Matthieu Grimpret : « L’avenir du libéralisme se trouve dans les banlieues »
Cette année, la palme du titre le plus long de l’édition française revient à Matthieu Grimpret, pour un livre très alléchant et dont on commence à beaucoup parler dans les milieux intello-politico-people : Traité à l’usage de mes potes de droite qui ont du mal à kiffer la France de Diam’s. Pourtant, au-delà de l’astuce et de la provoc’, ce livre est porteur d’affirmations fortes. Décryptage avec l’auteur, autour d’un thème inattendu quand on parle des banlieues : le libéralisme.
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Votre livre est à la fois un exercice intellectuel et humoristique. Pourquoi l’avoir écrit sous cette forme ?
Parce qu’il est souvent plus facile de faire passer certaines idées non conformistes par l’humour, chacun le sait. C’est aussi une manière de faire comprendre que des choses apparemment anodines – une chanson de variété, par exemple – sont souvent révélatrices d’évolutions sociales qu’il faut prendre en compte et analyser. Sans pour autant en faire l’alpha et l’oméga de la réflexion politique. Bref, je trouve intéressant de parler avec une certaine légèreté de choses sérieuses, et avec sérieux de choses légères…
Merci de le préciser, car votre livre est aussi un texte sérieux ! S’il fallait garder une seule idée parmi les arguments que vous développez, laquelle serait-ce ?
Oui, mon livre est un texte sérieux au sens où il évoque des problématiques fondamentales : la rencontre des cultures, le visage de la société française, le sort fait aux jeunes issus de l’immigration, le dynamisme de certains jeunes de banlieue, la paix civile, les pistes pour sortir de l’atonie économique dans laquelle nous semblons plongés… En même temps, ce n’est pas une thèse universitaire, et on pourra estimer que certains points méritent d’être approfondis et discutés dans le détail. Concernant les idées à retenir de la lecture de ce petit livre, il y en a sans doute plusieurs. Mais il en est une que j’essaye de traiter de manière originale – en tout cas, je crois que, sauf erreur de ma part, mon propos est inédit dans le champ des études politiques contemporaines en France : l’avenir du libéralisme, c’est-à-dire principalement de l’économie de marché libre, se trouve dans les banlieues.
Voilà une affirmation pour le moins iconoclaste… Pouvez-vous nous en dire plus ?
Il faut lire le livre pour le découvrir ! ;-) Je peux déjà présenter les prémices de mon argumentation : d’abord, il existe une réalité, celle de centaines d’initiatives lancées par des jeunes de banlieues qui ont compris qu’il ne fallait pas attendre de l’Etat – un Etat en faillite, comme dit François Fillon – autre chose qu’une aide de seconde zone. En somme, il ne faut pas compter sur l’Etat pour atteindre les sommets. Or, on constate chez de nombreux jeunes de banlieue une ambition très prometteuse qui, bien cadrée, peut les mener très haut. Remarquez bien : parmi les jeunes de banlieue devenus des figures influentes au plan économique, artistique, intellectuel ou politique, il n’y a pas un seul « héritier ». La plupart du temps, ils se sont fait tout seuls en comptant sur leur propre force, leurs propres talents, leur propre volonté, leur propre énergie. A cet égard, les banlieues sont un foyer d’énergie qu’il faut reconnaître, encourager, aider – et canaliser le cas échéant, car trop souvent cette énergie est mise au service du désordre et de la violence gratuite.
En quoi tout cela est-il libéral ?
C’est libéral au sens où le libéralisme reconnaît et encourage l’autonomie de la société civile par rapport aux structures étatiques, ce qu’on peut appeler la "créativité hors-sol" – qui n’est pas financée par le patriarcat étatique. Le libéralisme promeut aussi la responsabilité individuelle, la prise de risque et la rémunération de cette prise de risque. Il reconnaît surtout qu’il n’existe pas de place donnée pour l’individu au sein d’une société : une place, ça se gagne à la force du poignet. Le libéralisme des banlieues réhabilite en quelque sorte ce qu’il y a de plus noble dans l’instinct de survie : la vie est un combat et comme le disait Jean-Edern Hallier, « chaque matin qui se lève est une leçon de courage ». Certaines personnalités venues des banlieues, comme Diam’s, ont une « rage de vivre » communicative. Il faut que les habitants de la vieille France s’en inspirent. Ceux qui prétendent être des « Français de souche » (une aberration démographique, selon moi) doivent se laisser influencer par les « Barbares » (pour reprendre l’expression de Frédéric Ozanam au XIXe siècle).
Cette idée est-elle facile à faire passer ?
Non, pas toujours. D’ailleurs, mon livre a reçu de meilleures critiques à gauche qu’à droite, alors que je me définis comme un intellectuel de droite ! C’est pourquoi il s’adresse en particulier, comme le mentionne son titre, à mes « potes de droite ». Bien souvent, les gens de droite adhèrent au discours libéral – ils veulent moins d’impôt, moins de charges, moins d’assistanat – mais ont du mal à accepter que les « sauvageons » des banlieues soient, eux aussi, animés par les valeurs de base du libéralisme. Quant à reconnaître que ces « sauvageons » en viennent parfois à incarner ces valeurs, c’est hors de question ! En réalité, ces gens de droite un peu psycho-rigides sont plus des réactionnaires que des libéraux : ils sont ce que j’appelle des « patrimonialistes ». Selon eux, le premier devoir d’un Français n’est pas de construire l’avenir, mais d’entretenir le passé, c’est-à-dire de préserver le patrimoine - un patrimoine qui s’apparente, pour eux, à une identité nationale quasi-mythologique où seuls les Blancs, chrétiens, francophones ont une légitimité. Pour ma part, je pense qu’on peut aussi bien honorer les trésors du passé et s’émerveiller des promesses de l’avenir. L’Histoire ne demande jamais de choisir entre les deux.
Pour plus de détail sur les idées développées rapidement dans cette interview, n’hésitez pas à lire le livre de Matthieu Grimpret, Traité à l’usage de mes potes de droite qui ont du mal à kiffer la France de Diam’s. Concluons sur cet extrait éloquent : « La jeunesse des banlieues est porteuse d’un élan vital qui la rend énergique, mais aussi brouillonne. Rien d’anormal, en réalité. D’abord parce que, nous révèle Bergson, "la vie est avant tout une tendance à agir sur la matière brute". La vie, en somme, est un exercice grossier. De même que nul n’est capable de prévoir la trajectoire des étincelles qui jaillissent de la rencontre entre deux pièces de métal, la vie "sème sur son chemin" une "imprévisible variété de forme" (Bergson) (…) L’avenir du capitalisme se trouve plus dans les banlieues des trafiquants de shit – une ferme répression de l’Etat doit bien sûr les forcer à se tourner vers d’autres marchandises – que dans les grandes banques privées où les golden boys surdiplômés et surpayés se conduisent bien souvent comme des fonctionnaires, paralysés par toute idée de risque. Or, la prise de risque est le principe d’organisation et de mouvement du marché. »
Foucauld Bonchamps
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