La première des priorités : réformer l’université
La réforme de l’université est dans toutes les bouches à l’occasion de cette pré-campagne électorale, reste à savoir quelles sont les mesures concrètes à adopter. Dans ce domaine, comme dans tant d’autres, les mots ne suffisent pas.
Dans son dernier livre, Daniel Cohen - abondamment cité sur ce blog -
décrit le modèle français comme résultant de la contradiction entre deux
systèmes de valeurs, cléricales et aristocratiques. D’un côté, la
République prône l’égalité de tous (qui renvoie à l’égalité devant
Dieu) mais en même temps, elle fait l’éloge de la noblesse des
conduites. D’ailleurs, dès la Révolution française, le nouveau régime
abolit les privilèges et institue en même temps l’Ecole polytechnique
et l’Ecole normale supérieure, c’est-à-dire qu’il crée une nouvelle
aristocratie fondée sur le mérite et les compétences.
Le système français de l’enseignement supérieur semble l’héritier direct de
l’opposition entre ces deux systèmes de valeurs. Les valeurs cléricales
sont pour l’université qui ne fait pas de sélection à l’entrée et qui
ne demande pas de droits d’inscription très élevés, et les valeurs
aristocratiques pour les grandes écoles qui font au contraire de la
sélection leur pierre angulaire et qui cherchent à pousser les élèves
au maximum de leurs capacités. On voit que cette répartition des tâches
ne se fait pas du tout à l’avantage de l’université, qui devient un
choix par défaut pour beaucoup d’étudiants.
Le problème, c’est
que dans la société mondialisée fondée sur la connaissance qui est la
nôtre aujourd’hui, l’université est devenue un élément central, c’est
l’institution qui prépare l’avenir et la croissance d’un pays. Or les
universités françaises vont mal, comme le montre par exemple le
classement de Shangaï. Certes, cet instrument de mesure est très
imparfait, il surestime le poids des prix Nobel et fait la part belle
aux « grosses » universités, il n’empêche qu’il indique un décrochage
indiscutable de la France dans ce domaine. Plus grave : des dizaines de
milliers d’étudiants entrent chaque année dans des filières bouchées et
sans perspective, ce qui constitue un immense gâchis humain.
En
France, dès qu’il y a un problème, on réclame - souvent à tort - plus
de moyens. L’enseignement supérieur est l’un des rares domaines où
cette « réclamation » me paraisse juste : notre pays dépense moins par
étudiant que la moyenne des pays de l’OCDE, il est même certainement le
seul au monde où l’Etat dépense plus par an pour former un lycéen que pour un
étudiant. Cela ouvre le problème du financement des universités et
notamment la question des frais de scolarité. Il est normal, dans une
société fondée sur la connaissance, de payer pour former son capital
humain qui sera réinvesti tout au long de sa vie professionnelle. C’est
ainsi que l’Angleterre développe un système de prêts garantis par
l’Etat pour les étudiants qui s’endettent pendant leurs études et
qu’ils remboursent une fois qu’ils ont un emploi. Pour éviter que la question
des frais de scolarité n’augmente encore la ségrégation sociale que nous
connaissons déjà, il faut mettre en place un véritable système de bourses,
basées sur le mérite et qui ne se limitent pas aux frais de scolarité
mais prennent également en compte l’hébergement et la nourriture.
Il
faut surtout aller vers une plus grande autonomie financière des universités -
comme le réclame Yannick Vallée - pour permettre à un président
d’université de développer des filières avec l’aide d’entreprises. Il
faut cesser d’ériger une barrière imperméable entre le monde de
l’enseignement supérieur et celui de l’entreprise, il s’agit là de
conceptions idéologiques éculés. Les lignes semblent bouger,
puisque certains socialistes comme Dominique Strauss-Kahn semblent
prêts à s’engager dans cette voie. Cette question rejoint celle, plus
vaste, de la gouvernance et de l’autonomie des universités. Aujourd’hui
celles-ci sont gérées par des sortes de comités d’entreprise très
disparates, en place d’un véritable conseil d’administration. Les
universités doivent être capables de se diversifer et de se spécialiser,
sans que chaque ville ait sa propre université généraliste.
Contrairement à l’enseignement général qui doit être le même pour tous
(en tout cas dans chaque filière), l’enseignement supérieur doit
être concurrentiel, et proposer des projets éducatifs originaux. Voilà
un vrai débat, qui s’oppose au faux débat de la carte scolaire et de la
compétition entre les collèges et les lycées.
Enfin, il reste un
vieux serpent de mer : la sélection des étudiants. Certains y sont
favorables, comme le président de la Sorbonne Jean-Robert Pitte, tandis
que les syndicats étudiants y sont farouchement opposés, au nom de la
liberté de choix. La solution retenue par l’actuel ministre de la Recherche, faire une présélection au mois de février précédent le bac,
me paraît aller dans la bonne voie. Chaque élève aura droit à une
réponse personnalisée qui pourra l’aider à faire ses choix. Il faut en
effet lutter contre les asymétries d’informations dans le système
éducatif français, qui sont souvent plus déterminantes que les
inégalités sociales.
Il y a plusieurs raisons, malgré ce
constat apocalyptique, d’être optimiste. Tout d’abord, la campagne
éléctorale prochaine permet de traiter toutes les questions et donnera au
pouvoir politique fraîchement élu une forte légitimité pour réformer et
pour agir. Ensuite, il existe un assez grand consensus sur les
modifications à apporter au système actuel chez les économistes, les
profs et les présidents d’université et les politiques. Enfin, il y a
un effet bénéfique paradoxal du classement de Shangaï, et surtout de sa
publicité : réformer les universités devient possible car pour les
Français, cela « ne peut pas être pire ». Ainsi, beaucoup de sujets en
débat actuellement (autonomie, sélection, liens avec l’entreprise...)
n’auraient même pas pu être évoqués il y a quelques années. Signe que
les mentalités évoluent.
Retrouvez cet article et bien d’autres sur mon blog : ViveVive la République !
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