Un pavé dans la mort !
La seule science médicale échoue à définir avec certitude le début et la fin de la vie. Découlent de cette incapacité ou incertitude les problèmes éthiques posés par les recherches sur les cellules souches embryonnaires (début de la vie), ainsi que ceux posés par les prélèvements d’organes sur les donneurs « décédés » (fin de la vie).
Les seuls critères médicaux scientifiques ne permettent pas de définir avec certitude le moment de la mort : « La mort était un mystère, elle est devenue un problème » (un philosophe cité en mars 2007 par le docteur Guy Freys, responsable du service de réanimation chirurgicale de l’hôpital de Hautepierre, Hôpitaux universitaires de Strasbourg). Cela est d’autant plus vrai depuis la pratique des prélèvements d’organes à partir de donneurs « décédés ». Ces mêmes critères médicaux purement scientifiques échouent à définir le début de la vie, d’où la polémique sur l’utilisation des cellules souches embryonnaires dans les recherches :
« Depuis près d’une décennie, on assiste ainsi à l’affrontement de ceux qui postulent que la vie humaine commence au moment de la fécondation de l’ovocyte par un spermatozoïde et ceux pour qui un embryon obtenu par fécondation in vitro et ayant atteint le stade de blastocyste (au cinquième jour de son développement, avant son implantation dans la muqueuse utérine) ne saurait être considéré comme une personne. » (source)
Les prélèvements d’organes sur donneurs « décédés » :
Parler des transplantations d’organes, c’est aussi parler des prélèvements d’organes, qui se font souvent sur des donneurs dits décédés : ces donneurs se trouvent en état de mort encéphalique, en état de mort cérébrale, ou encore en arrêt cardiaque : dans ce dernier cas de figure, il s’agit de prélèvements d’organes « à coeur arrêté », suite à un échec des tentatives de réanimation sur une personne qui se trouve en arrêt cardiaque. Rappelons que les prélèvements à coeur arrêté en France et aux USA sont consécutifs à deux situations bien distinctes : aux USA, des organes sont donnés par des familles qui décident d’abréger l’assistance vitale des patients atteints de lésions irréversibles du cerveau sans aucune chance de guérison. Ces patients ne répondent pas aux critères de mort cérébrale et subissent un arrêt cardiaque lorsque l’assistance vitale est supprimée. Il y a donc une démarche d’arrêt de soins au préalable de la décision du prélèvement d’organes.
En France, les prélèvements à coeur arrêté ne se font pas dans cette situation. C’est interdit par la loi, qui a estimé qu’il y avait là une confusion entre une décision d’arrêt de soins et une intention de prélèvement d’organes, cette confusion posant des problèmes d’éthique. En France, en 2005, la loi a estimé qu’au préalable d’un don d’organes à partir d’une situation d’arrêt cardio-respiratoire persistant, il faut qu’il y ait eu échec des tentatives de réanimation sur une personne ayant fait un arrêt cardiaque. Suite à l’échec de ces tentatives, le décès de la personne en arrêt cardio-respiratoire persistant est établi. Se pose ensuite la question du don des organes de cette personne. Mais le constat de décès dans ce contexte est cause de controverses :
D’un côté, sur le plan légal, la mort équivaut à la mort encéphalique. De l’autre, dans le cas des prélèvements « à coeur arrêté », le diagnostic de la mort de la personne « repose sur le fait que son cœur a cessé irréversiblement de battre, et (...) aucun examen complémentaire n’est requis » (Dr. Marc Guerrier, Espace éthique de l’AP-HP). La mort encéphalique n’est donc pas requise. Le patient « en arrêt cardiaque et respiratoire persistant » devrait donc être déclaré mort lors du prélèvement de ses organes, et non avant, alors que la mort du cerveau n’est pas requise ni vérifiée.
Un pavé dans la mort : tous les chemins mènent au don :
Eric, coordinateur au sein d’un service hospitalier de transplantation d’organes, a écrit ce qui suit le 27/11/2007, en réaction à mon article sur Agoravox intitulé « Les problèmes de l’industrialisation du don d’organes » :
« Bonjour, vous écrivez et surlignez en gras les propos suivant ‘les usagers de la santé ne doivent pas s’attendre à ce qu’une information impartiale leur soit fournie : la promotion du don d’organes est devenue une obligation pour toute institution médicale’.
Je crois qu’à travers ce texte vous méprisez une liberté fondamentale de l’individu, son libre arbitre dans l’exercice de sa profession. La très grande majorité des coordonnateurs de prélèvements d’organes (dont je fais partie) qui rencontrent les proches des défunts suceptibles de donner leurs organes travaille en accord avec la loi de bioéthique de 2004. Il s’agit de rechercher la non-opposition du défunt au don d’organes et non de faire la promotion du don. Lorsqu’il existe une incertitude sur la volonté des défunts nous tentons de retrouver avec les proches des actions du défunt qui valideraient (ou non) le don (don du sang, participation à des oeuvres caritatives, refus de participation à la recherche...). Les professionnels de santé savent conserver une dimension humaine de la relation et sont loin, surtout dans ces moments de deuil, du calcul économique. Le message de l’agence de la biomédecine est clair, il ne s’agit pas de favoriser le don mais de favoriser la transmission de la décision. Une enquête menée dans les années 2000 a montré qu’environ 80 % de la population française est favorable au don mais que seulement 15 % l’avait transmis à son entourage. Et l’on remarque que près de 30 % des causes de non-prélèvement sont dues à des refus. Refus qui semble plus motivé par l’ignorance des survivants que par un réel refus des défunts. Aujourd’hui l’information dispensée présente donc cette nécessité de se positionner (pour ou contre) et non une obligation de donner. Il est vrai que certaines associations, non gouvermentales, proclament un discours plus centré sur le don et sa nécessité. Mais cela reste un point de vue engagé qui n’est pas retenu par la majorité des professionnels. Ceux-ci tiennent à favoriser le respect du défunt. »
On voit bien que la question du don est centrale :
« Lorsqu’il existe une incertitude sur la volonté des défunts nous tentons de retrouver avec les proches des actions du défunt qui valideraient (ou non) le don (don du sang, participation à des oeuvres caritatives, refus de participation à la recherche...). »
Or apparenter le don d’organes au don du sang est problématique : pour donner notre sang, ou à une oeuvre caritative, ou notre corps à la science, aucun médecin ne va nous maintenir en vie artificielle ou nous réanimer le temps de prélever nos organes... C’est pourtant ce qui se passe avec des donneurs en état de mort encéphalique ou dans le cas des prélèvements « à coeur arrêté » (donneurs « en arrêt cardio-respiratoire persistant », qui ont été réanimés dans le « seul » but de récupérer leurs organes afin d’aider les patients en attente de greffe).
S’interroger sur le don, c’est ne pas s’interroger sur le diagnostic de mort dans le cas du donneur dit « cadavérique ». Qu’évoque ce mot pour le grand public ? Une personne qui est bel et bien décédée, « refroidie ». Ne parle-t-on pas de rigidité cadavérique ? Or dans le cas des patients donneurs d’organes dits « décédés », on est loin de ladite rigidité cadavérique. Si pour moi la notion de mort implique la destruction du cerveau, du coeur et des poumons, je dois savoir :
1-) Qu’un patient en état de mort encéphalique est un patient à coeur battant
2-) Que la mort encéphalique n’est pas attestée chez un patient en « arrêt cardio-respiratoire persistant » - patient pour lequel le constat de décès a pourtant été effectué.
3-) Le plus important : un donneur d’organes dit « décédé » est un patient devenu un simple pourvoyeur d’organes, et non plus traité comme une personne. Pour prélever les organes de ce donneur en état de « mort encéphalique » ou en arrêt cardio-respiratoire persistant, il faut soit le maintenir en état de vie artificielle le temps que ses organes soient prélevés, soit le réanimer dans le but d’assurer la conservation de ses organes. Dans les deux cas, on emploie des techniques invasives. Le qualificatif de « donneur cadavérique » constitue un mensonge éhonté : il s’agit d’un mourant, d’une personne engagée dans un processus de mort. Non d’un mort ! Le prélèvement des organes de cette personne exige que les équipes chirurgicales de prélèvement interviennent (fassent intrusion) dans son processus de mort. Or c’est précisément cette intervention ou intrusion dans le processus de mort d’un proche qui peut effrayer les familles confrontées au don d’organes. Il ne s’agit pas, comme on voudrait nous le faire croire, d’initier un débat idéologique centré sur des considérations philosophico-religieuses ou culturelles au chevet d’un défunt : la générosité, l’égoïsme, le don, le repli sur soi. Dans les faits, les familles confrontées au don sont confrontées à une « technicisation de l’agonie » au service des transplantations. Avec tout ce que cette technicisation peut avoir de terrifiant. Quand on se trouve confronté à la question du don des organes d’un proche mourant, on se pose la question de l’accompagnement. Accompagner, et non abandonner ce proche au pire moment de son existence. Voilà la vraie préoccupation. Disons-le très clairement : les familles confrontées au don des organes d’un proche mourant vivent un dilemme inhumain : elles doivent choisir entre l’intérêt du mourant (le laisser s’éteindre le plus paisiblement possible) et un don d’organes qui aiderait de très nombreux patients en attente de greffe, d’autant qu’on a assisté à une explosion du nombre de patients en attente de greffe : + 77% entre 2005 et 2006 ! (source). Concilier les deux intérêts n’est pas possible.
Le prélèvement d’organes n’est jamais dans l’intérêt d’un mourant. Laisser s’éteindre un mourant n’est jamais dans l’intérêt des patients en attente de greffe. Ce dilemme est inhumain.
Il est infiniment plus facile de dire que la vraie question est la question du don. Pourtant, poussé à l’absurde, le raisonnement du coordinateur fera dire qu’une personne ayant consenti, de son vivant, au don de sperme (anonyme) et se retrouvant en état de « mort encéphalique » ou en « arrêt cardio-respiratoire persistant », et donc incapable de faire part de sa volonté, aurait consenti au don de ses organes (anonyme)... car cette personne a déjà donné... son sperme ?! On voit bien ce que ce raisonnement a de délirant : un rapprochement théorique permettant d’établir un lien entre le don de ses organes à sa mort et le don de sperme de son vivant, tout cela afin de tenter d’établir quelle position une personne inconsciente aurait eue sur le don de ses organes !
Les contorsions autour du don permettent d’éviter une confrontation directe avec la douloureuse question de la mort. Cachez ce mourant que je ne saurais voir. La question de la mort est taboue : on n’en parle pas plus que de la corde d’un pendu. A la place, on parle de don.
Afin que la transition se fasse en douceur : un don, pour lutter contre la pénurie de greffons. Le don optimise la mort, fait reculer le deuil. Miracle, ou tour de passe-passe ? Après tout, si on peut éviter de parler de la mort à des gens qui viennent de perdre un proche et sont encore sous le choc, tout en pouvant récupérer des organes dont les patients en attente de greffe ont tant besoin, où est le mal ? Le hic, c’est que des proches ayant consenti à un don risquent de le regretter amèrement par la suite, s’ils ont le malheur de se poser cette question : « A quelle mort est-ce que je crois ? », après avoir découvert (à nouveau par malheur) la relativité des critères permettant de définir la mort, comme en témoignent les nombreuses controverses à l’échelle internationale sur le constat du décès sur le plan de l’éthique dans le cadre des prélèvements d’organes sur donneurs « décédés ». Quand on sait que les organes d’un mort ne soignent personne, on comprend l’importance de la question de la mort (constat de décès) dans le cas des prélèvements d’organes sur les donneurs dits « décédés ».
Une approche centrée sur le don permet de diviser les usagers de la santé en deux camps : les (non-)donneurs (généreux ou non) et les patients en attente de greffe (qui souffrent du manque de générosité). Or quiconque a approché un tant soit peu les gens confrontés de près ou de loin aux transplantations sait à quel point tous - qu’ils soient proches de (non-)donneur « décédé », proches de patient « mort en attente de greffe », ou encore de patient greffé -, tous peuvent être unis par un même sentiment de culpabilité et d’injustice. Les familles effrayées par l’intrusion d’une équipe chirurgicale de prélèvement d’organes dans le processus de mort de leur proche culpabilisent d’avoir à faire un choix (qui leur a pourtant été imposé) entre accompagner au mieux leur mourant ou aider des patients (inconnus) en acceptant le prélèvement d’organes. Et ce, quel que soit le choix de ces familles : pour ou contre le don d’organes.
Avoir le choix entre donner et risquer de passer le reste de sa vie à le regretter (car on n’aura pas accompagné « son » mourant), ou ne pas donner et risquer de passer le reste de sa vie à le regretter (car on n’aura pas contribué à aider des patients en attente de greffe), qu’est-ce d’autre, si ce n’est pas un choix inhumain ?
Les patients en attente de greffe éprouvent aussi ce sentiment d’injustice et de culpabilité car ils sont pris en otage : leur inscription sur la liste nationale d’attente des patients en attente de greffe ne leur garantit pas qu’ils pourront être greffés à temps, et avec succès (problème de la pénurie de greffons). De plus, ils vont devoir attendre de pouvoir profiter de la mort d’autrui. Evoquant l’activité des transplantations d’organes, le professeur Jean Bernard avait dit que cet « ordre cannibale » était « un ordre temporaire ». Espérons qu’un jour pas trop lointain, on pourra régénérer les organes sans avoir recours aux transplantations. Et sans avoir recours aux cellules souches embryonnaires, car dans ce cas on se heurte aux polémiques sur la définition du début de la vie.
Le terme de « don » cache une réalité beaucoup plus cruelle. Derrière chaque greffe (que les médias présentent pourtant comme une « indication courante »), une famille a dû faire un choix inhumain. Un choix qui pose des problèmes d’éthique, et ce, que le choix ait été pour ou contre le don. Un parent ayant consenti au don des organes de son fils, un médecin ayant perdu un parent décédé prématurément car ce parent avait refusé une greffe pour des questions de religion, un greffé du coeur, un patriarche orthodoxe s’interrogeant sur le constat de décès du point de vue de l’éthique, dans le cas des prélèvements d’organes sur donneurs « décédés », un médecin dirigeant un service de réanimation ayant mis sa pratique de médecin au service des prélèvements d’organes sur donneurs « morts », un chirurgien qui ne se remet toujours pas, dix ans après, d’avoir dû opérer un enfant mourant pour lui prélever ses organes, un chirurgien qui n’opère que des donneurs d’organes vivants, et un autre qui refuse d’opérer des donneurs vivants et ne prélève des greffons que sur des donneurs « morts », etc. Derrière la question du don d’organes, il y a des choix (in-)humains.
Le consentement présumé inscrit dans la loi devrait nous pousser à nous intéresser un minimum à tous ces vécus évoqués plus haut. Nous sommes tous présumés consentants au don de nos organes à notre mort. Le problème, c’est que la médecine échoue à déterminer avec précision le moment de la mort. Ne sachant pas nous parler de la mort sans entrer dans d’inquiétantes complications (or chacun sait que les médecins sont là pour éviter les complications), on nous parle du don.
La question de la mort est du côté des prélèvements d’organes, la question du don est de celui des greffes. La question du don est biaisée, piégée, partielle, car elle censure la question de la mort.
Pourtant, la mort dans le contexte des prélèvements d’organes, cela peut s’expliquer. D’abord, il y a un dilemme : il faut être suffisamment mort aux yeux de la loi pour pouvoir être donneur d’organes « décédé », tout en étant suffisamment en vie (ou non mort) pour que des greffons encore viables puissent être prélevés. Pour certains médecins et législateurs, ce dilemme est insurmontable. Pour d’autres, il est surmontable. Nous venons de résumer le problème du constat de décès dans le contexte des prélèvements d’organes sur donneurs « décédés ». A chacun de décider si une personne mourante peut être confondue avec une personne morte, afin que les transplantations puissent se faire sans problème. Nous venons de résumer le problème du constat de décès sur le plan de l’éthique, dans le contexte des prélèvements d’organes sur donneurs « décédés ». Répétons cette lapalissade qui va pourtant à l’encontre de la propagande : les organes d’un mort n’aident aucun patient en attente de greffe. Un patient qui donne ses organes à sa mort décède au bloc, lors du prélèvement des organes.
Eric a écrit : « Les professionnels de santé savent conserver une dimension humaine de la relation. » La dimension humaine évoquée ne saurait faire l’économie des dilemmes que nous venons d’envisager. Or le discours sur le don fait parfaitement, purement et simplement l’économie, l’impasse sur ces dilemmes. Au risque de générer des deuils pathologiques ?
Eric parle d’un « [...] refus qui semble plus motivé par l’ignorance des survivants que par un réel refus des défunts ». Or le Dr. Guy Freys, du service de réanimation chirurgicale, Hôpitaux universitaires de Strasbourg, a fait une présentation intitulée « On ne meurt qu’une fois, mais quand ? », à l’occasion des « Deuxièmes Journées Internationales d’Ethique : Donner, recevoir un organe, droit, dû, devoir », Palais universitaire, Strasbourg, 29-31/03/2007. Je cite un extrait de cette présentation :
« Ce concept [la mort encéphalique] est (...) initialement controversé même chez les professionnels de la santé puisque si vous regardez des études des années 80, vous vous rendrez compte que 40% des professionnels de santé sont très réticents à admettre cette mort cérébrale. Cette méconnaissance reste encore aujourd’hui à mon sens le frein le plus important pour l’acceptation du don et reste le parent pauvre de l’information au grand public, et principalement le principal responsable du refus des familles confrontées au don d’organes. Ce scepticisme est dû à l’aspect non conventionnel de la mort, puisque le cœur bat et la peau est chaude. Penser que ce corps est mort n’est pas aisé. (...) Ce qui frappe, ce qui dérange, ce qui va alimenter la confusion, c’est que les critères retenus varient d’un pays à l’autre. Or là on ne peut pas invoquer des différences culturelles. On demande des faits scientifiques, aussi ces variétés de définition ne facilitent-elles ni la compréhension et, surtout, ni l’adhésion du grand public. (...) On voit bien que dans tous (...) [l]es textes, dans tous (...) [l]es besoins de législation, les peurs ont changé, les peurs se sont déplacées : la peur de l’inhumation prématurée a fait place à la peur des morts qui n’en seraient peut-être pas. »
Eric évoque l’« ignorance des survivants ». Ne faudrait-il pas, à la place, évoquer la peur des morts qui n’en seraient peut-être pas ?
Ceux qui croient que donner ou ne pas donner, telle est la question à laquelle il faut savoir répondre pour dire si on est pour ou contre le don d’organes à sa mort, ceux-là se méprennent lourdement. Cette méprise peut avoir des conséquences dramatiques, du fait :
a) du consentement présumé inscrit dans la loi,
b) du fait de la reprise des prélèvements à coeur arrêté depuis 2006 en France (qui le sait, parmi les usagers de la santé ?), permettant d’augmenter la population de donneurs « décédés » : à partir d’une situation d’arrêt cardiaque, on peut devenir donneur d’organes à sa mort
c) du fait de l’explosion du nombre de patients en attente de greffe (+77% entre 2005 et 2006, alors que l’activité des greffes a augmenté de 4% pour la même période - source).
La mort étant sans doute un processus continu et non un point, il n’est pas aisé de pouvoir déterminer avec précision le moment de la mort.
Le don point d’interrogation est à remplacer par : la mort point d’interrogation, du fait même de la relativité des critères permettant de définir la mort.
Les coordinateurs interrogent les familles confrontées au don sur... le don, car tous les chemins mènent à Rome, pardon, au don.
Si l’absolutisation de la question du don doit rendre la question de la mort taboue, alors le professeur Bernard Debré a eu raison d’écrire récemment : « Il faut sortir des dogmes avec lesquels on jongle pour justifier les transplantations d’organes », tant il est vrai que les dogmes ont la peau dure.
Examinons à présent l’affirmation d’Eric :
« Je crois qu’à travers ce texte vous méprisez une liberté fondamentale de l’individu, son libre arbitre dans l’exercice de sa profession (...) » :
Monsieur Alain Tesnière écrit en réponse à Eric :
« Il me semble que vous mélangez deux moments. Le moment de la mission de l’Agence de la biomédecine et le moment où vous exercez votre travail. L’Agence doit promouvoir le don d’organes, grande cause nationale. Promouvoir, c’est encourager, favoriser, soutenir. Informer, c’est transmettre des connaissances objectives. L’Agence, pas plus que certaines associations, ne portent à la connaissance du public des informations objectives. Cette promotion étatique se transforme en propagande. Pourquoi ? Parce qu’elle trompe les Français en distribuant des cartes de donneurs. On peut légitimement penser que si on ne prend pas sa carte de donneur, on n’est pas donneur. Or une carte de donneur n’a pas de valeur juridique. Tous les Français sont donneurs d’organes potentiels selon le principe du consentement présumé établi par le sénateur Caillavet. La loi précise que le coordonnateur doit s’efforcer de connaître l’avis du mourant en demandant à ses proches (notion vague) si la personne plongée dans le coma et qui ne peut pas s’exprimer avait émis un avis contraire au principe du consentement présumé. C’est tout. Avec cette loi, il faudrait que vous m’expliquiez comment on arrive à cette ’pénurie de greffons’, comme disent les préleveurs. Quand, dans votre commentaire, vous parlez de ’refus’, vous faites allusion au refus de la famille, mais la famille n’a pas à exprimer son ’refus’. Vous devez recueillir auprès des proches l’opinion du mourant. S’il ne s’est jamais exprimé, la loi le considère comme donneur. Dura lex sed lex. Certains préleveurs considèrent qu’ils ne peuvent pas appliquer cette loi dans toute sa rigueur. Si cette loi est inapplicable, parce que inhumaine, c’est une mauvaise loi ! Il faut donc la changer. »
Eric parle de rechercher « la non-opposition du défunt ». L’Agence de la biomédecine gère à la fois les cartes de donneurs d’organes, la liste nationale des patients inscrits en attente de greffe (pour la répartition des greffons) et le registre national des refus, sur lequel tout usager de la santé « peut » (dit la loi, et non pas « doit ») s’inscrire - du moins, devrait pouvoir s’inscrire s’il est contre le don de ses organes à sa mort, cela en théorie, car formulation très cynique : l’usager de la santé qui s’inscrit sur ce registre doit reconnaître s’opposer au progrès scientifique et thérapeutique. Il faut vraiment être un monstre pour s’inscrire sur ce registre, peu de gens l’ont d’ailleurs fait.
Mesdames et Messieurs les coordinateurs, merci à l’avance
1.-) De ne pas mélanger promotion et information : l’Agence de la biomédecine ne fait pas son travail d’information, puisqu’elle est là pour promouvoir le don d’organes, le service de transplantation au sein duquel vous travaillez est également encouragé par cette même Agence de la biomédecine à travailler à un accroissement de l’activité des transplantations (+ 4% entre 2005 et 2006)
2.-) De prendre conscience que respecter la loi de bioéthique de 2004, c’est respecter un certain nombre de paradoxes et bricolages : voir les controverses à l’échelle internationale, concernant le constat de décès des donneurs « morts », et ne pas oublier que le consentement présumé pose des problèmes d’éthique. Dire à une personne qui s’interroge sur la fin de vie qu’ont ces donneurs que l’on dit « morts » : « Ils sont morts, c’est inscrit dans la loi » ne répond pas aux interrogations concrètes du genre : « Vais-je souffrir à mon décès si je consens au don de mes organes ? » La définition légale de la mort : cela fait froid dans le dos...
3.-) De relativiser le concept de « liberté », tel qu’il apparaît dans les propos d’Eric : la déontologie qui est à la base des transplantations d’organes est particulière, car elle ne permet pas la transparence de l’information. Cela pose un problème d’éthique. Ce problème est reconnu par des sénateurs et par des députés de l’Assemblée nationale, par le Centre d’éthique clinique du groupe hospitalier Cochin-Saint-Vincent-de-Paul (AP-HP), qui joue un rôle de médiation éthique au coeur de l’hôpital, et par certains médecins qui expliquent eux-mêmes que la déontologie médicale qui préside au prélèvement d’organes sur donneurs « décédés » est particulière, et qu’elle est controversée dans le milieu médical lui-même, puisque « tout médecin est censé poursuivre le bien du seul patient qu’il a en charge » (Dr. Marc Andronikof, chef du service des urgences à l’hôpital Antoine-Béclère, Clamart), et non pas sacrifier l’intérêt dudit patient à celui de la communauté (des patients en attente de greffe). Le médecin ou chirurgien acteur des transplantations se trouve donc pris dans un dilemme, opposant service à l’individu et service à la collectivité. Il conviendrait d’inclure ce dilemme dans vos réflexions sur la liberté, et de reconnaître que la mesure de votre liberté est à l’aune des critères permettant de définir la mort, ces critères étant, j’y insiste, relatifs.
Pour Axel Kahn, généticien, directeur de l’Institut Cochin, la valeur importante en matière de bioéthique est celle de la réciprocité (« mes droits doivent être aussi ses droits »). Cette valeur de réciprocité sera une valeur-clé pour la prochaine loi de bioéthique, prévue pour 2009 ou 2010, et constituant une révision de celle actuellement en vigueur : le loi de bioéthique de 2004.
On pourrait penser que les transplantations d’organes reposent sur la réciprocité (je dois être donneur, car je pourrais bien devenir receveur un jour). Or le problème, c’est que les chiffres ne parlent pas en faveur de la réciprocité (la pénurie de greffons). Certes il est éthique de donner si on veut recevoir. Dans les faits, c’est plus problématique : un greffé ne pourra pas faire don de ses organes à son décès (à cause du traitement immunosuppresseur qu’il doit prendre à vie : 30 cachets par jour). Donc, il ne peut pas y avoir réciprocité
dans le don : celui qui donne ne sera pas celui qui reçoit, et vice-versa. Puisqu’il n’y a pas réciprocité, peut-on parler de don ? (Le don appelle le "contre-don", qui est ici impossible.) Peut-on appeler "contre-don" le fait de militer, en tant que greffé ayant reçu un organe, en faveur du don d’organes ?
Le problème posé par les transplantations est que les droits du donneur "décédé" sont inexistants : un patient mourant dont on va prélever les organes n’a plus de droits : ce mourant n’est plus une personne, ce qui permet de pratiquer sur lui des gestes invasifs qui ne sont pas dans son intérêt. Un patient qu’on va greffer a des droits : celui de la personne. Les droits du donneur ne sont pas les droits du receveur, et vice-versa. Où est la réciprocité dans ce cas ?
La mort conserve une part de mystère. Si de ce fait il convient de respecter la représentation que chacun peut avoir de sa propre mort, il n’est pas pour autant souhaitable de substituer le dogme du don au mystère de la mort pour justifier la pratique des transplantations. La réciprocité exigée par le don est biaisée dans le cas du don de ses organes à sa mort, puisque le "contre-don" pourrait bien s’avérer impossible. Au minimum, il est sujet à caution. Un proverbe africain dit : "la main qui donne est plus haute que celle qui reçoit"...
La valeur de réciprocité sera une valeur-clé pour la prochaine loi de bioéthique en 2009-2010. Or la définition de cette valeur ("mes droits doivent être aussi ses droits") ne peut pas s’appliquer au don d’organes (donneurs "décédés"), à moins d’affirmer que les donneurs mourants sont des morts. Cette affirmation est-elle simple affaire de pragmatisme ? (La nuit tous les chats sont gris.) Ou bien, plus grave : confondre mourant et mort dans la question du don de ses organes à sa mort, est-ce bafouer la valeur de réciprocité ? Comment la loi de bioéthique à venir va-t-elle intégrer ce dilemme ? L’anonymat, la gratuité du don vont-ils être revus ? Va-t-on faire équivaloir, sur le plan légal, donneurs mourants et donneurs morts ?
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