Réformer le Sénat : une exigence démocratique
Parmi les réformes institutionnelles à engager pour que la France rentre dans une ère moderne et démocratique, figure naturellement la réforme du Sénat dont le général de Gaulle disait, après avoir tenté vainement de le réformer : « Le Sénat a un privilège exorbitant et imparable, celui de tout bloquer ».
Nicolas Sarkozy et François Fillon ont indiqué qu’une commission de personnalités, incontestables pour leurs compétences, ferait des propositions sur la modernisation des institutions.
Les membres de cette commission, tous désignés par le président de la République, feront-ils des propositions concernant le Sénat ? Si oui, lesquelles et seront-elles ensuite adoptées ? Jack Lang, professeur de droit constitutionnel, qui a répondu positivement à l’appel du président de la République, fera-t-il des propositions audacieuses, lui, qui, pendant les deux septennats de François Mitterrand, s’est montré plutôt réservé dans ce domaine.
Au vu du conservatisme de la haute assemblée et du vote nécessaire des 3/5 du Parlement pour adopter toute modification constitutionnelle, la commission pourrait très bien accoucher d’une souris...
La
plupart des états dans le monde connaissent ou ont connu l’existence
d’une seconde chambre parlementaire, le plus souvent liée à leur
histoire nationale. Généralement, cette deuxième chambre était créée à
l’origine pour préserver les intérêts de catégories sociales devenues
minoritaires dans la société. Elle
s’est maintenue, au cas par cas selon les pays et son existence a été
justifiée, par ses initiateurs, par de nouvelles fonctionnalités
constitutionnelles ou politiques, souvent très discutables.
Le
Sénat français n’a pas fait exception à cette règle historique. Dans
les lois constitutionnelles de 1875, le Sénat avec ses 300 membres
formait la chambre haute et partageait le pouvoir législatif avec la
chambre des députés. La constitution de 1946 lui substitua le Conseil
de la République, dont le rôle politique et législatif était réduit.
Celle de 1958 a
rétabli un Sénat dont les membres sont élus au suffrage universel
indirect par un collège de grands électeurs, contrairement à
l’assemblée nationale élue au suffrage direct.
Défini à l’article 24 de la constitution, il assure la représentation des collectivités territoriales de la République. En cela, la Ve
République perpétue une longue tradition constitutionnelle française
initiée il y a deux siècles, à la suite de la révolution française.
Mais après un quart de siècle d’une décentralisation qui aurait pu être sa chance, il est devenu la chambre la plus archaïque du monde parlementaire, tout en disposant de prérogatives importantes dans l’élaboration de la loi aux côtés de l’Assemblée nationale.
Les textes doivent être votés dans des termes identiques par les deux chambres. Si aucun accord n’est trouvé, le gouvernement peut convoquer une Commission mixte paritaire (CMP) en charge de trouver un compromis. Si le travail de la CMP n’aboutit pas à un texte de consensus ou si le texte n’est pas voté par l’une des chambres, le gouvernement est alors le seul à pouvoir débloquer le processus législatif en demandant à l’Assemblée nationale de statuer en dernier ressort.
Le président du Sénat
dispose en outre de pouvoirs politiques importants : il assure la
présidence de la République en cas de vacances du pouvoir ou
d’empêchement constaté et nomme un tiers des membres du Conseil constitutionnel.
Un mode d’élection problématique
Le Sénat est renouvelable par moitié, après avoir été renouvelable par tiers tous les trois ans, à partir de 1958. Les sénateurs, au nombre de 326, sont élus pour six ans au niveau départemental et au suffrage universel indirect par un collège composé de 150 000 grands électeurs : députés, conseillers généraux, conseillers régionaux et délégués des conseils municipaux.
L’ensemble de ces grands électeurs ne représente en fait que 0,25 % de la population ! Le poids écrasant des délégués des conseils municipaux (95 % du collège), accentué par le fait que 98 % des communes françaises comptent moins de 9 000 habitants, contribue à faire du Sénat une chambre vouée à la défense quasi exclusive des intérêts ruraux au détriment de l’intérêt général.
Les inégalités de représentation du Sénat sont en effet aujourd’hui manifestes. Selon l’actuel mode de désignation des délégués, une commune de 100 000 habitants dispose de 125 délégués, soit 1 pour 800 habitants, alors qu’une commune de 10 000 habitants dispose de 33 délégués, soit 1 pour 303 habitants. En revanche, une commune de 1 000 habitants, disposant de 3 délégués, sera proportionnellement moins bien représentée, avec un délégué pour 333 habitants.
Globalement, ce système défavorise les communes importantes alors qu’il privilégie fortement certaines communes de taille moyenne, entre 3 500 et 5 000 habitants et entre 9 000 et 15 000 habitants. On observe qu’à l’inverse, celles de 8 000 habitants sont défavorisées sans qu’aucune raison logique ne puisse le justifier.
Une chambre du blocage institutionnel
Si le mode d’élection des sénateurs est la cause d’un grave déficit de légitimité démocratique, il est également responsable de l’avènement d’une chambre structurellement à droite depuis 1858, d’où la difficulté de faire adopter certains textes progressistes.
Ainsi, pendant la première alternance, de 1981 à 1986, seules 42 % des lois ont été adoptées d’un commun accord entre les deux chambres, contre 95 % lors des législatures précédentes. Dans 40 % des cas, le blocage exercé par le Sénat a été tel que le gouvernement s’est vu dans l’obligation de demander à l’Assemblée nationale de statuer en dernier ressort.
Historiquement, le Sénat n’a eu de cesse de s’opposer aux réformes modernisatrices, comme le PACS, la parité ou encore l’indépendance de la justice.
Une réforme indispensable et urgente
Si
certains souhaitent la suppression pure et simple de la deuxième
chambre au nom de la République, ou comme le général de Gaulle en 1969,
en faire une sorte de super Conseil économique et social composé de
représentants de tous les intérêts de la société, une réforme du mode
d’élection constituerait déjà une avancée considérable.
L’introduction
du suffrage universel direct avec application d’une proportionnelle
intégrale rendrait possible une parfaite représentation des Français
dans la diversité de leurs opinions politiques, même les plus extrêmes,
au plus grand profit du débat parlementaire et donc du contrôle
démocratique du gouvernement.
L’échelon
régional constituerait sans doute le cadre idéal pour élire les
sénateurs. Il s’agirait alors d’une chambre de type fédéral sur le
modèle du Bundesrat ou du Sénat américain. Le cadre départemental
actuel, trop étroit, ne permettrait pas, à la proportionnelle
intégrale, la représentation de toutes les sensibilités politiques.
D’après
l’enquête annuelle de recensement 2004 de l’Insee, la population des
régions et départements de France métropolitaine et Dom s’élève à 62
130 000 habitants. Sur la base d’un sénateur par tranche entière de 200
000 habitants, le nouveau Sénat de la République pourrait être composé
exactement de 300 sénateurs, répartis de la façon suivante par région :
- Alsace : 9 sénateurs
- Aquitaine : 15
- Auvergne : 6
- Bourgogne : 8
- Bretagne : 15
- Centre : 12
- Champagne-Ardennes : 6
- Corse : 1
- Franche-Comté : 5
- Île-de-France : 56
- Languedoc-Roussillon : 12
- Limousin : 3
- Lorraine : 11
- Midi-Pyrénées : 13
- Nord-pas-de-Calais : 20
- Basse-Normandie : 7
- Haute-Normandie : 9
- Pays de la Loire : 16
- Picardie : 9
- Poitou-Charentes : 8
- Provence-Alpes-Côte d’Azur : 23
- Rhône-Alpes : 23
- Guadeloupe : 2
- Guyane : 1
- Martinique : 1
- La Réunion : 3
Mais
les deux principales formations politiques françaises restent toujours
réticentes à une vraie démocratisation de nos institutions.
Les parlementaires UMP sont hostiles à toute réforme qui mettrait en péril la domination séculaire de la droite.
Le
PS, dans son programme « Réussir ensemble le changement », prévoit
uniquement l’extension du mode de scrutin proportionnel départemental à
partir de 3 sièges de sénateurs, la modification du collège sénatorial
et la suppression du droit de veto en matière constitutionnelle. Un
petit pas en avant, mais bien trop timide pour aller vers une VIe République.
L’UMP
et le PS restent de plus allergiques à toute modernisation visant à
dépasser notamment, dans ce domaine comme dans tant d’autres, le cadre
départemental, devenu obsolète au vu des changements démographiques et
des empilements d’échelons administratifs de toute sorte qui se sont
produits depuis Napoléon Bonaparte...
Il est temps aujourd’hui de changer de République au lieu de bricoler constamment la Ve, mais la route vers un Sénat démocratique sera longue et difficile.
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