La science moderniste comme projet totalitaire

Parler de la science comme le ressort d’un système totalitaire ne va pas de soi. Sans doute faut-il livrer quelques éléments liminaires permettant de « situer » le totalitarisme à travers ses manifestions historiques ainsi que d’analyser les ressorts du totalitarisme. Dont les deux expressions majeures autant qu’emblématiques furent le nazisme et le soviétisme. Deux systèmes que l’on peut interpréter comme des expériences collectives et qui ne peuvent être réduites aux deux figures qui les incarnent, Hitler et Staline. Pour bien comprendre les ressorts, convenons que Hitler et Staline n’ont pas produit les totalitarismes mais ont été engendrés par des systèmes dont l’essence était d’avoir un leader, un « homme de main » au sommet en quelque sorte, pour « prendre en main » les populations encadrées par l’Etat. En démocratie, le besoin de leader est aussi un trait essentiel. Pour preuve, le régime présidentiel présent dans les deux « grandes démocraties » que sont les Etats-Unis et la France. Au Royaume-Uni, il y a un leader exécutif, le premier ministre, et un leader symbolique, la reine.
Mais à notre époque marquée par la vidéosphère de masse, les leaders modernes à l’ancienne ne semblent plus pouvoir émerger et d’ailleurs, c’est peut-être une bonne nouvelle. Qui comme dans la fameuse boutade accompagne une mauvaise nouvelle. La vidéosphère fait émerger des hommes factices mais célèbres et influents, tout aussi influents que les publicités les plus réussies. BHL, Attali, Onfray et nombres de politiciens de spectacles occupent la scène influente. Le système actuel ne fabrique plus des héros mais des acteurs de film historique. L’histoire récente n’infirme pas ce propos. L’ancien cow-boy de série B, Reagan, s’est fait élire à deux reprises. Vingt ans avant, Eisenhower gouvernait les Etats-Unis. Tony Blair est arrivé au pouvoir avec les méthodes d’un VRP et Barack Obama celles d’un prophète de péplum. Evitez je vous prie de voir dans ce propos ce qui n’y est pas. Je n’ai pas dit qu’avant c’était mieux mais qu’avant c’était différent. J’essaie de faire de la philosophie en laissant la morale de côté.
Qu’est-ce qui fut si différent il y a un siècle et qui permet de saisir comment nous sommes quelque part piégés par le système ? A partir de 1930, le totalitarisme était diffus dans les consciences mais il avait dans ses manifestations politiques des frontières car c’était un totalitarisme d’Etat, avec le régime nazi et le régime soviétique. Le premier est tombé en 1945 avec les armes. Le second s’est effondré car il n’était plus en phase avec le développement des sociétés. Il ne faut pas oublier qu’un système totalitaire repose sur une adhésion franche et massive de la population. A l’ère de la consommation et de la diffusion des modes culturels, les peuples du système soviétiques se sont lassés, le système ne procurant ni sens de l’existence, ni produits de consommation en quantité suffisante. Le soviétisme s’est effondré non pas par la guerre (qui fut froide) mais par la concurrence d’un autre système développé par l’Occident démocratique. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que le totalitarisme a été vaincu parce qu’il avait des frontières.
Ce qui nous amène au totalitarisme mou, liquide, diffus et apparemment apolitique bien qu’il soit cernable du point de vue idéologique. C’est le totalitarisme qui s’est mis en place depuis un demi-siècle avec une accélération notable après l’an 2000. L’homme est double, mondain et secret, public et privé, agissant et pensant, masqué et authentique. Le totalitarisme scientifique réduit la vision de l’homme à sa contrepartie matérielle agissante et communicante. C’est la dictature des effets mesurables, des apparences, des normes. Il met hors jeu le domaine de la liberté, du divin, de la transcendance, du Dieu caché en l’homme. Mais ce totalitarisme s’exerce dans un espace démocratique. Il est donc moins contraignant et dangereux que le soviétisme et le nazisme, même s’il en épouse les principes et conduit au même résultat, à savoir la production d’un homme du troupeau, robotisé, considéré comme moyen, matériau, pour les expériences conduites par les élites politiques, technocratique et scientifiques.
Du point de vue anthropo-philosophique, on retrouve dans le totalitarisme scientifique et démocratique un classique, celui de l’homme géré comme un moyen par un ensemble d’individus oeuvrant au services de leurs intérêts propres en utilisant comme instrument global l’Etat démocratique et de plus en plus, les médias de masse qui germaient déjà en 1930. Le « brave peuple » est dressé pour aboyer contre le salaire des patron mais nul ne s’offusque des revenus colossaux d’un Dany Boon et de toutes ces célébrités parvenues au sommet du spectacle dont le show est d’une médiocrité affligeante mais les revenus conséquents et acquis grâce aux moyens médiatiques mis à leur disposition. La télé de masse se targue de diffuser des émissions culturelles et d’info alors qu’elle ne fait que diffuser de la publicité offerte aux vedettes de l’industrie culturelle. Chaque people qui passe chez Ruquier, Arthur, Sébastien et j’en passe se voit offert des minutes de publicité qui pour un industriel, seraient facturées au tarif de quelque cent mille euros et plus.
Le totalitarisme scientifique et moderniste est moins dangereux que le nazisme et le stalinisme sur le plan des libertés et de l’intégrité physique mais il recèle un caractère pernicieux, celui d’être diffus, non localisé, globalisé, et surtout interne aux sociétés. Le nazisme et le soviétisme ont été vaincus de l’extérieur par un groupement d’Etats, les alliés en 1945, les démocraties de marché en 1990. Il n’existe pas d’Etat censé lutter contre le totalitarisme scientifique. C’est ce qui rend le combat à la fois difficile mais aussi très intéressant sur le plan philosophique car ce combat est celui des citoyens et des hommes libres. C’est un combat qui engage les valeurs, la vertu (au sens des Anciens et de Machiavel), le courage, l’intelligence, bref, tous les traits de caractère et d’essence que l’on trouve chez l’homme aristocratique. Cette notion renvoie au sens antique. Les aristocrates sont les meilleurs, les hommes porteurs d’excellence. Dans cette conception ouverte, il n’y a pas d’aristocrate par le sang ni par la classe sociale. Tout homme a la possibilité de devenir aristocrate, à son propre niveau. Comme dirait Simone, on ne naît pas aristocrate, on le devient !
Mais comme il faut savoir être lucide, reconnaissons qu’il ne sera pas facile de sortir du totalitarisme contemporain qui repose sur les technologies, les technocrates, les médias de masse et un mode d’existence largement consenti car il procure souvent une sorte d’anesthésie existentielle. Quand on s’affaire dans la production et le divertissement, on ne pense pas. La science ne produit pas de salut sur terre mais conduit l’homme vers la perdition et l’aliénation à force de plonger les âmes dans une addiction aux matérialités artificielles. Un salut possible réside dans la philosophie ainsi que dans l’espérance pour ceux qui ont la foi. Peut-être aussi miser sur une alliance entre raison et gnose.
Mais la gnose est à double tranchant. Elle accentue parfois le côté sombre de l’humanité et d’ailleurs, il y a sept siècles, des gnostiques cathares et hérétiques avaient définitivement jugé le monde matériel et terrestre comme empire du mal. De nos jours, l’hérétique ne croit plus en un monde meilleur construit par les hommes et voit parfois un monde sombre où s’agite la multitude d’hommes aliénés par le système et ses productions médiocres. Un monde qui semble s’écarter de la lumière et se complaît dans l’existence artificielle procurée par les médias et les technologies avec une politique qui va dans le mur en construisant des cités et en ne jurant que par la technique. On ne peut pas sortir de ce totalitarisme et c’est ce qui rend brumeuse et désabusée la conscience gnostique. D’autant plus que la raison appuie le constat lucide d’un avenir quelque peu barré.
En effet. Le système scientifique moderniste fonctionne sur l’expérience et la mesure. De ce fait, il peut servir les intérêts démocratiques mais aussi et mieux encore les systèmes totalitaires. La vérité étant même pire que ce que l’on peut imaginer. La science moderniste est de nature à orienter les individus dans les dérives autoritaire, tyrannique et autoritaire. Elle fait du simple individu démocratique le petit tyran du peuple prophétisé par Tocqueville. Elle fait des élites les rouages d’un système organisé par des autocrates et des technocrates dont le cerveau se formate peu à peu « à la Eichmann ». A force de mesurer et calculer, l’homme devient une sorte de robot qui dirige d’autres robots. Mais comme nous sommes en démocratie, chaque robot humain possède le droit de vote. Les problèmes actuels ne sont dus ni au climat, à l’euro, à l’Europe, à la finance, au néolibéralisme. Les problèmes sont dus au fait que les hommes deviennent peu à peu des robots insérés dans le système totalitaire dont la genèse possède deux piliers, l’un d’eux étant la science moderniste.
Finalement, il n’y a pas trop de différences dans les ressorts entre le nazisme, le stalinisme et le totalitarisme contemporain. Dans les formes, oui, beaucoup de différences. L’individu du système est partie prenante de la domination et collabore mais pas de la même manière. Celui qui offre ses données sur Internet ou se prête aux expériences technique participe au système, au même titre que l’Allemand moyen qui donnait ses objets métalliques pour qu’ils soient fondus et servent de matériau pour les armes du régime. Que dire de plus ? Que le système a aussi ses réfractaires et que de l’intérieur, il n’est pas facile de saisir à quel point on est aliéné et asservi par le système.
Tous ces points énoncés mériteraient des développements qui n’ont pas de place ici sur cette tribune dédiée aux gens avertis mais aussi et surtout aux gens pressés. Je n’ai aucune chance pour être édité. Je n’apporte pas le scandale comme Onfray mais la subversion et la conversion, ce qui est bien plus dangereux pour le système. Un système dans lequel la science moderniste est un pilier déterminant. Vous pouvez retourner dans votre niche, le système s’occupe de vous. Mais rien ne vous empêche de sortir de la niche et d’aboyer, ou mieux encore, de construire des cathédrales.
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