De quoi les électrosensibles sont-ils les victimes ?
L’hypersensibilité aux champs électromagnétiques fait l’objet, pour la première fois en France, d’une prise en charge médicale. Des « centres investigateurs » vont être ouverts dans l’ensemble des régions. Première réaction immédiate à cette nouvelle de Next-Up Organisation Bioinitiative (association contre les champs électromagnétiques de toute nature et de toute sorte) : il s’agit d’une « vaste manipulation gouvernementale pseudo-scientifique » (source : AFP).
Pourquoi une réaction si violente face au lancement d’une étude organisée, de manière transparente, par le corps médical et les agences sanitaires officielles ?
L’étude lancée est issue d’une table ronde où tous les acteurs qui le souhaitaient ont été consultés (associations, victimes, entreprises, médecins etc.). Elle vise à étudier la « sensibilité des patients vis-à-vis de leur exposition aux champs électromagnétiques ainsi que leur état de santé et leur qualité de vie ».
Cela semble tout à fait légitime pour un mal dont la diversité des symptômes et les cas ont de quoi laisser la quasi-totalité des médecins perplexes, du moins jusqu’à aujourd’hui.
L’électrosensibilité, un mal imprécis pour les médecins et les victimes
Pour le Professeur Choudat (de l’AP-HP), qui dirige l’étude, la nature et gravité des symptômes présentés sont très variables : maux de tête, vertiges, douleurs abdominale, troubles du sommeil, de la concentration. De plus, il n’est pas possible d’établir des liens entre ces symptômes et/ou des organes particuliers, comme le Professeur l'a expliqué à l'occasion d'une interview sur RTL, le 15 février 2012.
Ces constats médicaux sont recoupés par des personnes se déclarant électrosensibles, comme le montre les deux témoignages, diffusés dans l’émission « les auditeurs ont la parole » sur RTL, le 15 février 2012 (écouter à partir de 07:45).
A l’antenne, Amélie puis Suzanne qui témoigne pour sa fille font état des maux suivants : pics dans la poitrine ou dans le corps, tachycardie, problèmes dans le bas du ventre, problèmes de règles, chutes de tensions, épilepsie, pertes de mémoire. Pour les deux, IRM, scanner, encéphalogramme ou examens sanguins ne permettent d'apporter aucune réponse médicale aux maux dont elles font part.
Aujourd’hui le mal de ces personnes est reconnu mais il n’existe encore « aucun argument médical et scientifique pour déterminer un lien de causalité » avec les ondes. Le professeur Choudat explique que « les patients ont eux-mêmes établis un lien » et l’étude lancée vise justement à vérifier scientifiquement l'existence d'un tel lien.
Face à ce constat partagé et l'objectif modeste de l'étude, la réaction outrancière de « vaste manipulation gouvernementale pseudo-scientifique » exprimée par Next-up Bioinitiative est surprenante mais elle est loin d’être une première dans ces débats sur les ondes.
Des activistes contre les ondes hyper actifs et outranciers
Next-up Bioinitiative et d’autres organismes, avec lesquels il existe des liens de personnes ou du moins d’intérêts (comme Robin des Toits, Priartem ou la Criirem), ont pris l’habitude depuis quelques années de faire feu de tout bois en la matière, via des discours et des images qui ne s’embarrassent pas de nuance.
Pour eux, sont en cause wi-fi, antennes-relais, téléphones portables, ordinateurs ou câbles électriques dans les appartements. Toute source d'ondes serait de nature à créer des risques sanitaires effrayants sur les systèmes hormonaux de l’ensemble de la population, causant cancers, tumeurs, leucémies etc.
La « référence » suprême des anti-ondes : un rapport contesté
Le point commun entre tous ces acteurs ? La même source de référence à leur argumentaire « scientifique » : le rapport Bioinitiative, datant de 2007, et dont le sérieux est mis en doute par des institutions telles que le programme européen de recherche et de développement technologique, le Danish National Board of Health, l’Office Fédéral Allemand de Radioprotection, le Conseil de Santé des Pays-Pays ou l'agence de l'environnement US.
De plus, Jean-Paul Krivine de l’Association Française pour l’Information scientifique soupçonne Cindy Sage, éditricie de ce rapport. d'un conflit d’intérêt. En effet, cette dernière est également la propriétaire d’un entreprise de conseil commercialisant des solutions pour « caractériser ou atténuer les impacts champs électromagnétiques ».
Le marché florissant de l’électro-protection
Cindy Sage est loin d’être la seule à prospérer économiquement sur ce mal, non prouvé, des ondes. Il suffit de saisir « protection électromagnétique » sur un moteur de recherche en ligne, pour se voir proposer des produits aussi divers que : film à coller sur les vitres, peintures de blindage, détecteurs, casquettes blindées, cotte de maille façon burqa, ou patch à coller au dos du téléphone.
Ainsi, pour vendre ces produits, dont le sérieux est souvent mis en doute (voir : Le journal de la Santé, France 5), ces commerçants n’hésitent pas, au même titre que les associations, à jouer sans nuance sur les peurs, comme le montre l’exemple de certains films publicitaires.
De plus, la plupart de ces vendeurs "d'électro-protections" prennent aussi comme unique caution scientifique le rapport Bioinitiative contesté. C’est le cas, par exemple, de la boutique en ligne de Claude Bossard, l'expert qui a rencontré et conseillé Amélie, la première auditrice à avoir témoigné sur RTL.
Une autre vision du problème : « Le Manifeste électrosensible »
Au-delà des polémiques scientifiques et campagnes commerciales outrancières, Samuel Moulin, avec une série de photo et son « Manifeste électrosensible » apporte vision décalée artistique et philosophique de la question.
D’après lui, « l’électrosensibilité est une sorte de virus métaphysique (comme n’importe quelle autre forme du prêt à penser) qui s’attrape dans le réseau et reprogramme les individus comme les virus traditionnels reprogramment les ordinateurs ».
Et donc, la propagation de ce virus serait accélérée par la vitesse de la circulation de l’information sur internet. Samuel Moulin explique ainsi que « si ce n’est pas une imprégnation en ondes, ce sera une imprégnation en information ».
Il ajoute que l’objectif serait idéologique : « éclairer l’ensemble de l’humanité sur les risques auxquelles elle s’expose en utilisant les nouvelles technologies, et forcer le gouvernement à reconnaître la vérité » (comme le fait Next-Up en dénonçant une « vaste manipulation gouvernementale pseudo-scientifique »).
Pour ce qui est des protections anti-ondes, comme la combinaison qu’il caricature dans sa série de photographies, elles ont « autant pour fonction de repousser les ondes que d’accrocher les regards » (une telle remarque peut être également appliquée à la publicité sur le patch). Avec de telles solutions, « nous ne voyons pas les ondes rebondir, mais seulement les regards se fixer, attirés, et les interrogations levés ».
Ainsi pour Samuel Moulin, l’électrosensible serait d’abord victime de l’information propagée par ses pairs, plutôt que d’une maladie reconnue et prouvée par le corps médical, et il explicite son approche en ces termes :
Comment l’électrosensible « aurait-il pu cerner ce mal vague, dont le syndrome contient une infinie variété de symptômes communs à nombre de maladies, s’il n’en avait pas été informé au préalable par le témoignage d’autres électrosensibles, diffusés justement sur le réseau (surtout que dans ce cas, c’est toujours le malade qui établit le diagnostic, contre le médecin, c’est-à-dire l’ignorant contre le savant) ? ».
En définitive, il semble que l'électrosensibilité soit, en l'état des connaissances scientifiques, davantage une peur irrationnelle faisant l'objet de manipulations des esprits et des consciences qu'une maladie à laquelle la médecine serait en mesure d'apporter des traitements.
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