Patches et gommes à la nicotine ne servent à rien
Une étude de la Harvard School vient de démontrer que les médicaments à la nicotine sont inefficaces pour induire l'abandon à long terme de la cigarette. ce n'est pas la première fois qu'est mis en doute le mythe selon lequel la nicotine expliquerait la dépendance au tabac.
Les "tabacologues" sont très agités depuis la publication le 9 janvier d'une étude émanant de la Harvard School [1]. Ce travail en effet a suivi tous les deux ans pendant 6 ans une cohorte de 787 fumeurs qui venaient d'arrêter de fumer. La conclusion est sans appel. L'utilisation de substituts nicotiniques, gommes ou patchs, avec ou sans soutien psychologique, est sans effet sur leur abstinence à long terme.
Cette étude enfonce pourtant des portes ouvertes. Il n'est pas anodin que le rapport du Surgeon General US de 1988, scandaleusement intitulé "Nicotine Addiction", ait été contemporain du lancement commercial des gommes à la nicotine. Il est à l'origine du mythe selon lequel la dépendance au tabac serait en fait une pure dépendance à la nicotine. Un mythe soigneusement cultivé. Martelé dans les congrès organisés en son honneur, financé par l'industrie pharmaceutique, il est le support des ventes des "substituts nicotiniques", gommes ou patches. La pression publicitaire a été telle, à la télévision, dans la presse, auprès des autorités sanitaires, qu'on put considérer comme "non-éthique" de ne pas en recommander l'usage, et qu'un crédit de 50€ annuel fut accordé à tout fumeur, aux dépens de la Sécurité Sociale, pour l'achat de ce qui n'est en fait qu'un placebo dans le traitement de la dépendance.
Certes la nicotine n'est pas une molécule inactive. Elle augmente rapidement la glycémie, stimule l'éveil et relaxe les muscles par action sur la moelle épinière. Ces propriétés peuvent expliquer que certains fumeurs y trouvent un bénéfice dans les premières semaines de l'arrêt du tabac. Pourtant, s'il est indéniable que le tabac est extrêmement "accrocheur", c'est par un syllogisme qu'on veut en rendre la nicotine responsable :
Prémisse 1 : Le tabac est extrêmement addictif.
Prémisse 2 : La nicotine est un poison neurotrope présent pratiquement dans le seul tabac.
Conclusion : la nicotine rend compte de la dépendance au tabac.
Syllogisme ? En fait, ce beau raisonnement est un pur sophisme, car il écarte allègrement le rôle d'autres substances parmi les milliers que contient le tabac, ainsi que les facteurs comportementaux associés. C'est gravissime car, supposant le problème résolu, toute recherche scientifique sur la dépendance au tabac est désormais considérée comme superflue, inutile.
Or il suffisait d'un peu de réflexion et d'observation pour mettre en doute dès le départ une telle puissance de la nicotine. Tout comme la morphine extraite de l'opium ou la cocaïne de la feuille de coca, elle devrait être plus addictive que la plante d'origine. Or cela fait plus de deux siècles qu'on a isolé la nicotine. Depuis longtemps les fumeurs auraient dû abandonner leur tabac pour elle. Ils devraient la rechercher lorsque le tabac vient à manquer. Or aucune observation ne fait état d'un usage toxicomaniaque de la nicotine pure. Aucun trafic n'a été signalé pendant la guerre, quand les fumeurs se contentaient de fumer des feuilles d'armoise, et que passe la frontière espagnole avec un jerrican de nicotine à chaque main, c'eût été l'équivalent de ce qu'apportent 50 millions de cigarettes ! Que certains continuent à mâcher longtemps des gommes à la nicotine après avoir arrêté de fumer n'est pas une preuve. Ils devraient tous en être terriblement dépendants : ils ne sont que 7% au bout d'un an. Tic masticatoire ? Peur de reprendre la cigarette s'ils arrêtent la gomme ? Une hirondelle ne fait pas le printemps. Quant au patch, seuls 1% les utilisent encore après un an. C'est misérable. D'ailleurs, même dans les conditions d'essais cliniques commandités par les firmes pharmaceutiques, les résultats ont de la peine à se hisser au dessus de ceux du placebo.
Cette étude de la Harvard School n'est pas la seule à avoir mis en cause l'efficacité des médicaments à la nicotine. Dans les années ayant suivi leur vente sans ordonnance, une étude californienne portant sur la population générale a montré qu'après 3 mois, il n'y avait plus aucune différence de succès entre ceux qui les avaient utilisés et ceux qui avaient arrêté seuls [2]. Un travail du National Cancer Institute arrive au même résultat [3]. Depuis des années, de nombreux travaux et méta-analyses mettent en doute l'efficacité de ces traitements par la nicotine. Cela n'a pourtant rien changé, et l'armée de ceux dont c'est le fonds de commerce part déjà à l'attaque, on peut gager que l'étude de Harvard sera vite dénigrée et oubliée. La pression industrielle est en effet considérable. Une analyse de 105 études contrôlées collectées par le groupe Cochrane démontre que celles financées par l'industrie et dont le résultat est en faveur de la nicotine bénéficient d'une plus grande publicité et sont publiées par des journaux scientifiques plus prestigieux que les autres [4]. L'industrie engloutit des sommes prodigieuses dans des recherches à but purement publicitaire pour justifier son usage pour justifier son usage.
Après une trentaine d'années de soutien au mythe, le Suédois Karl Fagerström vient de proposer de changer l'intitulé de son fameux "Test de dépendance à la nicotine" pour celui de "Test de dépendance à la cigarette" [5]. C'est une reconnaissance bien tardive et le mal est fait. Toute cette focalisation sur la nicotine a empêché toute recherche sur le tabac. Car c'est bien lui, pas la nicotine, qui induit cette dépendance aussi néfaste pour la Santé Publique. Certes, on a découvert dans la fumée de tabac le cerveau des fumeurs des substances à effet IMAO (inhibiteurs de monoamine-oxydases). Elles amplifient et prolongent l'effet de la nicotine. Cela a relancé l'intérêt de quelques laboratoires dont celui de Jan-Pol Tassin au Collège de France. Mais ces IMAO sont formés lors de la combustion du tabac. Impossible de savoir s'ils sont présents dans le tabac sucé ou mâché, qui induisent pourtant une puissante dépendance. Seuls les industriels du tabac savent peut-être quelque chose, mais leurs secrets sont bien gardés. Malheureusement les rares chercheurs sont isolés, quand des équipes bien financées travaillant directement sur le tabac, comportant des neurobiologistes, de bons chimistes bien outillés, des psychologues, des cliniciens indépendants des firmes auraient, seuls des chances d'élucider le mystère.
Pourquoi cette absence totale de recherche, sur un produit que l'on considère comme le plus grand tueur de notre temps ? La réponse me paraît claire : parce que personne n'en veut :
1.- L'industrie tabagière n'en veut pas. Pourtant elle n'a pas intérêt à tuer ses bons clients. Mais si elle veut bien contribuer à diminuer la dangerosité de ses produits, elle ne veut pas que le fumeur s'arrête.
2.- L'industrie pharmaceutique n'en veut pas. Elle a largement profité de l'engouement pour la nicotine, qu'elle a soigneusement alimenté. Mais découvrir dans le tabac des substances naturelles ne l'intéresse pas. Elle préfère orienter ses recherches sur des molécules nouvelles brevetables et éventuellement rentables, comme le Bupropion® ou le Champix®. Cela explique d'ailleurs pourquoi Pfizer s'est désengagé de la commercialisation des gommes.
3.- L'Etat n'en veut pas, parce qu'il n'est pas prêt à renoncer au pactole annuel des 12 milliards d'euros de taxes. De plus, il sait bien cyniquement si l'es fumeurs s'arrêtaient, ce ne serait pas un bénéfice pour la Sécurité Sociale. C'est un faux argument économique. Un fumeur qui meurt d'un infarctus ou d'un cancer du poumon induit certes des dépenses de santé. On n'est pas éternel, on mourra un jour même si l'on n'a pas fumé, en moyenne 10 ans plus tard, d'un autre cancer, de défaillance cardiaque, ou après des années de dépendance totale, dans une institution pour Alzheimer, ce qui coûtera encore plus cher. De plus, si le fumeur meurt le jour de sa retraite, il aura cotisé toute sa vie, et ce sera tout bénéfice pour les non-fumeurs qui lui survivront.
4.- Le fumeur n'en veut pas, parce qu'il croit réellement que sa cigarette est indispensable à la vie, et ne voit pas d'un œil favorable ce qui pourrait l'en priver.
Références
1.- Alpert HR, Conolly GN, Biener L. A prospective cohort study challenging the effectiveness of population-based medical intervention for smoking cessation. Tobacco Control, (2012) Publication électronique pré impression.
2.- Pierce JP,. Gilpin EA Impact of Over-the-Counter Sales on Effectiveness of Pharmaceutical Aids for Smoking Cessation JAMA (2002). 288 1260-4.
3.- Hartman AH, Mabry PL, Gibson JT, Leischow SJ. National Cancer Institute survey of 8200 smokers trying to quit. whyquit.com/NRT/studies/Hartman_NCI_NRT.pdf
4.- Etter JF, Stapleton J Citations to trials of nicotine replacement therapy were biased toward positive results and high-impact-factor journals. J. Clin. Epidemiol. 2009 Aug ;62(8):831-7.
5.- Molimard R. http://www.formindep.org/Fagerstrom-trouve-son-chemin-de.html
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