Zimbabwe : nouvelle mise au point sur la réalité de ce qui se passe
Il n’y a pas si longtemps, j’éprouvais le besoin de faire une mise au point sur les faits tellement ils étaient déformés concernant les problèmes au Zimbabwe. Force est de constater que bien qu’il n’y ait pas eu de modification fondamentale, il est nécessaire une nouvelle fois de remettre certains faits en perspectives.
Avant de vous lancer dans le texte, je vous demande de bien noter que je ne défends ni Mugabe et sa politique, ni Tsvangirai et sa méthode.
J’attaque pourtant quelque chose, et ce quelque chose c’est cette façon éternelle de hurler avec les loups simplement parce qu’ils hurlent et de condamner quelqu’un sans discernement. Je sais que c’est une habitude française, et je dis ça en pensant à Dreyfus et au fameux J’accuse d’Emile Zola.
Notez bien que je ne compare pas Mugabe à Dreyfus, mais que je compare les méthodes de lynchage médiatiques qui font appel au mensonge, à la déformation grave de la vérité et à la désinformation insidieuse par une rédaction tendancieuse.
Enfin, le dernier chapitre de l’article donne des éléments pour aider à la compréhension d’une situation politique très complexe.
Les éléments principaux de ces derniers jours ne sont pas très marquants. Il y a bien entendu toujours le recomptage des bulletins depuis maintenant près d’un mois et l’affaire du bateau chinois "bourré d’armes" à destination du Zimbabwe.
Il y a également les différentes déclarations de Tsvangirai qui me fait tourner la tête tellement cela va dans tous les sens. Et il y a également les arrestations faites par la police du Zimbabwe dont je n’arrive pas à savoir s’il s’agit d’intox de l’opposition, d’actions policières standard en réponse à des troubles de l’ordre public ou d’une véritable tentative amorale de Mugabe pour affaiblir l’opposition ou peut-être d’un mélange des trois.
LE RECOMPTAGE DES BULLETINS
C’est clair, c’est long. C’est beaucoup trop long. Et je dis cela non pas à propos du temps technique nécessaire, mais parce que la période d’attente est une période de tension.
Il a fallu presque trois semaines pour le recomptage des 23 circonscriptions des élections législatives par la ZEC (Zimbabwe Electoral Commission). En fait, il est vrai que la ZEC avait déjà le décompte de trois élections simultanées à faire : les locales, les législatives et les présidentielles. Avec parfois des discussions délicates entre les différents partis pour savoir interpréter si tel bulletin était nul ou non en fonction de son état. Ah oui, parce qu’il faut dire que toutes les opérations de comptage de la ZEC, de la première jusqu’au dernier recomptage doivent se faire en présence des différents partis avec un représentant de chaque candidat, et parfois des observateurs étrangers. Ce que la plupart des Européens semblent ignorer ou veulent faire semblant d’ignorer.
La procédure est que chaque recomptage doit se faire sur place pour ne pas déplacer les différents candidats et représentants. Et c’est une organisation très lourde.
Et pendant tout ce temps, l’opposition et le reste du monde, à commencer par tous les pays occidentaux, y compris et surtout la presse, se sont largement exprimés de façon indignée en hurlant à la manipulation électorale sur les trucages anti-démocratiques anti-droits de l’homme et ainsi de suite de Mugabe qui allait falsifier les bulletins.
Au bout de ces presque quatre semaines, la ZEC publie les résultats officiels et confirme que l’opposition a gagné les législatives avec un seul siège qui a changé par le recomptage.
Je n’ai lu nulle part dans la presse que ceux qui hurlaient à la manipulation aient fait amende honorable. Et j’appelle cela du déni de démocratie : et si j’ai bien compris leur intention, ils voulaient interdire au candidat Mugabe un recomptage suite à des soupçons de fraude parce qu’il risquait d’y en avoir d’autres ?
Reste encore qu’au bout d’un mois les résultats des présidentielles ne sont toujours pas officiellement publiés, sachant que l’enjeu n’est pas de savoir si Mugabe est deuxième ou premier (car il est de façon presque certaine en deuxième position), mais si Tsvangirai a gagné dès le premier tour par plus de 50 % ou s’il n’a pas la majorité absolue et doit se soumettre à un second tour.
Le Zimbabwe n’a pas encore battu le délai pour un résultat d’élections présidentielles, puisque avec les Etats-Unis (Georges Bush junior), la plaisanterie du recomptage et des différents juges et commissions a duré un mois et six jours et, en plus, un recomptage sérieux et serein fait a posteriori a montré qu’ils avaient désigné le mauvais président. Bravo pour la "démocratie" à l’américaine...
LE BATEAU CHINOIS "BOURRE" D’ARMES
Alors, là, ce sont tous les records de désinformation imaginables qui ont été battus avec comme base la peur du public pour les armes. Et quand je dis tous les records, cela va au-delà, car cela a été fait à base d’insinuations autant que de mensonges ou de contrevérités évidentes.
Les faits sont pourtant simples : un cargo chinois, le An Yue Jiang, transporte régulièrement des produits entre la Chine et l’Afrique. Il transporte en tout 36 containers, dont 4 sont des armes et munitions à destination du Zimbabwe pour 77 tonnes. Ce n’est pas la première fois, et cela ne sera pas la dernière, compte tenu du fait que les forces de l’ordre et surtout l’armée et les gardes des parcs nationaux (en particulier contre les braconniers qui viennent massacrer les éléphants et les rhinocéros) sont équipés en AK47 et que les munitions chinoises sont parmi les moins chères. Et cela, quelle que soit la couleur du prochain président ou du prochain gouvernement.
Le transport n’était d’ailleurs pas camouflé et était indiqué ouvertement sur les manifestes de transport.
La désinformation est à tous les niveaux. France soir, par exemple, publie un article le 21 avril en indiquant que "selon certaines sources" (comme c’est pratique...), cette livraison correspondait à une commande faite par le gouvernement deux jours après les élections, ce qui placerait le vieux cargo qui peut pousser au max à 15 nœuds et tourne autour de 11 en moyenne à plus de 30 nœuds, sans compter que les usines d’armement sont à Chongqing, à l’intérieur des terres à six jours de YangTze de Shanghai...
Reuters fait aussi dans le genre, et publie une photo d’AK47 qui ne me semblent pas de fabrication chinoise et ne vient de toute façon pas des containers en cause, puisqu’ils sont restés fermés et plombés.
Le contenu de ces containers est présenté également d’une façon très orientée. Ainsi, on confond les AK47 avec les munitions pour l’AK47 et on joue sur le chiffre de 3 millions de cartouches en laissant penser qu’une telle quantité est énorme et injustifiable pour une commande de routine.
En fait, 3 millions de cartouches, ce n’est pas tellement : en France, la seule police nationale a obligation de tirer un minimum de 8 millions de cartouches par an pour l’entraînement (50 cartouches par an pour chacun des 160 000 fonctionnaires). Et on ne compte pas les polices municipales, la gendarmerie ou l’armée plus généralement...
Le reste des armes sont des mortiers et des roquettes qui sont plutôt destinées aux armées qu’à la police. En tout cas, si vous connaissez des commissariats qui ont une dotation en mortiers et en roquettes, prévenez-nous, ce serait une première !
J’ai souvent lu également que l’on parlait de l’attitude plus ou moins cynique des Chinois qui "violeraient" l’embargo sur les armes prononcé contre le Zimbabwe. Il n’y a pas d’embargo sur les armes contre le Zimbabwe. Tiens, je le répète tellement j’ai vu cela écrit souvent : il n’y a PAS d’embargo sur les armes contre le Zimbabwe.
Les Etats-Unis et la GB l’ont demandé récemment, alors que ce sont clairement des ennemis jurés du Zimbabwe (d’ailleurs, les Etats-Unis ont même créé une loi qui s’appelle "The Zimbabwe Democracy and Economic Recovery Act"), mais il n’y a aucun embargo prononcé.
Et les Américains font croire qu’ils ont fait renoncer les Chinois à la livraison de ces containers. En fait, c’est faux, car c’est la Banque centrale d’Allemagne qui les a fait fuir par une manœuvre bien faite, mais moyennement morale : ils ont envoyé un juge sud-africain saisir le bateau chinois transportant des marchandises pour le compte de l’Etat du Zimbabwe sous le prétexte d’une dette de 45 millions d’euros d’un prêt non remboursé par la Zimbabwe Iron & Steel (société appartenant à l’Etat du Zimbabwe) qui a fait faillite.
Devant l’imbroglio juridique qui se dessinait qui ne la concernait pas, la compagnie propriétaire du cargo, la COSCO est repartie dans les eaux internationales. La COSCO va essayer de livrer les containers dans un autre port ou, sinon, les rapporter à l’entreprise qui a envoyé les marchandises, chose qui s’est faite de façon presque routinière dans les ports européens à l’époque où il y avait des quotas dépassés, par exemple, sur le textile (mécanisme bizarre qui est que le quota pouvait être déclaré atteint alors que la marchandise était payée et en cours de livraison cargo).
La Banque centrale d’Allemagne a eu le temps de faire cela grâce aux dockers sud-africains (ITF) qui ont fait grève de déchargement de ces armes à destination du Zimbabwe. Et quand on sait le pouvoir des dockers qui peuvent bloquer un port... (cf. Marseille), la question de savoir si c’est légal ou non a peu d’importance.
LES DECLARATIONS DE TSVANGIRAI
Je ne vais pas commenter toutes les déclarations de Tsvangirai, parce que je ne vais pas non plus éplucher celles de Mugabe. Je vous invite simplement à lire celles de l’un et de l’autre avec recul et de vérifier par vous-même leur cohérence dans le temps en votre âme et conscience. Moi, cela me donne le tournis et je n’y comprends pas grand-chose : il doit y avoir des informations que j’ignore totalement, ce n’est pas explicable autrement.
Cela dit, je vais tout de même commenter la dernière qui me paraît totalement surréaliste :
Le résultat des législatives donne 99 sièges au MDC de Tsvangirai, 10 sièges à la faction dissidente du MDC dirigé par Mutambara et 101 au Zanu-PF de Mugabe. Donc le MDC avec ses deux composantes a la majorité au Parlement.
Tsvangirai en conclut que Mugabe doit se retirer des présidentielles puisqu’il a perdu les législatives et que, de toute façon, il n’ira pas au second tour.
Cela, c’est effectivement une attitude anti-démocratique : les élections législatives servent à désigner les parlementaires et les présidentielles à désigner le président. C’est la règle, c’est la loi. Et la démocratie, c’est aussi l’état de droit et le respect de la loi par tout le monde...
Je me suis demandé pourquoi Tsvangirai insiste tellement pour dire qu’il a gagné au premier tour et gesticule autant en disant qu’il n’ira pas au second tour alors que c’est d’habitude plutôt un homme posé. En fait, je crois que contrairement à ce qu’il affiche, il n’est pas du tout certain de gagner un second tour des présidentielles.
Au premier tour, les estimations de Tsvangirai lui-même, basées sur une partie des bureaux de vote, lui donnent un résultat de 50,4 %. Celles d’observateurs (estimations organismes de sondage et presse comme pour nos élections françaises) lui donneraient 49,4 % contre 42 % pour Mugabe et autour de 7 % pour Makoni, un dissident ex-ZanuPF et ancien ministre de l’Economie de Mugabe. Note : ce ne sont pas des résultats, mais des estimations des uns et des autres.
Un deuxième tour ne serait pas du tout gagné pour Tsvangirai, surtout qu’il a beaucoup bougé ces derniers temps pour que l’Occident (dont la GB qui le finance) mette la pression contre Mugabe, ce qui peut lui faire perdre des points par une réaction de fierté nationale, surtout que cette pression est souvent confondue avec des actions contre le Zimbabwe où de gens meurent de faim à cause de ces actions. Pourtant, il est très probable que le deuxième tour ait lieu.
Du côté du ZanuPF, des courants intenses parcourent le parti. Certains sont farouchement contre Tsvangirai, et il semblerait que ce soit plus la peur de ne pas rester une nation indépendante, mais un protectorat qui ne dit pas son nom sous domination américano-britanique qui justifie leur position.
Personnellement, je n’en suis pas du tout certain, mais les peurs sont personnelles et ne se commandent pas.
D’autres courants importants sont pour le départ de Mugabe, tout simplement parce que sa présence est clairement incompatible avec la fin des sanctions économiques des pays occidentaux, du FMI et de la Banque mondiale, et que, sans cette levée, le Zimbabwe n’en sortira pas.
D’après les rumeurs, Mugabe serait prêt à partir et tout abandonner, mais voudrait qu’on lui foute la paix après son départ et qu’on le laisse terminer sa vie (il a 84 ans) tranquille dans son coin, ce que l’Occident n’a pas l’air de vouloir accepter. Au lendemain des élections, il était d’ailleurs prêt, mais le courant des anti-Tsvangirai a fait son siège pour le pousser jusqu’au bout du processus démocratique et du second tour en espérant que quelque chose se passerait.
QUELS SCENARII ?
Le plus probable est un second tour, avec un accord secret passé entre Mugabe et Tsvangirai qui permettrait à Mugabe de se retirer de la vie publique sans remous (il suffit de faire traîner juridiquement les choses pendant moins d’une vingtaine d’années). Il semblerait que Tsvangirai soit désormais assez favorable à une solution de ce type avec des variantes alors que, pour lui, il n’en était pas question au lendemain des élections.
Un autre scénario pourrait être également un désistement de Mugabe, avant la désignation des candidats du deuxième tour, et donc un face-à-face entre Tsvangirai et Makoni, qui du coup bénéficierait probablement de la quasi-totalité des reports de voix de Mugabe et aurait de bonnes chances de gagner en rassemblant l’ensemble du ZanuPF et une bonne partie du pays. Rien ne vient étayer cette solution, mais cette possibilité va certainement peser (ou pèse peut-être déjà) dans les tractations entre ZanuPF et MDC.
Le scénario de la prise de pouvoir par la violence et de l’établissement d’une dictature est de très faible probabilité, malgré la façon dont tout l’Occident et le MDC agitent l’épouvantail. Les raisons de cette faible probabilité sont diverses et, au premier chef, le haut niveau d’éducation au Zimbabwe et la compréhension de tous (y compris Mugabe lui-même) que ce serait une des pires solutions pour le pays et ses habitants. Mais rien ne peut être exclu et, par exemple, une situation où Makoni viendrait en lice pour le deuxième tour et où la GB et les Etats-Unis déclareraient qu’ils ne veulent que Tsvangirai quel que soit le résultat des urnes serait une situation de tous les dangers.
Bref, comme vous le voyez, les choses sont très complexes, et je vous supplie d’arrêter de répéter n’importe quoi sans avoir tenté au moins de réfléchir un minimum avec un peu de recul à partir de faits recoupés, vérifiés et confirmés.
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