« Ils » font et défont les princes
L’affaire Douste-Blazy et le rôle des médias dans la vie politique.
Le journal Le Monde publie dans son édition du 28 avril un long article qui remet en cause les compétences de Philippe Douste-Blazy en tant que ministre des affaires étrangères. Il ne s’agit pas là de politique, mais plutôt d’un jugement sur les capacités personnelles de l’homme. L’article va même jusqu’à mettre en scène ses disputes conjugales pour tirer argument et qualifier le personnage. L’ensemble est d’une extrême sévérité. A l’évidence, vu le poids de la charge, il y a peu de chances que l’homme politique s’en relève. J’ai, pour ma part, une opinion sur cet homme depuis fort longtemps, et il ne me semble pas que les bruits de couloirs qui nous sont aujourd’hui susurrés à l’oreille, me soient utiles à quoi que ce soit. Le vide des discours publics de l’homme politique depuis plus de dix ans me suffisait, et me suffit encore pour savoir que penser de lui. Il est d’ailleurs à regretter que l’acuité du regard politique du journal Le Monde n’ait pas contribué à cette prise de conscience plus tôt. Je m’arrêterai là sur le sujet, car je crois inutile de m’en prendre nominativement aux compétences individuelles et collectives de ce journal, le débat public mérite mieux que cette médiocrité-là.
Quoi qu’il en soit, cette saillie est une première en la matière, et cela n’a rien d’anodin. Il n’est pas inutile de rappeler qu’il s’agit là d’un ministre en exercice, qui occupe, qui plus est, un poste éminemment sensible. Cela en dit long sur la crise de confiance et d’autorité politique au sommet de l’Etat. En annexe, on peut aussi rappeler que Douste-Blazy ne passe pas pour être un affidé du " sarkosysme triomphant ", mais qu’il est plutôt un égaré en " chiraquisme déclinant ". Une question... perfide... digne d’un journaliste à sensation... pourrait alors être posée : les journalistes du Monde auraient-ils trouvé absolument nécessaire de nous faire part de leur soudaine découverte, s’il s’était avéré que cet homme appartenait au camp des gagnants plutôt qu’à celui des vaincus ? Mais là aussi, laissons de côté mesquineries et médiocrité. L’essentiel n’est pas là. Cette anecdote est surtout une illustration du problème que pose à notre société le pouvoir grandissant des médias au sein de l’organisation de la vie politique. A un an d’une échéance politique cruciale, cela prend un relief particulier. La cristallisation médiatique sur les personnes de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal est un problème éminemment politique pour tous ceux qui ne pensent pas (et ils sont majoritaires, malgré les faux-semblants des sondages), que l’enjeu de cette élection puisse se résumer à ce que les médias en font. Il faut leur résister. Ceux qui se contentent de penser que passent les sondages, et que viendra bientôt le temps serein du choix démocratique, se font bien des illusions sur la progression vertigineuse du pouvoir de corruption du virus médiatique.
L’expression " Liberté, égalité, fraternité " n’est pas issue du brainstorming d’une équipe de conseillers en communication, mais d’une révolution sanglante. Les enjeux de la politique ne peuvent se résumer en une succession de slogans publicitaires et la démocratie mérite mieux que d’avoir à choisir entre un caudillo en devenir ou la reine d’un bal, tombée du ciel, en un jour et par hasard, sous les sunlights médiatiques. Cette reine, une fois élue, ne pourrait avoir d’autre rôle que celui assigné par ceux qui l’auront faite reine. De même, ou plutôt à l’inverse, ces médias, une fois le caudillo en place, auraient enfin un rôle à leur mesure : servir du mieux possible... la soupe... amère ! Le fait que l’on puisse se poser le problème en ces termes, montre à l’évidence que c’est l’idée même de démocratie qui est en jeu aujourd’hui. L’ordre social et politique dans lequel nous vivons est un héritage, un lourd héritage, fruit de l’histoire des hommes, de leurs guerres, de leurs rêves et de leurs compromis. La principale caractéristique et la force du système dont nous avons hérité au sortir de la deuxième guerre mondiale résidait dans une séparation efficace des pouvoirs politique, économique, judiciaire et autres. Force est de constater que ces principes sont mis à mal aujourd’hui parce que la logique marchande est en train de submerger l’ensemble de l’espace public. La place prise par le 4e pouvoir, le pouvoir informationnel, doit nous conduire à nous interroger sur les règles du jeu politique. L’OMC a admis le principe de l’exception culturelle. Réévaluons donc la place des entreprises de communication politique à travers ce prisme. La liberté de dire des uns ne peut conduire à la confiscation de la parole des autres. Le commerce des idées ne peut être régi par les mêmes lois que celui des pommes de terre.
Nous vivons une ère " de pensée unique ", et les médias en sont les principaux vecteurs. Leur discours complaisant sur le thème de la liberté d’expression n’est que l’aimable cache-sexe de leur réalité, qui n’est autre que celle d’une course effrénée à la concurrence. Un journaliste n’existe qu’en référence à un autre journaliste, et les médias dans leur ensemble, qu’à travers ceux qui leur font le mieux la courte-échelle dans la course au soleil... médiatique. Ils disent tous la même chose en même temps, quitte à proférer ensemble exactement l’inverse le lendemain. Ils ne nous disent que ce qui les sert, ils ne servent que ceux qui leur rapportent, en un mot, ils sont toujours du côté du plus fort. La démocratie " sondagiaire " est l’immense bras de levier de " leur " pouvoir grandissant. A travers les sondages, ils font et défont les princes. Cent fois, mille fois, des millions et des milliards de fois, ils ânonnent " Sarkozy ". Ils posent les questions et commentent les réponses. Ils sont, à la fois, juges et parties. A travers des sondages de plus en plus réducteurs, ils confisquent le débat public.
L’espace démocratique appartient à tous et c’est, bien évidemment, une immense difficulté que de le faire vivre. Pour réussir à y exercer une autorité, il faut y acquérir une légitimité. Mais lorsque le mot légitimité ne veut plus rien dire d’autre que de savoir se rendre visible, autrement dit, de savoir se vendre, il n’y a plus de place pour les idées. La dictature des sondages vide petit à petit la vie politique de toute forme de contenu.
Comment faire vivre un questionnement sur le pouvoir des médias lorsqu’on est tributaire de ces même médias pour dire ? Comment prendre la parole, lorsqu’elle est volée ? Ce sera sans doute un long combat. Peut-être pourrait-on commencer en faisant... un sondage... un immense sondage, en d’autres termes une pétition... ou mieux, un référendum ? Ce serait un sondage sur les sondages. La question serait formulée de la manière la plus neutre qui soit... bien évidemment, car il ne peut être question de tenter d’influencer la personne sondée à travers une formulation qui induirait la réponse qu’on souhaite. Je propose donc de formuler la question ainsi : " Êtes-vous pour ou contre la dictature des sondages ? ".
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