Le MoDem survivra-t-il aux municipales ?
Pris dans la tourmente des défections de ses principaux lieutenants, le parti de François Bayrou, créé sur mesure à l’occasion des dernières élections, joue sa dernière carte lors des élections municipales à venir. Mais a-t-il encore un avenir politique, pris en tenaille entre l’ouverture sarkoziste et la recomposition de la gauche ? Seule une analyse approfondie des mille premières villes de France permet d’envisager une réponse à cette question.
Un scrutin défavorable
C’est sans doute le
scrutin le moins favorable pour l’émergence d’un parti nouveau, tant les
situations sur le terrain dépendent de barons locaux, de luttes anciennes,
d’accords électoraux contre nature et surtout, d’une organisation nationale et
fédérale parfaitement huilée. L’ancienne UDF bénéficiait de nombreux atouts
dans ce domaine, ainsi que d’accords sur le plan national aussi bien que local
avec son frère ennemi, le RPR.
A présent que l’UMP a
avalé tous ses rivaux à droite, le MoDem se retrouve bien seul sur le terrain
et ne doit sa survie qu’à ses militants et à ses deux leaders nationaux :
François Bayrou et Marielle de Sarnez.
Rappelons quelques
chiffres pour situer les enjeux.
Lors des élections
municipales de 2001, les résultats du premier tour dans les mille premières
villes de France (équivalant à plus de la moitié de la population totale)
donnaient le palmarès suivant :
-
RPR : 17,3 %
-
UDF : 10,6 %
-
RPF (de
Villiers) : 1,6 %
-
DL : 4,0 %
-
Divers droite
: 12,9 %
-
FN : 2,8 %
-
MNR (Mégret) :
2,2 %
-
TOTAL DROITE : 51,4
% (46,4 % sans l’extrême droite)
-
PS : 27,9 %
-
PC : 6,9 %
-
PRG : 1,0 %
-
MDC
(Chevènement) : 0,7 %
-
Verts : 3,1 %
-
Divers gauche
: 4,3 %
-
Extrême gauche
: 2,8 %
-
TOTAL GAUCHE : 46,7
% (43,9 % sans l’extrême gauche)
On sait que sous les étiquettes "divers" se placent
fréquemment les dissidents de tout poil issus des partis traditionnels
majoritaires (voir Neuilly !). Mais ceci donne un instantané intéressant du
paysage politique national, à comparer avec les élections législatives les plus
proches, soit celles de 1997 et 2002. Entre ces deux élections, un événement
majeur est venu modifier profondément la donne politique : la création de
l’UMP !
Ainsi, en 1997, l’UDF obtenait encore 15% des voix, alors qu’elle ne
recueillait plus que 5% en 2002 ! La tornade blanche est passée par là et
a réduit le parti du centre à sa plus simple expression. Mais sur le terrain,
272 candidats UDF se sont présentés aux élections municipales précédentes,
souvent en tant que représentants uniques de la droite locale. 67 d’entre eux
ont d’ailleurs été élus au premier tour et 48 au second. Voilà bien la seule
raison authentique du départ des anciens lieutenants de Bayrou. Elus le plus
souvent au niveau local, ils ne devaient leur siège qu’à la présentation d’une
liste d’union avec la droite gaulliste. Seuls quelques indépendants farouches
ont osé braver l’omnipotence du RPR. Dans 72 villes de plus de 10 000
habitants, des "triangulaires" ont opposé des candidats de la gauche
plurielle, du centre et de la droite gaulliste.
340 investitures centristes en France
En investissant plus de 340 listes autonomes dans la majeure partie
des départements français, le MoDem augmente sensiblement le nombre de
prétendants dans les villes de plus de 10 000 habitants. D’autre part, une
centaine de chefs de file participeront à des listes d’union, soit à droite,
soit à gauche. Dans la plupart des cas, il s’agit de la reconduite de listes de
maires sortants, dans lesquelles des conseillers municipaux UDF étaient élus.
On peut noter qu’un tiers des maires élus sous l’étiquette UDF se
représenteront sous la couleur orange (28 maires sur 95), alors qu’à peine 6
d’entre eux se présenteront sous la bannière Nouveau Centre, ce qui prouve
encore le peu de poids électoral du concurrent centriste. La plupart des autres
maires élus en 2001 en tant qu’UDF ont rejoint l’UMP ou se présenteront comme
"divers droite".
Le plus intéressant est d’observer dans quelles villes les nouveaux
candidats MoDem se présentent massivement, sans grande chance de succès.
Paris en premier lieu. Vingt candidats, contre seulement quatre en
2001, dont Didier Bariani, qui avait été battu dans une triangulaire contre un
RPF et Michel Charzat. L’implantation de l’UDF était faible en 2001. Le score
cumulé de Lepage et Bayrou dépassait à peine les 10% lors du premier tour des présidentielles en 2002. En 2007, Bayrou a réuni près de 21% des suffrages
parisiens aux présidentielles. Si cette tendance se confirmait, dans
une fourchette entre 15 et 20% aux municipales, le MoDem pourrait certainement
devenir le premier allié de Delanoë.
Plus intéressant encore est le nombre de candidats du MoDem dans les
banlieues "rouges" de la capitale. Plus de 130 centristes se
présenteront en Ile-de-France, dont plus de la moitié face à des maires
sortants de gauche, notamment communistes en Seine-Saint-Denis. Rappelons ici
également les très bons scores de Bayrou au premier tour de la présidentielle
(19% dans le 77, 22% dans le 78, 20% dans le 91, 21% dans le 92, 17% dans le
93, 20% dans le 94, 19% dans le 95). Dans de nombreuses villes de droite comme
de gauche, il faudra compter sur des triangulaires difficiles au deuxième tour,
sauf accords locaux de désistement. Une ville comme Poissy, par exemple, qui
compte plus de 35 000 habitants, avait vu un jeune candidat MoDem bien résister
face à Jacques Masdeu-Arus, maire depuis 1983, malgré la vague bleue des
élections législatives de juin dernier. Il avait alors conservé près de 14% des
voix au premier tour, contre 21% pour Bayrou dans la même ville aux présidentielles.
Des villes seront particulièrement intéressantes à observer, où la
droite traditionnelle a toujours bénéficié de l’appui des centristes et devra
compter, désormais, avec une liste concurrente.
Marseille est également significative. Alors que l’UDF n’y présentait
aucun candidat en 2001, la liste menée par l’ex-vert, Jean-Luc Benhamias,
risque de récolter les fruits de l’usure du pouvoir et de la discorde
traditionnelle entre gauche et droite phocéennes. Malgré tout, les résultats de
la présidentielle, moins favorables au MoDem, ne laissent entrevoir qu’un
résultat ne dépassant pas 15% sur l’ensemble de la ville, sauf miracle. Quelle
sera l’attitude des électeurs des quartiers populaires face à une liste
"multiculturelle" ? Aux dernières législatives, le résultat
s’était situé dans une fourchette de 3 à 8% des suffrages. Les sondages du
début février créditaient 5% d’intentions de vote à Benhamias. Trop peu pour
peser sur un deuxième tour.
A Lyon, la situation est beaucoup plus complexe, après le ralliement
du candidat investi par Bayrou à la liste de Dominique Perben. La nouvelle
liste, menée tambour battant par le jeune Eric Lafond, aura beaucoup de
difficultés à surnager dans ce panier de crabe. La défaite de Perben ne faisant
aujourd’hui plus aucun doute, le MoDem se rapproche ostensiblement de Gérard
Collomb. Les derniers sondages parus accordaient une large avance au
socialiste, soutenu même par Anne-Marie Comparini, candidate malheureuse du
MoDem aux législatives de 2007. Pourtant, dans une ville historiquement
centriste, Bayrou avait obtenu 20% des votes aux présidentielles. Le MoDem,
selon toute logique, ne devrait pas faire moins de 10 à 15% des voix en se
présentant dans l’ensemble des arrondissements. Il deviendrait ainsi un allié
utile pour la gestion de la ville.
Des triangulaires en vue dans de
nombreuses villes
D’autres villes seront particulièrement intéressantes à observer,
comme Toulouse, ville traditionnellement UDF. Ici aussi, le rapport de force
droite-gauche dépendra fondamentalement de l’apport des voix du MoDem. Le maire
sortant, Jean-Luc Moudenc, UDF rallié à l’UMP, ne peut gagner la mairie sans
l’appoint du centre. Les derniers sondages parus donnent 41% d’intentions de
vote pour sa liste, contre 37% pour les socialistes. Il existe cependant un
réservoir de voix à gauche de 12%, répartis entre les alternatifs et
l’extrême-gauche, ce qui inverse le rapport de force. Restent 8% d’intentions
de vote pour le MoDem. Comment réagiront-ils et pour qui balanceront-ils au
second tour ? La ville tombera certainement à gauche, avec ou sans eux.
A Nice, la création d’une liste "Arc-en-ciel" réunissant des
candidats PRG et le MEI (Mouvement écologiste indépendant d’Antoine Waechter)
jouera certainement un rôle important dans la constitution d’une majorité au
second tour. En effet, la droite est déchirée entre Christian Estrosi,
représentant officiel de l’UMP, et Jacques Peyrat, maire sortant, ex-FN. La
gauche l’est tout autant, entre deux candidats socialistes. De même que le centre, puisque Rudy Salles, ancien soutien de Bayrou, viendra défendre les
couleurs du Nouveau Centre ! Situation extrême où tous les camps se
retrouvent divisés. Apparemment, Peyrat était donné battu par les premiers
sondages, mais ceux-ci étaient parus avant la chute de Sarkozy dans l’opinion
et les différentes controverses concernant le "droit du sol" et
l’immigration. L’électorat niçois, traditionnellement de droite conservatrice,
n’élira certainement pas un MoDem à la mairie, mais toutes les voix compteront
pour le second tour.
Reste la question de Pau et de la candidature de François Bayrou à la
mairie de cette ville. Ici, ce sont les socialistes qui mènent la danse.
Héritiers de la ville de Labarrère, ils se déchirent de manière très peu
orthodoxe. L’un, Yves Urieta, le maire sortant, est allé chercher le soutien de
Nicolas Sarkozy, l’autre, Martine Lignières-Cassou, joue la ligne dure de la
gauche. Tout le monde a cherché à débaucher les membres des autres listes,
provoquant même un déplacement exceptionnel du chef de l’Etat pour soutenir son
candidat "d’ouverture". Selon un sondage paru le 15 février, Bayrou
serait battu au deuxième tour en cas de triangulaire, d’une courte tête.
Certains supposent même que son soutien à Juppé à Bordeaux ne servirait que de
monnaie d’échange pour garantir un succès au second tour, grâce au retrait de
la liste PS-UMP. Tout cela est très complexe et, vraisemblablement, peu
probable. Quoi qu’il en soit, la victoire ne tiendrait qu’à un fil dans tous
les cas de figure.
Victoire ou défaite ?
Bien d’autres villes feront l’objet de luttes acharnées, et seront
l’enjeu de partages des voix de second tour. En ces temps de pseudo ouverture,
de recomposition de la gauche, de revanches électorales, d’effondrement de la
cote de confiance du président, de trahisons neuilléennes, de revirements de
bord divers et variés, le seul indicateur objectif pouvant signifier que le
MoDem a réussi ou échoué est le nombre de voix reçues dans les mille premières
villes de France. En 2001, l’UDF avait obtenu un million de voix dans ces
villes de plus de 10 000 habitants, soit 10,6% des suffrages exprimés.
Ce résultat, rapporté au nombre de candidats présentés par le MoDem, nécessiterait
que chaque liste réalise en moyenne 21% des suffrages exprimés pour atteindre
un chiffre comparable. Un objectif qui paraît bien inatteignable, lorsqu’on le
compare aux résultats des législatives (7,5% en moyenne par candidat). Un
pronostic raisonnable situerait donc le nombre de suffrages entre 7 et 15% en
moyenne, soit entre 300 et 600 000 voix à l’échelle nationale. Nous sommes bien
loin des résultats de la présidentielle, et c’est la loi de ce type de scrutin.
Reste la capacité à gagner quelques municipalités, ici ou là. Les
maires sortants restés fidèles pourront-ils conserver leur poste ? Rien
n’est moins sûr pour Hervé Chevreau à Epinay-sur-Seine, Bruno Joncour à
Saint-Brieuc, Vincent Delahaye à Massy, Nicole Rivoire à Noisy-le-Sec, Alain
Cazabonne à Talence, Geneviève Darrieusecq à Mont-de-Marsan... qui ont tous
cherché ou obtenu le soutien de l’UMP pour conserver des chances d’être élus.
La situation est plus facile (peut-être ?) pour Jean-Marie Vanlerenberghe
à Arras ou Didier Borotra à Biarritz... qui peuvent s’appuyer sur une image
consensuelle et un bilan positif.
Les législatives avaient vu plus de 500 candidats MoDem affronter
courageusement ce scrutin sans réel espoir de réussite. Parmi eux, un quart
seulement avaient dépassé le seuil des 10%. Combien de ces valeureux soldats
osent se représenter aux municipales pour une bataille perdue d’avance ?
Quelques-uns ont choisi de tenter l’aventure des cantonales. Plusieurs, dont le
plus célèbre est Jean-Marie Cavada, ont changé de camp. Enfin, une douzaine se
présentent, comme Gilles Artigues à Saint-Etienne, avec l’espoir de rééditer ou
de dépasser un score supérieur à 15%, ce qui leur permettrait de se maintenir
au second tour.
Quel que soit le résultat final du MoDem en nombre de maires élus ou
non, l’important pour Bayrou est d’obtenir autant de conseillers municipaux que
possible afin de peser sur les prochaines sénatoriales, entre autres, et de
prouver ainsi qu’il peut résister encore. Il faut tenir jusqu’aux prochaines
élections, bien plus favorables : les européennes en juin 2009.
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