Une banque collaborationniste : la banque Worms
Petit topo historique sur la banque qui avait un rôle pivot dans la synarchie française des années 30. La synarchie a financé des ligues fascistes puis des partis fascisants, et la banque Worms illustre parfaitement cette atmosphère de l’entre-deux-guerres, quand le capital, appelons un chat un chat, a tenté - dès les années 20 - de renverser la République avant de se rabattre sur Hitler et autres Franco, Pétain, Mussolini ou Salazar.
La banque WORMS est emblématique de ce qu’on appelle la synarchie des années 20-30. La synarchie a notamment instrumentalisé les ligues fascistes et des partis d’extrême droite des années 30 (comme le Parti populaire français, PPF), qui ont tenté au moins quatre coups d’Etat fascistes en France, comme le 6 février 1934.
La synarchie, c’étaient une douzaine de gros banquiers et industriels
français, résolus à peser de tout leur poids sur le gouvernement de la
France. En Angleterre, Italie, Espagne ou dans le Reich, on retrouvait
le même processus, toujours piloté par des banques internationales et
par les banques centrales.
Rappelons que les banques centrales
appartiennent à des actionnaires privés. Par exemple, en France on
parlait des "200 familles", ou du "mur de l’argent" (dixit Blum), pour
évoquer le pouvoir de la Banque de France. Vichy et l’emblématique
Laval étaient l’incarnation de la politique synarque en France.
L’intérêt
principal d’une dictature fasciste, pour ces banquiers et industriels,
était que les mouvements sociaux y sont tués dans l’oeuf. Ensuite, cela
leur permettait de contrôler de très près les gouvernements, via des
prêts concédés aux Etats. Si les gouvernements ne suivaient pas les
recommandations de la synarchie, eh bien ils étaient renversés, on
arrêtait les prêts et la situation devenait vite impossible (c’est ce
qui est arrivé à Blum, entre autres).
En Allemagne, la synarchie a financé le parti nazi depuis le début des années 30, afin de faire monter Hitler jusqu’où l’on sait. En Angleterre, une partie des élites (synarques) comme Lloyd Georges ou lord Halifax (ministre des Affaires étrangères de 1937 à 1941), voulaient trouver des arrangements avec Hitler, Franco, Muissolini, Salazar (Portugal) mais aussi Vichy. On reviendra sur les manipulations qui ont conduit à la défaite française face au Reich.
Les banques comme Rothschild, Lazard, la banque d’Indochine ou la banque Worms ont donc financé de nombreux groupuscules fascisants dans l’entre-deux-guerres. En 1938, le PPF de Doriot appelle ainsi à s’unir avec le Reich, contre l’URSS.
Revenons à la Banque Worms. Créée à la fin de la Première Guerre mondiale par Hippolyte Worms et le gouvernement français afin de financer l’effort de guerre, il s’agit en fait d’un conglomérat d’industries (dont la Lyonnaise des eaux, Saint Gobain, Air France...). Certains des membres de ce conglomérat sont ensuite présents dans le gouvernement de Vichy.
Le président de la banque Worms, Gabriel
Leroy-Ladurie, prend contact avec l’ancien du PCF, Jacques Doriot, en
1936. Le Front populaire vient de remporter les élections, et l’heure
est grave pour les banquiers et industriels français. Ils décident de
créer un parti d’exrême droite, financé par le patronat, le Parti populaire français.
Antisémite et antibolchévique, il prône la "révolution nationale".
Pacifiste afin de mieux laisser le Reich imposer sa loi, le PPF perd
rapidement son prestige, ainsi que le financement du patronat. A
l’origine, il regroupait d’anciens communistes et des membres des
ligues fascistes interdites, comme Solidarité française (photo du
haut), Action française ou les Jeunesses patriotes.
Ensuite, la synarchie se repose sur la Cagoule, une sorte de regroupement de membres des anciennes ligues, et mise sur le duo Pétain-Laval jusqu’en 1941-1942, quand le vent commence à tourner avec l’entrée en guerre des Etats-Unis. Mais nous y reviendrons. Après cela, la synarchie se rabat sur Darlan, qui devient le n°2 du gouvernement de Vichy, successeur attendu de Pétain, avant d’être - fort opportunément - assassiné en décembre 1942. Pendant son passage à Vichy, il a fait rentrer toute une clique de la banque Worms dans le gouvernement.
On retrouve ainsi Pierre Pucheu,
directeur de plusieurs sociétés du groupe Worms, dont l’usine Japy, qui
a également financé des ligues fascistes. Pucheu s’est retrouvé
secrétaire d’Etat à la Production industrielle puis à l’Intérieur à
Vichy. Il a été le délégué à Vichy de Worms et du Comité des Forges, le puissant lobbie patronal des industries métallurgiques et sidérurgiques ( la famille Wendel, de laquelle est issu le baron Ernest Antoine Sellière,
ex chef du Medef et chef aussi du fonds d’investissement Wendel, y
était très importante). Ancien membre du PPF, Pucheu a été la courroie
de transmission des financements du groupe Worms et de la synarchie en
général vers le PPF. Il a été l’un des seuls patrons
collaborationnistes fusillés, en 1944.
A Vichy, on retrouve encore Jacques Barnaud, l’un des trois directeurs généraux de la banque Worms, au poste officiel de délégué général aux Relations économiques franco-allemandes jusqu’en décembre 1942. Mais officieusement il semble qu’il assumait les fonctions d’autres membres du gouvernement comme par exemple celles de René Belin au Travail. Accusé de collaborationnisme, il a bénéficié d’un non-lieu en 1949, et rejoint la banque Worms à la demande d’Hippolyte Worms (le petit-fils du fondateur). Barnaud avait aussi crée la revue Nouveaux Cahiers à la fin des années 30. Celle-ci préconisait une collaboration économique soutenue avec le Reich. D’autres synarques notoires et collaborationnistes y ont participé, comme Georges Albertini ou Boris Souvarine.
Nous avons aussi François Lehideux
(gendre de Louis Renault, il devient directeur général des usines
Renault à partir de 1934), qui a été secrétaire d’Etat à la Production
industrielle en 41-42. Emprisonné à la Libération pour actes de
collaboration, il bénéficie lui aussi d’un non-lieu en 1949. Le groupe
Renault faisait également partie du conglomérat de la banque Worms.
Un autre personnage, que j’ai déjà cité parmi les collaborateurs de la revue Nouveaux Cahiers, est un dénommé Georges Albertini, ancien dirigeant de la SFIO jusqu’en 1939, passé au Rassemblement national populaire
de Marcel Déat, rassemblement antisémite, collaborationniste et raciste
duquel il était le n°2. Albertini était surtout "conseiller technique
permanent" de la direction du groupe Worms depuis le début de la guerre,
il rejoint Hippolyte Worms à Fresnes mais aussi après avoir été libéré
(il a été emprisonné pour intelligence avec l’ennemi, relâché en 1948
et amnistié en 1951) pour prendre en charge différentes revues
subventionnées par le patronat et y faire de la propagande anticommuniste. Parmi ces revues, citons le Bulletin d’études et d’informations politiques internationales
(BEIPI), "commandité par le patronat" français (selon une note des
renseignements américains), positionné à l’extrême droite et très axé
sur la propagande anticommuniste. Il est aussi parmi les fondateurs de
l’Institut d’histoire sociale (IHS) en 1954, financé uniquement par la
CIA comme le Sénat US le révèle en 1967, et foncièrement
antibolchévique. Après la mort de Worms en 1952, Albertini était
toujours rémunéré par le groupe.
Albertini
est resté dans la sphère politique jusqu’à sa mort en 1983, très
sollicité par certains membres de la droite comme Pompidou, Alain
Madelin ou Marie-France Garaud. Sous le gouvernement de Vichy, il a été
directeur général du cabinet de Déat au Travail et à la Solidarité
nationale. Pendant l’Occupation il a été l’un des membres éminents, à
l’instar de Marcel Déat, d’un certain Cercle européen (autoqualifié de
"centre de collaboration économique européenne"), un groupe fasciste et
intrinsèquement antisémite dont Louis Ferdinand Céline aurait également
été membre, et c’est pour cela qu’il a été arrêté en 44.
Une note des services secrets US (le COI, futur OSS), citée par l’historienne Annie Lacroix Riz qui a eu le courage, disons-le, de faire des recherches au sujet de la synarchie des années 20-30 et de les publier, dit que les hommes de Worms à Vichy utilisent leur poste pour "collaborer pleinement avec les Allemands". La note (p. 7 du doc pdf), datée de 1942, dit ceci : "On peut s’attendre à ce que les membres de ce groupe cherchent leur propre protection en cas de victoire alliée ou allemande, et mettent leurs importantes relations internationales au service du vainqueur, quel qu’il soit. Ils oeuvreront à une paix négociée impliquant une réorganisation de l’Europe sur des bases libérales et qui les laisserait jouir de leur autorité financière, industrielle et politique."
On pourrait continuer longtemps à énumérer les imbrications entre une certaine catégorie d’industriels et banquiers français, et la collaboration, politique et économique. Le cas de la banque Worms, bien que symptomatique, est loin d’être isolé, mais il est intéressant pour aborder la période de manière un peu réaliste, pour une fois. D’ailleurs, le grand nombre de banques nationalisées après la Libération (Crédit Lyonnais, Société Générale, BNCI, Paribas, Crédit industriel et commercial...) prouve que la collaboration économique était plus que banale pendant l’"Occupation", et les SS eux-même ont dit que sans l’aide des banquiers et industriels français, il leur aurait été bien plus difficile de mettre la main sur l’économie du pays.
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