De quoi l’écotaxe est-elle le nom ?
Alors que la contestation fait rage en bretagne au sujet de l'écotaxe poids lourds, il nous semblait nécessaire de revenir sur la nature de cette nouvelle taxe censée responsabiliser les transporteurs en matière d'émission de gaz à effet de serre...

La "taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises", ou écotaxe poids lourds -qui devait initialement entrer en vigueur le 1er janvier prochain, a de nouveau été reportée sine die par le gouvernement. Cette taxe, adoptée lors du Grenelle de l'Environnement de 2007, devait inciter les transporteurs à privilégier à la route des modes de transport moins polluants tels que les voies ferroviaires et fluviales pour l'acheminement des marchandises. Elle devait en outre rapporter 1,2 milliard d’euros par an au bénéfice des collectivités locales et à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) et devait officiellement financer des projets de transports alternatifs.
Présentée ainsi, l'écotaxe peut apparaître comme une bonne mesure. Il semblerait en effet cohérent avec les objectifs du Protocole de Kyoto ratifié par le France d'appliquer le principe du pollueur-payeur à tous ces camions qui participent de manière non négligeable, nous dit-on, au réchauffement climatique de notre planète.
Cependant, le principe de responsabilisation par le recours au levier fiscal des agents émetteurs de gaz à effet de serre (GES) a toujours suscité en moi une certaine perplexité. Cette apparente évidence selon laquelle fiscalité et écologie faisaient bon ménage trouvait face à elle une autre évidence, bien plus "naïve" celle-ci : l'environnement, jusqu'à preuve du contraire, ne subsiste pas grâce à l'argent, et ne peut pas se "racheter" lui-même auprès des grands groupes industriels qui le pillent et/ou le dévastent, pas plus qu'il ne peut se payer un médecin pour panser ses plaies béantes.
Derrière la trivialité de cette remarque, c'est bien le principe du pollueur-payeur qui m'interroge. Ne constitue-t-il pas, en définitive, un moyen de financiariser les préoccupations environnementales ?
Le principe pollueur-payeur (PPP), ou comment faire de l’environnement une marchandise comme une autre.
Consacré à l’article L 110-1 du code de l'environnement, selon lequel « les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur », le principe du pollueur-payeur est inspiré d’une doctrine économique développée par l’économiste britannique Arthur Cecil Pigou et selon laquelle ce que l’on appelle les « externalités négatives » (comme la pollution) doivent-être « internalisées » par les acteurs économiques.
La notion d’externalité a été introduite en 1932 par Pigou pour désigner les coûts (externalité négative) ou les bénéfices (externalité positive) non pris en compte par le marché, et donc non monétarisés. Pigou la définit comme « un effet de l’action d’un agent économique sur un autre qui s’exerce en dehors du marché » (Crozet, 1997). Internaliser une externalité revient donc purement et simplement à donner une valeur marchande à ce qui n’en avait pas auparavant. Ainsi, ce que l’on nomme aujourd’hui la « Finance Carbone » recouvre l’ensemble des dispositifs mis en place par le Protocole de Kyoto visant à faire des gaz à effet de serre (GES) un bien négociable (vendable).
Dans cette perspective, nous dit Jean Untermaier, ancien président de France Nature Environnement (FNE), le principe du pollueur-payeur (PPP) « s’analyse, fondamentalement, comme un principe d’intégration financière des préoccupations environnementales » (Untermayer, 2005).
Plus concrètement, l’objectif de la régulation environnementale via le PPP est ainsi d'internaliser les coûts provoqués par la pollution dans le prix du produit. Sur le papier, ce principe est censé inciter les consommateurs à consommer en plus faible quantité les produits ainsi surtaxés et les entreprises à moins en produire, car elles en tirent moins de bénéfices. Il s’agit donc officiellement de modifier par l’incitation fiscale le comportement des acteurs économiques en vue de réduire les émissions de GES. Qu’en est-il en réalité ?
L’écotaxe, mesure législative au service de l’environnement ?
A la différence des « normes environnementales », qui définissent par exemple des seuils d’émissions de GES à ne pas dépasser, la « fiscalité énergétique » -dont relève l’écotaxe, impose quant à elle ces mêmes émissions. Ainsi, la fiscalité offre-t-elle une flexibilité permettant aux acteurs économiques de contourner le caractère contraignant des normes environnementales. En effet, contrairement à la norme d’émission, la taxe (par unité de pollution) laisse un choix à l’entreprise réglementée : elle peut décider de maintenir le niveau de ses émissions en raison de la faible élasticité de son activité.
Et de fait, les acteurs économiques visés par l’écotaxe prévu par le Grenelle de l’environnement, à savoir les transporteurs de marchandises, ne possèdent pas pour la majorité l’élasticité nécessaire à la modification de leurs comportements. Le surcoût sera donc automatiquement répercuté sur le consommateur.
Or, pour que ce dernier puisse renoncer à consommer les produits surtaxés (et pour quel impact économique ?), encore faudrait-il qu’il ait à disposition des produits équivalents et en quantité suffisante qui soient acheminés par voie non-routière et bien identifiables comme tels. Autant dire que le consommateur lambda n’aura d’autre choix que de subir de plein fouet les augmentations tarifaires impliquées par cette nouvelle taxe énergétique.
De plus, les marchandises concernées étant de nouveau imposées via la TVA lors de leur revente au grand public (à hauteur de 19.6% sur la valeur ajoutée par les distributeurs), l’Etat se voit percevoir une double entrée d’argent : via l’écotaxe elle-même, puis via la TVA.
Dans cette perspective, l’écotaxe vise d’avantage à faire payer les « pollueurs » (comprendre ici le consommateur) qu’à véritablement influencer les comportements des acteurs économiques (notamment les industriels) en matière d’émission de GES, là où précisément la norme cherche à modifier les comportements et non à percevoir des recettes.
Ou bricolage économique au service d’intérêts privés ?
Aussi, en définitive, si ce n’est pas à l’environnement, nous sommes en droit de nous demander à qui profite cette mesure ? Celle-ci est censée rapporter à l’Etat près de 760 millions d’euros (1.2 milliards moins les coûts de mise en œuvre). Ces 760 millions devront à leur tour être reversés en partie aux collectivités (160 millions) et pour une autre part à Ecomouv SAS, l’entreprise privée ayant obtenu le partenariat avec l’Etat pour cette mise en œuvre (soit environ 250 millions d’euros). Il ne resterait donc théoriquement que 350 millions d’euros de « bénéfices » pour le trésor public, autant dire une goutte d’eau comparativement au déficit actuel. La remarque est valable pour les collectivités.
Aussi donc reste-t-il cette fameuse (fumeuse ?) filiale de la société d'autoroutes italienne Autostrade spécialement créée pour ce projet et nommée pour l’occasion « Ecomouv ». Cette société privée entend dégager -si on pose comme recettes prévisionnelles les 1,2 milliards d’euros estimés et le reversement à l’Etat de 760 millions d’euros, 440 millions d’euros par an de profits, durant les 13 années du contrat, soit un total de 5 720 millions d’euros au terme de celui-ci (s’il n’est pas renouvelé).
En guise de conclusion…
De quoi l'écotaxe est-elle donc le nom ?
Au regard de ce qui vient d'être précisé, il semblerait que les motivations à l'origine cette taxe relèvent plus de l'économique que de l'écologique...
Les "défenseurs" de la cause environnementale qui nous gouvernent devraient comprendre que si l’écologie politique passe nécessairement par l’économie, ce n’est pas par celle telle qu’elle est aujourd’hui communément comprise (à savoir l’économie financiarisée), mais telle qu’elle était comprise à son origine : du grec ancien oikonomía (« gestion de la maison »), formé des mots oîkos (« maison ») et nómos (« loi »), le terme économie renvoyait avant tout à la norme et au Droit, et par là à une certaine conception de la justice et de la morale.
Dans cette perspective, l’écologie politique devrait être à la fois normative et transformatrice : normative par l’édiction de normes environnementales contraignantes et transformatrice par la transformation progressive par ces mêmes normes du comportement des acteurs économiques, les grands groupes industriels en tête.
A la différence de la norme, la fiscalité est flexible, contournable, et même, nous l’avons vu, détournable par des intérêts peu compatibles avec celui de l’environnement. Or, la question environnementale, si elle peut être détournée, n’est précisément ni flexible ni contournable, elle.
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