Pour un espace politique bidimensionnel
Il faut en finir avec la vision bicolore gauche/droite dans laquelle les idéologies politique ont de plus en plus de mal à exister. La politique n’est pas unidimensionnelle. Voici donc l’espace politique en deux dimensions, dans lequel sont représentés les personnalités de cette élection présidentielle, avec, horizontalement, un axe gauche/droite, et verticalement, un axe « sobriété/croissance ».

Les personnalités politiques sont habituellement représentées sur une rangée bien alignée, les uns étant parqués un peu plus à droite ou à gauche que les autres. Cette ligne droite/gauche sert de guide pour visualiser d’un coup d’œil, les idées des uns et des autres, la proximité des idées des uns avec celles les autres. Mais les idéologies politiques, les façons d’organiser la communauté, ont de plus en plus de mal à exister, et à évoluer dans cette mince représentation.
Dans cette campagne présidentielle, des diagonales se créent, des ralliements se croisent et surprennent [1], et entre des députés, hier frères assis au même banc de l’assemblée, des véritables fossés idéologiques s’entrouvrent. De ce tremblement de terre doit naître un nouveau continent dans les esprits. Car la politique n’est pas unidimensionnelle.
Parce qu’il faut en finir avec cette vision bicolore gauche/droite, dans laquelle, comme l’indiquait Pierre Bourdieu, « on ne saisit rien. », parce qu’ « il faut trouver des indices plus subtils » selon le même sociologue, nous avons besoin d’une nouvelle dimension pour représenter les idées.
Quelques pistes
Quand, dans leurs discours et leurs mesures promises, certains privilégient, ou valident, une certaine forme de "productivisme" (au sens originel non péjoratif), d’autres imaginent plutôt "une sobriété nouvelle". Quand certains bâtissent leur projet politique sur une dévotion dans la croissance du PIB (notamment pour justifier le financement de leurs promesses) d’autres se retournent pour se demander : consommer toujours plus, est-ce encore un progrès ?, et certains même, lancent, comme un nouveau pavé dans la marre politique, la "décroissance". Celle-ci, pour certains, est un gros mot en politique (pour des raisons culturelles mais parfois aussi électorales, il ne faut pas froisser les électeurs avec des gros mots !). Pour d’autres, des scientifiques du réchauffement climatique, comme Jean-Marc Jancovici, cette "décroissance", elle, est un terme assez couramment utilisé dans des modèles décrivant ce qui pourrait attendre notre humanité. [2] Mais le but de cet article n’est pas de débattre de la compatibilité entre croissance et préservation du climat, ou de la manière de rendre celles-ci compatibles entre elles (je laisse les matheux lire un magnifique texte sur "l’équation de Kaya" et aussi [3]). D’autre part, il ne s’agit pas, ici, uniquement d’environnement, point du tout, mais aussi d’idéologie sociale, certains défendant plutôt, le "tout-marchand", parce que l’argent est fait pour circuler, là où d’autres défendent un peu plus le "non-marchand".
Qu’est ce qui frappe, au premier coup d’œil, sur cet espace ?
D’abord, que José Bové n’est pas forcément plus loin, idéologiquement, de Bayrou, que de Ségolène, même s’il indique vouloir voter Ségolène dans un deuxième tour potentiel.
Ensuite, que Bayrou n’est pas beaucoup plus proche de Sarkozy que celui-ci ne l’est de Ségolène.
Voici ci-dessous, de manière non exhaustive, un certain nombre de points expliquants la position verticale des personnalités sur le graphique :
François Bayrou
Il parle très souvent, dans son discours, de "sobriété" : « Une sobriété nouvelle », « On va être plus économe, plus sobre. Choisir des produits qu’on peut réparer plutôt que des produits qu’on est obligé de jeter. », « un modèle de société où l’on ne délocalisera pas perpétuellement toutes les productions, parce que l’on fera attention à ce que coûtent, en pétrole rejeté dans l’atmosphère, les immenses déplacements de marchandises auxquels on se prête aujourd’hui. » Il propose de « valoriser l’engagement bénévole », en termes de retraite par exemple.
Il parle de « ...changer les indices avec lesquels nous mesurons notre développement, les indices qui mesurent la santé de notre économie. Le PIB donne la même valeur à une activité humaine qui détruit l’environnement et à une activité humaine qui le sauvegarde. Le travail de dépollution sur l’Erika est compté dans le PIB ! Cela ressemble à une entreprise qui ne proposerait pas de bilan, qui ne différencierait pas l’investissement et les frais généraux. Il faut que nous mesurions désormais, non pas l’activité, mais le développement humain. » [4], [5]
Il reste quand même, dans d’autres passages de ces discours, dans une logique croissantielle, mais ses propositions financières sont plus timides que celles des deux suivants.
Ségolène Royal
On a pu entendre, chez Ségolène, le même genre de phrase que la dernière de Bayrou que je viens de citer, mais lorsqu’on demande à la candidate de quelle manière elle payera toutes les mesures généreuses de son programme, elle le dit très clairement : « grâce à la reprise de la croissance économique. » Croissance qu’elle cite souvent dans son discours : « Une croissance forte », « la sauvegarde de notre planète est aussi une chance pour la croissance économique... »
Nicolas Sarkozy
Pour Sarkozy aussi, le financement des dépenses, auxquelles s’ajoute des diminutions d’impôt, se fera par la croissance.
Il propose de « travailler plus pour gagner plus. » ...pour donc acheter, consommer plus. Il aime aussi provoquer un peu : « L’état est trop endetté et les français pas assez. » Sarkozy défend dur comme fer l’envie d’abondance des Français : "plus" est un terme fréquent dans son discours. Pour vivre mieux, il faut « plus... » de ceci, « Je veux plus... » de cela...
José Bové
Un journaliste lui demande : « Pensez-vous que cette alternative de gauche puisse être un projet mettant au centre une politique de décroissance soutenable ? »
- José Bové : « Je crois que si une véritable alternative se met en place, elle doit de manière évidente poser la question de la croissance et la question du modèle économique dans lequel on est. On a vu depuis des années que le mythe de la croissance du PIB n’a jamais en réalité changé quoi que ce soit par rapport à la courbe du chômage ou à l’amélioration des conditions de vie des gens les plus démunis. Donc à partir de là, il faut remettre en cause tout le modèle. Que l’on appelle cela "décroissance" ou qu’on essaie de trouver un autre terme, peu importe. L’important est de bien montrer que, aussi bien du point de vue économique, social ou environnemental, notre modèle est à bout de souffle. Et que la planète ne pourra pas supporter ce modèle pour les générations futures. (Il faudrait quatre planètes si l’on veut que tous les habitants de la Terre aient le niveau de vie des Européens.) »
Par ailleurs, les proclamés "antilibéraux" ne sont pas forcément aussi éloignés de certains "libéraux" qu’ils voudraient le faire croire. Tout dépend du sens que l’on veut bien donner à ces mots. Qu’il s’en réclame ou non, un paysan cultivant sa terre, est d’une certaine manière un "libéral", il cultive son "capital". D’autres, se définissant comme "libéraux", défendent la très petite entreprise contre "les gros" dont il faudrait limiter le pouvoir, et tendent donc vers un "anti-néolibéralisme". Cette dernière notion n’est donc pas forcément proportionnelle, dans l’idéologie politique d’un candidat, à sa proximité à l’extrême gauche.
Philippe de Villiers
Il propose la diminution des prélèvements pour relancer la croissance. Par ailleurs, il defent la ruralité et la petite entreprise.
Jean-Marie Le Pen
Sa position est assez simple à expliquer. Elle se résume bien dans le dernier tiers de son discours de Nantes, en février dernier, remettant en cause le changement climatique provoqué par l’homme : en gros, "La voiture pour tous et à bas Kyoto".
Olivier Besancenot
L’autoproclamé « communiste altermondialiste » est à mi-chemin, verticalement, entre Bové et Buffet.
Marie Georges Buffet
Dans son discours, c’est la plus "productiviste" des trois candidats d’extrême gauche.
Conclusion
Certains commentateurs de la vie politique justifient la pérennité de la représentation droite/gauche, en exprimant que celle-ci s’est recomposée au fur et à mesure de l’évolution de la politique, recomposée autour de considérations nouvelles à chaque élection. Ils définissent alors Bayrou comme, inévitablement selon eux, un milieu, un entre-deux. Et ils mettent en garde que s’il était choisi, il n’y aurait alors plus d’alternance possible, dans le futur, que dans les extrêmes.
Mais l’espace politique bidimensionnel ci-dessus montre que Bayrou n’est pas un entre-deux, et que cette triangulaire, en train de s’installer dans l’élection présidentielle, fait bien apparaître trois candidats aux convictions aussi différentes les unes des autres.
[1] Comme récemment, le ralliement du directeur du Monde diplomatique à Bayrou. Ou bien, la position de Jacques Séguéla, sympathisant de Royal et du PS, qui indique que dans le cas d’un deuxième tour Sarkozy/Bayrou, il voterait Sarkozy.
[2] Jean-Marc Jancovici : Sommes nous déjà en décroissance ? (Jean-Marc Jancovici est un des principaux conseillés de Nicolas Hulot au sain du Pacte écologique, il l’aurait notamment convaincu d’y inclure la "taxe carbone". Jean-Marc Jancovici est aussi cité régulièrement dans le discours de Bayrou, mais il se défend d’être un conseillé de celui-ci, comme le journal Le Monde voudrait lui en coller l’étiquette, et affiche son ambition de contribuer à ce que l’ensemble des candidats approuvent sa "taxe carbone".)
[3] Jean-Marc Jancovici : La croissance économique "fait-elle de l’effet de serre" ?
[4] Retrouvez sur AudioBayrou.com, des extraits audio de passages cités ici.
[5] Une intéressante "critique du PIB" est argumentée dans le 5e chapitre d’un magistral essai, qui viens de sortir en version poche : Le plein s’il vous plaît ! d’Alain Grandjean et Jean-Marc Jancovici. (Cet essai a été remis entre les mains de Sarkozy et de Royal par Yann Arthus-Bertrand...)
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