La malléabilité des dogmes : le Vatican et la peine mort
Depuis l’apparition au premier siècle de la monarchie épiscopale, l'Église catholique est la plus ancienne administration bureaucratique de la planète, et fonctionne sans discontinuer depuis 2000 ans en traversant des turbulences internes et externes et en maintenant le cap, vaille que vaille pour guider ses ouailles sur le chemin triomphant qui mène au paradis.
Le secret de sa longévité est simple : si les théologiens du Vatican veillent à ce que la doctrine ne change jamais, ils ont acquis une longue expérience pour transformer son contenu si nécessaire. Leur capacité à définir ce qui est "immuable" et ce qui est simplement un "développement" permet de donner aux institutions apparemment inébranlables la malléabilité dont elles ont besoin pour évoluer et survivre. A la vitesse de la petite aiguille d’une horloge, le vaisseau amiral vire de bord pour maintenir le cap !
La bible a été écrite par des partisans de la peine capitale. La loi mosaïque liste trente-six crimes passibles de la peine de mort pour exécution par lapidation, incinération, décapitation ou étranglement. Dans l’énumération des sacrilèges donnant lieu à cette sanction définitive sont inclus l'idolâtrie, la magie, le blasphème, la violation du sabbat, le meurtre, l'adultère, la bestialité, la pédérastie et l'inceste. Pourtant, aujourd’hui, aucun pays historiquement chrétien n’applique plus la peine de mort pour ces « crimes » et la plupart ont renoncé à la peine capitale comme ultime marque de la justice, qu’elle fût divine ou humaine.
L’église catholique s’inscrit dans cette évolution. Le pape Jean-Paul II, qui n’avait pas une réputation de révolutionnaire, considérait déjà que la peine de mort n’avait aucune justification pratique dans le monde moderne, même si elle était théoriquement admissible. Le pape François, qui est pourtant un jésuite a décidé de ne plus ménager la chèvre et le chou et modifié le catéchisme en expliquant que "la peine de mort est inadmissible parce qu’elle porte atteinte à l’inviolabilité et à la dignité de la personne". Il ne s’agit donc plus de son opinion personnelle, mais de quelque chose que les catholiques doivent croire. Il a même ajouté que l'église devrait œuvrer partout pour l'abolition de la peine de mort.
Il faut dire qu’il s’agit bien d’un sujet de préoccupation pour les catholiques dans plusieurs pays où l’église est une force politique importante. Aux États-Unis, la décision du pape a exaspéré la droite catholique et contribué à durcir leur position, même si elle contribuera à stimuler les militants contre la peine de mort dont certains des plus importants sont également catholiques. Par ailleurs, si la tendance mondiale est à l'abolition, certains pays ont réintroduit la peine capitale ou en ont repris l'usage. Aux Philippines à majorité catholique, Rodrigo Duterte a anticipé sa promesse de rétablir cette peine à travers une série de meurtres extrajudiciaires, encouragée par le gouvernement, faisant 4000 victimes (trois fois plus pour certaines sources) soupçonnées de participer à un trafic de drogue ou simplement dénoncées comme telles.
La tendance institutionnelle un peu partout dans le monde est de rayer la peine de mort de l’arsenal juridique des états, mais les opinions, postures et comportements spontanés montrent la difficulté à la mise en application et constituent une des lignes de clivage les plus importantes du monde contemporain. C'est même un révélateurs pertinent du conservatisme social, comme la couleur du papier tournesol permet de déterminer si une solution est acide ou basique. La peine de mort est l'affirmation ultime de la primauté des intérêts d’un groupe dominant sur l'individu. Et dans la plupart des pays européens, les églises au service des familles dominantes en ont été pendant plusieurs siècles parmi les partisans les plus forts, culminant en France pendant les guerres de religion. L’initiative du pape peut donc être saluée comme une volonté de progrès, le dogme dût-il en souffrir.
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