La fabrique d’une menace nouvelle : Facebook licencie !
Les mass-médias nous mettaient en garde, à l’instar du Parisien [1] hier midi, contre le réseau social Facebook avec des formules explicites : "De nombreux salariés peuvent commencer à trembler derrière leur écran" "Méfiance désormais pour tous les salariés d’avoir l’outrecuidance d’utiliser Facebook pour s’exprimer . Les salariés doivent extrêmement faire attention à ce qu’ils disent de manière humoristique ou pas » "
De la même manière, le JDD reprenait finalement l’idée dominante exprimée dans l’ensemble des médias en titrant directement : " Licenciés à cause de Facebook. "[2] On pourrait continuer à faire l’inventaire du traitement faits par les médias de masse, et remarquer que la manière d’aborder, de poser le " problème " est similaire. En effet, le schéma adopté est, à peu près, celui qui met en avant une menace nouvelle, à la liberté d’expression, d’un nouveau réseau social, dont il faudrait aujourd’hui se méfier. Aussi, les questions posées, se contentent de traiter la surface d’un problème dont les points centraux sont évacués par la condamnation unanime de Facebook.
Or, et c’est bien là tout le problème, un élément central est évoqué, sans pour autant qu’ils soit développé de la même manière qu’on inculpe, trop hâtivement, et surtout univoquement, le réseau social en question. Mais désigner Facebook,et seulement Facebook, permet de ne pas entrer dans la réalité du contenant des problèmes sociaux, qui, à l’inverse d’être sans arrêt inventés (à des fins sensationnalistes et spectaculaires), et donc présentés comme "nouveaux", ne sont malheureusement , en vérité, que des manifestations différentes de phénomènes qui perdurent, et parfois se dégradent.
Un élément révélateur du travail moderne.
Prenons l’"affaire" en question. Les salariés ont été licenciés, non pas parce que Facebook a transmis des informations, ni parce que le patron a surveillé ses employés puis a porté plainte. Il a fallu qu’un intermédiaire (et pas n’importe lequel) copie les messages, et les rapportent à la direction. Qui était cet intermédiaire ? Un agent infiltré de Facebook ? Non, il s’agit simplement d’un autre salarié de l’entreprise. Information, qui a été évoquée par des médias, mais qui n’a pas fait l’objet d’interrogation, de réflexion, le sujet ayant basculé vers les thématiques du "vous êtes surveillés " (ce dont personne n’est au courant ! ).
Pourtant, voilà un point abordé, qui devrait questionner certains aspects du monde du travail contemporain. Mais cela amènerait à se poser des vrais questions, quant à la dégradation des solidarités au sein même du lieu de travail, dans lequel la compétitivité des entreprises, en quête de rentabilité maximum, a fini en compétition entre les salariés. Or, cette mise en compétition n’est pas l’oeuvre, ni du Saint Esprit -ni de Facebook d’ailleurs- mais bien de la manière dont on a organisé, et on continue d’organiser le travail ("flux tendu", "zéro stock", zéro défaut", qui individualise les salariés, et accroît réellement pour le coup, la surveillance et le contrôle...). La concurrence entre les salariés, en plus d’être accentuée par un contexte de chômage massif, est encouragée par des dispositifs concrets : primes de production, primes de qualité, espérance de promotion... , sans parler des contrats de travail (type intérim, contrats étudiants etc.).
Il faut par conséquent, faire ce travail de re-contextualisation, pour nous rendre compte que Facebook -au centre du débat aujourd’hui- n’est qu’un épiphénomène, et ne joue qu’un rôle mineur, comparées aux véritables causes, non-nommées. Cette logique néo-libérale, qui crée volontairement une situation de vulnérabilité, d’instabilité, et donc de concurrence sur le marché de l’emploi, a bien plus à voir avec le licenciement de salariés que Facebook. Même si, Facebook a joué un rôle, on remarque qu’en dépit d’une situation pourtant révélatrice (comment ne pas réfléchir sur cette dénonciation de salariés par un autre salarié ?), cette absence de réflexion profonde, amène à penser qu’il s’agit d’un non-problème.
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