La laïcité dans la Constitution : coup politique ou utilité juridique ?
Dimanche 22 janvier, au Bourget, le parti socialiste était rassemblé pour la première fois autour de son candidat. Et pour la première fois, François Hollande a levé le flou sur quelques points de son programme. Aussi, après avoir appelé au rassemblement et à l'unité de la France, François Hollande a rappelé sans attendre un des principes phares de notre République : la Laïcité. Faisant à n'en pas douter référence aux rapports non dissimulés qu'entretiennent de nombreux décisionnaires avec la religion, le candidat socialiste est allé jusqu'à proposer d'intégrer la loi de 1905 à la Constitution.
La notion de laïcité est présente dans l'article premier de la Constitution de 1958 qui dispose entre autre que "la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale." En proposant d'ancrer un peu plus encore la laïcité dans la lettre de la norme suprême, le candidat socialiste justifient concrètement son envie de changement. La proposition de cette mesure permettrait à François Hollande de marquer son mandat présidentiel, s'il est élu, dès le départ. Une stratégie qu'avait déjà adopté François Mitterrand en 1981 certes avec plus de fracas, en abolissant la peine de mort.
Reste que si la mesure présentée aujourd'hui est quelque peu camouflée par les autres projets, elle n'amène pas moins un nombre certain de questions.
• Qu’est-ce que la laïcité et que dit la loi de 1905 ?
Le principe de laïcité est un des principes fondamentaux de la République française. Cette notion repose sur deux principes : l’obligation de l’État de ne pas intervenir dans les convictions de chacun et l’égalité de tous devant la loi. Ainsi, qui dit laïcité dit liberté de conscience et de culte, libre organisation des Églises, mais dit également droit à un lieu de culte, neutralité des institutions envers les religions, ainsi que liberté d’enseignement.
La loi de séparation des Églises et de l'État de 1905 a été adoptée à l'initiative du député socialiste Aristide Briand le 9 décembre 1905. Aussi, à l'orée du XXème siècle et à la suite d'un XIXe siècle marqué par l’alternance entre l'affirmation de la place privilégiée de la religion catholique et le progrès de l’idée laïque, la loi de 1905 vient clore ce débat. Le 9 décembre 1905, la République française s’affirme comme étant laïque et la religion est désormais réservée à la sphère privée. Aussi, la loi de 1905 remplace le régime du concordat de 1801 (qui reste toujours en vigueur en Alsace-Moselle pour des raisons historiques).
• Comment fonctionne la Constitution française et quel est son objet ?
La Constitution établissant la Vème République fait partie de ce qui est plus couramment appelé le bloc de constitutionnalité. C'est-à-dire, l’ensemble des normes de valeur constitutionnelle protégées par le Conseil constitutionnel. Parmi ces normes se trouve en premier lieu la Constitution autrement considéré comme étant au sommet de la hiérarchie des normes. Au sein de cet ensemble de normes, on retrouve également son préambule consacré par la décision Liberté d'association du Conseil Constitutionnel du 16 juillet 1971. La consécration de ce préambule a pour effet d'apporter au bloc de constitutionnalité deux autres sources normatives : le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Enfin, en 2005, la Charte de l'environnement est introduite au Préambule de la Constitution par une loi constitutionnelle, faisant de ce fait entrer le texte dans le bloc de constitutionnalité.
La lettre à proprement parler de la Constitution du 4 octobre 1958 est l'actuelle Constitution de la France. Rédigée afin de mettre fin à l'instabilité gouvernementale qui secouait le pays ainsi qu'à la crise Algérienne, elle est le fondement juridique de la Cinquième République française. Très influencée par les principes énoncés par Charles de Gaulle lors de son célèbre discours de Bayeux daté du 16 juin 1946, la Constitution de 1958 marque le retour d'un exécutif fort, elle répond à la volonté de deux hommes : Michel Debré et le Général de Gaulle. Le premier ayant apporté son inspiration du modèle britannique et de son Premier ministre fort, et le second sa volonté de placer le Président de la République dans un rôle de garant des institutions.
• De quelle manière est-il possible de modifier la Constitution ?
Dès les premières années de son fonctionnement, la Constitution du 4 octobre 1958 a fait l’objet de nombreuses révisions. Révisée pour la première fois en 1960, elle l'a été dix-huit fois depuis par l'intermédiaire de vingt quatre textes. Mais au-delà des chiffres, ce qui est important, c'est de comprendre le mécanisme permettant de telles modifications permettant de corriger certaines imperfections ou de modifier des règles de fonctionnement du régime. En France, la Constitution est dite "rigide" au contraire d'autres comme la Constitution coutumière en Grande-Bretagne (même si le débat est vif concernant le terme de Constitution dans ce cas précis) que l'on considère comme souples. Aussi, on parle de constitution rigide dès lors que sa révision fait appel à une procédure différente de celle nécessaire à l'adoption des lois ordinaires.
La procédure de révision est l'objet de l’article 89 de la constitution de 1958. Suivant la lettre de cet article, l’initiative de la révision revient soit au président de la République sur proposition du Premier ministre (projet de révision), soit aux membres du Parlement (proposition de révision). Que ce soit pour un projet de révision ou une proposition de révision, le texte proposé doit être voté en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat suivant les conditions de délai fixées au troisième alinéa de l'article 42 de la Constitution.
Une différence s'opère finalement en ce qui concerne les conditions nécessaires à la mise en place du texte. En effet, la révision doit être obligatoirement approuvée par référendum lorsqu’il s’agit d’une proposition de révision constitutionnelle alors que dans le cas d'un projet de révision, un vote à majorité des 3/5ème des suffrages exprimés par les deux chambres du Parlement réunies en Congrès peut-être préféré au référendum.
Afin d'éviter cette procédure et ainsi contourner une éventuelle opposition des assemblées parlementaires dont l’accord est obligatoire dans le cadre défini par l’article 89, le Général de Gaulle a utilisé à deux reprises l'article 11 de la Constitution. En effet, cet article permet au président de la République de soumettre à référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics. Il a ainsi été utilisé (non sans provoquer de nombreux débats au sujet de sa conformité) en 1962 afin de valider la mise en place du suffrage universel pour l'élection du chef de l'Etat puis en 1969 sur la réforme du Sénat et la régionalisation, sans réussite cette fois.
• Y a-t-il un intérêt juridique à intégrer la loi de 1905 à la Constitution ?
Si de telles modifications permettent de corriger certaines imperfections ou de modifier des règles de fonctionnement du régime, les révisions plus fréquentes depuis le début des années 1990 se justifient essentiellement suivant deux grandes idées : une volonté de moderniser les institutions d'une part et la nécessité d'adapter l'ordre juridique national à la construction européenne d'autre part. Aussi, c'est à n'en pas douter à une volonté de s'adapter aux modifications de la société que répond le projet présenté par François Hollande en introduction à son discours dispensé devant l'audience du Bourget.
Depuis une vingtaine d'années, les décisions du Conseil d'Etat s'intensifient concernant le principe de neutralité répondant à la notion de laïcité au sein du service public. Le débat s'est finalement emballé dans la foulée de l'avis du Conseil d'État du 27 novembre 1989 réclamé par le Ministre de l'Éducation nationale de l'époque, Lionel Jospin, concernant l'exclusion d'élèves au motif qu'elles portaient le foulard islamique. L'enseignement est en effet le lieu de tous les débats concernant cette notion de laïcité et que ce soit au sein des écoles ou dans l'ensemble des lieux publics, François Hollande souhaite à n'en pas douter réaffirmer l'importance de laïcité.
Aussi, afin d'estimer l'effet qu'aurait une révision constitutionnelle insérant la loi de 1905 au sein de la Constitution, il convient de regarder la force juridique du texte compte tenu de sa position dans la hiérarchie des normes. "Le rôle de l’Etat en tant qu’organisateur neutre et impartial de l’exercice des diverses religions, cultes et croyances, concourt à l’ordre public, à la paix religieuse et à la tolérance dans une société démocratique” suivant l'arrêt Cha’are Shalom Ve Tsedek contre France rendu par la Cour Européenne des droits de l'Homme le 27 juin 2000. Problème, si la neutralité et l’impartialité dans les services publics sont des principes posés par l’article 1 de la Constitution de 1958, pour qu’une règle de droit soit effective, elle doit faire l'objet de modalités particulières permettant son exécution et la mise en place de sanctions. C'est là qu'un nouvel article dans la Constitution pourrait aider. Inutile, la loi de 1905 joue déjà ce rôle et sa force juridique réaffirmée par la jurisprudence récente du Conseil d'Etat suffit à réaffirmer sa force normative. L'article premier de la Constitution semblerait donc être suffisant. C'est ainsi que Conseil d'Etat a justifié l'interdiction pour l'Etat de subventionner quelque culte qu'il soit par un arrêt du 16 mars 2005, Ministre de l’Outremer contre Polynésie française, en se basant celui-ci.
• Conclusion
S'il est tout à fait envisageable de réviser la Constitution afin d'y insérer la lettre de la loi de 1905 sur la laïcité, la force normative actuelle de cette dernière parait tout à fait suffisante compte tenu de la jurisprudence du Conseil d'Etat. La proposition de François Hollande apparaitrait plus comme une façon de marquer de son empreinte le début d'un quinquennat qu'il espère. De plus, son idée l'installe dans la vague portée par de nombreux hommes politiques ayant pris pour habitude de mettre la laïcité en figure de proue de leurs programmes. Une position qui tranche avec les interrogations de Nicolas Sarkozy. Aussi, ce dernier, en 2004, s'interrogeait ouvertement dans un livre intitulé La République, les religions, l'espérance sur une possible modification de la loi. François Hollande prend également une position qui tranche avec les idées de Marine Le Pen en matière de laïcité et d'égalité. Cette mesure apparait finalement plus comme une manière de rappeler ses intentions car il apparait assez clairement que la loi de 1905 en tant que telle suffit à faire vivre la laïcité.
Simon Bernard (http://www.journal7.fr/)
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