Mirages chinois : les pièges de l’énormité
La France serait trop petite, dit-on, pour avoir encore un avenir. C'est oublier qu'être énorme n'est pas un gage de succès.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH233/chine-10-62ccf.jpg)
Le commentaire d'un agoravocien contenant des affirmations souvent entendues sur la Chine me donne l'occasion d'éclairer plusieurs questions fondamentales au sujet de ce pays. Le commentaire original figure en gras.
En guise d'introduction, disons que, récemment, un professeur d’économie de l’université de Hong Hong, Larry Lang, a déclaré hors micro lors d’une tournée de conférences en Chine continentale que chaque province chinoise est une seconde Grèce et que l’économie chinoise, loin de croître, est dans une phase de récession...*
-S’il est vrai que les chinois crevaient de faim il y a quelques décennies, aujourd’hui, c’est le pays qui a réduit le plus la pauvreté de sa population.
Cela est exact, mais le fossé entre riches et moins riches s’élargit, au point que la Chine n’est pas loin de détenir le record des écarts de revenu. Il existe des fortunes scandaleuses dans ce pays. Et il faut voir que la richesse de la Chine, c’est la pauvreté croissante de l’Occident (plus de 40 pour cent de pauvres en Amérique, victime des délocalisations). Moins de pauvres en Chine, plus de pauvres ici. Et ne parlons pas de la manière scandaleuse dont la Chine spolie certains Etats du Sud, qu’elle abandonne à leur sort après avoir fait de bonnes affaires avec eux dès que l’oncle Sam s’y intéresse (songeons au cas de la Libye).
Le fait que la Chine achète des terres à l'étranger et y fait produire de la nourriture montre d'ailleurs que s'en est fini de l'autosuffisance alimentaire, tant vantée par les admirateurs du régime, de ce pays de un milliard trois cent millions d'habitants. Par conséquent, le spectre de nouvelles famines pourrait ne pas être si éloigné que cela dès lors que les récoltes mondiales chuteraient, que les pays du tiers-monde chasseraient les néocolonialistes venus de Pékin et qu'il serait impossible en Chine même de dé-bétonner les millions d'hectares de terres arables dévorés par la course à la lucrative modernité occidentale.
Par ailleurs, il faudrait s’entendre sur la définition d’un pauvre. Vu que le coût de la vie est relativement bas en Chine, il est possible d'y survivre avec un revenu d’une centaine d’euros. Or Dieu sait s’il y a, même dans les mégalopoles modernes comme Pékin ou Shanghaï, des Chinois qui vivent d'un salaire équivalant à cette somme ! L’année dernière, le salaire moyen d’un jeune diplômé dans une grande ville n’atteignait même pas 200 euros par mois ! Chez nous, ces personnes seraient des pauvres.
La Chine et sa caste dirigeante, au service d’une oligarchie enrichie dans le commerce international, ne peut se permettre d’augmenter réellement les salaires, car cela détruirait la compétitivité chinoise. Tous les discours sur l’élargissement de la demande intérieure, que l'on entend depuis plus de vingt ans tomber des lèvres des gérontocrates chinois, ne sont que du vent !
Un exemple bien plus intéressant et réconfortant de réduction de la pauvreté est celui du Vénézuéla d’Hugo Chavez, où la pauvreté a diminué de moitié depuis 1998, passant de plus de 50 % à 26 %. Dan ce pays d’Amérique latine riche en pétrole, on a de surcroît un essai de socialisme à visage humain, qui se traduit notamment par une extension impressionnante de la démocratie participative. La Chine, elle, offre le spectacle confondant d’une dictature oligarchique communiste alliée à un capitalisme sauvage.
- Il n’y a pas que des miséreux en Chine, la Chine fait une croissance à deux chiffres chaque année, sa classe moyenne se développe. Il y a aujourd’hui un milliard de téléphones portables en Chine.
Le vertige des chiffres ! Si l’on pouvait être une grande puissance par la seule force des chiffres (et de chiffres véridiques —on sait que sur ce plan-là, la Chine est loin d’être au-dessus de tout soupçon), la Chine serait sans nul doute la première dans tous les domaines, ou presque. Mais c’est oublier que la grandeur et la puissance ne sont pas que matérielles. Je dirais même que le quantifiable est relativement négligeable dans la vraie puissance, celle qui dure. Pensons à l’immense influence de la Grèce antique, au poids énorme d’Etats confettis comme Singapour ou le Qatar, à la Suisse, si proche de nous. Il ne manque pas d’exemples qui montrent que gros et grand ne sont pas synonymes de puissant et fort, et encore moins de rayonnant. Une population énorme est plus un obstacle qu’un atout (et une cause inévitable de guerre, comme l’a très bien vu Platon).
Or que pèse la Chine aujourd’hui dans le domaine de la culture ? Zéro gramme est la réponse, tant il est vrai que ce pays est à la remorque de l’Occident dans ce domaine (comme dans d’autres — on attend toujours un prix Nobel chinois dans les sciences dures) et qu'il est dépourvu de vitalité dans les arts de la civilisation. Quel est le poids culturel de la nébuleuse anglo-saxonne ? Des milliards de tonnes. Et je soutiens que c’est Hollywood qui rend puissants les Etats-Unis, plus que leurs missiles ou leurs fusées spatiales. Autrefois, les milliards de tonnes, c’était la France ; c’était la Grèce qui subjuguait les Romains, pourtant plus nombreux et mieux organisés.
Ce sont les idées qui mènent le monde, pas le nombre de portables !
- En conséquence, la Chine est le pays le plus optimiste et dans le monde ce sont les citoyens chinois qui sont les plus satisfaits de leur gouvernement.
Ce qui frappe quand on a une connaissance superficielle de la Chine, c’est en effet le dynamisme qui règne partout, accompagné de beaucoup de bruit et d'autres nuisances qui transforment la vie en une lente torture, et on ne peut s’empêcher de comparer ce dynamisme à la léthargie européenne. C’est le contraste saisissant entre une vieille Europe prostrée (dans la repentance notamment) et une Chine explosant de mouvement et d’activité qui donne lieu à des jugements hâtifs de grande forme spirituelle. En réalité, les Chinois sont tristes et maussades. Leur prétendu dynamisme est l’effet d’une énorme pression extérieure (démographique d’abord et économique ensuite) et non l’expression d’une saine vitalité. C’est d’hyperactivité morbide, souvent dépensée en pure perte — la qualité de ce que font les Chinois est déplorable —qu’il faudrait parler dans beaucoup de cas. Beaucoup d’agitation, certes productrice de gros chiffres de PIB, mais peu de belles oeuvres. Voyez la laideur immense, indescriptible des villes chinoises.
Les Chinois satisfaits de leur gouvernement ? Comment le savoir ? Peut-on croire les enquêtes menées par les médias qui sont entièrement aux ordres du pouvoir ? S’il ne fait aucun doute que les 10 pour cent de riches qui se promènent en limousine noire à vitres teintées et possèdent au moins deux ou trois appartements ont de bonnes raisons de soutenir le Parti communiste, la majorité des Chinois sont davantage résignés au régime communiste qu’ils ne l’approuvent. Beaucoup détestent foncièrement le gouvernement : paysans et citadins expropriés, intellectuels muselés, jeunes et moins jeunes arrêtés dans leurs ambitions par l’absence de liens avec la nomenklatura. Comment d’ailleurs, les Chinois pourraient-ils imaginer un autre régime ? Le fait est que, dans le plus grand pays du monde, il n’existe aucune vie politique, aucune participation populaire au gouvernement à quelque niveau que ce soit. Les grèves sont interdites, et les manifestations soumises à des autorisations officielles jamais accordées (sauf pour insulter la France : se souvenir des incidents consécutifs au chahut du flambeau olympique en 2008). Cela est fort triste pour un peuple si ancien qui devrait avoir dans ses gènes la sagesse nécessaire pour au moins un peu de démocratie.
- Un chinois des villes peut demander sa retraite à partir de 30 années de cotisations, sans condition d’âge.
55 ans pour les femmes et 60 pour les hommes. Les retraites, qui sont versées surtout aux employés et ouvriers dépendant de l’Etat, sont très modestes. Il n’existe aucun système de retraite dans les campagnes, où vit toujours plus de la moitié de la population. Les soins médicaux coûtent une fortune. Pour les jeunes, les études sont aussi très dispendieuses.
- Il y a 6 fois moins d’incarcérations en Chine qu’aux États-Unis.
C’est que la peine de mort, appliquée généreusement en Chine, dissuade beaucoup de délinquants potentiels. Et que la société chinoise se trouve dans un état de déliquescence moins avancé que la société américaine, ce qui est dû à la persistance du confucianisme et du culte de la famille. La Chine a eu la chance de ne pas être christianisée et a donc échappé au virus de l’individualisme. Comme l’a dit quelqu’un, le monde est plein d’idées chrétiennes devenues folles. Le monde entier ? Certes, à l'exception de la Chine...
En conclusion, je dirai que si la Chine usine du monde est bien vivante, la Chine spirituelle, vraiment civilisée, celle qui faisait l’envie et l’émerveillement des Occidentaux comme Marco Polo, ne s’est toujours pas éveillée. Face asiatique de l’Amérique**, la Chine, tant qu’elle n’aura pas renoué avec ses racines et aussi donné plus de libertés à son peuple, continuera de dormir à poings fermés. Et les millions de tonnes de réfrigérateurs et d'autres articles de la quincaillerie moderne qu’elle vomit de ses usines n’y changeront rien. On peut même penser que l'état abominable de l'environnement, les problèmes démographiques énormes et la rigidité cadavérique des institutions étatiques préparent à ce pays un avenir peu réjouissant.
**L’obtention d’un diplôme universitaire, dans quelque discipline que ce soit, est soumise en Chine à la réussite à un examen d’anglais plutôt exigeant !
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