François Hollande et le discours dangereux sur les religions
En proposant la constitutionnalisation très électoraliste de la loi de 1905 sur la laïcité, François Hollande se donne une image facile de défenseur de la laïcité en risquant de rompre l’équilibre très fragile du consensus républicain.
Dans son discours fleuve du 22 janvier 2012 au Bourget, le candidat François Hollande a affirmé avec force sa défense de la laïcité au sein de la République française.
Constitutionnaliser la loi du 1905 ?
C’est évidemment très louable de défendre la laïcité et cette laïcité (sans adjectif, précise-t-on souvent à juste titre) est même l’une des meilleures spécificités de l’exception française sur la scène internationale : alors qu’ailleurs, on introduit le concept de communautés religieuses avec leurs particularités propres (on appelle cela le communautarisme), en France, on ne prend en compte que ce qui unit, l’appartenance à la seule communauté nationale, tout en respectant la religion.
Mais reprenons la traduction concrète de cet attachement du candidat socialiste : « Président la République, c’est préserver l’État, sa neutralité, son intégrité, face aux puissances d’argent, face aux clientèles, face au communautarisme. Présider la République, c’est être viscéralement attaché à la laïcité, car c’est une valeur qui libère et qui protège. Et c’est pourquoi j’inscrirai la loi de 1905, celle qui sépare les Églises de l’État, dans la Constitution. ».
Première remarque à laquelle je passe rapidement : je ne comprends pas ce que viennent faire dans ce chapitre sur la laïcité et la neutralité de l’État ces « puissances d’argent » sinon pour gauchiser à bon compte le discours. Il a lâché un peu plus loin l’objet de sa bataille, une sorte de nouveau Graal : « Cet adversaire, c’est le monde de la finance. » alors que le véritable adversaire du pays, c’est d’abord le chômage et la précarité qui en découle, et ce "monde de la finance" (à mieux réglementer) a peu à voir avec les raisons profondes de la désindustrialisation de la France. Mais ce n’est pas mon sujet ici.
Une exception française, fondement du consensus républicain
La laïcité est un concept vraiment novateur dans l’histoire des idées politiques. Elle a été reprise par la Turquie (mais risque d’être mise à mal actuellement). Elle n’est pas évidente car elle nécessite de se dépassionner alors que c’est un sujet très passionnel (parmi les dernières tensions nationales, le projet d’un service d’éducation unique visant l’enseignement privé au printemps 1984 porté par le ministre Alain Savary qui fut finalement abandonné en raison des millions de personnes qui ont manifesté à Paris le 17 juin 1984).
La loi du 9 décembre 1905 a mis fin très laborieusement à une véritable mésentente nationale. C’est Aristide Briand, plutôt anticlérical, qui l’a proposée et il avait eu du mal surtout à convaincre les députés ultra-anticléricaux (principalement les radicaux) qui considéraient que le projet n’allait pas assez loin. Tandis que les députés catholiques ont vite compris qu’en lâchant du lest au sein de la République, ils évitaient la continuation d’un anticléricalisme politique qui leur faisait du tort.
La laïcité ne rejette pas les religions. Elle les respecte au contraire. Elle ne rejette pas non plus l’athéisme ni la pensée agnostique ou rationaliste. Elle les respecte aussi. Elle prône simplement la neutralité de l’État et l’assouplissement des pratiques pour permettre un vivre ensemble harmonieux dans une société pacifique.
Ce que dit la loi de 1905 dans son article premier est très clair : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. ».
C’est d’ailleurs presque une évidence et je me demande bien comment on a pu, dans le passé, en arriver aux guerres de religions qui n’ont jamais été que des guerres à prétextes religieux mais somme toute, de simples confrontations politiques avec enjeu de pouvoir. À partir du moment où le "pouvoir" spirituel est bien séparé du pouvoir temporel, une telle loi de séparation était juste logique et évidente. À partir du moment où je peux pratiquer ma religion, ou non-religion le cas échéant, je ne vois pas en quoi cela me gêne que mon voisin pratique la sienne (ou pas).
Aujourd’hui, d’ailleurs, ce sont non seulement les anticléricaux mais aussi, généralement, les chrétiens qui évoquent régulièrement cette laïcité car désormais, le "problème", si problème religieux y a, ne concernerait plus le christianisme mais l’islam. Même si, dans le discours de François Hollande au Bourget, rien n’est dit sur la menace de l’islamisme fondamentalisme et qu’on reste à la traditionnelle pensée anticléricale (à comprendre contre les catholiques dont pourtant nombreux sont de gauche).
Donc, cette loi de 1905 est effectivement une précieuse pépite de notre trésor national, un trésor immatériel mais essentiel qui fonde l’unité du pays.
Pourtant, je ne crois pas très pertinent de vouloir inscrire les deux premiers articles de la loi de 1905 dans la Constitution du 4 octobre 1958.
Inutilité juridique
D’un part, cela n’aurait aucun effet juridique, concrètement. La loi de 1905 est déjà à valeur constitutionnelle, ne serait-ce que par la rédaction de la Constitution actuelle.
Son article premier est déjà très clair : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. ».
Incluse dans le "bloc de constitutionnalité" (depuis 1971 grâce à Alain Poher), la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 3 novembre 1789 propose à l’article 4 un cadre très général : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. ».
Elle précise son application à l’article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. » ainsi qu’à l’article 11 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. ».
Danger pour la cohésion nationale
D’autre part, cette proposition pourrait mettre à mal la cohésion nationale. J’ai toujours été défavorable à une révision de la loi du 9 décembre 1905 même s’il est évident que la situation d’il y a plus d’un siècle est différente de celle d’aujourd’hui et qu’une adaptation pour l’actualiser pourrait être concevable.
Cependant, en rouvrant ce débat, on rouvrirait la boîte de Pandore et les polémiques dont le peuple français se passerait bien dans ces périodes troubles de crise économique et sociale.
C’est d’ailleurs un signe annexe qui ne trompe pas : en proposant de remettre dans l’actualité un thème que j’ai toujours considéré comme non négociable (la laïcité), François Hollande montre à l’évidence qu’il ne comprend pas que depuis 2008, le monde est plongé dans une grave crise économique internationale.
Pourquoi la boîte de Pandore ? Parce que si le principe de la loi de 1905 est très largement soutenu par la population (heureusement), il y a des officines prêtes à déstabiliser la République pour gagner encore du terrain. Dans un sens comme dans un autre.
Il y a d’ailleurs régulièrement des polémiques sur la gestion des municipalités à propos de la laïcité. Par exemple, sur la construction de nouvelles mosquées (l’argent public finançant le concept détourné de centre culturel) ou sur l’entretien des églises catholiques. Certains voudraient assouplir la loi pour permettre l’aide de l’État à la pratique de la religion (quelle qu’elle soit) tandis que d’autres voudraient au contraire une plus grande contrainte (suppression de l’enseignement catholique sous contrat, interdiction de participer à la restauration des monuments religieux etc.).
Il est clair que depuis près d’un siècle, malgré quelques soubresauts (comme celui de 1984), le société français est parvenue à un fragile équilibre et que celui-ci est très instable. Remettre ce sujet dans le débat national serait aussi irresponsable que le débat sur l’identité nationale balancé un peu légèrement par l’UMP il y a quelques années et laissant libre cours aux propos les plus extrêmes.
Et le statut de l’Alsace-Moselle ?
Enfin, à cette irresponsabilité se rajoute un véritable manque de préparation juridique car la constitutionnalisation proposée reviendrait à supprimer la particularité de l’Alsace-Moselle dans les lois de la République. Territoire allemand lors de la promulgation de la loi de 1905, ces trois départements sont encore sous le régime du Concordat napoléonien (signé le 15 juillet 1801) et avec quelques spécificités (comme le fait que le lendemain de Noël, le 26 décembre, et le Vendredi saint sont des jours fériés ou encore que l’État salarie les ministres du culte, prêtres, pasteurs et rabbins).
Ce particularisme a été établi par Clemenceau en 1918 sous la pression des élus locaux unanimes et pour conforter l’unité nationale, en guise de compensation à presque un demi siècle d’occupation allemande.
Faut-il en finir avec cette anomalie nationale ? Le candidat François Bayrou y a en tout cas répondu très clairement en prônant le maintien de cette particularité juridique. Bien qu'originaire de Franche-Comté, Jean-Luc Mélenchon, au contraire, veut la supprimer. Nul doute que les électeurs mosellans et alsaciens seront très attentifs à la position des autres candidats à l’élection présidentielle.
Manque de préparation
Cette impréparation a même été confirmée par l’ancien ministre socialiste Jean Glavany en charge du dossier dans l’équipe de campagne : « Nous sommes conscients des problèmes que cela soulève par rapport au Concordat. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas bouger. Nous allons prendre le temps de travailler sur les aspects juridiques. Inscrire les deux premiers articles de la loi dans la Constitution a du sens, et si cela accélère la réflexion sur cette anomalie qu’est le Concordat, pourquoi pas ? ».
L’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 est le suivant : « Le République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. ».
Il se poursuit par ces précisions budgétaires : « (…) Seront supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. ».
Qu’en pense François Hollande de ce sujet historique qui concerne quand même trois millions d’habitants (soit un vingtième de la population française) ? Ce sera très intéressant de l’entendre (j’espère qu’il sera interrogé sur cette question le jeudi 26 janvier 2012 lorsqu’il présentera son programme dans l’émission "Des Paroles et des actes" sur France 2).
La Guyane bénéficie également d’un statut très particulier.
Hollande très nouveau dans sa défense de la laïcité
François Hollande est-il un homme particulièrement "laïc" ? Il faut juste regarder son "passé" politique et son parti.
Le 13 juillet 2010, par exemple, il n’a pas voté à l’Assemblée Nationale la loi sur l’interdiction de la burqa dans l’espace public. De ses collègues parlementaires socialistes et assimilés, seulement dix-huit députés et quarante-six sénateurs ont voté cette loi, dont, parmi les grands soutiens de son actuelle candidature, Manuel Valls (dont on connaît l’attachement à la Ve République) et Aurélie Filipetti à l’Assemblée Nationale, et le 14 septembre 2010, François Rebsamen, Daniel Percheron, Robert Badinter et Jean-Michel Baylet au Sénat (et également Jean-Pierre Chevènement, encore candidat).
Quant aux socialistes en général, promoteurs entre autres du droit de vote des étrangers, ils n’ont jamais été très actifs dans la défense de la laïcité, thème d’ailleurs repris abusivement par Marine Le Pen et quelques ultras de l'UMP pour fonder une certaine islamophobie et qu’encouragent des déclarations irresponsables comme celles d’Eva Joly sur des jours fériés pour les musulmans et les Juifs.
Par ailleurs, le Parti socialiste est toujours dirigé d’une main de fer par une personne qui n’a pas hésité à instituer en 2000 un véritable communautarisme religieux dans sa propre ville en décidant d’horaires interdits aux hommes pour une piscine municipale (mesure heureusement supprimée en 2008).
Brevet de laïcité en soldes ?
C’est peut-être justement pour ces raisons (faible marquage apporté en faveur de la laïcité depuis le début de sa carrière politique) que François Hollande voudrait se donner à bon compte un brevet de laïcité par une mesure hautement symbolique.
Ou faudrait-il plutôt croire Jean-François Copé qui, lui, n’hésite pas à y voir « encore une pirouette pour éviter d’aborder le vrai sujet qui est celui de l’instrumentalisation de la religion par des extrémistes fondamentalistes » ?
À mon sens, sur ce sujet, François Hollande fait fausse route et va, au contraire d’apaiser, souffler sur des braises très anciennes qui ne sont encore jamais vraiment éteintes…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 janvier 2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Texte de la loi de 1905 sur la laïcité.
La burqa dans la République.
La balladurisation de François Hollande.
Discours de François Hollande du 22 janvier 2012 au Bourget (texte intégral).
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