Les logiques du coeur et de l’excellence
Eric Zemmour a de nouveau frappé samedi soir chez Laurent Ruquier ! Grand Corps Malade était sa nouvelle cible et une personne du public s’est invitée. En effet, alors que Zemmour le descendait en flèche, un garçon au discours des plus démagogiques et moralisateurs s’est empressé de défendre la victime, sorte de mélange entre l’argument ad hominem et la phrase bien connue "T’es pas de la banlieue donc tu connais pas". Les sophismes ont triomphé le temps d’un intermède pas peu singulier dans le paysage audiovisuel, les applaudissements ne se sont bien sûr pas fait attendre - entrons dans le culte des ignorants, de la pseudo-tolérance et surtout du "ne me critiquez pas, j’ai tous les droits". Cette scène est le parfait exemple des dérives du sentimentalisme, de la critique et de l’excellence.
Tout semblait aller dans le meilleur des mondes. Abd Al Malik recevait des éloges de la part du journaliste du Figaro, aucune animosité particulière entre les invités jusqu’à ce que Grand Corps Malade arrive sur le plateau. Ce fut le moment pour Zemmour d’expliquer pourquoi il n’aimait pas ses textes.
E. Zemmour : "Je vous trouve très sympathique évidemment. Mais j’ai lu vos textes et là, je vous avoue que je suis tombé de l’armoire. C’est un ramassis de rimes pauvres, mais vraiment désespérant. Dans le fond, c’est une espèce de dissertation d’un adolescent de 4e avec le sentimentalisme qui va avec."
G.C.M. : "J’ai eu la fierté d’avoir énormément de témoignages de profs de français qui m’ont dit qu’ils avaient utilisé mes textes pour les étudier."
E. Zemmour : "Cela prouve bien que le niveau s’effondre à l’école !. "
S’ensuit une défense de la part de Ruquier et une autre critique de Zemmour ("La forme entraine le fond, c’est bien-pensant, c’est Tout va très bien Madame la Marquise") pour arriver à l’intervention d’un type avec un chapeau.
Ce n’est pas très compréhensible mais en somme il dit qu’ "il y a des milliers de jeunes qui se sont mis à écrire en entendant la voix de Grand Corps Malade (...) et déjà j’ai le coeur qui bat à la triple croche, au bord de la crise cardiaque (...) il y aurait encore plein de choses à dire car ces messieurs ont réussis à mettre le sourire aux jeunes (...) ces textes c’est nous-mêmes (...) nous on écrit nos poèmes avec des mots faciles et pas beaucoup de vocabulaire (...) vous on ne sait pas d’où vous venez mais c’est sûr vous n’avez jamais travaillé en banlieue, vous n’avez jamais travaillé avec des jeunes de 17-18 ans analphabètes et illetrés, et pourtant quand ils entendent des chansons comme ça ils ont envie de réaimer les mots, les signes, peut-être même des livres que vous lisez"...
Le public jouit à l’élan du coeur plus qu’une voiture après être passée à la pompe à essence ! Au nom du n’importe quoi les codes sont bouleversés, au nom de la marginalisation tout est permis, on nage en plein délire.
Ce qui s’est passé samedi soir n’est pas le fruit du hasard. On peut s’étonner de différentes réactions.
Tout d’abord la critique. En quoi critiquer est-il néfaste ? Eric zemmour n’a pas aimé, c’est son droit le plus strict de le dire, et surtout de l’argumenter. Pourquoi devrait-il y avoir un veto sur la critique négative ? On peut "critiquer" seulement pour dire un avis positif, mais malheur à celui qui osera ne pas être d’accord.
Là où on nous sert du sentimentalisme, on reproche d’analyser avec raison. La logique des sentiments n’est que le voile de la raison.
Grand Corps Malade, on aime ou on aime pas. Se baser sur les textes n’est peut-être pas la méthode la plus objective pour parler d’un artiste en général mais cela n’en reste pas moins révélateur. Encore une fois, on ne s’en tient pas qu’aux sensations provoquées pour juger, cela en fait partie mais on se base aussi sur des critères objectifs. Il faut bien avouer que derrière une musique à faire pleurer le premier venu, un texte ne se grandit pas.
Là où il y a un problème, c’est quand on voit ce genre de lieux communs analysés à l’école ou mis sur un même pied d’égalité. Tout ne se vaut pas. Rimbaud n’égale par Marc Lévy autant que Mozart - pour grossir le trait - n’égale pas Bénabar. C’est ce que l’ont voudrait parfois nous faire croire au nom d’une certaine tolérance dévoyée. On ne joue pas dans la même cour, ce qui n’empêche pas pourtant d’aimer, là est un autre débat : celui des goûts. Et quand bien même je pense que "chacun ses goûts" est la réponse la plus absurde qui soit dans un débat, il ne serait pas vain de revenir aux fondamentaux, non pour glorifier le passé et attaquer le présent mais pour avoir une assise sur laquelle juger. Le monde évolue certes, mais pour écrire il faut toujours avoir une bonne syntaxe et pour chanter, avoir une bonne justesse...aussi surprenant que cela puisse paraitre, ce n’est plus tant que le cas !
La religion du coeur emboite encore souvent le pas, justifiant de façon ultime n’importe quel livre ou disque car "ça m’a touché au plus profond de mon être" ou "c’est écrit, chanté avec le coeur". Si certains s’avèrent être leur but dès le départ, ce n’est pas non plus une généralité.
Le discours de ce jeune garçon chez Ruquier est dans la même lignée, avec en plus le culot moralisateur et l’arrogance démagogique. Parce que j’ai travaillé avec des jeunes de banlieues, j’ai tous les droits et toutes les raisons de ne pas avoir tort. On se range systématiquement du côté de la victime, elle qui a toutes les vertus. Mais comme l’a très bien dit Zemmour ,qui par ailleurs connait bien la banlieue pour y avoir vécu, vivre ou non dans le 16ème arrondissement n’empêche pas de critiquer. Le monopole du terrain est un leurre.
Puisque Grand Corps Malade - ou d’autres - n’est pas une plume incontournable, arrêtons de le mettre au panthéon des artistes, et surtout des exemples à montrer.
On peut se demander dans ces circonstances où se trouvent les limites de la critique et de l’excellence. En prônant les sentiments comme seuls justificatifs à une critique ou une action -politique ou non, on a de quoi s’inquiéter face à la pertinence culturelle et à l’enseignement donné aux jeunes. Si les médias n’y sont absolument pas étrangers, il faut aussi que le rôle de l’éducation reprenne sa place. L’éducation fait la culture et la culture amène à ne pas raisonner qu’en termes de sentiments et de tout vaut tout. La critique ne serait plus si intolérée, et, les fondamentaux repensés, le premier slameur venu n’aurait pas droit à une étude en classe.
L’avenir n’appartient pas au nivelage par le bas.
Alain Finkielkraut disait très justement : "Ce qui menace la culture en France et dans les autres pays occidentaux aujourd’hui, c’est l’indifférenciation : le remplacement de la Beauté et de la Vérité comme valeurs suprêmes par le principe en apparence tolérant mais en réalité mortel du "tout se vaut."
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