Iraniens... contre l’ambassade d’Irak en 1981. Une idée que s’est approprié après le Jihad islamique, branche chiite au nom générique regroupant plusieurs organisations, qui parle tout de suite de "martyrs". Quant à savoir d’où viennent ces idées déplorables et ineptes, Comme le dit justement Iyad Sarraj, psychiatre à Gaza "Ce qu’on apprend aux enfants dans les mosquées, à la télévision ou à l’école, c’est à mourir." Les enfants devenus des adultes, reste plus qu’à leur mettre en main les explosifs. Et pour cela, il y a deux fournisseurs. Les Syriens alaouites, une branche du chiisme et les Iraniens... chiites. Les premiers n’étant que les employés des seconds pour torpiller toute vélléité d’unité avec les sunnites ou les chrétiens dans le pays. Les alaouites, descendant des Phéniciens, suivent les préceptes de Muhammad Ibn Nusayr al-Namîri al-Abdi, que l’on peut voir comme une sorte de second Mahomet. Une secte, issue d’une autre, devenue religion (on n’y revient pas).
Quelques mois auparavant l’explosion, un dirigeant de la milice paramilitaire Amal, d’obédience chiite, le pro-syrien Nabih Berri, aujourd’hui devenu président du Parlement libanais, venait de convaincre le régime Syrien d’être son représentant au Liban, tout en proposant la même chose aux Iraniens, fournisseurs d’argent du Hezbollah. Il jouait sur les deux tableaux. Amal ("espoir" en arabe) est issu du mouvement de l’imam Musa Sadr (ou Sader), créateur du "Mouvement des dépossédés". Un mouvement fort de ses 300 000 réfugiés fabriqués par l’expansionnisme israélien au Sud-Liban dans les années 80. La CIA, qui a toujours en tête de le retourner, finance ses premiers allers-retours en Iran.“Berri was targeted for CIA recruitment and so were members of his militia… I think it’s safe to say we financed his early trips to Iran”, affirme Michael Pilgrim, ancien de la CIA. Coincé entre la CIA et les mollahs iraniens, et désireux de s’accorder les grâces des chiites libanais Berri laissera finalement filer des terroristes chiites qui commettent les premiers attentats contre des troupes américaines. La CIA s’est fait berner. En 1988, nouveau revirement, puisqu’il combattra brièvement le Hezbollah. Au Liban, rien n’est simple, un clanisme fait la loi dans le pays. Au gré des alliances de famille, on se fait la guerre ou la paix. Le 18 avril, l’ambassade américaine au Liban saute : 63 morts, dont 17 Américains. L’immeuble ravagé ressemble à celui d’Oklahoma. Un van Mercedes jaune volé à l’ambassade un an avant et rempli de 900 kg d’explosif a sauté devant le bâtiment. L’explosion du 23 octobre est elle attribuée par les Américains à Ayman al-Zawahiri, celui qui deviendra le second de Ben Laden, mais beaucoup l’attribuent au Hezbollah, à Mustapha Badredeen et surtout à l’âme damnée du mouvement... l’insaisissable Imad Mougnieh, responsable d’un nombre impressionnant d’attentats anti-israéliens, et de l’assassinat d’un de ses otages français, Michel Seurat. Les deux véhicules qui ont servi auraient bien été préparés dans la plaine de la Bekaa selon le livre d’Hala Jaber, sorti en 1997. L’homme qui donne l’information qui implique les Syriens, est plus que fiable, il continue à couvrir le conflit irakien de fort belle manière.
Quant à Imad Mougnieh, il sera tué cette année 2008, dans un attentat imputé au Mossad, le 14 février. On a piégé son 4x4 Mitsubishi Pajero de façon imparable : la charge est dans l’appui-tête de son siège ! Un exploit, tant l’homme avait déjoué pendant vingt ans toutes les tentatives d’atteinte à sa vie, changeant chaque jour de parcours ou de voiture. Les Américains l’accusaient aussi d’avoir tué en 1985 après l’avoir pris en otage, et torturé, le chef de la CIA dans les années 80, William Buckley. On ne retrouvera son corps que six ans après. Entre-temps, l’Iran avait reçu 508 missiles... d’Israël : c’était alors la politique reaganienne "des armes contre des otages". Buckley avait été tué avant même que négocie son envoyé Shackley avec Manucher Ghorbanifar, un vendeur d’armes iranien. Des armes contre la libération de quatre Américains pris en otage par le Hezbollah, justement. Ghorbanifar a toujours été suspecté de jouer double jeu pour le Mossad et d’être aussi l’informateur de Jean-Charles Marchiani, dans l’affaire des otages français. En 1996, la CIA aurait pu mettre la main sur Mougnieh : ce sont les Saoudiens qui s’y sont opposés. "We raised the level of appeals all the way through Bill Clinton who was on the phone at three in the morning appealing to [Saudi Crown Prince Abdullah] to grab him. Instead, the Saudis refused to let the plane land and it continued on to Damascus.” La Syrie jouait sur plusieurs tableaux, on l’a toujours su. Aujourd’hui, leurs avis divergent. On avait retrouvé le leader des milices chrétiennes en 2001, prêt à aider la CIA pour retrouver Mougnieh : "In the aftermath of September 11, Hobeika attempted to win American support by contacting the CIA to offer his help in locating and capturing Imad Mughniyah, the former head of special overseas operations for Hezbollah who is listed on the Bush administration’s most wanted terrorist list. Hobeika had collaborated with CIA operatives in Lebanon in the early 1980s and attended a training course at the CIA headquarters in Langley, Virginia in 1982. His services would have been a valuable asset in the hunt for Mughniyah. Hobeika owned one of the largest private security firms in Lebanon (in effect, a small militia made up of bodyguards with legally-registered weaponry and skilled intelligence operatives) that has a presence in the largely Shi’ite southern suburbs of Beirut - the most likely location of Mughniyah." Il n’en aura pas le temps : au Liban, les voitures sautent vite. Mais les renseignements de sa firme ont peut-être servi. Ceux d’un homme entraîné sur la base de Langley, où l’on enseigne beaucoup de choses. Mais où l’on n’échappe pas non plus à l’incurie.
Toujours est-il que si l’on désigne des coupables, ou des martyrs pour notre Drakkar, selon le côté qui fait l’annonce, ça n’explique pas comment un immeuble de 9 étages peut s’effondrer sur lui-même, comme celui des Américains, moins élevé (quatre étages), mais beaucoup plus étendu en surface. Et personne ne s’explique comment un véhicule de kamikaze aurait pu franchir aussi rapidement les barrages en terre et les chicanes de sacs de sable, et entrer dans un garage. Dans d’autres cas d’attentats, comme celui d’Oklahoma aux Etats-Unis, en 1995, où une camionnette certes plus lointaine bourrée de 2,3 tonnes de nitrate d’ammonium et nitrométhane (ou Kinestif), n’arrivera pas à abattre totalement le bâtiment, la face avant avec tous ses planchers étant néanmoins réduite en bouillie, provoquant 168 morts, dont 19 enfants. Très vite, au Liban, on doute de la version donnée par Charles Hernu, ministre de la Défense. Et pourtant... et pourtant...
Le 28 octobre 1984, le journal télévisé de Soir 3 s’ouvre sur une nouvelle qui ne surprend donc pas tant que ça : un père d’une des victimes du Drakkar conteste la version officielle et demande l’ouverture d"une enquête. Le journal télévisé appuie fortement sur la non-implication syrienne et l’opinion similaire de Charles Hernu, un peu trop d’ailleurs, à en créer le doute sur l’impartialité journalistique.... Qui ne semble pas une spécialité de la droite politique. Le Rainbow Warrior n’est pas encore là, qui en fera gober d’autres aussi aux Français à l’époque... avec dans le rôle du menteur obligé et assez mauvais comédien... ce même Charles Hernu. Un reportage réalisé plus tard tente d’échafauder une autre hypothèse. Celle de la possibilité du minage du bâtiment. Une théorie du complot avant l’heure. Jusqu’en 1982, ce bâtiment a en effet été occupé par les Brigades de la Défense de Rifaat el-Assad (le frère de Hafez El Assad, alors président de Syrie), aujourd’hui résidant en France. Un très, très étrange régiment composé uniquement de femmes, nommé officiellement "Fursan" (les cavalières) et surnommées partout "Les Panthères roses", des soldates aguerries, tuant les serpents à coup de dents dans une bien surprenante sinon risible vidéo de démonstration de leurs moyens devant le chef d’Etat syrien. Dans ce pays où tout le monde se surveille, et où Hafez El Hassad, ce chiite qui l’ a emporté sur son rival sunnite Amin al-Hafez, réprime durement toute velléité d’opposition comme celle des Frères musulmans, massacrés sauvagement en...1982. Rifaat el-Assad s’est fait connaître en effet assez tristement en février 1982 lorsque, à la tête de ses Brigades de défense, il a noyé dans le sang une révolte des Frères musulmans à Hama, au nord du pays. La répression y a fait entre 10 000 et 20 000 morts et le centre-ville a été rasé. Les massacres de Hama, en 1982, et ceux de la prison de Tadmour, en 1984 sont encore dans toutes les mémoires. Hafez el Hassad se méfiait-il autant que ça de son propre frère pour en arriver à prévoir de supprimer ses amazones à l’explosif en cas de vélléité de prise de pouvoir ? Peut-être bien : la garnison de "Panthères roses" est grotesque, copiée sur celle de Khadafi, et tous les militaires syriens la trouvent ridicule : Rifaat est proprement et simplement détesté par l’armée syrienne et ses dirigeants. Sa fortune, estimée à 3 milliards de dollars en 1987, ne lui suffit pas pour séduire tout le monde. Son neveu, qui a hérité du pouvoir, le laisse aujourd’hui fomenter ce qu’il veut, entre New York, Londres, la France ou sa luxueuse résidence de Marbella. Ou l’on croise aussi Monzer Al Kassar, trafiquant d’armes notoire et impliqué dans de bien sombres histoires. Marbella est en réalité rongée jusqu’à l’os par les pratiques de ses résidents fortunés.
La théorie du minage par l’armée syrienne du bâtiment avant l’arrivée des Français se tient jusqu’ici. Mais elle se heurte à une chose. Les conditions dans lesquelles les Français héritent du bâtiment. Quand les Français entrent dans l’immeuble en septembre 82, le bâtiment a donc été occupé au préalable par l’armée syrienne, et le Génie le nettoie et passe ses murs au peigne fin. Le bâtiment est en piteux état : il n’a plus de vitres, toutes explosées par les combats de la guerre civile depuis 1975 et l’eau courante n’y parvient pas. L’électricité est entièrement à refaire. Le bâtiment est donc sondé de partout, difficile ensuite de croire alors à l’effondrement contrôlé. Le premier travail des sapeurs ne sera pas intérieur, mais il sera de faire venir une pelle mécanique, pour remuer le sol devant l’immeuble, pour fabriquer des chicanes, car le bâtiment est au bord de la route, car on craint déjà les attentats kamikazes. La veille de l’explosion, un fax reçu dans le bâtiment prévient d’une éventualité d’attaque. Les contrôles sont donc renforcés. Le jour de l’attentat, un militaire est de garde sur le bâtiment. Il en réchappera... et deviendra totalement amnésique sur l’événement. Plus aucun souvenir de l’arrivée d’un camion fou. Des militaires blessés rapatriés en France reçoivent dans leur chambre d’hôtel d’étranges envoyés qui leur dictent ce qu’ils doivent dire : des tirs ont eu lieu sur le camion ou la camionnette avant qu’elle n’explose. On leur force visiblement le témoignage, surtout sur les échanges de tirs qui auraient pu avoir lieu. Retrouvés par des journalistes, leur témoignage est plus que troublant. Il est accablant. Au point que les autorités françaises s’en émeuvent... Vingt-deux ans après le 4 octobre 2005. Sous la houlette de François Léotard, des députés français réactivent une demande de 1989, la numéro n° 1039, pour "l’établissement d’une commission d’enquête sur l’attentat". Renvoyée à la "commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République", elle y est toujours. Sans suite aucune depuis.
On ne souhaite pas sortir, visiblement, de la version officielle de Charles Hernu. Pourquoi donc ? Le sujet est bien trop sulfureux, en fait, et ce n’est pas une théorie du complot. Soit le bâtiment a été miné, soit les militaires ont été trop légers dans sa défense ou sa surveillance. C’est la seconde la bonne. Un général en retraite, François Cann, présent au Drakkar en 1983, ébauche une très bonne explication, en effleurant au passage la responsabilité française sur place : "Au Liban, j’ai perdu plus de 80 paras dont 58 au Drakkar, non pas pour notre attitude locale, mais uniquement en raison de la situation internationale. A l’époque, la France avait deux contentieux avec l’Iran : le soutien à Saddam Hussein dans la guerre contre l’Irak et le règlement d’Eurodif (l’usine nucléaire installée à Tricastin, dans la Drôme, dont la construction avait été financée en partie par le régime du Shah, contre 10 % de la production. Le contrat ne fut pas appliqué après la Révolution.) Drakkar avait alors servi de facture pour l’Iran, par l’intermédiaire de son bras et de sa main au Liban, à savoir la Syrie et le Hezbollah." Pour lui, c’est clair : les Iraniens sont dans le coup, car c’est pour eux le moyen de rappeler les dettes françaises... Eurodif, c’est la centrale du Tricastin, celle qui vient de faire parler d’elle dans l’actualité. Les Iraniens du Shah en ont payé une partie... Les ayatollahs qui sont ses successeurs en souhaitent le remboursement. 58 soldats ont été massacrés pour un rappel de chèque impayé, et le fait que la France a marché visiblement sur les accords passés à une époque, signés par un président et deux Premiers ministres, un de gauche et un de droite, le même qui avait fait visiter les centrales nucléaires françaises à un dénommé Saddam Hussein. En 1986, Jacques Chirac redevient en effet Premier ministre, et déjà un an auparavant quatre otages libanais... ont été enlevés au Liban. Chirac obtiendra en 1988 leur libération au nez et à la barbe des négociateurs de François Mitterrand, bernés en beauté. Un coup de maître signé Roussin, Pasqua et Marchiani... en cheville directe avec le dirigeant du Hezbollah, le cheikh Zein, proche ami d’... Imad Mughnieh. On apprendra en 2002 par une indiscrétion de la DGSE qu’une rançon estimée à 3 millions de dollars aurait été remise. On reçoit aujourd’hui le fils du dictateur au pouvoir en 1983, on le condamne, mais on oublie que l’on a négocié avec l’auteur (fortement) présumé de l’attentat en 1988... sans que personne, à l’époque ne le sache. Sur le tarmac de Villacoublay, Pasqua clame un "la France n’a versé aucune rançon" avec un aplomb rare. Pour Eurodif, deux versements de 330 millions (du 7 novembre 1986 et décembre 1987) ont été faits... juste avant la libération des otages. Un accord parachevé le 29 décembre 1991 : l’Iran est alors pleinement rétabli dans son statut d’actionnaire d’Eurodif, dont celui de prélever 10 % de l’uranium enrichi (à des fins civiles).
Au final, il semble bien qu’il n’y ait pas de conditions similaires au WTC : le Drakkar a bien été effondré par une camionnette qui a réussi un coup assez imprévisible et passablement insensé, mais soigneusement préparé, et les militaires français ont maladroitement cherché à minimiser leur manque de préparation et de réponse face à une catastrophe d’une telle ampleur. En revanche, la préparation des deux véhicules destructeurs a bien été l’œuvre de services syriens. La France peut bien aujourd’hui en accuser seule l’Iran, car cela arrange ses bidons diplomatiques actuels. Les deux pays incriminés sont responsables, la Syrie n’ayant été que le bras armé des Iraniens. Jacques Chirac peut bien boycotter cette célébration pour faire croire à son refus de voir Bachar el-Assad. Son ami Rafic Hariri, Libano-Saoudien, a été exécuté par l’explosion de 1 800 kg de penthrite et d’hexogène. Largement suffisante pour abattre deux Drakkars. Un attentat dont est accusé un homme, récemment écarté du pouvoir syrien, et accusé aussi de ne pas avoir su suffisamment protéger... Mougnieh. Jacques Chirac peut bien jouer à l’homme intègre, mais cela prête à caution. Il habite toujours dans l’appartement parisien d’Hariri, alors que son ancien émissaire syrien, celui qui avait négocié avec le terroriste preneur d’otages et responsable de l’attentat du Drakkar, dort en prison à la Santé. Marchiani doit bien ruminer, en ce moment, lui qui a tant profité des largesses de la République. Comprenne qui pourra. Hafez el-Assad était réputé énigmatique et très adroit politiquement. C’est bien héréditaire : en évinçant Assef Shawkat, le grand patron des renseignements militaires, son héritier repousse d’autant l’enquête sur Hariri et vient se refaire une virginité un 14 juillet en France. En narguant au passage la moitié de l’armée française. Qui a d’autres chats à fouetter en ce moment. Les 58 soldats français attendront encore que leur pays cesse de les ignorer autant. Aujourd’hui, sur l’emplacement du Drakkar, il y a un immonde terrain vague. Et pas même une plaque commémorative. La France oublie ses fils qui sont morts pour une certaine idée de la paix et de la liberté dans le monde. Et le lieutenant de la Bâtie, héros véritable parti un jour "porter secours aux populations de la ville, à travers la zone de combats, sous les tirs d’artillerie et de chars". Israéliens, les chars. Il n’est peut-être pas inutile de le rappeler non plus, à ne diaboliser que la Syrie.
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