En congédiant Aymeric Chauprade, Hervé Morin, ministre de la Défense, aurait-il instauré un délit de révisionnisme à l’encontre des théories alternatives sur les attentats du 11 septembre ?
Aymeric Chauprade, géopoliticien renommé chargé de cours au collège interarmées de défense, vient d’être débarqué par le ministre de la défense suite à un article du Point qui l’accuse de « déformer l’histoire du 11 septembre » dans son récent ouvrage consacré au choc des civilisations.
Le motif invoqué pour la sanction met en évidence une prise de position très claire du ministre de la défense à l’encontre des théories alternatives sur les attentats du 11 septembre 2001. Le ministre parle notamment de « relents inacceptables » s’agissant de la thèse d’un « complot israélo-américain imaginaire visant à la conquête du monde ».
Il est cependant troublant de constater, à la lecture de son chapitre, que Chauprade ne fait qu’exposer l’existence de théories alternatives réfutant l’histoire officielle du 11 septembre et généralement qualifiées de conspirationnistes. Il n’apparaît nulle part qu’il les cautionne, gardant à l’évidence une distance à leur égard.
L’anathème révisionniste
Ce qui paraît très étonnant, c’est cet usage très ciblé de termes habituellement réservés aux affaires de négationnisme et d’antisémitisme. On se souvient que Thierry Meyssan avait déjà été taxé de révisionniste lors de la sortie de son ouvrage « L’effroyable imposture » relatif au 11 septembre. Est-ce à dire que désormais, tout ce qui touche aux attentats du 11 septembre relève d’un registre historiographique assimilable à celui de la Shoah ? Une telle instrumentalisation paraît non seulement déplacée, eu égard à la mémoire collective, mais politiquement périlleuse.
Israël définitivement intouchable ?
N’est-il pas étonnant qu’on puisse admettre des centaines de complots plus ou moins fantaisistes pourvu qu’ils ne touchent pas Israël ? D’une manière générale, toute hypothèse ou jugement, aussi délirants soient-ils, mettant en cause les Israéliens, à tort ou à raison, doivent-ils être qualifiés d’antisémites ? N’est-il pas tout aussi antisémite de faire porter aux Arabes la responsabilité du 11 septembre ? Un complot en valant un autre, selon le point de vue géopolitique adopté, il est à craindre que ce genre d’instrumentalisation plombe sérieusement toute tentative d’analyse, et Chauprade semble en faire aujourd’hui les frais.
Un phénomène sociétal mondialisé
La question se pose : Chauprade devait-il ou non évoquer ces théories alternatives ? La réponse semble s’imposer d’elle-même : si l’on tape « 9/11 » sur Google.fr, il en résulte 133 millions de pages (contre 153 millions sur Google.uk) dont la grande majorité appartiennent à des sites réfutant l’histoire telle qu’elle est officiellement admise par les pouvoirs politiques, les médias et l’opinion publique. Il s’agit par conséquent d’un phénomène non négligeable, de dimension mondiale, à travers lequel s’expriment des millions de personnes plus ou moins bien intentionnées et qui influencent des millions d’internautes, jeunes et moins jeunes, de manière durable et avec des conséquences sociétales difficiles à évaluer.
Ainsi Chauprade évoque un phénomène à caractère géopolitique qui va s’amplifiant sur Internet et qu’il serait stupide d’ignorer, alors même qu’il peut avoir une influence directe sur l’analyse du choc des civilisations, qui est le thème de son ouvrage.
Or n’est-ce pas le rôle d’un chercheur en sciences humaines et sociales que d’observer ce genre de réalités ? Et ne serait-ce pas celui des journalistes que de s’en préoccuper ? On peut ainsi légitimement se demander pourquoi si peu d’entre eux s’intéressent au phénomène, en dehors d’Eric Laurent au demeurant peu contesté par ses pairs, et d’un improbable mais courageux article dans le Nouvel Obs.
Le retour du grand inquisiteur ?
Finalement cette affaire soulève bien des questions : Chauprade porte-t-il atteinte au renom de l’institution militaire en déclarant qu’il ne peut se prononcer sur la « thèse officielle » ? Jean Guisnel peut-il légitimement condamner Chauprade pour l’usage de ce terme, lequel se réfère au rapport de la commission américaine sur les attentats du 11 septembre ? Aux yeux de Guisnel, ce terme signe t-il l’aveu d’une croyance hérétique en d’autres vérités (interdites), et fait-il de Chauprade le suppôt des conspirationnistes ? Pour Hervé Morin, la « thèse officielle » est-elle raison d’Etat ? Les néoconservateurs américains, Bush, Runsfeld et consors sont-il à ce point dignes de confiance qu’un rapport suffise à entériner l’Histoire ? Quid de la liberté de l’information, et de l’indépendance des chercheurs ?
Des questions sans réponses
N’importe quel analyste, journaliste ou scientifique intellectuellement honnête et indépendant peut hésiter à se prononcer sur cette « thèse officielle ». Les raisons et arguments ne manquent pas, si ce n’est l’absence de preuves formelles ou « les mensonges et les silences » que dénoncent Eric Laurent lequel pose de sérieuses questions sans pouvoir y répondre.
Ce n’est donc pas en jetant l’anathème ou en feignant d’ignorer ce phénomène, que ministres et journalistes « bien pensants » empêcheront la rumeur d’enfler, bien au contraire. On s’étonne même qu’un professionnel comme Jean Guisnel, qui accuse Chauprade de partialité, puisse être aussi complaisant à l’égard des conclusions de l’enquête soit disant scientifique de l’Institut officiel de normalisation américain, lesquelles reposent essentiellement sur des avis d’experts et des simulations informatiques. L’abus du terme scientifique relève ici du faux argument d’autorité. Si on ajoute à cela les mots piégés (relents), la diabolisation, les amalgames, l’insinuation, Jean Guisnel est pris en flagrant délit de propagande, et son article ressemble à s’y méprendre à une opération de déstabilisation.
« La vérité est ailleurs » (X-Files)
Les vérités officielles permettent généralement de contrôler les opinions publiques en attendant que le temps long de l’Histoire fasse son oeuvre. On peut d’ailleurs comprendre que l’intérêt supérieur des états consiste à adopter ce principe de raison suffisante, au nom de la paix sociale et de la sécurité. N’est-ce pas le rôle de la diplomatie que d’accommoder les mensonges et les silences au profit de la stabilité géopolitique ?
Mais c’est compter sans Internet, sans la société et ses autoroutes de l’information, sans l’intelligence et l’éducation collective de millions de personnes qui peuvent aujourd’hui exercer leur compétences aussi bien au travail que durant leurs loisirs. Grâce à Internet, l’expertise n’a ni horaires ni frontières et de fait, une expertise en valant une autre, nul ne s’étonnera que les peuples puissent être de plus en plus réticents à digérer à la demande toutes les « thèses officielles ».
L’inéluctable conclusion
En définitive, le « crime » de Chauprade n’est-il pas d’avoir ouvert une boite de Pandore ? De fait, sur l’affaire du 11 septembre, on n’échappera pas, sous peine de voir grossir encore les rangs des conspirationnistes de tous poils, à la création d’une commission d’enquête indépendante. Composée de chercheurs, journalistes et experts, sa mission sera non pas d’établir une vérité improbable, mais de statuer sur la capacité d’Internet à informer ou désinformer l’opinion au regard des éléments factuels disponibles tant du côté de la thèse officielle, que de celui des thèses alternatives ou dites conspirationnistes. Nul chercheur, expert ou journaliste honnête, quelle que soit son opinion sur la question, ne pourra réfuter une telle démarche, à commencer par Jean Guisnel et Aymeric Chauprade. L’enjeu est considérable, à commencer par l’éducation de nos enfants.