La cohabitation appartient-elle au passé ?
Conforme à la lettre de la Constitution, la cohabitation est clairement contraire à l’esprit de la Ve République. Au cours des vingt dernières années, elle s’est pourtant révélée un phénomène presque aussi courant que le système normal de répartition des pouvoirs. Le quinquennat présidentiel a essentiellement été instauré pour y mettre un terme. Est-il pour autant impossible que la France connaisse une nouvelle période de cohabitation dans les années à venir ?
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Les deux premières périodes de cohabitation qu’a connues la Ve République ont été directement générées par la différence de durée entre le mandat présidentiel et celui des députés. La troisième a été le résultat d’une dissolution, mais celle-ci a été en grande partie décidée parce que des élections législatives auraient de toute façon eu lieu l’année suivante, en plein milieu du mandat présidentiel.
Le quinquennat présidentiel, instauré en 2000, garantit a priori que les élections présidentielles et législatives auront désormais lieu la même année. Deux cas de figure seulement pourrait aboutir à un nouveau décalage entre ces échéances :
Le premier serait la survenance d’élections présidentielles anticipées, provoquées par le décès, l’empêchement, la démission ou la destitution du chef de l’Etat. La situation s’est présentée avec Charles de Gaulle et Georges Pompidou ; il est tout à fait possible qu’elle se présente de nouveau à l’avenir. Un décalage pourrait alors se produire si le président nouvellement élu s’abstenait de dissoudre une Assemblée au sein de laquelle il aurait déjà une majorité fidèle. Cette perspective est cependant improbable : les présidents élus dans de telles circonstances n’auront certainement aucune envie d’être relégués aux chrysanthèmes en cours de mandat et auront recours à la dissolution pour prévenir ce risque.
Le deuxième cas de figure serait que le président choisisse de dissoudre au cours de son mandat. Mais l’état actuel de soumission de la majorité parlementaire à l’exécutif rend très peu probable une telle éventualité. Même si les députés en venaient à manifester une certaine indépendance - ce que les moyens de pression gouvernementaux et la logique du bipartisanisme français rendent difficile - le président préférerait presque certainement le tolérer plutôt que de s’engager dans des élections législatives qu’il ne serait pas certain de gagner. Seule la survenance d’une crise majeure qui viendrait secouer le pays semble donc à même de provoquer une dissolution en cours de mandat à l’avenir.
Le décalage entre les échéances présidentielles et législatives appartient donc presque complètement au passé. En va-t-il de même pour la cohabitation ?
Une possibilité surgit bien entendu à l’esprit : un président nouvellement élu dont le parti serait battu aux élections législatives et qui se retrouverait donc presque immédiatement en situation de cohabitation. Mais un tel cas de figure est-il vraiment possible ?
Il est bien sûr absurde de prétendre, comme l’on pourtant fait certains médias, que les Français plébiscitent la cohabitation. Les trois périodes de cohabitation qu’a connu la Ve République n’ont eu lieu que parce que le gouvernement en place s’était aliéné une majorité de la population. Certains électeurs considèrent sans doute que le pouvoir dont dispose ordinairement leprésident est trop important et préféreraient un système de cohabitation permanente (à défaut d’une réforme des institutions), mais il est peu probable que beaucoup d’entre eux poussent la logique jusqu’à voter pour la droite aux présidentielles et pour la gauche un mois plus tard ou vice-versa. La grande majorité des électeurs acceptent la domination présidentielle et n’ont jamais voté en faveur d’une cohabitation qu’à défaut de pouvoir remplacer le président en fonction.
Il est donc fort peu probable que nous puissions voir cette année Nicolas Sarkozy cohabiter avec un parlement de gauche ou Ségolène Royal cohabiter avec un parlement de droite. La personnalisation de la campagne est telle que celui des deux candidats qui sera battu précipitera tout son camp dans la défaite et la confusion. A l’opposé, le vainqueur engendrera une dynamique victorieuse en faveur de son parti. Ce phénomène est clairement illustré par les législatives de 2002 : il n’était pas certain qu’une majorité des électeurs auraient préféré Jacques Chirac à Lionel Jospin si tous deux étaient parvenus au second tour des présidentielles, mais la défaite du candidat socialiste au premier tour et l’annonce de son retrait ont précipité l’ensemble de la gauche dans une déroute durable ; les députés UMP n’ont quant à eux eu besoin que de se revendiquer du président nouvellement réélu pour obtenir une large majorité à l’Assemblée (on se souvient que "UMP" a d’abord signifié "Union pour la majorité présidentielle").
Un cas de figure différent pourrait néanmoins se présenter si un troisième candidat venait à être élu. Les Français manifestent un rejet croissant des grands partis traditionnels, ce qui rend possible - bien qu’encore peu probable - une telle éventualité. Un candidat inattendu, n’appartenant ni au PS ni à l’UMP, pourrait devenir président de la République. Mais, contrairement à Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal, ce candidat ne disposerait pas du soutien d’un parti puissant et bien organisé, prêt à transformer cette victoire en une solide majorité parlementaire. Ce président nouvellement élu pourrait n’être appuyé que par un petit parti (par exemple, pour François Bayrou), voire par aucun parti (par exemple, dans le cas de José Bové). L’intervalle séparant les élections présidentielles des élections législatives se révélerait alors bien court pour qu’il puisse mettre sur pied une organisation capable de lui conférer une majorité parlementaire.
Une telle situation pourrait donc déboucher sur une nouvelle cohabitation. Mais celle-ci ne prendrait pas nécessairement la même forme que celles qu’a déjà connues la Ve République. Même si un parti non-présidentiel obtenait une majorité absolue à l’Assemblée, le nouveau Premier ministre n’entrerait pas nécessairement en conflit direct avec le président. La logique bipartisane habituelle n’entrant pas en jeu, les deux têtes de l’exécutif pourraient parvenir à un état de relative coopération. Les pouvoirs du président seraient certes bien loin de ceux dont une majorité parlementaire lui permettrait de disposer, mais son autorité serait néanmoins réelle. N’étant le chef d’aucun des deux principaux partis, il ne se verrait pas véritablement désavoué par les résultats des élections législatives. La légitimité conférée par sa récente élection au suffrage universel lui permettrait de jouer un rôle beaucoup plus actif que ne le peut habituellement un président en période de cohabitation.
Dans le cas où aucun parti n’obtiendrait la majorité absolue à l’Assemblée, le président pourrait néanmoins être forcé de nommer un Premier ministre qu’il n’aurait pas librement choisi, mais ses possibilités d’intervention et d’arbitrage resteraient importantes. En revendiquant sa légitimité (et éventuellement avec l’aide des députés qui le soutiendraient), il serait à même d’influer sur les orientations gouvernementales dans de nombreux domaines. On se retrouverait alors dans une situation sans précédent sous la Ve République, qui ne mériterait plus vraiment d’être appelée cohabitation.
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