Mélenchon - Le Pen : la promesse d’une désillusion
Lorsqu’on interroge les Français qui s’apprêtent à voter Mélenchon ou Le Pen, une réponse revient presque systématiquement : « nous en avons marre ! ». L’exaspération serait ainsi la principale motivation du vote des extrêmes. Et, honnêtement, il y a de quoi. Les Français sont aujourd’hui accablés par des difficultés majeures : chômage massif, effritement du pouvoir d’achat, dette publique abyssale, surendettement des ménages, crise du logement, insécurité, immigration massive, sentiment de déclassement dans la compétition internationale. Et les partis classiques du gouvernement semblent démunis, ce qui légitime le repli de l’électeur sur les extrêmes.
Mais c’est un repli qui, dans l’esprit de nombreux électeurs, a dépassé le seuil de la simple exaspération. Ils adhèrent au programme d’extrême droite ou d’extrême gauche au point de croire que Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon sont en situation de remporter la bataille de l’Elysée, de réunir une majorité parlementaire et de gouverner la France en appliquant l’un ou l’autre des programmes des extrêmes. Il faut beaucoup de courtoisie pour écraser l’envie de pouffer de rire face aux gens qui croient sérieusement à une telle éventualité. Car ils se comptent désormais par millions, sont déterminés et foncièrement convaincus que le 6 mai prochain, le locataire de l’Elysée pour cinq ans minimum s’appellera Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon.
Un rêve fou auquel les candidats concernés, eux-mêmes, ne croient pas. Ils essaient juste de drainer des foules et tentent de battre le record des suffrages antérieurs, bien conscients du plafond de verre séparant les meetings hystériques de la consécration élyséenne. Ainsi, pour être franc avec les électeurs, et malgré les frémissements dans les sondages, on s’achemine vers une inévitable désillusion pour tous ceux qui rêvent du « Grand Soir » ou de « la France aux Français ». Et il ne peut pas en être autrement. Les séquelles du 21 avril 2002 sont encore vivaces dans la mémoire collective et le discours sur le vote utile rallie la majorité des Français. Et dans l’hypothèse où l’un des candidats des extrêmes franchirait le seuil du premier tour, il se ferait copieusement laminer au second tour, car la mobilisation citoyenne épargnera au candidat PS ou UMP de s’épuiser dans une campagne de second tour où tout aura été joué d’avance.
La malédiction des extrêmes est qu’elles ne peuvent pas incarner une alternative crédible. Il s’agit juste de défouloirs. L’exaspération qui conduit à gonfler leurs scores du premier tour laisse rapidement place à un vote « raisonnables » au second tour. Car, au final, les défis auxquels la France est confrontée requièrent un personnel politique « raisonnable » et un travail méticuleux de longue haleine. Il faut par ailleurs des « troupes », des hommes et des femmes qualifiés et expérimentés pour mener la bataille du redressement économique et social de la France. Des « troupes » dont les extrêmes sont désespérément démunies malgré l’illusion alimentée par la démagogie des discours de campagne. Même dans l’hypothèse du miracle qui verrait un candidat des extrêmes franchir la porte de l’Elysée, il ne pourra pas compter sur une majorité au Palais Bourbon et du Luxembourg. Ca s’appelle la « cohabitation » ! dont l’expérience nous a laissé un goût amer.
Sur le plan personnel, les deux leaders traînent chacun quelque chose de rédhibitoire pour l’électeur, au final. Marine Le Pen, malgré ses efforts visiblement sincères d’assainir le parti frontiste, sera inexorablement rattrapée par la réalité. Ses hommes de troupe, hérités de son père, sont à jamais ce qu’ils sont ! Ca éructe de haine, de xénophobie et de racisme dans son dos. La seule idée que des individus pareils prennent le contrôle du pays pousserait une large majorité des Français dans la rue et dans les bureaux de vote pour « faire barrage au Front national », selon l’expression consacrée. Quant à Jean-Luc Mélenchon, on voit mal un grand peuple confier le bouton nucléaire à un personnage aussi irascible. Son discours a beau être cohérent intellectuellement mais on est tout le temps heurté par les insultes dont il mitraille ses adversaires et les journalistes. Même ses propres partisans ne sont pas épargnés. L’ennui que nous inspire la rhétorique policée des énarques ne sera pas assez insupportable pour justifier le choix d’un tribun à ce point agressif. Une agressivité qui crée le malaise même dans les rangs de ses possibles alliés (PS, Verts).
Sur le plan politique, sans qu’il ne soit nécessaire de revenir sur l’ensemble des programmes des deux partis des extrêmes, on peut juste faire remarquer à l’intention de Marine Le Pen que sa promesse de rétablir les frontières et restaurer les pans perdus de la souveraineté de la France n’est tout simplement pas réalisable, raisonnablement. Le processus d’intégration dans l’Union européenne, entrepris par la France depuis le Traité de Rome en 1957 créant la Communauté économique européenne, ancêtre de l’Union européenne, a abouti à un arsenal juridique et à une architecture institutionnelle particulièrement touffus. Un éventuel repli de la France sur elle-même ne saurait s’opérer sans engendrer un immense désordre économique et social à l’échelle du continent. Inévitablement, on se demandera si une telle aventure vaut vraiment la peine. Rien que l’idée de bousculer la hiérarchie des normes pour faire primer les lois françaises sur les directives communautaires mettrait un énorme bazar dans nos cours et tribunaux. En effet, en vertu du principe de primauté de la norme communautaire, le législateur français (mais aussi des autres pays membres de l’Union européenne) n’a qu’un pouvoir subsidiaire. Les lois françaises doivent se conformer aux normes communautaires et c’est le juge français qui assure ce contrôle de conformité.
Une autre promesse répétée à tue-tête dans les meetings du Front national d’instaurer « la préférence nationale » en matière d’accès à l’emploi, au logement,… n’a aucune chance d’aboutir, du moins par un processus législatif. Aucune loi de ce genre, même avec une majorité parlementaire d’extrême droite, ne peut être promulguée en France. Elle serait contraire à la Constitution et le Conseil constitutionnel la retoquerait, sauf si cet organe est dissout et remplacé par une institution de complaisance. Cela n’est possible que dans une France débarrassée de ses institutions démocratiques actuelles et des exigences de l’Union européenne. Un coup d’Etat ?
L’expulsion de tous les sans-papiers qui fait parti des promesses du parti frontiste est aussi illusoire. On estime leur nombre à 200 mille et la France ne peut en expulser qu’entre 20 et 30 milles chaque année. Il faudra au moins 10 ans, c’est-à-dire deux mandats, pour « vider le stock » en s’assurant que les frontières restent hermétiquement fermées et que tous les étrangers actuellement en situation régulière soient systématiquement régularisés dès l’expiration de leurs papiers pour ne pas basculer dans le séjour irrégulier. En plus du désastre économique encouru en cas de disparition soudaine de ces petites mains invisibles, la France baignerait dans un climat de nervosité rythmé par le bal des charters, les rafles et les contrôles au faciès, systématiques. On ne pourra pas expulser 200 milles clandestins en procédant autrement. Un climat politique délétère qui finirait d’achever ce qui reste du prestige de la France dans le monde.
En réalité, depuis 2002, la majorité UMP s’emploie à mettre en œuvre ce qui peut l’être du programme du Front national dans le but avoué d’assécher son électorat. Avec des débordements qui ont couvert la France de honte comme le discours de Grenoble, les rafles d’enfants aux abords des écoles, les démantèlements filmés des camps des Roms, la banalisation des propos xénophobes, même au sommet de l’Etat, des lois islamophobes… Aller plus loin sortirait la France de la démocratie ou, tout simplement, des conditions minimales d’un vivre ensemble. Les initiateurs du débat sur les « binationaux » ont pu s’en rendre compte. Il fallait obliger les binationaux à faire le choix entre la France et un autre pays auxquels ils seraient toujours attachés. L’identité du locataire de l’Elysée, de la première dame et de leurs parents respectifs ; l’engagement de l’Etat français pour obtenir la libération d’un soldat franco-israélien, capturé dans une guerre étrangère à la France ; les brassages dans des millions de familles de France,… tout simplement une réalité sociétale de la France telle qu'elle est a eu raison de l’initiative des Lionel Luca et autres Claude Goasguen. Les Mamadou et les Mohammed, qui étaient en réalité visés, n’ont même pas eu besoin de battre le pavé pour dénoncer une énième « stigmatisation ».
Le Front de gauche, quant à lui, promet, entre autre, de s’attaquer au monde de la finance. « On va rendre les coups », promet Jean-Luc Mélenchon. On ne demande qu’à y croire. Il y a, en effet, une énorme cagnotte sur laquelle prospère le capitalisme financier et tous les responsables politiques lorgnent dessus. Seulement voilà. Les tentatives visant à mettre sous contrôle le monde de la finance ont accouché d’une souris. Notre Président sortant, avec toute l’énergie qu’on lui connait, s’était lancé comme don Quichotte dans la bataille contre ces moulins à vent. Et comme don Quichotte, il a fini à terre ! Depuis, on lui conseille de se « présidentialiser », seule façon de se prémunir contre les désagréments des promesses non tenues. Tout ne peut pas être possible.
Le monde de la finance est particulièrement puissant et insaisissable. Les grandes places financières que sont la City de Londres, Hong-Kong, New York, Paris… n’ont que faire des gesticulations des Robin de bois nationaux. Les négociants pouvant réaliser leurs transactions dans n’importe quel coin de la planète, une législation fiscale « gênante », en France, n’aura que des effets épidermiques puisque les autres places financières se substitueraient immédiatement à la place de Paris. Et pour rendre la cagnotte toujours plus insaisissable, des paradis fiscaux tournent en plein régime pour camoufler à l’économie réelle une partie des richesses produites dans le monde.
Pendant ce temps le pays n’a pas d’autre choix que d’alourdir ses dettes pour faire face aux engagements de l’Etats. Les agences de notation (qui font partie de cet abominable monde de la finance) tirent les conséquences d’une situation des finances publiques désastreuse et nous sanctionnent en nous retirant le précieux « triple A ». Nos politiques qui semblent découvrir l’ampleur d’une dette vertigineuse qu’ils ont eux-mêmes accumulée depuis le passage d’un certain Raymond Barre à Matignon (1975), rivalisent de démagogie et envoient des noms d’oiseaux à ces maudites agences de notation qui n’y sont pourtant pour rien.
A qui va-t-on donc rendre des coups ?
A ceux qui nous prêtent pour nous permettre de boucler notre budget et ses multiples rallonges ; et qui pourraient refuser de nous prêter ; ou à des agences de notations qui ne sont que le thermomètre pour mesurer la fièvre de la dette que nous nous sommes infligée tous seuls ?
En réalité la France ne manque pas d’atouts pour s’en sortir, mais elle aura besoin de temps. De beaucoup de temps. La patience. Un mot à ne surtout pas prononcer dans les meetings des deux leaders des extrêmes. Jusqu’en mai 2012 lorsque la fièvre électorale sera retombée et que la désillusion des foules aura laissé la place à la France telle qu’elle est.
Boniface MUSAVULI
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