Un vote très primaire
Je sais qu'il est de bon ton, à propos des primaires socialistes, d'encenser le résultat quand on est de gauche et de le railler quand on est de droite, dans les deux cas avec un maximum de mauvaise foi. Je vais donc d'une certaine manière aller à contre-courant en affirmant que le succès de ces primaires, au demeurant bien réel, est un échec pour la gauche et pour la démocratie. Voici pourquoi.
Je précise, pour ceux qui n'auraient pas compris en lisant l'introduction, que c'est bien une voix de gauche qui s'exprime ici. Vous n'y lirez donc pas les actes de mauvaise foi du parti au pouvoir. Ma critique de ces primaires est radicalement différente.
Notre Constitution date déjà de plus de cinquante ans. Il faut se souvenir un peu du contexte de l'époque : personne ne veut plus de l'ancienne et de son président. Le général De Gaulle, déjà considéré comme un sauveur de la France pour son rôle dans la 2eme Guerre Mondiale, reçoit quasiment les pleins pouvoirs pour modeler une nouvelle Constitution à son image. Autrement dit, la 5e République, c'est par De Gaulle et pour De Gaulle. Lui s'intéressait plus à la politique étrangère, donc il s'est gardé ce pré carré et pour que ça semble quand même démocratique, rajoute un parlement pour les affaires intérieures et un référendum sans initiative citoyenne qui n'est en fait qu'un test récurrent de sa popularité.
Loin de s'éteindre avec lui, cette Constitution va se retrouver renforcée avec un changement en apparence démocratique : l'élection du président au suffrage universel direct. En réalité on se rendra compte plus tard que ce subtil changement donne au président une légitimité qu'il avait peu à peu perdue et dont ni le gouvernement, non élu, ni le parlement, dont chaque électeur ne peut élire qu'un seul membre (alors qu'on aurait pu par exemple avoir recours à la proportionnelle), ne peuvent se prévaloir. On atteint aujourd'hui le point culminant avec l'actuel chef de l'État, volontiers qualifié d'omniprésident et dont chacun se plaint qu'il veuille tout régler, en oubliant que, étant le seul élu de tout le peuple de France, il est au fond le seul légitime à le représenter en totalité (là où les députés ne représentent chacun que sa circonscription, et le gouvernement, personne).
Autre effet indésirable, quoi que clairement désiré par l'auteur de la constitution, l'élection présidentielle est de fait devenue la seule qui intéresse vraiment les français. Les législatives, surtout depuis qu'elles suivent immédiatement avec les présidentielles, ne sont qu'une confirmation du choix fait quelques mois auparavant quand il s'agissait de désigner le chef de l'État. Les européennes sont artificiellement tenues à une campagne à minima, quant aux élections locales, elles s'apparentent un peu à leur équivalent chinois où on choisit des élus locaux n'ayant au fond aucun pouvoir dans un État hypercentralisé.
La conséquence moins attendue, c'est que cette élection est aussi celle où tout le monde veut participer. Des mouvements à moitié politisés comme les chasseurs, pour ne citer qu'un exemple, ne participent pas aux législatives, mais seulement aux Européennes, où le suffrage proportionnel leur donne une chance d'être élus, et à la présidentielle, où ils n'en ont aucune, mais où ils sont sûrs d'avoir une visibilité. Sauf que - et c'est là le sens de mon article - cette élection est aussi verrouillée par un scrutin à deux tours sans possibilité de vote multiple.
Maintenant, concentrons-nous sur la Gauche, parti socialiste compris.
J'ai le souvenir d'une certaine candidate qui déjà en 2007 prônait la démocratie participative. Notez bien la subtilité : pas la démocratie directe, comme en Suisse par exemple, mais bien un concept assez flou consistant à permettre au citoyen de donner son avis sans forcément que le politique en face ait l'obligation de l'écouter. Un peu comme dans le projet de "constitution européenne", en fait, où le droit de pétition à adresser à la Commission était accompagné du droit pour cette dernière de classer sans suite (sic), ce qui revenait finalement à institutionnaliser le droit de prêcher dans le désert.
Aujourd'hui, à peu près tous les candidats de Gauche, qu'ils soient verts, communistes, ou candidats à la primaire du PS, ont à un moment donné prononcé le nom d'une 6e République. Nonobstant qu'aucun ne met la même chose derrière ce concept, on peut au moins noter qu'aucun d'entre eux ne souhaite conserver nos institutions telles qu'elles existent. Le Parti Socialiste non plus, ça va de soi.
Et il ne faut pas oublier que, si les urnes devaient décider dans un peu plus de six mois, de leur donner raison, ils seraient devant une situation dont ils ne pouvaient pas se prévaloir en 1981 : la majorité dans les deux assemblées, Sénat compris, tout en sachant que c'est ce dernier qui est prioritaire pour toute réforme de la constitution. La fameuse sixième république, même si on ne sait pas encore ce que c'est, pourrait donc avoir une chance de devenir réalité.
Or, qu'a-t-on vu lors de ces primaires ? Ben, un scrutin uninominal à deux tours. Donc le même que pour les autres élections.
Autrement dit, le parti qui dit vouloir changer la constitution prochainement n'a même pas jugé utile, pour une élection dont en tant qu'organisateur il pouvait maîtriser les règles, de tester les nouveaux modes de scrutin qu'il pourrait vouloir mettre en place à l'avenir.
En conséquence, le comportement des électeurs fut exactement le même qu'à l'accoutumée. Au premier tour, il y avait des "petits candidats" qui ont juste fait de la figuration, les grands ayant appelé au vieux réflexe du "vote utile". Puis, même si l'un d'entre eux peut se prévaloir d'un succès rappelant celui de François Bayrou en 2007, on ne peut pas dire qu'il en a tiré les mêmes conséquences : mieux valait sans doute négocier un ministère et appeler au sacro-saint vote utile, même s'il ne pouvait le présenter comme tel à ses électeurs. Et au final, est élu le candidat permettant peut-être le meilleur score électoral dans six mois, mais certainement pas celui qui avait les meilleures (ou le plus d') idées politiques. Bref, une élection de plus avec une logique comptable plutôt qu'idéologique.
Avec un mode de scrutin identique, il ne pouvait en être autrement, les échanges d'idées n'avaient pas vraiment leur place. Sans même parler d'un autre défaut des modes de scrutin actuel - la non-comptabilisation des votes blancs - qui avec un électorat plus réduit a des effets bien plus visibles. Les autres composantes de la Gauche ne s'y sont d'ailleurs pas trompé, puisqu'ils n'ont participé à ces primaires ni en tant que candidats, ni en appelant leurs militants à y participer en tant qu'électeurs. En revanche, d'une certaine manière, les électeurs ont, par leur participation payante, apporté leur soutien à ce mode de scrutin et à ses conséquences. Voila pourquoi je pense que le candidat socialiste n'aura peut-être pas la légitimité pour changer la constitution, du moins la légitimité idéologique, même si la légitimité comptable lui sera acquise. Ce qui n'est pas bon pour l'avenir de notre démocratie.
En tant que sympathisant de gauche, mais plutôt proche d'une autre composante que le socialisme, j'ai vraiment hésité à participer à cette mascarade. Quand je vois le résultat, je crois que je peux regretter de l'avoir fait. Ce qui est sûr, c'est que, risque de le Pen ou pas, je ne voterai pas socialiste au premier tour.
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