L’échec annoncé de l’écologie politique
La campagne d’Eva Joly, lancée en fanfare, semble s’être définitivement enlisée. La candidate verte, sans prise sur son propre parti et abandonnée, plus ou moins ouvertement par la plupart de ses soutiens, s’achemine douloureusement vers un score symbolique qui affaiblira, non seulement Europe-Ecologie-Les-Verts, mais aussi leur message.
Cette défaite annoncée doit beaucoup aux errements stratégiques des Verts eux-même, à leur incapacité de se doter de leaders d’envergure, à leur goût pour les jeux d’appareil et à la peur de la stratégie de rupture. EELV dispose, au niveau local d’élus de grande qualité, mais elle n’a pas su les mettre sur le devant de la scène nationale, préférant utiliser des personnalités extèrieures, sans expérience politique Le problème, cependant est plus profond. La faiblesse constitutive des Verts tient à leur idéologie, non pas à l’écologie elle-même, mais à la manière dont ils la perçoivent et dont ils en font non pas un outil d’adaptation au changement, mais un ensemble de rituels dont l’objectif est d’écarter symboliquement ce changement.
Les Verts sont ce qu’en ethnologie on appelle un mouvement de revitalisation, semblable à ce qu’a été la Danse des Esprits pour les Indiens des Plaines ou les Grands Réveils pour le protestantisme américain. John Michael Greer définit ce genre de mouvement comme suit :
Ils apparaissent quand une société est touchée par des troubles répétés qui menacent les fondements de son identité et ses valeurs. Dans ces moments-là, quand les institutions ne remplissent plus leur rôle et les bases de ce qui donne sens à notre société se lézardent, se forme une grande demande pour une nouvelle vision capable de donner un sens à nos difficultés et de dessiner un chemin vers un avenir meilleur. Le fonctionnement des croyances populaires étant ce qu’il est, cette demande sera très vite satisfaite.
Les mouvements de revitalisation, comme les nouvelles voitures, sont dotés de fonctions standard et de toute une gamme de colifichets optionnels adaptés aux goûts de l'acheteur. Les caractéristiques de série incluent une critique approfondie de l'ordre existant destinée à montrer que les difficultés présentes sont dues au fait que les gens qui en souffrent, ou un autre groupe qui prendra le blâme à leur place, se sont mal comporté et ont étés punis ; une vision d'un avenir utopique qui arrivera juste après les troubles, si les bonnes décisions sont prises faites, et un plan d'action simple qui mènera des difficultés présentes à l’avenir utopique promis par le mouvement en question. Le problème est que le plan d'action ne peut pas réellement délivrer la marchandise. C'est ce qui différencie un mouvement de revitalisation de, disons, un mouvement ordinaire visant à tel ou tel changement social. Les mouvements de revitalisation émergent lorsque toutes les options pratiques pour faire face à une crise sont inapplicables ou impensables.
L’écologie est basée sur idée simple : il y a des contraintes naturelles indépassables et ceux qui les franchissent courent au désastre. C’était le message du Rapport Meadows, plus connu en France sous le nom de Club de Rome : si nous continuons à croître nous allons saper les fondement mêmes de notre civilisation et nous effondrer. Pour ceux qui n’auraient pas remarqué, c’est à peu prés ce qui est en train d’arriver, à peu prés à la date et au rythme prévu.
Cette idée est en contradiction absolue avec l’idée de progrès qui fonde la vision que nous avons du monde depuis la victoire des Lumières sur l’ordre ancien issu du Christianisme médiéval. L’idéologie du progrès postule, en effet, que l’ingénuité humaine peut et va surmonter tous les obstacle, que demain sera nécessairement mieux qu’hier et que malgré les péripéties de l’histoire, l’humanité ne cessera d’avancer jusqu’au moment où, pour citer Jules Verne, elle « pourra se reposer sur le sommet enfin conquis ».
L’écologie politique aurait donc dû mettre en avant la notion de limite, l’impossibilité d’échapper à notre condition et la nécessité de chercher un sens un sens à notre vie en dehors du progrès matériel.
Concrètement, cela signifie accepter une baisse de notre niveau de vie, revaloriser la notion de travail et recentrer notre société sur la communauté locale.
Le problème c’est que ce programme n’est pas très populaire auprès d’une population qui en est venu à considérer un haut niveau de vie comme un droit de naissance. Il l’est encore moins auprès de classes moyennes supérieures héritières du jouir sans entrave soixante-huitard, dont le principal objectif, aujourd’hui, est de préserver leur statut tout en s’achetant une bonne conscience.
La réponse logique a donc été, pour les écologistes, d’accumuler les actions symboliques et prétendre qu’ils constituaient un changement de civilisation, tout en faisant taire ceux qui, en leur sein, œuvraient pour une véritable société soutenable et étaient prêts à en payer le prix. Bien sûr, nombre de ces actions vont dans le bon sens – réduire notre consommation énergétique est certainement une bonne idée – mais croire qu’elles vont suffire est aussi illusoire que l’était pour les indiens des plaines de croire que la danse des esprits allait ramener les bisons et renvoyer les blancs de l’autre côté de l’océan.
La capacité de notre planète à supporter une civilisation aussi complexe que la notre se réduit inexorablement, du fait de l’épuisement des ressources, du changement climatique et de ce que Joseph Tainter appelle les rendements décroissants de l’investissement marginal dans la complexité sociale. En fait, comme le souligne un des auteurs du Rapport Meadows, Dennis Meadows, il est probablement trop tard pour inverser la tendance.
Il n’y aura plus d’études basées sur World3, cependant. Le modèle ne peut plus jouer son rôle, qui était de nous montrer comment éviter l’effondrement. Dans les conditions actuelles, aucune hypothèse de départ n’aboutit à autre chose qu’à un effondrement. Il n’y a aucun intérêt à décrire une série de scénarios catastrophes.
La réponse la plus logique face à cette menace serait d’admettre son inéluctabilité et de se préparer, mais cela reviendrait à abandonner l’idéologie du progrès et à détruire les classes moyennes supérieures qui n’ont aucune place dans une société en voie de simplification. C’est naturellement aussi impensable que d’accepter la fin des bisons pour les Sioux. On élève donc à la place un rempart rituel fait de panneaux solaires et de marchés bio.
Il n’est plus possible, depuis les années 80 au moins, de prétendre que le niveau de vie augmente, mais là encore, on n’en déduit pas que la notion de progrès est caduque. En ce contente d’en redéfinir les termes. L’accent n’est plus mis sur le social, mais sur le sociétal. Dans certains cas c‘est une bonne chose – le mariage des homosexuels est certainement une réforme nécessaire. La plupart du temps, cependant, il s’agit d’un écran de fumée projeté par une classe privilégiée pour lui permettre de continuer à se dire progressiste tout en défendant bec et ongles son mode de vie.
La réponse la plus adaptée serait un retour, progressif, à l’économie domestique et à la solidarité communautaire, mais cela implique le démantèlement d’une grande partie de nos bureaucraties publiques et privées et la réorientation des ressources vers des fins productives. Cela implique aussi un poids accru de la communauté dans notre vie de tous les jours, et donc une entrave certaine à la jouissance. Ce n’est pas très éloigné de la vision d’un Christopher Lasch ou d’un Jean-Claude Michéa, mais c’est à des années-lumière de l’idéologie libertaire des classes moyennes supérieures.
Là encore, le résultat est un mur rituel fait de féminisme victimaire et de défense des sans-papiers ou de telle ou telle minorité lointaine qui permet de se démarquer d’un peuple réel renvoyé à sa « baufitude ».
La pensée verte ne peut dans ces conditions qu’échouer, car son propos est justement de sauvegarder le mode de vie d’une classe condamnée dans un monde condamnée. Même si par hasard elle devait arriver au pouvoir, ce qui est peu probable au regard de ses errements stratégiques, elle ne pourrait être que le syndic de liquidation de ses propres idéaux. Il n’y a pas de place pour un progressisme individualiste dans un monde où la fin du progrès forcera un retour au communautarisme.
Cela ne veut pas dire que l’écologie, elle-même, est condamnée à disparaître. Déjà les forces politiques traditionnelles l’ont intégrée dans leur discours, projetant leur propre mur rituel destinée à leur propre clientèle idéologique (croissance verte, planification écologique, décroissance...). Ces tentatives sont vouées à l’échec, car elles aussi visent à préserver un monde condamné. Dans leur ombre se développe des discours que Kurt Cobb qualifie d’ ecologically-grounded Green. Ceux-ci reconnaissent qu’il est vain de vouloir sauver la société d’abondance et que l’objectif à atteindre est une société d’artisanat et d’agriculture qui aurait conservé certaines des avancées de la société industrielle. Là encore cette vision n’est pas très loin de celle de Jean-Claude Michéa. Il est douteux qu’elle arrive aux affaires mais justement parce que son propos n’est pas de produire une société d’abondance, mais bien de sauver d’une inévitable débâcle ce qui peut encore l’être, elle a une chance d’avoir un impact réel sur notre futur.
C’est vers ce discours à la fois plus radical et plus modeste qu’il nous faut désormais nous tourner.
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