Une France sans départements
La commission Attali a développé un ensemble de 300 propositions visant entre autres à la « libération de la croissance française ». Outre la reprise de l’immigration, la proposition de suppression des départements a été brièvement esquissée lors de la présentation à la presse. Quels enjeux ? Quelle visée ? Quels résultats ?
Ce jeudi, la commission Attali a livré au public un nouveau tollé en annonçant la reprise « progressive » de l’immigration en France. Succinctement, la relance impliquerait une immigration choisie, dans l’un des principaux buts serait de parvenir à financer les retraites futures. Jacques Attali s’est, lui, dit en faveur de l’ouverture aux travailleurs africains et chinois. On laisse alors parler les chiffres, les pours et les contres, on fait des gorges chaudes de l’événement et voilà qu’une autre information pour le moins étonnante passe à la trappe. Le rapport de la commission annonce également que parmi les 300 mesures à proposer, se trouve celle visant à la suppression des départements. Peu de commentaires sur cette mesure, que ce soit par les médias, le gouvernement, les membres de la commission elle-même et encore moins par monsieur Sarkozy.
Alors pourquoi vouloir supprimer cette distinction administrative et géographique ? La commission estime que « cet échelon administratif créé en 1790 est complètement dépassé, et reste une source importante de gaspillage ». Il est vrai que les départements font partie de la culture de tout un chacun. Créés par la loi du 22 décembre 1789, suite à la Révolution, ils furent définis au nombre de 83. Cette loi succédait au découpage administratif des provinces, qui restaient des principes aristocratiques détestables pour l’époque. On a ainsi essayé d’homogénéiser le territoire et de renforcer la force de l’administration locale. Les premières idées de régions sont apparues sous l’influence de Frédéric Mistral, poète de langue occitane en fin de XIXe siècle. Par la suite les regroupements régionaux ont été effectués politiquement ou économiquement au fil du XXe siècle, jusqu’à l’établissement quasi définitif de l’après guerre. Aujourd’hui, entretenir chaque département coûte assez cher à l’Etat, bien plus que s’ils se regroupaient sous une seule et même région (surtout pour celles regroupant un grand espace comme le Centre). Outre le plan économique, la commission n’a pas vraiment tranché sur comment réorganiser le territoire. En effet, si en France les chefs-lieux de régions peuvent prendre les rênes de leurs territoires respectifs, on pourrait également laisser beaucoup de pouvoir aux structures communales et intercommunales. Sous-entendu, les grandes villes pourraient conserver un certain poids local, à défaut de laisser une métropole tenir le flambeau sur une grande surface de territoire. Il n’est pas rare à l’heure actuelle de voir la superposition des compétences au sein des découpes administratives. On assiste donc malencontreusement à un gaspillage des ressources et à des doublons au niveau des actions culturelles et sportives. Imaginez que pour les grandes villes, les superpositions peuvent atteindre une triple ou quadruple saturation avec la présence des subventions des mairies, celles des agglomérations de communes, des départements puis enfin de la région.
Quel serait le résultat de telles décisions ? Nous pourrions tout d’abord penser à la disparition ou au grand rabaissement de petites villes et des préfectures de départements. Certaines villes, qui restaient jusqu’alors des petites dynamiques de régions et surtout des dynamiques locales, qui faisaient vivre tout un département, risquent à court et encore plus à long terme de voir leur population émigrer vers les capitales régionales, lieux de toutes les décisions et de concentration économique. Des villes comme Laval en Mayenne, comme Chartres dans le Centre risquent de voir leur intérêt diminuer et leurs entreprises prendre la fuite vers les chefs-lieux que sont Nantes et Orléans. Face à cela, certaines régions y trouveront tout de même du bénéfice. Les régions ne possédant pas de grande dynamique et dont les préfectures n’atteignent pas les 200 000 habitants pourront voir leur pouvoir démographique et économique se renforcer. On peut penser à des villes comme Besançon ou Poitiers, qui pourraient voir leur intérêt être revalorisé au niveau régional comme au niveau national. L’enjeu pourrait donc être de renforcer encore plus les grandes villes françaises à plus de 200 000 habitants en délaissant cependant les villes moyennes et les campagnes, n’occupant pas de rôle régional majeur. Les rivalités entre villes de plus de 100 000 habitants et à fort poids économique pourraient alors se renforcer.
L’intérêt des départements reste un contact privilégié de l’Etat au citoyen, et surtout quel qu’il soit et où qu’il soit. L’enracinement de l’existence des départements est très important dans la mémoire collective des Français. Cela est vrai, mais surtout en province et bien davantage en campagne. C’est une partie de l’histoire de France qui se joue, puisque ces collectivités locales ont développé une histoire collective et bien souvent très importante au niveau local. Détruire cette histoire reviendrait à considérer les départements comme nous considérons actuellement les anciennes provinces de France. L’histoire risque alors de se reproduire et la mémoire des départements s’effacer plus ou moins rapidement.
Le plus important, c’est surtout « l’après
suppression ». Car comment va-t-on réorganiser le territoire français ?
Deux intérêts restent ainsi à voir. Tout
d’abord, le gouvernement pourrait en profiter pour restructurer certaines
limites territoriales qui posent problèmes. Certaines régions comme la Bretagne,
réclamant l’appartenance de l’ancienne Loire inférieure, soit l’actuelle Loire
Atlantique, à leur région ne pourraient-elles pas profiter de cette
occasion ? En somme, tout le nord ouest de la France pourrait se trouver concerné. Les deux Normandie pourraient elles aussi en profiter. L’objectif
serait de se regrouper en une seule grande région comme cela était le cas
autrefois et comme certains historiens le prônent. L’Anjou et le Maine
seraient-ils une région à part entière ou bien rattachés à la région Centre,
dont la découpe administrative se verrait elle-même changée en interne ?
Tout ceci n’est que des suppositions, mais le gouvernement pourrait en
profiter pour faire d’une pierre deux coups.
La visée est aussi de faire de la France une « continuation européenne ». Eliminer les départements, faire ainsi des plus grandes
entités, revient à supprimer l’échelle locale et s’accorder sur la dimension géographique de
l’Europe. Les départements sont trop petits et trop insignifiants pour rayonner
au-delà du niveau national. Les régions, elles, auraient un poids économique et
démographique plus importants. Cependant, pour cela, encore faut-il accorder
ces régions et faire en sorte qu’elles soient sous une même bannière culturelle
et idéologique. Aujourd’hui, l’appartenance à la région est largement
secondaire comparée au département, et on conserve une grande ferveur locale
pour certains endroits de la France. Cela va de pair avec le changement des
plaques minéralogiques et la disparition des numéros de département. Ce projet a
trouvé un hostile adversaire en la personne du conseiller général de Vendée, Philippe
de Villiers. Le président du MPF a déjà préparé, pour ses concitoyens, des
écussons à l’effigie du département, à coller directement sur les plaques de la
voiture. Les deux changements pourraient donc advenir
en même temps, mais tout ceci reste du conditionnel et il faudra le rapport du 23 janvier pour en savoir un peu plus. Reste que les Français ne sont pas
forcément très heureux de voir leurs départements disparaître et même
Jean-Pierre Raffarin trouvait l’idée de
son parti quelque peu « loufoque ». Quant à l’ADF, l’Association des départements de
France, elle est de toute façon clairement opposée à la proposition. Les dirigeants
de l’association ne voient pas en effet, qui pourrait prendre la relève des
collectivités. Ils poursuivent en disant que : « La restauration de la compétitivité de notre pays relève
d’abord d’une politique économique et industrielle. Les Français aujourd’hui
exigent du gouvernement et du chef de l’Etat des réponses concrètes à leurs
préoccupations plutôt que des expérimentations hasardeuses ! » La commission sait à quoi s’en tenir.
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