Un droit de dissolution populaire ?
La forme démocratique doit prévoir des conditions de dissolution lorsque le détenteur du pouvoir, le peuple, considère que son intérêt n’est manifestement plus rencontré, plus servi par la classe politique à laquelle il a octroyé un mandat de gouvernance. Rien d‘autre qu’un mandat de gouvernance.
La situation politique dans laquelle se trouve l’Italie pose une question essentielle pour le fonctionnement de tout état démocratique. Une question consubstantielle au concept même de démocratie. En effet, l’Italie est aujourd’hui mise de facto sous tutelle par les instances internationales. La loi budgétaire de cet été, acte politique suprême par lequel un exécutif, sous le contrôle du législatif, décide des ses actions au service de la collectivité, a été rédigé sous les indications techniques de la BCE. Mario Draghi et Jean-Claude Trichet, dans une lettre adressée le 29 septembre dernier au gouvernement italien, ont explicitement indiqué quelles devaient être les mesures à prendre pour assainir l’économie d’un pays théoriquement souverain : réforme du système fiscal afin d’augmenter la compétitivité des entreprises, libéralisation des services publics locaux, privatisations à large échelle, réduction des salaires, flexibilité des embauches, allongement du départ de l’âge à la retraite, etc.
De même, vu l’inefficacité de cette même manœuvre budgétaire, le Fonds de sauvetage européen, sous le directoire de la France et de l’Allemagne, vient une fois encore de rappeler à l’ordre l’exécutif italien en conditionnant son aide financière à la mise en œuvre de certaines mesures très précises. Mesures du même accabit que celles préconisées par la banque centrale européenne. Ces requêtes n’émanent pas d’instances démocratiquement élues, naturellement, leur légitimité est économique, exclusivement économique, elle est celle du prêteur face à l’emprunteur criblé de dettes dont elle craint l’insolvabilité.
Dans la foulée du sommet européen de ce week-end, M. Berlusconi a convoqué en urgence un Conseil des Ministres et a rappelé à ses troupes la situation apocalyptique dans laquelle se trouve le pays : « Les exigences européennes sont importantes, électoralement impopulaires mais inéluctables, nous n’avons plus le choix », leur a-t-il dit en substance. Cette mise sous tutelle par les instances internationales s’opère aux dépens d’un gouvernement certes démocratiquement élu, mais dont la légitimité semble aujourd’hui fortement compromise y compris au sein de la société civile italienne. La fédération des entreprises, les 5 plus importantes associations de commerçants du pays, le monde catholique (réuni pour la première en conclave depuis 20 ans au vu de la gravité de la situation) ont vertement rappelé à l’ordre M. Berlusconi, lui demandant d’agir ou de remettre son mandat entre les mains du Président de la République. Un sondage publié il y a trois jours indiquait, par ailleurs, que moins d’un électeur sur cinq déclare avoir encore confiance en les capacités de l’exécutif à sortir le pays de l’impasse, alors qu’on se situait à près d’un sondé sur deux en février 2010.
Dans ces conditions, avec un pays au bord du précipice, peut-on dire que nous sommes face à un gouvernement illégitime au sens où Locke l’entendait, au XIXème siècle, dans son Traité du gouvernement civil ? Face à un gouvernement qui n’est plus en mesure d’assumer sa mission essentielle – à savoir, précisément, servir l’intérêt général ? Les Italiens sont-ils confrontés à une forme de prévarication politique au sens d’un manquement manifeste aux devoirs d’une charge publique ? Pour des raisons de calendrier judiciaire, M. Berlusconi risquerait gros à présenter sa démission. Il se trouverait en effet dans l’impossibilité d’invoquer l’empêchement légitime à répondre aux convocations des tribunaux, notamment dans l’affaire Mills (comme ce fut le cas, à juste titre, pour sa participation au dernier sommet européen), et risquerait ainsi de voir certains procès arriver à leur terme et donc d’être condamné. Parallèlement, ses alliés, la Ligue du Nord, malgré les menaces constamment réitérées, et les autres groupuscules soutenant la majorité, n’ont aucun intérêt, eux non plus, à retourner aux urnes dans un contexte électoralement aussi négatif, dans la foulée des défaites aux communales et aux référendums. Leurs chances de réélection seraient, dans ce cas de figure, fortement compromises ; les possibilités d’un contrôle réel, objectif du législatif sur l’exécutif sont donc inexistantes. De même, en l’état, le seul pouvoir politique du Président de la République, contre-pouvoir naturel au sein du corps exécutif, est d’exiger que la majorité en place vérifie, par un vote de confiance, l’état de sa gouvernabilité, ce qui a été fait la semaine dernière, le gouvernement Berlusconi sauvant sa tête d’une seule voix d’écart.
Nous sommes donc face à un biais démocratique qui nous fait penser que la démocratie telle que nous la connaissons ne peut être la dernière forme d’amélioration du mode de gouvernement. La démocratie doit en effet être substance, non seulement forme. A cette fin, la forme démocratique doit quant à elle prévoir des conditions de dissolution lorsque le détenteur du pouvoir, le peuple, considère que son intérêt n’est manifestement plus rencontré, plus servi par la classe politique à laquelle il a octroyé un mandat de gouvernance. Rien d‘autre qu’un mandat de gouvernance. A défaut de possibilité de dissolution d’un gouvernement qui s’écarterait de sa propre raison d’être, l’esprit démocratique – qui repose, précisément, sur cette notion de délégation de pouvoir – est victime d’une forme de perversion. D’appropriation arrogante du pouvoir. Ce qui ne peut être accepté. A l’aune de l’exemple italien, il nous semble donc important que cette réflexion soit menée non pas par le monde politique, qui ne peut réfléchir sur lui-même, mais par la société civile.
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