Sida : La situation actuelle vue par Jean-Luc Roméro
Difficile d’aborder ces sujets graves que sont l’euthanasie et le SIDA durant la période des vacances d’été. Pourtant, l’épidémie est loin d’être terminée, ni même jugulée et malheureusement, des centaines, peut-être des milliers de personnes seront contaminées cet été alors même qu’elles sont loin des soucis, heureuses de vivre et de profiter du soleil, de la plage ou de la montagne, avec l’envie de rencontrer quelqu’un, pour une nuit ou pour la vie. Parmi ces futurs contaminés, il y aura des jeunes. Retour sur ce fléau un peu oublié.
Après 28 ans d’épidémie de SIDA, où en sommes nous ?
Le virus du SIDA touche actuellement 33 millions de personnes dans le monde. C’est la 6ème cause de mortalité sur la planète. En Afrique, en Asie et maintenant dans les pays de l’est, la situation est terrible. La pauvreté, l’absence de prévention, la difficulté d’accès aux traitements font des ravages.
En France, on estime que 100 000 à 150 000 personnes vivent avec le SIDA, qu’elles soient considérées simplement comme séropositives ou avec un SIDA déclaré. Paris concentre à lui seul 25% de ces personnes soit environ 40 000 personnes, l’équivalent des populations du premier et second arrondissement réunis ! Environ 90 000 personnes en France sont actuellement sous traitement.
A-t-on des enfants du sida en France ?
Nous avons été très rapidement capables de juguler la transmission du virus entre la mère et l’enfant mais il y a en effet de jeunes adultes en France qui vivent sous traitement depuis leur enfance, environ quelques milliers.
Les jeunes et le SIDA ?
La situation est paradoxale. Les adolescents français sont à la fois très conscients de l’existence du SIDA – leur utilisation du préservatif le prouve – et plus mal informés que leurs ainés. En étudiant de près ce qu’ils disent du SIDA, on perçoit nettement que le niveau de connaissance de la maladie recule. Pour citer un exemple, lors du dernier Sidaction en décembre 2007, 26% des 15 – 24 ans déclarent penser qu’on peut être contaminé par une piqure de moustique, ce qui est faux. Le pourcentage était de seulement 14% dans les années 90.
On voit réapparaître des fantasmes autour des modes de contaminations que nous pensions disparus. Avec les progrès dans les traitement, il y a moins de morts et donc beaucoup moins d’images de la maladie. De plus les malades se cachent.
Le succès des multithérapies a-t-il rendu la tâche plus difficile au discours de prévention ?
L’arrivée soudaine des « trithérapies » en 1996 a eu une conséquence inattendue : dans une atmosphère de mort, ou dans certains milieux, chacun avait un ou plusieurs proches qui avaient disparu, la vie est revenue très rapidement. Le soulagement généré par ce progrès a eu comme effet, à la longue, de faire baisser la garde.
En 2007, on a recensé 6400 diagnostics de séropositivité. L’épidémie est donc loin d’être éradiquée, ou même jugulée.
Que penser du bareback ?
Il ne faut pas confondre bareback et relapse. Le mouvement bareback revendique un comportement qui vise à contaminer les autres. Ce mouvement est très minoritaire. Les relapses, eux, sont des gens épuisés face à la protection. Il n’y a pas de valorisation des séropositifs dans la société. Le discours de protection ne passe plus, ou de plus en plus mal.
Pire, on stigmatise et les gens finissent par baisser les bras. La « pénalisation » de la séropositivité, comme on l’a vu dans des affaires récentes, pose un vrai problème. Une relation non protégée – et librement consentie par les deux partenaires – implique une responsabilité partagée. Si on fait porter le poids de la responsabilité sur les seules épaules du partenaire séropositif, on court le risque de voir diminuer le dépistage sous le motif que « si je ne sais pas, je ne peux pas être condamné ». je le répète, la responsabilité DOIT être partagée.
Qu’en est-il de la discrimination en France ?
La discrimination se traduit en France de nombreuses manières. C’est par exemple dire que les séropositifs sont des personnes différentes. Il est extrêmement difficile, voire impossible de contracter un prêt pour acheter un logement, pour investir dans une société. Les banques arguent de la santé pour refuser, alors même qu’un séropositif peut vivre des dizaines d’années. Dire sa séropositivité dans un tel climat, c’est prendre le risque, quasi certain, de faire fuir son ou sa partenaire. C’est la certitude de ne pas être embauché. Dans un sondage récent, 100% - 100% ! - des employeurs disent refuser l’embauche d’une personne dont la séropositivité est déclarée.
La discrimination se traduit aussi au quotidien par l’extrême difficulté à voyager. La moitié des pays de la planète refusent l’installation sur leur sol de séropositifs. 13 vont même jusqu’à interdire la circulation des séropositifs. Donc pas de voyages touristiques dans ces pays, pas même de possibilité de transiter par leur sol. Parmi ces 13 pays, on compte la Chine. Et les USA.
Quelles sont les origines de ces mesures d’exclusions ?
La peur des sociétés face à cette maladie mal appréhendée et vue comme honteuse. Selon la législation américaine, le SIDA est une maladie contagieuse alors que c’est une maladie transmissible. Personne n’est contaminé si il se trouve à proximité d’une personne séropositive. La contagion n’existe donc tout simplement pas.
Si ces mesures visaient à épargner un pays du SIDA, elles sont inopérantes et même n’ont aucun sens car elles ne touchent pas les ressortissants de ces pays qui peuvent aller à l’étranger, y être contaminé et revenir dans leur pays sans avoir à répondre à quelque questionnaire que ce soit.
Il est tout de même paradoxal que les USA appliquent encore cette mesure inique alors même qu’ils regroupent une fraction non négligeable des séropositifs dans le monde !
En fait, ces dispositions législatives entraine une guerre contre les malades alors que c’est une guerre contre la maladie elle même qu’il faut mener.
Comment se traduisent ces mesures ?
Pour l’installation dans un pays, les autorités demandent un test. Cette pratique se fait y compris au sein de certains pays de l’Union Européenne. Bien sur, les ressortissants européens ne sont pas concernés mais tous les autres se voient dans l’obligation de fournir un test. Pour le contrôle aux frontières des touristes, cela ne se fait pas mais les autorités utilisent des faisceaux d’indices.
Certaines compagnies américaines font procéder à la fouille de bagages à l’aéroport de départ. Si un traitement contre le SIDA est trouvé, elles avertissent les autorités de l’aéroport d’arrivée où ces dernières procèdent à l’arrestation de la personne et la refoulent vers son point de départ.
En définitive, le SIDA est une maladie honteuse car les séropositifs sont obligés de se cacher, parfois en interrompant leur traitement car ils ne peuvent pas les emmener avec eux.
Comment les choses peuvent-elles évoluer ?
C’est triste à dire mais un vrai scandale médiatique ferait sans doute bouger les choses : par exemple, si on venait à apprendre qu’une star planétaire est séropositive, il serait difficile de maintenir ces discriminations à l’entrée du territoire américain. La solution « sage » serait d’avoir une volonté politique nationale ou internationale. Mais elle n’existe pas. Pour illustrer cette absence, je rappelle que l’ONUSIDA n’a ouvert un groupe d’étude sur ce sujet qu’en mars 2008. Il y a 3 mois !
Lors du dernier G8 au Japon, une position de principe contre cette interdiction a enfin été prise.
Le secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki Mun se dit sensible à ce problème mais il était avant ministre des affaires étrangères de la Corée du Sud, l’un des 13 pays à interdire la circulation des séropositifs. Que penser ?
Au niveau de l’Union Européenne, il n’y a aucune déclaration globale même si Xavier Bertrand - que je salue – a évoqué le problème le 30 novembre 2006. Les réticences sont dues aux politiques appliquées et aux législations ambigües. Pourtant le Parlement Européen a voté récemment pour demander la levée de l’interdiction américaine.
Le 1er décembre 2006, le président Bush, en réponse à une lettre ou je l’interpelais sur ce sujet, a déclaré qu’il allait demander au congrès de lever cette mesure pour les séjours d’une durée inférieure à deux mois. C’était un début modeste mais un vrai geste. En l’absence de pressions internationales et internes aux USA, cette volonté est restée lettre morte. Comme personne en situation d’influencer les décideurs ne fait la demande, ces derniers n’agissent pas.
Je dois dire que le président Clinton avait essayé mais s’est heurté au refus de son congrès. Le Sénat a cependant voté il y a quelques jours cette levée. Espérons !
Et Jacques Chirac ?
Il a beaucoup parlé du SIDA alors qu’il était à la présidence mais il n’est plus en situation de responsabilité.
Au travers de sa fondation, peut-il faire bouger les choses ?
La Fondation Jacques Chirac œuvre sur le front de l’accès aux traitements mais Jacques Chirac s’investit moins sur le plan politique. Je lui en parlerai pourtant.
Illustration : Prévention à la plage
Crédit photo : Aides
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