Baclofène contre Nalmefène
J’ai pu constater que, depuis quelques temps, deux lobbies s’affrontent, y compris sur AgoraVox, à propos de médicaments destinés à traiter l’alcoolisme. Le premier représenterait l’industrie pharmaceutique, et plus précisément Lundbeck, qui tente de faire approuver un médicament, le Selincro (ou Nalmefène). Le second se présente comme un lobby citoyen et dénonce le désintérêt de l’industrie pour le Baclofène, qui serait pourtant plus efficace. Je me propose donc de remettre les choses à plat pour analyser la situation à tête froide. Merci de lire jusqu’au bout avant de crier haro sur le baudet.
Qu’est ce qu’un lobby ?
Le terme de Lobby a très mauvaise connotation en français. Le lobby est systématiquement perçu comme un groupement d’intérêts privés qui tentent d’imposer des décisions qui leurs sont favorables au détriment du bien commun. Je lis encore « Groupe de pression »…
Si tout n’est pas faux dans cette définition, il convient de la rectifier. Un lobby c’est :
· Un regroupement d’intérêts communs ;
· Dans le but d’influer sur les décisions politique.
Notons qu’il n’y a pas de connotation positive ou négative. Par exemple, un lobby peut tout à fait agir pour obtenir des décisions qu’il estime favorables au bien commun, comme le font les adeptes de la reconnaissance du vote blanc.
Un lobby peut tenter d’obtenir une loi qu’il pense bonne pour tout le monde et qui s’avèrera désastreuse à la pratique, comme la calibration des fruits et légumes (là, j’avoue que si je tenais l’âne qui a plaidé en faveur de cette connerie qu’il a fallu annuler, je veillerai à ce qu’on le mette au rebut si quelque chose dépasse).
Enfin, un lobby industriel peut tenter d’obtenir une loi qui est profitable à tous (y compris ses membres) et s’opposer ainsi à un autre lobby. C’est le cas par exemple des lois sur les normes, où ceux qui sont favorables à un durcissement se heurtent à ce qui n’y sont pas prêts.
Voilà ce qu’est un lobby. Aussi ai-je souri doucement lorsque j’ai lu que la candidate du lobby écolo se proposait d’interdire les lobbies.
Fatalement, les lobbys industriels, parce qu’il sont professionnalisés, parce qu’ils ont l’expérience, parce qu’ils ont d’importants moyens, sont très efficaces. C’est pourquoi le simple citoyen a souvent le sentiment qu’ils dominent l’économie, mais ils ne la dominent que parce qu’ils n’ont souvent pas d’adversaires à leur mesure. Le débat n’est pas récent, mais le jour où les français se syndiqueront en masse, et cotiseront aux associations de consommateurs, le jeu se rééquilibrera. Notons que les ONG sont aussi de grands lobbyiste, même si, pour ne pas faire fuir les sousous de leurs généreux et anonymes donateurs, elles préfèrent éviter le mot. 1
Le Baclofène 2
Cet aparté terminé, revenons à notre sujet.
Le Baclofène a été découvert en 1962 par Ciba-Geigy. Il a initialement été développé pour le traitement de l’épilepsie, mais les résultats ont été décevants : le nombre et l’intensité des crises ne diminuait pas de façon significative. On a en revanche observé que les spasmes étaient beaucoup moins importants. Le produit a donc été commercialisé, sous le nom de Lioresal comme myorelaxant (c’est à dire comme décontractant musculaire).
En 2004, un médecin, Olivier Ameisen, qui était alcoolique, rapporte que le produit lui a permis de guérir son addiction. Il appelle dès lors à des études cliniques en vue d’une autorisation de mise sur le marché. En fait, quelques résultats en ce sens avaient été observés dès les années 90. En fait, le Baclofène réduit l’assuétude, le besoin irrépressible de consommer la drogue. Des études portant sur la dépendance en général conclueront que le Baclofène n’est pas efficace, mais elle semblent pour le moins biaisées.
En effet, si, on l’observe, que sur 3 mois, le nombre de jour où le patient boit, on ne voit pas d’évolution. En revanche, si l’on observe, sur une période de temps plus longue (on ne guérit pas de 10 ans d’alcoolisme en 3 mois) uniquement l’assuétude, alors oui, le Baclofène est très efficace. L’assuétude diminue, puis, puisque le patient ne ressent pas ce besoin psychologique de boire, il boit moins en terme de quantité, puis moins souvent, et, après un long processus, il guérit de l’alcoolisme.
En 2011, un donateur anonyme accepte de financer une étude sérieuse sur le sujet, qui est toujours en cours. Un autre est prévue pour cette années, avec des résultats attendus en 2013.
Voilà pour les bons côtés du produit, qui a son revers de la médaille. Les doses utilisées sont très importantes, et entrainent donc de lourds effets secondaires. 3
Le Nalmefène
Ainsi les articles se multiplient, dénonçant que l’industrie pharmaceutique n’a cure de cette découverte médicale et fustigeant le lobbying de Lundbeck, qui avance justement un produit concurrent, le Nalmefène.
Je ferai quelques remarques :
Vanter le Baclofène à tout va, sans mentionner les effets secondaires, n’est-ce pas aussi du lobbying ? Est-il normal que la page Wikipedia sur le produit étale des tartines entières sur l’effet contre l’alcoolisme, au détriment de l’effet myorelaxant ? 4 Qui est derrière ? Surtout, qui est le mystérieux mécène ?
Le Baclofène est tombé dans le domaine public. Il est génériquable. Pourquoi fustiger un laboratoire comme Lundbeck parce qu’il ne veut pas consacrer des fonds perdus à ce sujet ? N’est-ce pas plutôt le rôle d’une association à but non-lucratif, des pouvoirs publics, des universités ? En tout cas, si, à la tête d’un laboratoire, j’avais un million d’euros à dépenser sans espoir de retour sur investissement, je ne suis pas sûr que je choisirai ce projet-là. Oui, ça ferait bien pour mon image, mais me reprocher de ne pas être intéressé est hypocrite. Tout le monde milite pour sa propre chapelle, et on ne peut satisfaire à la fois les partisans de l’alcoolisme, de la maladie du sommeil, de la maladie de Crohn, de la myopathie de Duchenne et de Jacques Cheminade.
Le Nalmefène est, de l’avis unanime, beaucoup moins efficace que le Baclofène. Mais a-t’il autant d’effets secondaires ? D’après les études, le Nalmefène entraîne des nausées, des vertiges, des tachycardies, de l’hypertension et des insomnies (un peu comme une cuite, moins la gueule de bois, les crampes d’estomac, et le boudin qui vous regarde en disant qu’elle a passé une nuit merveilleuse). Du côté du Baclofène, on relève des nausées, des somnolences pour les effets les plus fréquents, et des cas plus occasionnels d’une liste assez longue d’effets que je vous épargne. C’est bien beau d’avoir quelque chose de plus efficace, mais si le patient laisse tomber parce qu’il en a marre de faire pipi de travers, on n’a rien gagné.
Pour la petite histoire, le Nalmefène a été découvert dans les années 70, et un brevet accordé en 1974. 5 En toute logique, le produit devrait être tombé aussi dans el domaine public, du moins aux Etats-Unis. Si le brevet européen est plus récent, il peut être encore valable pour quelques années…
Alors, Nalmefène ou Baclofène ?
A vrai dire, même au niveau des effets secondaires, les études ne sont pas plus particulièrement favorables au Nalmefène. On est en quelque sorte à égalité. Alors, attendu que le Baclofène est plus efficace, et surtout moins cher car générique, on sait déjà lequel choisir. Sur la seule base de ces considérations scientifique mon choix est fait.
Et puis je suis tombé sur l’article de Carevox consacré au sujet… 6 Au moins deux experts chargés de statuer sur une demande préalable concernant le Baclofène ont des conflits d’intérêts avec Lundbeck, et ont participé à des études sur le Nalmefène… Voilà qui bat en brèche mes remarques survivantes du chapitre 3.
En attendant, des médecins décident de ne pas se laisser dicter leur conduite par une AFSSAPS en laquelle ils n’ont plus confiance, et prescrivent le produit en toute illégalité. 7 Le produit est connu, sa dangerosité est connue. Dans le pire des cas, il est inefficace. Quelques patients vomiront un peu plus et les choses n’iront guère plus loin. On ne se dirigera pas vers de possibles décès liés au produit (encore que tout dépend des mélanges de médicament), aussi, il est hypocrite d’évoquer le principe de précaution…
D’autant plus hypocrite que les procédures accélérées existent : les médecins sont autorisés à prescrire le produit le temps qu’on en sache plus, car la santé des patients passe avant tout. Pourquoi ne pas appliquer ce type de procédure au Baclofène ?
1. Bureaux de plaidoyer, Oxfam
2. Baclofen, Wikipedia
3. Baclofene Irex, au féminin
4. Baclofène, Wikipedia
5. Nalmefene, Wikipedia
6. La situation du Baclofène à la lumière des déclarations de l’AFSSAPS, Sylvie Imbert, CareVox
7. Alcoolisme : le scandale du Baclofène, Jean-Yves Nau, Slate, 16 Avril 2012
20 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON