Structure des révolutions par les urnes
Une élection présidentielle en France n'a rien d'un suffrage à deux tours. Il faut en compter quatre. Quatre tours, en France, minimum syndical. Quatre tours dont deux seulement seront de notre fait - les deux derniers, tout en aval ; les autres - les deux premiers - déterminant les termes du choix contraint que tout inscrit à dû trancher dimanche. Hollande ou Sarkozy ; l’Europe des marchés ou… l’Europe des marchés ; blanc-bênet, bênet-blanc… ou blanc. Il n'aura pas fallu moins de quatre tours avant qu'un tel dilemme ne se résolve, enfin, par l’intronisation de « Karamelpudding ». Quiconque prétend à la magistrature suprême doit en effet franchir un puissant jeu de filtre avant de conquérir son droit à figurer parmi les bulletins de vote. Une alchimie complexe, dont les étapes ne sont pas toutes aussi morales qu'on pourrait l'espérer. Brève excursion dans la cuisine des élections…
Conçue pour écarter tout risque d’ « ingérence démocratique », la première phase de sélection – la phase dite éliminatoire –, convient de la notoriété les médias jugent à propos de conférer à tel ou tel des postulants (avec une préférence marquée pour les mieux accordés). Ces postulants doivent déjà, au surplus, bénéficier d’une légitimité de parti. Autant avouer que les élus sont rares. Cette éliminatoire cachée prend alors les allures d'un casting de régie. Qui passe ? Qui part ? Cet arbitrage est suspendu au bon vouloir de la camarilla (passablement réduite) des éditorialistes, abonnés de longue date aux partis d'envergures. Leur vocation : trier les impétrants, filtrer les « acceptables », admis au « cercle de raison », qui auront seuls droit de cité ; les départir des « candidats fantasques » qui ne valent pas la peine d'être connus. La preuve : ils ne passent pas dans les médias.
La seconde phase de sélection échoit aux maires et grands élus, pour l'occasion transformés en « parrains » (statut quasi-légal qui ne laisse pas de mettre la puce à l'oreille). Leur vocation : autant que faire se peut, présenter les candidatures. Ces « parrains », donc, parmi la tapée de candidats qui passent à la télé - la grappe des opposame retenus par les éditocrates - « choisissent » celui que leur alignement leur impose de choisir - ou n'en choisissent aucun (65 % s'abstiennent) pour ne pas s'exposer (politiquement) et exposer (financièrement) leur administration à des mesures de rétorsion. Les parrainages sont en effet rendus publics à la hauteur de cinq cent noms par candidat, désignés par tirage au sort depuis la loi de 1976. Le « parrainage », le bien-nommé, rend compte de cette activité fort transparente et fort démocratique qui consiste à léguer aux tenants du pouvoir le soin de coopter les tenants du pouvoir. A ce compte-là, autant y aller franchement et décréter les parrainages pour les municipales, les cantonales, les régionales, et pourquoi pas les élections législatives et les européennes…
Cela n'a pas toujours été. Ces deux verrous – les verrous cathodiques et institutionnels – n’existaient pas du général De Gaulle. Il n'y avait pas, alors, de parrainage qui tienne. Pas de « parrains » ; pas de « sphincters républicains ». Les médiacrates rongeaient leur frein, bien sages, en back-office, et les partis ne pesaient pas si lourd qu’il faille nécessairement frayer sous leur égide. Nous dirions, plus encore, qu’il s'agissait précisément de lutter contre les partis. Une élection présidentielle se voulait une rencontre – rencontre franche d’intermédiaires - entre le peuple et son monarque républicain. De Gaulle, en soumettant ce projet par référendum (autre levier démocratique récemment profané), venait s'inscrire dans les ornières d'une tradition qui remontait au Roys de France et, plus encore, aux empereurs romains.
C’est l'image d'Épinal du souverain livrant bataille aux côtés de son peuple contre les abus féodaux ; l’image inverse mais non moins significative des empereurs dévergondés qui a retenu l'historiographie. Lorsque Louis IX rendait la justice de sous son chêne, il le faisait pour que triomphe le paysan contre le noble. Si Tacite et Suétone ont à ce point « chargé » les Césars antérieurs, c’est qu’ils avaient conçu la mauvaise habitude de faire chou gras de l’or des patriciens pour arroser la plèbe. Toujours chercher qui parle et d’où. De même De Gaulle, lorsqu'il propose par voie référendaire de confier aux français les clés de leur destin, court-circuitait l’emprise des seigneuries locales ; le soutirait, par l'isoloir, à la juridiction des sommités régnantes. La troisième phase des élections a bien été, ab initio, le premier tour.
Puis il y eut Pompidou. Les parrainages furent instaurés. Décrétés. Imposés. Fixés d'abord à cent, ils montèrent vite jusqu'à cinq cent - chiffre prohibitif qui devait garantir l’atlanto-compatibilité des candidats en lice. Comprenez là que pour percer, les candidats doivent avoir des mécènes. De riches commanditaires. Bolloréens. Bettancourriens. Souvent transatlantiques. Des amis bons payeurs puisque, sans contredit, les bons amis font les bons comptes. Or – dura lex sed lex - la main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit. L'ensemble du dispositif se trouvant aussitôt placée sous l'hypothèque des véritables électeurs, ceux qui financent les partis politiques : les oligarques, les financiers, les banques, le patronat, la clique de Bretton-Woods, les lobbys politiques dont la philosophie transpire tous les pores de nos « experts » ès expertise. C’est une troisième décantation discrète, tablant sur l’exhaure pécuniaire des candidats non-arrosés, et sur le triomphe symétrique des « impétrants » dont la longévité ne traduit rien, sinon le sacre censitaire de leurs bailleurs de fonds.
Le troisième tour (premier dans la glossologie d’Etat) : c’est là, seulement, que nous intervenons. Là que le citoyen fait son entrée en scène pour désigner son favori. Hormis le fait que l'éventail des candidats autorisés résulte d’une présélection, une autre composante peut encore peser sur son choix : « le vote utile ». La considération du vote qui, selon les sondages (« redressés » sur demande et circulaire, et publiés – si judicieux – par les journaux ou candidats qui les commandent), se révélerait le plus « propice » à faire gagner sa famille politique. Foin des programmes, malheur aux ou outsider, on sacrifie au mieux placé. Les électeurs eux-mêmes sont cohobés : votent les inscrits, comptent les votants non nul ou blanc. A rien ne sert de bourrer son enveloppe avec du papier-Q.
Arrive la quatrième étape de cette folle aventure. Le second tour proprement dit. Peu s'y retrouvent. On traîne des pieds. On se prononce moins par ferveur que par défaut. Dimanche 6 mai fut tellement prévisible… Emblématique. Hollande n'avait aucun programme (certes, Sarkozy non plus : faire l'intendance des banques ou la lessive des Commissaires n'est pas en soi une perspective d'avenir). Il fut élu, comme son prédécesseur l'avait été en 2007, sur un report de voix. Vote de sanction plutôt que d'adhésion. La faveur du rejet obviant à l'absence de projet. Triste tropisme… Est-ce cela la démocratie ? Celle que Rousseau, Varlet, Proudhon, Castoriadis appelaient de leurs vœux ? Démocratie (directe, pardonnez l'oxymore) qui fut spoliée pour faire place nette aux régimes représentatifs ? Il y a vraiment un je-ne-sais-quoi d'étrange et de malsain au royaume de la « république », petit secret d’élite qui ne ferait pas long feu, pour peu que les français leur montrent qu'ils ne sont pas dupes.
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