L’Eglise face à nos nouveaux péchés
Le Vatican a tout récemment adapté la liste des traditionnels « péchés mortels » en y incluant celui de « richesse extrême ». Effectivement, alors que les anciens péchés (gourmandise, luxure, envie, orgueil, paresse, colère et avarice) tels que définis par le pape Grégoire le Grand au VIe siècle étaient à connotation individuelle, ceux cités par monseigneur Girotti en date du 10 mars dernier seraient à « résonance sociale en raison de la mondialisation ».
Ainsi, le « régent de la Pénitencerie apostolique », corps du Vatican statuant sur des sujets de moralité et habilité à accorder des absolutions, vient-il de présenter les péchés nouveaux au nombre desquels figurent les manipulations génétiques, la pollution de l’environnement ainsi que la richesse extrême, cause des injustices économiques et sociales par lesquelles "les pauvres deviennent encore plus pauvres et les riches encore plus riches". Le dogme catholique condamnant à la "mort éternelle" quiconque se rend coupable de l’un de ces péchés capitaux dès lors qu’il ne se confesse pas et ne fait pas pénitence.
Pourquoi le péché de "richesse extrême" consistant en "l’accumulation excessive de richesse par certains" n’était-il pas inclus dans l’antique liste et pourquoi a-t-il été récemment introduit ? Effectivement, les lois de Dieu étant par nature immuables, en vertu de quoi le Vatican peut-il aujourd’hui statuer sur l’état de "richesse extrême"... à moins que les circonstances aggravantes de la conjoncture et du monde actuels ne rendent inadmissible cette richesse extrême, considérée autrefois de manière moins négative ! Certes, nul n’a oublié que "les derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers" et qu’ "il est plus facile pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille que pour un riche d’entrer au royaume des cieux"... Alors, l’avarice étant déjà considérée comme un "péché mortel", il faut donc chercher ailleurs la signification attribuée au terme de "richesse extrême" qui aurait tout aussi bien pu être décliné sous les termes de richesse offensante ou insultante. En fait, selon les critères de l’Eglise, la richesse est obscène et pécheresse dès lors qu’elle est excessive !
Tout le monde s’accorde à déplorer les inégalités, la pauvreté, l’injustice ainsi que l’arrogance de la richesse poussée à l’excès. Toutefois, la morale et l’éthique universelle ne condamnent pas la richesse, même extrême, si celle-ci a été édifiée de manière légale et moralement acceptable. En effet, le fruit de mon travail étant ma propriété, ma fortune - aussi vaste soit-elle - n’a pas à être considérée immorale dès lors qu’elle a été gagnée sans nuire à autrui. En revanche, et comme le vol est un péché, une fortune serait immorale dès lors qu’elle aurait a été acquise de manière malhonnête avec la nuance fondamentale que ce n’est pas du fait de son amplitude que cette richesse serait immorale, mais simplement car elle aurait été obtenue par un vol. A moins que le Vatican considère que l’on ne devient riche qu’en appauvrissant les autres... ? Ce concept de "richesse excessive" est donc abusif car une richesse, même gigantesque, édifiée régulièrement ne va pas à l’encontre de l’éthique universelle à moins que le Vatican n’ait également décidé de compléter dans la foulée la définition du mot "vol", auquel cas il devra s’atteler à la révision des Dix-Commandements et de leur fameux "Tu ne voleras point"...
Au-delà de ces considérations théologico-morales, il est quand même surprenant que l’Eglise catholique, certes première institution au monde à s’être mondialisée, réévalue la notion de péché à l’aune des "résonances sociales" comme l’on pourrait le faire d’un titre ou d’une devise à la lueur d’une nouvelle statistique économique. L’homme serait-il devenu soit irréprochable, soit fragile au point qu’il faille inventer le "péché social" afin que nous soyons tous coupables collectivement, mais que personne ne soit responsable individuellement ? Car, en effet, avant l’apparition de ce "péché collectif", le libre arbitre, faisant appel à la responsabilité individuelle, confrontait chacun à ses propres démons. L’Eglise catholique cherche-t-elle à diluer notre responsabilité individuelle dans celle d’une communauté, occidentale par exemple, qui serait vouée en bloc à aller en enfer pour expier sa "richesse extrême" face à des milliards d’êtres humains sur le seuil de la pauvreté ? Il est vrai que nos agissements, nos méfaits ou nos écrits influencent d’une manière ou d’une autre l’évolution de notre communauté comme il est indéniable que notre communauté - surtout la nôtre - influence la vie d’autres communautés de ce monde.
Cette démarche de l’Eglise catholique d’uniformiser la nature humaine au point de l’enfermer dans des faits - plutôt dans des méfaits - qui ne seraient plus guidés que par la collectivité est déconcertante. Car n’est-ce pas la religion chrétienne qui, en divinisant l’humain il y a 2 000 ans, a prétendu que chaque individu était unique ? Cette infantilisation de l’homme avait pourtant été écartée par le concile Vatican II qui, tout en reconnaissant la conscience et la liberté propre à chaque individu, avait enfin rompu avec une police de la pensée qui se limitait à récompenser, à punir et à dresser des listes récapitulatives des interdits afin que l’homme ne pense plus par lui-même ! Ce cri de monseigneur Girotti : "Les pauvres deviennent encore plus pauvres et les riches encore plus riches" ne nous éclaire-t-il pas à lui seul sur cette sacro-sainte culpabilisation éternellement brandie par l’Eglise catholique dans le but de nous aliéner notre responsabilité individuelle ? Le théologien suisse Hans Küng écrivait : "L’Eglise est le peuple de Dieu en marche". Il serait grand temps que l’Eglise des hommes parle enfin le langage des hommes.
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