Des humanistes sur le bûcher
A l’heure où des grands de ce monde veulent restaurer la primauté de la Vérité révélée sur la Raison, il n’est pas inutile de rappeler le prix fort qu’ont payé ceux qui par le passé ont professé leur foi humaniste. Le 17 janvier, le pape a été jugé indésirable à « La Sapienza », l’une des plus anciennes universités au monde, fondée en 1303, et qui a formé des lettrés et des humanistes. Certains ont fini au bûcher, victimes de l’obscurantisme.
C’est aussi l’université de "La Sapienza" qui donna au poète et humaniste Marc-Antoine Muret sa réputation de maître au niveau européen. Mais, en 1554, il est inculpé puis condamné au bûcher par le Parlement. Il sera brûlé en effigie et ne mourra qu’en 1585. Cet humaniste français échappa de justesse au bûcher.
Rabelais le défroqué osa critiquer l’Eglise qui était trop dogmatique et
superstitieuse à son idée. Il inventera ce lieu imaginaire qu’est l’abbaye de
Thélème où règne la liberté. Ce "couvent à l’envers" ne connaît qu’une règle qui est "Fay ce que vouldras." La censure de la Sorbonne fait son office immédiatement et interdit Gargantua et Pantagruel. Après l’"Affaire des placards" et la prolifération d’affiches se moquant
des saints et des mystères de la religion catholique, il devient suspect et aura pour souci d’éviter le bûcher.
Il n’en continuera pas moins de persévérer à s’exprimer librement et par la dérision.
Etienne Dolet, lui, eut moins de chance. Protégé par François Ier, il sera abandonné de ce dernier et amené de Lyon à Paris pour y subir le supplice. Le 3 août 1546, il est torturé, étranglé et brûlé avec ses livres sur la place Maubert. Il aurait composé ce pentamètre sur le chemin du bûcher : "Non dolet ipse Dolet, sed pia turba dolet" ("Ce n’est pas Dolet lui-même qui s’afflige, mais la multitude vertueuse"). Son crime était, selon les uns, d’avoir professé le matérialisme et l’athéisme, selon les autres, de s’être montré favorable aux opinions de Martin Luther.
Giordano Bruno, enfin, est sans doute le martyr humaniste le plus connu. A l’occasion de la première Internationale Humaniste, le 7 janvier 1989, un hommage est rendu à Galilée par le Dr Salvatore Puleda. Cela se passe place Santa Croce à Florence en Italie. Le docteur cite un extrait du discours d’abjuration que l’Eglise fit lire au savant pour éviter le bûcher : "Moi, Galileo Galilei, lecteur de mathématiques à l’Université de Florence, j’abjure publiquement ma doctrine disant que le Soleil est au centre du monde et bouge. Avec un cœur sincère et une foi non feinte, j’abjure, je maudis et déteste les susdites erreurs et hérésies, et n’importe quelle autre erreur, hérésie et secte contraire à la Sainte Eglise." Ainsi est rappelé que si Galilée abjura sa soi-disant foi (en fait, ses découvertes scientifiques), c’est pour ne pas subir le sort de Giordano Bruno, mené au bûcher et brûlé au Campo de Fiori à Rome un jour d’hiver de 1600, après avoir dû abjurer quatorze propositions dites hérétiques. Celui que Hegel évoquera comme "une comète à travers l’Europe" meurt la bouche écrasée par des morailles de bois - une muselière - pour qu’il ne puisse pas crier sa révolte dans un dernier mouvement héroïque. Il put l’exprimer cependant en détournant la tête au moment où on brandissait devant son visage un crucifix. Ultime geste de rébellion contre les dogmes aveugles et assassins. Il incarne encore 400 ans plus tard la résistance à l’obscurantisme.
Giordano Bruno est resté le symbole de l’humaniste martyr. Se défiant des certitudes, il développa un esprit critique et de curiosité, embrassant toutes les disciplines de l’esprit : théologie, philosophie, mathématiques, sciences, poésie...
Le mot "humanisme" fut appliqué rétroactivement aux hommes et aux femmes qui se sont battus pour la liberté de l’esprit et contre les dogmes. Erasme lui-même, surnommé "prince des humanistes" n’était pas ainsi qualifié de son vivant. Le terme ne remonte qu’au XIXe siècle. L’"Humanisme" ne désigne pas le seul "humanitaire" ni même la philanthropie, mais recouvre toutes les quêtes de l’être pour se libérer par la connaissance. Une connaissance profane, fondée, chez les hommes que nous savons cités, sur l’héritage antique gréco-latin (les "Humanités" comme on disait).
L’humanisme est indissociable de l’idée de civilisation et d’universalité, en plus de la considération première de la personne humaine et de son autonomie, de sa dignité. Nous n’en prenons pas le chemin si de nouveaux dogmes viennent à s’imposer comme le dogme de la prédestination génétique, le dogme de la suprématie de la pensée du croyant sur celle de l’athée rationaliste, le dogme de la valeur supérieure du riche sur le pauvre qui ne "réussit" pas, celui de la supériorité de l’image sur la réflexion et le débat, et ainsi de suite. De nouveaux bûchers sont déjà tendus et d’autres se préparent. Il y a en chacun de nous un Giordano Bruno, un "chevalier du savoir" qui se cherche et qui peut jouer un rôle utile aux autres.
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