Russie : retour vers le futur... ou vers le passé ?
Depuis 1991 et la disparition de l’URSS, et surtout pendant les années Eltsine, il était de bon ton, parmi les hommes politiques, les journalistes, les analystes et les observateurs, d’ironiser sur la situation de ce pays, sur son économie en ruine, sur son inflation stupéfiante, sur sa perte de prestige, sur son écroulement étatique, sur sa mafia et sa corruption, sur la chute sans fin de son Etat et de son armée.
Peu de personnes alors, à peine plus d’une poignée en France, ont suivi avec une attention humaine et un souci réel de la vie quotidienne et des souffrances de ce peuple de près de 143 millions de personnes à ce jour, l’évolution dramatique que ce pays gigantesque - le plus grand du monde en superficie - connaissait.
Aujourd’hui, les mêmes qui se moquaient de la Russie d’Eltsine se désintéressaient de son destin, niaient les sentiments d’humiliation et de rancune qui naissaient alors au sein de la population russe, sont stupéfaits de voir que, soudain pour eux, la Russie a retrouvé si vite une place « significative » à la fois dans les relations internationales et sur le marché économique mondial.
Et pourtant, la Russie est de nouveau là !
Historique d’une renaissance inattendue
Quand est intervenue la passation de pouvoir entre Eltsine et celui qui deviendra le président Poutine, un ex-officier du KGB, en 1999, au début en qualité de Premier ministre, puis en 2000, comme président de la Fédération, la majorité écrasante des observateurs estimaient que ce dernier ne pourrait que gérer la continuation du naufrage du pays sur tous les plans.
Cette opinion générale sur l’homme correspondait alors à un certain mépris pour le pays et son état d’ensemble du moment. Il semble manifeste, aujourd’hui, que les « évaluateurs » de Vladimir Poutine se soient très profondément trompés ou abusés eux-mêmes. Tant parmi ses partisans que parmi ses détracteurs, mais aussi chez ses interlocuteurs du monde entier, plus personne ne doute que l’homme soit résolu dans son action, intelligent dans ses tactiques, habile dans ses manoeuvres, fin stratège et excellent calculateur politique.
Il ne saurait être question de cacher aussi le revers de l’image et les travers que la réalité a avérés : Poutine est aussi un politicien ambitieux, dur, certainement peu regardant sur les méthodes utilisées - comme ses déclarations fracassantes sur les Tchétchènes l’ont prouvé - et d’un tempérament autocratique indéniable. Les questions de morale ne paraissent pas le tourmenter et son pragmatisme tant vanté pourrait aisément être vu comme confinant au cynisme.
Cela dit, il n’en reste pas moins que Poutine, avec ses qualités et ses défauts, a su utiliser, pour parvenir à ses objectifs politiques, les sentiments populaires profonds, les blessures psychologiques, les humiliations passées et, in fine, le nationalisme russe ainsi ravivé. Il a su, avec ces éléments, redresser l’Etat russe fédéral, relancer l’économie du pays et lui apporter une expansion annuelle honorable et, surtout, redonner confiance en lui-même à un peuple désemparé.
Mais, son bilan actuel ne s’arrête pas là, ni aux frontières internes de la Russie : il vient de lancer officiellement un programme ambitieux de réarmement, ce qui satisfait autant la fierté nationale retrouvée que cela apporte du travail à une classe ouvrière démoralisée ainsi qu’à des élites scientifiques jusqu’ici déclassées ; il a replacé la Russie au centre de grands processus diplomatiques, comme le dossier iranien l’a prouvé ; il l’a fait membre du G8 ; il a redonné à l’Etat russe, à un prix très modeste, le contrôle de secteurs économiques clés dont il a su faire des armes politiques efficaces, notamment le pétrole et le gaz naturel. Il met en oeuvre un vaste plan de soutien - surtout financier - à la natalité nationale, afin de tenter de mettre fin à la régression démographique engagée sous Eltsine.
En résumé, l’ancien petit officier méprisé du KGB a redonné à la Russie son statut mondial sur tous les plans et restauré un Etat, remis l’économie en marche avant et progresse à grands pas dans la restauration d’une armée moderne de haute technologie.
La question qui peut se poser maintenant est : que va-t-il faire de cette puissance recréée, quelle Russie veut-il bâtir et pour quels objectifs politiques ?
Une diplomatie habile mêlant intérêts communs et rapport de forces
Sans aucun doute, la Russie actuelle, avec son redémarrage économique, son réarmement massif, son action internationale, marque la fin de la première phase de l’action de Poutine. Il a, à ses yeux, récréé les instruments essentiels qui lui permettent, à lui et à son pays, de peser dorénavant dans les relations internationales et d’être respectés, voire craints.
Sa gestion des relations avec l’Ukraine, comme avec les républiques d’Asie centrale ou les Etats baltes issues de l’ex-URSS, témoignent d’une volonté nette d’hégémonie, mais aussi de tenace patience afin de saisir les situations opportunes. Sa politique avec l’Iran obéit avant tout aux intérêts qu’il estime être les siens et ceux de son pays. Sa manière de négocier avec l’Union européenne tout en tissant sa toile de relations économiques privilégiées avec plusieurs Etats des Balkans demandeurs de gaz, pétrole et d’électricité atteste que Poutine est un stratège rusé et patient, qui sait attendre son heure et agir à bon escient pour lui quand sonne l’heure de l’action.
Il vient de le montrer avec force dans le dossier, très symbolique à ses yeux, des déploiements de protection de missiles et de radars américains en Europe centrale. Sa proposition d’installation de ces équipements en Asie centrale, forçant les responsables américains à montrer à la face du monde - donc de son peuple, mais aussi de ceux, nombreux, qui craignent la suprématie américaine - que leurs objectifs réels n’étaient pas les buts annoncés, a été un coup de génie politique pour lui et son pays.
Il construit maintenant ses liens avec le président vénézuelien, Hugo Chavez, dont le pays dispose du meilleur pétrole au monde et de très larges réserves, se donnant ainsi un accès direct à l’Amérique du Sud et au bloc des Etats locaux opposés à l’administration Bush. Il entretient une relation prudente avec la Chine (qui a besoin des métaux et du pétrole du sous-sol russe pour assurer son développement) et l’Inde, et s’en fait des partenaires commerciaux, ce qui, à terme, pourrait signifier des « amis politiques ».
Pour en revenir à l’Europe, ce qui se passe dans les Balkans est instructif. La Russie négocie son pétrole et son gaz naturel, voire d’autres minerais, avec des pays membres de l’UE dans cette zone. Il paraît limpide que Poutine vise à faire d’une pierre deux coups fructueux : se rapprocher des pays de la région en les désolidarisant de l’UE tout en se procurant des réserves monétaires en euros.
Suite aux récentes négociations entre la Pologne et l’UE sur ses difficultés énergétiques, la Russie est à l’affût ici aussi pour renouer avec les pays européens de l’Est et du Centre, aussi membres de l’UE. Chacun aura noté que la Pologne, et pas seulement elle, pourrait en effet recevoir facilement du pétrole, russe ou autre (vénézuelien par exemple) par sa frontière orientale avec la Russie... La même remarque peut être faite pour les Etats baltes. On peut voir là les prémisses d’une stratégie « douce » de dislocation rampante de l’UE, basée sur un art consommé de création de communautés d’intérêts économiques et de l’usage du rapports de forces. Visiblement, l’ours russe sait faire patte de velours quand son intérêt l’exige... ou se dresser de toute sa taille imposante.
Ces faits tracent les contours d’axes politiques qu’il serait bien vain de ne pas vouloir voir, même s’il convient de ne pas verser dans une exagération des risques ou des dangers.
Retour vers le futur... ou vers le passé ?
Chacun se rappelle Retour vers le futur, titre d’un célèbre film de science-fiction. Il semble bien qu’aujourd’hui, en ce début de XXIe siècle, nous soyions témoins de modifications fondamentales des relations internationales nées après 1991 de la fin brutale des accords de Yalta et Potsdam.
La Chine, bien qu’Etat instable pour le moins, occupe une place importante pour le moment dans les rapports mondiaux. L’Inde tend à apparaître comme une force avec laquelle il faudra compter désormais. L’Amérique du Sud se réveille et prend conscience de sa force et de ses potentiels. L’Union Européenne, à force de s’élargir, semble être devenu un trop grand et lourd navire ingouvernable, en perte de vitesse depuis 2005.
La Russie a fait son retour sur la scène mondiale dans ce contexte. Personne ne peut pour l’heure connaître ses buts précis, mais les faits en cours permettent aux personnes attentives de s’en faire une idée d’ensemble.
Assistons-nous à un retour vers le futur ou vers le passé ? Telle est la question que pose ce retour en force de la Russie, avec le président qui la dirige.
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