Eoliennes attrape-nigauds
Quelques jours après une quasi rupture sur le réseau électrique breton, l’énergie éolienne aurait pourtant le vent en poupe. Yann Artus-Bertrand nous pousse à une petite remise à niveau.

L’année 2009 ne s’achèvera pas sans que cette vérité dérangeante ne soit proclamée : l’éolien va nous sauver. Les attendus du sommet de Copenhague restent vagues. Le froid automnal manque de déstabiliser un réseau électrique français caractérisé par le prix unique et l’héritage d’un monopole longtemps incarné par l’opérateur EdF (Rosé angevin et réseau européen). Dans des régions excentrées et dépendantes de centrales lointaines, chacun a craint une rupture. Celle-ci menace toujours les Bretons, les Provençaux ou les Niçois.
Le Monde dresse un bilan assez sombre pour les premiers d’entre eux. L’hydroélectricité installée dans la presqu’île couvre moins de 10 % des besoins, entre la centrale de la Rance et les petits barrages de l’Argoät. Vers le sud, la centrale thermique de Cordemais produit à partir de l’estuaire de la Loire (département de la Loire-Atlantique). Vers le nord, les réacteurs nucléaires de Flamanville sont implantés sur le littoral occidental du Cotentin (département de la Manche). Les élus bretons manifestent néanmoins un urgent désir d’attendre, se défaussant sur l’Etat, toujours coupable à l’heure de la décentralisation. Mais comme demain est un autre jour, tous affirment en chœur des changements à venir. Pour le mois de janvier, en revanche, on ne pourra empêcher les sautes d’humeur potentielles du réseau. Les Bretons rongeront leur frein.
L’énergie éolienne va nous sauver.
Une perspective s’ouvre aux yeux ébahis du lecteur, même si un retour en arrière n’est pas inutile. Au début du mois de décembre, une tribune du Monde est passée inaperçue. L’énergie du vent la bienfaisante nous place dans la perspective la plus favorable pour comprendre tous les bienfaits à attendre des éoliennes. Les auteurs commencent par associer le sommet mondial sur le climat avec la situation du Danemark. De très nombreuses éoliennes équipent en effet le pays, avec une capacité installée en 2008 de 3.160 MW [source]. A titre de comparaison, la centrale nucléaire normande de Flamanville affiche une puissance de 2.600 MW. Au Danemark, les centrales brûlant du charbon, du pétrole ou du gaz naturel fournissent 80 % des besoins du pays en électricité [source].
Mais les éoliennes danoises assurant 20 % de la production font tomber en pâmoison nos chroniqueurs d’un jour. « Copenhague, capitale du Danemark, est tournée vers la mer et vers un parc de 20 éoliennes implantées à quelques kilomètres du littoral et propriété collective de milliers de Danois. Le ballet des éoliennes rythme le paysage comme celui des navires, à deux pas de la Résidence royale. » Les éoliennes ne servent pas seulement à rendre les Danois moins dépendants des énergies fossiles, mais elles les rendent fiers et heureux [1]. Les éoliennes ne déparent pas les paysages baltiques. Au Danemark tout est beau, alors qu’en France les entrées de ville sont « toutes uniformes et hymnes à la consommation » [sic]. Que les Français imitent donc les Danois ! De toutes façons, les paysages gardent les traces d’activités passées. Comme les terrils d’hier, les éoliennes doivent démontrer que la France a elle aussi pris rendez-vous avec la modernité. Evidemment, Pierre Bachelet a fait chanter les Français... « Au nord, c’étaient les corrons, la terre c’était le charbon. Le ciel c’était l’horizon. Les hommes, des mineurs de fond. »
La mortification s’impose comme exercice de survie pour l’homme post-moderne. « Et puis, quelque part, ces éoliennes matérialisent et visualisent nos consommations et leurs impacts, ici avant tout visuels ; alors que la magie de nos interrupteurs fait oublier les pollutions, lourdes et irréversibles, associées aux productions électriques. » Cette ascèse comble les pratiquants, car la lumière arrive par le vent. L’énergie ventripotente fonctionne nuit et jour, en hiver comme en été. On dénombre dix fois moins d’éoliennes par Français que par Danois ? « Le terme de frilosité sied bien à nos décideurs politiques. » L’éolien réduit en outre le chômage, met fin aux tensions entre nations, « énergie de paix, indépendante de tout marchandage, de tout chantage et de tout embargo. » Il est inépuisable.
Les trois signataires de cet opus édifiant sont Yann Artus-Bertrand, déjà repéré pour son engagement dans la maison durable [L’idéal de la hutte], Paul Neau et Gilles Lara. Le premier entretient des liens avec les industriels [exemple]. Le deuxième se présente comme ingénieur écologue en énergies renouvelables et le troisième préside l’association CLER. Paul Neau dirige un bureau d’études spécialisé dans l’installation d’éolienne. L’association de Gilles Lara regroupe quant à elle cent-cinquante professionnels qui œuvrent dans les énergies renouvelables. Cette dénomination englobe des réalités diverses. Si le soleil et le vent sont intemporels, ce n’est pas le cas du bois. Les panneaux photovoltaïques n’émettent aucun gaz à effet de serre, mais doivent être produits et recyclés. Les biocarburants concurrencent les productions agricoles traditionnelles avec des conséquences sur les prix des matières premières, comme récemment le maïs en Amérique latine [Ne pas confondre panade et tortilla]. Finalement, les trois signataires de la tribune du Monde font du lobbying tout en s’en défendant. Il n’y a là rien de gênant en soi. Les groupes pétroliers ou ceux du nucléaire n’agissent pas différemment. Que les professionnels assument cependant les inconvénients de leurs installations. C’est un minimum.
Il est frappant de distinguer un site d’un professionnel de celui d’un lobbyiste. Dans le cas des éoliennes, le premier s’adresse à deux publics. Pour des particuliers et des entreprises isolées, cette énergie a un réel attrait. Mal raccordés au réseau, les uns et les autres souffrent plus que d’autres de coupures répétées. Pour les collectivités locales, en revanche le même professionnel flatte une autre fibre, en indiquant combien des éoliennes serviront à appuyer un discours vert. Il n’en demeure pas moins que l’utilité de ces installations dépend de la régularité du vent, et la puissance installée demeure insuffisante par rapport aux besoins d’une agglomération.
Dans le domaine du lobbying en faveur du vent, planète-éolienne constitue un exemple de plaidoyer permanent. Contre l’énergie bienfaisante se dressent les comploteurs. Les hommes politiques sont tous menés par de bas instincts (appât du gain, bêtise et aveuglement). Les journalistes répandent la mauvaise parole : Hervé Kempf pourtant zélé pourfendeur des énergies polluantes se trouve ainsi cloué au pilori [2]. La presse répercute les interrogations gouvernementales sur l’identité nationale ? planète-éolienne plaide pour le classement de vieilles éoliennes éparpillées sur le territoire, avant de vilipender l’acharnement réglementaire français censé freiner le développement de l’éolien.
« ’Forte’ de cette identité nationale, notre pays aujourd’ui est dans une situation plus que paradoxale : 2ème potentiel éolien d’Europe et 1er fabricant de contraintes réglementaires pour limiter le développement de cette énergie. Début octobre, le Sénat votait ainsi pour que les projets soient soumis à la loi sur les ICPE2, comme le sont tous les sites industriels nationaux Seveso. En bref : le propre soumis au sale ; les énergies renouvelables obligées de justifier qu’elles ne portent par atteinte à l’environnement (quelle humiliation !) ; l’initiative du Grenelle de l’environnement réduite à un ’cache‐sexe’ (car sans éolienne, les objectifs 3 de ce fameux Grenelle ne sont que chimères). »
Sur le papier, l’éolienne complémentaire se transforme en énergie ventripotente. Mais en Bretagne ou en Provence les tensions sur le réseau demeurent... Le gouvernement français met lui à disposition un rapport sur le sujet : pari sur l’éolien.
PS./ Geographedumonde sur l’environnement et les questions climatiques : Tous monarques !, Comment transformer le plomb en plomb ?, Le cru bourgeois gentilhomme, Klaus a tempêté, Du risque climatique lointain au risque terroriste immédiat au Bangladesh, Le monde à l’échelle d’une autoroute, Anomalies normales en Italie, El nino, synecdoque ou métonymie ?, Décroissants obscurs, Les nouveaux pharisiens du réchauffement climatique
[1] « Les éoliennes y sont admirées avec fierté, dans ce pays classé comme le plus heureux de la planète (si on se réfère au Monde Magazine n° 1 du 18 septembre 2009 : "Voyage au pays du bonheur, pourquoi le Danemark reste en tête des nations heureuses"). » / Le Monde.
[2] « Qui plus est, cet article s’inscrit dans une ligne éditoriale développée depuis un certain temps déjà par Le Monde, et par son responsable environnement Hervé Kempf. Non, M. Kempf, les éoliennes ne sont pas un encouragement à consommer plus d’électricité, mais bien à consommer plus proprement. Pourquoi jeter le bébé (éolien) avec l’eau du bain notre méprise énergétique) ? » / Planète-éolienne.
[3] « Ce durcissement proviendrait d’un récent rapport de la Commission de Régulation de l’Electricité qui annonce par exemple que la rentabilité des installations photovoltaïques frise les 100% ! Mazette ! C’est d’ailleurs pour cela qu’avec un des tarifs au sol les plus bas d’Europe, nous avons un parc installé 20 fois plus petit que nos voisins allemands ou espagnols ! Plus c’est gros et plus ça passe. La CRE, autorité ’indépendante’ par statut, bastion technocratique et doctrinaire du lobby anti-renouvelable, est une habituée de la méthode. M. Jean-Louis Borloo, ministre d’Etat, numéro deux du gouvernement, se laisserait-il mystifier, en pleine négociation mondiale sur le réchauffement climatique ? En flagrant délit de greenwashing ? Planète Eolienne, fédération des énergies du vent, n’oublie pas que le soleil et le vent sont complémentaires. Elle sollicitera donc dans les jours prochains l’aide de tous les élus, de toutes les associations et de tous les citoyens pour faire remonter une profonde et bruyante colère collective auprès du ’ministère des affaires non écologiques’ pour que ce projet d’arrêté soit abandonné sinedie. » / planète-éolienne.
Incrustation : Eole par photo-plap
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