Jean François Khan, ou la vie ennuyeuse d’un vieux bourgeois excentrique
Actuellement, la tendance est à la disparition des blogs. Je m’en félicite. Il y en a trop, de mauvaise qualité, mal écrit et sans intérêt. C’est une spécificité française parait-il que de tenir son journal intime. Personnellement, je m’épanche très peu dans mon blog ou sur Facebook ; j’y exprime surtout des idées.
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Sentant bien qu’ils sont à la traine de ce nouveau médium, certains journaux et magazines leur emboîtent le pas. Du coup, ils en adoptent les mêmes travers : une certaine démesure dans les prises de position, de l’agressivité dans les commentaires et un survol de l’actualité qui aussitôt passée, disparaît du radar médiatique (au fait, comment vont les sinistrés Haïtiens ?) pour les faire rebondir sur autre chose. Si on ajoute à tout ceci, la concurrence des réseaux sociaux et les journaux-citoyens en ligne (AgoraVox, Le Post, ect..) on se dit qu’évidemment la maison brûle dans certains organes de presse.
La Une de Marianne de la semaine passée, en est la preuve éclatante. Ce magazine, sous l’impulsion de son fondateur historique, titre : Sarkozy est un voyou !
Malheureusement pour la France et ses débats d’idées, le fondateur de Marianne ne s’appelle pas Jean-Paul Sartre, mais Jean François Khan : un vieux bourgeois excentrique qui comble son ennui en vérifiant dès qu’il le peut son indice de popularité personnel.
Depuis plus de trente ans, il est l’un des personnages clé du landerneau médiatique parisien. Il participe par intermittence à des plateaux-télés sur lesquels il clame à qui veut l’entendre qu’il n’est ni de gauche, ni de droite.
Lorsqu’il crée l’hebdomadaire Marianne en 1997, il dit vouloir inventer une nouvelle presse qui s’affranchirait des coteries habituelles et exprimerait en toute liberté et impartialité des opinions à l’épreuve des faits : sans machiavélisme, ni facilité, à l’instar d’une presse dit « à l’américaine ». L’idée est séduisante.
Pourtant, au fil du temps et des unes de ce magazine, le doute envahit son lectorat originel qui en abandonne la lecture. Marianne retrouve un nouveau lectorat plutôt versé dans le politiquement incorrect à sensation.
Pour caricaturer on pourrait affirmer que Voici est à la presse people ce que Marianne est à la presse politique. Le sensationnel fait sa Une. Les titres rivalisent entre eux d’extravagance. Si bien que ceux qui avaient contribué avec leurs deniers personnels à bâtir l’édifice, ont disparu depuis longtemps, trahis et trompés ou sont passés à autre chose. Des journalistes dans le milieu prennent une certaine distance avec ce magazine et se posent à son sujet, d’étranges questions éthiques.
En 2007, surfant sur une France déchirée par les élections présidentielles, Marianne trouve sa tonalité éditoriale qui ne la quittera plus ; comme naguère Le Quotidien de Paris avait trouvé la sienne, à l’arrivée des socialistes au pouvoir. Marianne veut être le héraut de la France anti-sarko et trouve enfin son second souffle. Mais sur un ton beaucoup plus trash que l’ancien quotidien de Philippe Tesson.
Chaque époque a les intellectuels qu’elle mérite, et la France, en ce début de XXI ème siècle, montre des signes de déclin littéraire et intellectuel évidents qui sautent aux yeux de tout le monde.
Mais l’ennui habituel reprenant JFK qui s’éloigne de la direction du magazine et laisse les commandes à son co-fondateur et ami Maurice Szafran. Il y conservera toutefois une tribune qui lui permettra d’assouvir sa faconde journalistique.
C’est à cette époque qu’il se pique à nouveau de politique. Il fait une apparition très médiatisée aux côtés de François Bayrou et porte avec lui pour un temps, les couleurs du MODEM. Il se présente aux élections européennes. Lui-même reconnaît qu’il est parachuté.
Le temps d’une élection assez brève, il parcourt les meetings en ethnologue plutôt qu’en politicien et observe amusé le milieu militant.
Il aime prendre la parole qu’on lui cède volontiers. Il aime les applaudissements nourris. Il est capable d’improvisations remarquables à partir de quelques notes griffonnées à la hâte.
Lorsqu’il est assis et écoute ses « confrères », il lui vient des sourires narquois aux contours des lèvres. Il assiste aux débats en spectateur privilégié. Cette distanciation qu’il a avec le métier de politique fait frémir ses coéquipiers : lorsqu’il intervient à la tribune, on ne sait jamais de quoi il va parler, s’il va être d’accord avec la secte ou si au contraire, il va casser l’ambiance.
Le plus souvent, c’est Marielle de Sarnez qui le précède au discours et qui l’introduit ensuite à l’auditoire avec toutes les pincettes d’une diplomate gérant une guerre froide, avec nappage, sucreries et blagounettes de circonstance. La seule chose que chacun sait, est qu’il tirera de toute façon la couverture à lui.
Ses interventions oscillent entre celles d’un tribun fraîchement converti et d’un humoriste improvisant un sketch comique. Il enchaîne anecdotes sur anecdotes. A l’applaudimètre, il est imbattable. JFK fait son show.
Vers la fin des élections, on le sent un peu las. Il s’ennuie à nouveau.
A l’issue des élections, le Mouvement Démocrate fera un score catastrophique. Il clamera à qui veut l’entendre qu’il avait prédit la débâcle du parti de François Bayrou qui comportait selon lui au sommet de sa direction « beaucoup de mauvais » ! On n’en sera guère davantage.
Entre temps, Jean François Kahn se désinvestira de tout mandat et partira voir ailleurs.
Il se repose six mois, puis il crée un club de réflexion qu’il désertera peu de temps après. Décidément, l’ennui le rattrape de plus en plus vite. Sans doute à cause de l’âge.
Il tient un blog qu’il ouvre en novembre 2009, très apprécié par quelques groupies qui louent tout ce qu’il écrit.
Puis, le 15 juillet 2010, en plein affaire Woerth-Bettencourt, il signe un dernier article dans lequel il informe sa clientèle habituelle qu’il plie boutique. Au moment où paradoxalement, l’actualité n’a jamais été aussi riche en débats contradictoires !
Il y a donc chez Marianne et son fondateur beaucoup de dilettantisme, d’opportunisme et peu de véritables convictions.
Et n’allez surtout pas croire que je vole au secours de Nicolas Sarkozy. Il vous suffirait de descendre un peu plus bas dans mon blog, de prendre le temps de lire certaines de mes positions depuis bientôt quatre ans, pour vous convaincre du contraire.
En revanche, je ne crois pas un seul instant à l’indignation de Marianne à la suite des positions de Nicolas Sarkozy sur ces étrangers-délinquants et du discours qu’il tient à Grenoble, flanqué de ses deux sbires habituels, nommés ès sécuritas.
Pourtant le dernier titre de Marianne me choque et me fait vaguement penser à certaines Unes du journal Minute que je découvris ado, quand l’envie de faire de la politique me taraudait ; lorsque je croyais encore qu’on pouvait changer le monde.
Il restait à cette époque, quelques intellectuels engagés qui bâtissaient leurs œuvres littéraires et leur vie intellectuelle sur un serment sans faille, avec une éthique et portant de vraies valeurs. Ils ne se contentaient pas de "chier" des Unes de magazine pour faire du chiffre.
Yılmaz Güney fut un grand cinéaste turc, beaucoup trop confidentiel, hélas. Il s’est battu toute sa vie pour ses idées. Il repose aujourd’hui au Père Lachaise. Je pense souvent à lui. Il utilisait la caméra-stylo chère à Alexandre Astruc pour exprimer ses convictions et ne donnait pas dans le porno-chic.
Lorsque je suis tombé l’autre jour, sur les gloussements amusés de JFK sur RMC, je ne fus pas surpris de reconnaître ce ton qui m’était familier, du vieux bourgeois excentrique. Il semblait très à son aise et amusé d’avoir commis ce titre audacieux, un peu potache : les projecteurs médiatiques se braquant à nouveau sur lui.
Je retrouvais l’homme qui n’aimait autant rien d’autre que de s’écouter lui-même. On était loin de la parole fragile de l’intellectuel engagé, offensé et meurtri, venu se justifier devant un micro tendu, avec la conviction maladroite d’un François Revel. Un homme venu expliquer en toute franchise, les raisons profondes qui avaient motivé son article et qui l’obligeaient aujourd’hui à plonger dans l’arène médiatique pour s’exprimer.
En écoutant JFK, il me venait une image beaucoup plus familière : celle du guignol de l’info.
C’est la raison pour laquelle il ne faut pas attendre de moi que je cautionne ce genre de titre, ni même que j’avalise les articles qui les sous-tendent. Quand bien même le camp adversaire serait au comble de la vulgarité et compterait pas mal d’outrances dans son écurie.
Ce n’est pas en insultant un président de la République, fusse-t-il lui-même beauf à ses heures, qu’on fera avancer le débat sur les Roms. Ce genre de Une, participe à l’abêtissement de la pensée intellectuelle au profit de raccourcis douteux qui sont l’antichambre d’une pensée encore plus faible aux relents poujadistes.
Marianne devrait avoir à cœur d’incarner l’esprit qui souffla naguère dans La Revue des Temps Modernes, plutôt que de vouloir singer Minute !
La seule chose intelligente que j’ai lue, après le discours de Sarkozy à Grenoble, je l’ai trouvé dans l’éditorial du New-York Times dont aucune ligne n’est à ôter.
A aucun moment, il est question de dévoiement et de goujaterie. Il va à l’essentiel. Comme quoi, si Marianne avait voulu un temps, être à la hauteur de la presse anglo-saxonne, il s’en est éloigné depuis lors.
Au fond Marianne et Sarkozy, c’est même combat : celui de rassembler les masses coûte que coûte. Quitte à offrir à ces dernières ce qu’elles veulent entendre et leur servir les abominations dont elles sont prêtes à se repaitre : l’un pour vendre son journal, l’autre pour être réélu après 2012.
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