La politique du buzz
Contre-feux, sophismes, mensonges, détournements : bienvenue dans la politique 2.0.
La représentation politique française semble atteindre des sommets d’indigence idéologique. La tendance à l’américanisation de la vie politique française, ce bipartisme illusoire où des candidats faussement opposés osent se présenter comme porteurs de projets différents, montre à quel point le débat d’idée en France va mal.
Depuis quelques mois, la tournée artistique est lancée. Chacun tient son rôle dans cette pièce de théâtre grandeur nature, dont le registre oscille entre tragédie, farce ou encore tartufferie.
D’un côté des candidats soi-disant de gauche, qui à coup de diatribes (justifiées) contre le capitalisme financier, semble s’ériger en modèle de changement. Louable intention aussitôt évanouie quand ces mêmes candidats négocient des arrangements électoralistes[1], et/ou appellent à voter pour le candidat ultralibéral de l’austérité vue de gauche, au second tour de l’élection des usurpateurs présidentiels.
De l’autre côté, un candidat de droite, magicien politique, qui d’un coup de soufflet médiatique nous balaye un bilan désastreux, révélateur de la liquidation de l’indépendance française. Le président- candidat, que d’aucuns nomment à raison « l’américain », a amalgamé les candidatures « dissidente » de Boutin et Borloo, et représente le projet d’austérité vue de droite cette fois-ci...
Le champ du cygne journalistique a depuis longtemps retentit. La centrifugeuse médiatique a évincé les voix discordantes. Ne reste plus que les communicants, sorte d’extension des partis UMPS, tels Pujadas, Franz-Olivier Giesbert et consorts, qui assurent la commedia dell’arte politique pour garantir leur futile pré carré de célébrité. Le club du Siècle crée des liens parait-il.
Ainsi les bouffons du Roi sont de sortie, et entretiennent cette déchéance de la politique, où les mots n’ont plus de sens, et où les valeurs sont spoliées. Alors que le système en place, à bout de souffle, révèle jour après jour toutes ses incohérences, et que les défis énergétiques et environnementaux dévoilent l’urgence des mesures à entreprendre, aucun débat de fond ne semble émerger sur la scène médiatique. Alors que la paix dans le monde est aujourd’hui menacée par le comportement prédateur d’un capitalisme financier forcené, ayant besoin de relancer l’industrie de guerre pour masquer les comportements criminels de ses représentants, force est de constater que la consistance du débat s’amenuise comme peau de chagrin.
Une campagne d’une disette extrême, où faire le buzz est devenu l’essence même de la politique, au détriment du débat de fond. Une campagne m’as-tu-vu, où les shows à l’américaine se succèdent, et où les promesses s’empilent, mais finissent malheureusement comme les feuilles mortes par se ramasser à la pelle. Du halal à la taxation des hauts revenus à 70%, des éphémères plans de sauvetage grec aux promesses en faveur des PME, les candidats assènent des propositions sans lendemain, et stigmatisent des bouc-émissaires tout trouvés pour masquer les vrais coupables. On ne va quand même pas scier la branche sur laquelle on est assis. Non bien au contraire, il faut alimenter le fastfood idéologique ambiant. Au royaume des sophistes, le menteur est roi. Les canulars se succèdent, les inversions accusatoires s’enchainent, et le félon triomphe. Au diable la vérité, l’objectif sera atteint. L’information aura fait le tour des réseaux sociaux, et aura occupé l’ensemble des plateaux télés. Demain sera un autre jour. Une énième futilité. La pression monte et descend au gré de la fluctuation des sujets. Si bien que l’on se demande quelle est l’institution la plus en crise entre la politique et le journalisme. Les hommes publics multiplient les contradictions et les mensonges sans que personne ne vienne pointer l’absurdité de leurs propos.
Car maintenant la politique ne consiste plus à régir la vie de la Cité, en fonction d’un plan auquel serait attaché le magistrat suprême de la République, mais plutôt à assurer le bon déroulement d’un projet décidé hors des frontières françaises en jonglant au mieux avec l’humeur de l’opinion publique. Et dans cette politique du buzz, les instituts de sondage joue un rôle primordial. Telle étude déclare que les français s’offusquent en majorité de la toute puissance de la Commission européenne, et voilà que nos candidats vont se bousculer au portillon pour s’insurger à qui mieux mieux de l’omnipotence de cette métastase administrative. L’information va circuler. Tout le monde va « liker ». Les « twits » vont se multiplier. Et dans l’indifférence générale, la promesse passera en perte dans le bilan déficitaire de nos chers politiciens.
Qu’est donc devenu ce pays, si prompt à mettre en avant l’idéal des Lumières pour se donner bonne facture, sinon un conglomérat d’élites apatrides, de journalistes bigots, et de citoyens plus consommateurs de nouvelles périmées que jamais ? Pourquoi des sujets d’une importance capitale subissent une censure généralisée de la part de la presse écrite et des médias télévisuels ?
Pourquoi ne parle-t-on pas des irréfutables influences atlantistes dans la construction européenne[2] ? Pourquoi ne remettons pas en cause le dogme ultralibéral véhiculé par la Commission européenne, et validé au niveau national tant par l’UMP que le PS ?
Pourquoi ne parle-t-on pas de l’Etat de la Libye, pays apparaissant être livré à lui-même, enlisé dans une lutte des milices[3], où personne ne reconnait l’autorité de l’autre, ce qui ne laisse rien présager de bon quant à la stabilité du pays ? Probablement qu’un bilan de la situation disqualifierait le gouvernement actuel, et les députés ayant voté pour l’intervention, tant le résultat de cette intervention s’avère être un échec au niveau du calme et de la sécurité dans le pays.
Pourquoi nous rend-on compte de la situation syrienne de façon partisane, alors qu’il est aujourd’hui avéré que les forces loyalistes ne tiraient pas sur des manifestants sans défense, mais sur des rebelles (non syriens pour certains qui plus est) financés et armés par des forces extérieures[4] ? Pourquoi ne pas faire le buzz sur l’arrestation en Syrie de militaires français, alors que la presse internationale relaye cette information de la plus haute importance[5] ? Pourquoi ne parle-t-on pas des conséquences d’un renversement brutal de Bachar el-Assad sur la sécurité des minorités religieuses chrétiennes, chiites, et alaouites dans la région ?
Pourquoi accuse-t-on Poutine de trucage électoral, alors qu’il est avéré que l’homme jouit d’un énorme soutien de la part du peuple russe, à en faire pâlir de jalousie n’importe quel homme politique français[6] ? Paye-t-il son véto sur le dossier syrien ? Probablement. Mais dans ce cas, pourquoi nos médias entreprennent-ils une telle campagne de dénigrement[7], alors que n’importe quel expert indépendant en géopolitique déclarera qu’il s’agit d’une excellente nouvelle pour la multipolarité dans le monde[8], et donc une excellente nouvelle pour la France ?
Quels intérêts servent nos médias et hommes politiques sinon ceux de l’étranger ? Les idéaux des Lumières ont bonne presse. Mais derrière les mots, la réalité est plus brutale. N’oublions jamais le côté obscur de la France. Celui des élites préférant l’entente avec l’étranger au détriment des intérêts du peuple souverain. La France des correspondances secrètes de Louis XVI avec le roi de Prusse. La France d’Adolphe Thiers préférant signer en secret la reddition avec les forces prussiennes, afin que ces dernières aident le premier à mater la révolution parisienne naissante (ayant conduit aux évènements de la Commune de Paris). La France de Pierre Laval socialiste autoproclamé, et collaborationniste patenté[9]. La France de Sarkozy l’américain, liquidateur de la spécificité française, et exécuteur des basses œuvres de l’OTAN. La France peut-être de Hollande, inspiré par le fantasque ministre des affaires étrangères Bernard-Henri Lévy, et ayant déjà rassuré la City pour être adoubé comme probable président de la République française.
Derrière la politique du buzz, une autre partie d’échec se joue. Une partie masquée et feutrée, où les apparences sont trompeuses, et les certitudes s’écroulent.
“Nous sommes reconnaissants au Washington Post, au New York Times, au Time Magazine et autres grandes publications, dont les directeurs ont assisté à nos réunions et respecté les promesses de discrétion pendant près de quarante ans. Il nous aurait été bien impossible de développer notre projet pour le monde si nous avions été soumis aux pleins feux de l'actualité pendant ces années. Mais le monde est maintenant plus sophistiqué et disposé à marcher vers un gouvernement mondial... La souveraineté supranationale d'une élite intellectuelle et des banquiers mondiaux est sûrement préférable à l'autodétermination nationale que l'on pratiquait les siècles passés...”
David Rockefeller,
Discours du 8 juin 1991 à Essen en Allemagne.
Colloque de la Commission Trilatérale.
[2] http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/europe/1356047/Euro-federalists-financed-by-US-spy-chiefs.html
[4] http://www.franceculture.fr/emission-l-invite-des-matins-gerard-chaliand-et-vincent-deportes-2012-02-21
[5] http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/middleeast/syria/9122749/Thirteen-French-officers-captured-by-Syrian-Army.html
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