Une loi de bioéthique sans bricolages ni contresens pour 2010 ?
Quel contexte pour les lois de bioéthique ? La loi Léonetti d’avril 2005, qui est une loi sur les droits des patients en fin de vie, a fait l’objet d’une évaluation en 2008. La mission d’évaluation a été pilotée par une équipe parlementaire avec à sa tête l’auteur de la loi, le médecin et député Jean Léonetti. Les conclusions de cette mission, remises au gouvernement fin 2008, vont dans le sens d’un renforcement de la loi de 2005 : meilleure diffusion de la culture des soins palliatifs, refus de légiférer sur l’euthanasie. Fin 2008, le gouvernement français a exprimé sa volonté d’ouvrir au grand public les débats sur le thème de la fin de vie. Cette évaluation de la loi Léonetti s’inscrit aussi dans un contexte plus général : celui du projet de révision de la loi de bioéthique en vigueur actuellement et datant de 2004. Sont également prévus des Etats généraux de la bioéthique, qui, eux, débattent des sujets concernant la révision de la loi de bioéthique à horizon 2010. Ces Etats généraux ont aussi pour objectif de favoriser la participation des usagers de la santé au processus de révision de la loi de bioéthique, et non la participation des seuls spécialistes... Le chantier de la révision de la loi de bioéthique de 2004 s’ouvre concrètement en ce début d’année 2009. De la légalisation des mères porteuses à la levée de l’anonymat des dons de gamètes en passant par l’accès à l’assistance médicale à la procréation (AMP), les conditions de recours au diagnostic préimplantatoire (DPI) et aux tests génétiques et la problématique de la recherche sur l’embryon, le don d’organes, etc. : autant de questions auxquelles les parlementaires sont appelés à donner une réponse. La mission d’information parlementaire pour la révision de la loi de bioéthique devrait remettre ses conclusions au cours du second semestre 2009. Le président de la République souhaitant que tous les Français s’emparent de ces questions, des Etats généraux de bioéthique devraient se tenir au cours du premier semestre 2009. Ces Etats généraux sont pilotés par un Comité placé sous l’autorité de la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, et composé de Jean Leonetti, député UMP, Sadek Beloucif, médecin hospitalier, Alain Claeys, député PS, Marie-Thérèse Hermange, sénateur UMP, Claudine Esper, professeur de droit de la santé et Suzanne Rameix, spécialiste de l’éthique médicale. Ce Comité devrait remettre ses conclusions au mois de juin. Le projet de loi devrait être déposé d’ici la fin de l’année 2009 afin d’être examiné en 2010 par les parlementaires.
La semaine dernière, suite à son audition par la mission d’information sur la révision des lois bioéthiques le 20/01/2009, j’ai posé au Professeur Claude Huriet, Président de l’Institut Curie et ancien Sénateur, les questions suivantes :
1.-) Dans son "Dictionnaire amoureux de la médecine", paru en septembre 2008, le Professeur Bernard Debré écrivait :
"Que faut-il, aujourd’hui, pour sauver, par une greffe, la vie d’un malade dont le foie ou les reins sont gravement atteints ? Rien de plus qu’un donneur, autrement dit, parfois... l’impossible. Attendre la mort d’un jeune homme ou d’une jeune femme dans la force de l’âge et dont l’organe sera compatible avec son organisme : voilà le quotidien de milliers de malades dont beaucoup savent qu’ils disparaîtront sans avoir eu la chance de profiter de la malchance d’un autre. Cet autre dont le corps n’avait plus d’avenir sur cette terre, hors celui de sauver la vie d’un inconnu... Regardons maintenant ce qui se passe pour les embryons congelés. N’ayant pas été utilisés pour assurer une descendance aux couples dont ils sont issus, ils sont près de cent mille par an à s’entasser dans les congélateurs de nos laboratoires et de nos instituts de recherche. Sans doute cette image choquera-t-elle certains, mais elle correspond à une réalité : ces petits d’hommes en puissance n’ont pas plus d’avenir sur terre que de sauver les accidentés de la circulation auxquels on prélèvera un rein, un cœur, ou un foie. Et pourtant de nombreux pays interdisent qu’on les utilise pour la recherche médicale, fût-ce, à très court terme, pour sauver des vies... En France, les dérogations sont possibles et une réforme est envisagée, comme on l’a dit, mais pas encore adoptée, loin s’en faut." [L’extrait cité se trouve p. 447-448, rubrique : "Progrès". Copyright : Editions Plon.]
Souscrivez-vous à ce plaidoyer du Professeur Debré en faveur de l’utilisation des cellules souches embryonnaires qui ne font plus l’objet de projet parental (ce qui pose des problèmes d’éthique) dans le but de "sauver", un jour, les donneurs d’organes en état de "mort encéphalique" ou d’"arrêt cardio-respiratoire persistant", ou bien le but qu’il mentionne, à savoir "sauver les accidentés de la circulation auxquels on prélèvera un rein, un cœur, ou un foie", vous paraît-il, à terme, envisageable en utilisant uniquement les cellules souches adultes, qui, elles, ne posent aucun problème d’éhtique ? Ou bien encore : êtes-vous de ceux choqués par l’image employée par le Professeur Debré ?
Qu’il soit ici rappelé que depuis fin 2007, les scientifiques peuvent "induire", ou faire "régresser" des cellules souches prélevées à partir de la peau d’une personne adulte (et même âgée) à l’état de cellules souches ayant des caractéristiques identiques à celles des cellules souches embryonnaires (venant de l’embryon). Ces cellules possèdent un immense potentiel thérapeutique et pourraient, à terme, conduire à ce que des petits organes comme le coeur ou le foie puissent être réparés, ce qui rendrait la transplantation d’organes caduque et contribuerait à résoudre le douloureux problème de pénurie d’organes à greffer. En effet, ces cellules souches embryonnaires "induites" n’étant pas encore "spécialisées" ou programmées pour former un organe précis, il serait possible de les programmer pour venir réparer un organe défaillant. Cette découverte de ce qu’on appelle les iPS fin 2007 (cellules souches embryonnaires "induites" ou fabriquées à partir de cellules souches adultes) vient trancher le débat sur les problèmes éthiques posés par l’utilisation de l’embryon, puisqu’on peut maintenant obtenir des cellules souches de manière éthique, c’est-à-dire sans passer par la destruction de l’embryon. Néanmoins, avant de réussir à programmer la réparation d’un organe défaillant grâce aux iPS, il faut en passer par le stade de la recherche fondamentale à visée thérapeutique, ce qui implique l’utilisation de cellules souches embryonnaires "ne faisant plus l’objet de projet parental", aussi appelées "cellules souches surnuméraires", certes à des fins scientifiques, mais cela ne va pas sans poser des problèmes d’éthique, puisque cette utilisation implique la destruction de l’embryon...
2.-) Quel(s) message(s) souhaiteriez-vous transmettre au grand public au sujet de l’éthique des transplantations d’organes (et "visage"), si toutefois il vous apparaissait que les usagers de la santé étaient insuffisamment informés sur ces sujets – au sujet des "prélèvements ‘à cœur arrêté’", par exemple, qui permettent principalement le prélèvement de reins, et qui ont repris en France depuis 2007 ?
Le Professeur Huriet a réagi à mes questions en exprimant son indignation au sujet de "l’utilitarisme de l’embryon" qui se profile dans la prochaine loi de bioéthique :
Professeur Huriet : "Je ne souscris pas au plaidoyer du Professeur Debré en faveur de l’utilisation des cellules souches prélevées sur des embryons surnuméraires et me suis d’ailleurs exprimé à plusieurs reprises sur ce point. Je récuse le rapprochement entre le prélèvement d’organes post-mortem et l’utilisation des embryons surnuméraires car il fait totalement abstraction du principe éthique universel d’autonomie de la personne qui s’exprime à travers le consentement. Les textes qui régissent le prélèvement d’organes, en dépit des évolutions qu’ils ont pu connaître, soulignent l’obligation du consentement et de la possibilité d’exprimer un refus. Il est évident pour moi que l’utilisation de l’ embryon humain constitue une instrumentalisation. ’Personne humaine potentielle’ selon la définition d’ailleurs contestable du Comité Consultatif National d’Ethique, l’embryon est alors traité comme ’une chose’. En effet, ’l’accord des parents’ auquel on se réfère est contraire au principe juridique en vertu duquel on ne peut pas consentir pour un tiers. Les discussions que suscite la position du Professeur Bernard Debré traduisent l’opposition irréductible entre ceux qui reconnaissent la dignité de l’embryon humain dès sa conception et les tenants de ’la personnification différee’ pour lesquels l’embryon humain n’est pas une personne ,ou tout au moins, pas tout de suite ! A l’approche de la révision de la loi de bioéthique et des Etats Généraux qui vont être organisés prochainement, il est à craindre que la conception ’utilitariste’ de l’embryon humain l’emporte."
C. Coste, auteur du weblog d’information "Ethique et transplantation d’organes" : Professeur Huriet, j’aimerais réagir à votre réponse si vous le permettez. Vous ne partagerez sans doute pas mon opinion, qui je l’avoue n’a pas rencontré beaucoup d’adeptes chez les chirurgiens effectuant des prélèvements d’organes sur donneurs morts. Il me semble pourtant que vous êtes beaucoup plus rigoureux sur l’application de la définition du début de la vie que sur celle de la fin de la vie, or permettez-moi de rappeler ce fait aussi élémentaire que peu connu du grand public : la seule science médicale échoue à définir le début et la fin de la vie. Il me semble donc qu’il y a ici un choix arbitraire qui est fait, en faveur de l’embryon (début de vie) et au détriment de la fin de vie. La zone grise d’éthique qui permet de définir la mort de manière à pouvoir prélever les organes est ainsi maintenue. Par zone grise d’éthique, j’entends cette définition légale de la mort permettant le don d’organes tout en constituant une fiction juridique, puisque d’un point de vue physiologique la personne n’est pas encore morte ; elle ne l’est que d’un point de vue légal.
Est-il "raisonnable et humain" (pour employer la formule du Professeur Axel Kahn, généticien, auteur de nombreux ouvrages et président de l’Université Paris-Descartes), ou bien, pour tout dire, hypocrite, de "sauver" l’embryon d’une main et de "sacrifier" le mourant donneur d’organes de l’autre ? Il me semble qu’il y a là deux poids deux mesures. Dans "humain", il y a "humanisme", et l’héritage des peintres humanistes nous a toujours montré que les derniers instants étaient (les plus) précieux. "La légalité d’une pratique n’est pas une garantie de sa conformité à la morale", rappelait récemment le Professeur Alain Grimfeld, président du Comité Consultatif National d’Ethique (source). Les lois de bioéthique servent toutes à la même chose : ériger en loi (ou en principes démocratiques à valeur "universelle") des questionnements sur le début et la fin de vie qui restent pour le moment sans réponse (ou sans certitude), car sur ce sujet la science est muette, tout comme elle n’a rien à dire en ce qui concerne la définition de la personne. Vous avez d’ailleurs déjà eu l’occasion de souligner ce point : parler de loi de bioéthique, c’est mélanger les torchons et les serviettes : la loi indique ce qu’il faut impérativement respecter et faire au nom de la démocratie au sens de contrat social (pour ne pas être mis au ban de la société) ; la bioéthique est un questionnement sur le début et la fin de la vie. Le terme de loi de bioéthique relève donc du contresens. Ce que dit l’éthique ou "emmerderesse" - pour reprendre un terme de Paul Valéry -, et que personne n’écoute : si on autorise le prélèvement d’organes, il faut autoriser les recherches sur les embryons ne faisant pas l’objet de projet parental, exactement comme le demandent le Professeur Debré et le Professeur Axel Kahn.
Professeur Huriet, si vous le permettez, je souhaiterais "élargir" votre réponse sur l’embryon (qui représente le début de la vie) en la transposant au domaine de la fin de la vie (le don d’organes "post-mortem"), puisque les deux extrêmes de la vie, début et fin, posent des questions d’éthique : en effet, ne peut-on dire que là où s’arrête la réponse de la science, le questionnement éthique prend le relais ?
Professeur Huriet : "Je récuse le rapprochement entre le prélèvement d’organes post-mortem et l’utilisation des embryons surnuméraires car il fait totalement abstraction du principe éthique universel d’autonomie de la personne qui s’exprime à travers le consentement."
C. Coste : Un mourant considéré comme mort n’ayant plus les droits de la personne par un tour de passe-passe légal que nous appellerons "fiction juridique", le principe éthique universel d’autonomie de la personne qui s’exprime à travers le "consentement éclairé" est bafoué : à aucun moment le grand public n’est informé que son consentement au don d’organes lui "volera sa mort" - au sens humaniste du terme, comme vu plus haut.
Professeur Huriet : "Les textes qui régissent le prélèvement d’organes, en dépit des évolutions qu’ils ont pu connaître, soulignent l’obligation du consentement et de la possibilité d’exprimer un refus."
C. Coste : Le consentement éclairé sans le préalable de l’information ne signifie plus grand-chose : on consent au don de ses organes APRES sa mort. La désinformation institutionnelle est flagrante, elle est permise par la fiction juridique de la mort du donneur d’organes. Il faut bien parler de fiction, puisque l’état physiologique du patient potentiel donneur d’organes d’une part et le statut légal de ce patient d’autre part ne correspondent pas : sur le plan physiologique, on a affaire à un patient en fin de vie, tandis que sur le plan légal, on n’a plus affaire à une personne, mais à un réservoir d’organes, un mort et non plus un patient (voir le terme "post-mortem" que vous employez).
Professeur Huriet : "Il est évident pour moi que l’utilisation de l’embryon humain constitue une instrumentalisation".
C. Coste : Il est évident pour moi que l’utilisation du donneur d’organes constitue une instrumentalisation, un "utilitarisme de la mort".
Professeur Huriet : "’Personne humaine potentielle’ selon la définition d’ailleurs contestable du Comité Consultatif National d’Ethique, l’embryon est alors traité comme ’une chose’".
C. Coste : Le donneur d’organes n’a plus les droits de la personne et il fait l’objet de "soins" constituant une violation des fondements de la déontologie médicale (ne pas nuire). Il est traité comme un simple réservoir d’organes, privé des droits du patient en fin de vie (loi Léonetti d’avril 2005), or dans les faits il s’agit d’un patient en fin de vie, même si la fiction juridique inscrit la mort du donneur d’organes dans la loi afin de contourner ce problème de déontologie médicale. Bien sûr contourner ne signifie pas résoudre.
Professeur Huriet : "En effet, ’l’accord des parents’ auquel on se réfère est contraire au principe juridique en vertu duquel on ne peut pas consentir pour un tiers".
C. Coste : En effet, "l’accord des proches" confrontés au don d’organes est contraire au principe juridique en vertu duquel on ne peut pas consentir pour un tiers. C’est bien le témoignage des proches qui est sollicité dans cette situation. Si je suis résolument contre le don d’organes, je vais prétendre que mon proche, qui est mourant et dont on me demande les organes, était opposé au don d’organes ! Si je suis résolument pour le don d’organes, je vais prétendre que mon proche, qui est mourant et dont on me demande les organes, était pour le don de ses organes, tout en sachant pertinemment qu’il y était opposé (et en prime, on me remerciera pour ma "générosité").
Professeur Huriet : "Les discussions que suscite la position du Professeur Bernard Debré traduisent l’opposition irréductible entre ceux qui reconnaissent la dignité de l’embryon humain dès sa conception et les tenants de ’la personnification différée’ pour lesquels l’embryon humain n’est pas une personne, ou tout au moins, pas tout de suite !"
C. Coste : Les discussions que suscite la position "contre" ou "pour" le don de ses organes à sa mort traduisent l’opposition irréductible entre ceux qui reconnaissent la dignité du mourant pas encore décédé et ceux pour qui il convient d’évacuer la question de la fin de vie : mourant ou mort, cela ne fait de différence qu’à condition d’y croire, et encore (l’héritage humaniste étant évacué par la même occasion). Ceux-là même qui croient qu’il est "in" de "zapper" l’agonie du mourant (et si en plus les organes peuvent servir) ignorent tout de l’agonie du donneur d’organes. Or, pour toute "zappée" qu’elle est, cette agonie existe. Mais le discours public sur le don d’organes ravale ces cruelles réalités au rang de ringardises, ce qui est le comble de la tartufferie.
Il me semble que le passage que je citais, tiré du "Dictionnaire amoureux de la médecine" du Professeur Bernard Debré, est révélateur, car il a le mérite de pointer vers une exigence éthique : si on veut respecter le doute sur le début de la vie, il faut respecter celui sur la fin de vie. Ou bien ni l’un ni l’autre. En quoi le rapport bénéfice-risque à utiliser un embryon serait-il différent de celui à utiliser un mourant, finalement ? Il me semble que c’est là la question que pose le Professeur Debré.
Que le Professeur Huriet soit ici vivement remercié pour sa contribution à la réflexion éthique, et pour son autorisation à publier ses propos sur internet.
Je souhaiterais à présent citer Mme Carine Camby, Conseiller maître à la Cour des comptes, ancienne directrice générale de l’Agence de la biomédecine de 2005 à mai 2008. Petit rappel du contexte : officiellement créée le 5 mai 2005 par décret dans le cadre de la loi de bioéthique du 6 août 2004, l’Agence de la Biomédecine a été inaugurée mardi 10 mai 2005. Elle a pris le relais de l’Etablissement Français des Greffes, sous la direction de Mme Carine Camby, qui était auditionnée le 10 décembre 2008 à l’Assemblée Nationale, devant la Commission parlementaire chargée de la Mission d’information sur la révision des lois bioéthiques.
Mme Carine Camby : "La loi de bioéthique passe son temps à encadrer des pratiques d’exception par rapport à des principes" (lien). Il me semble que, des bricolages (à mes yeux, la fiction juridique de la mort du donneur d’organes en est un) et autres contresens ("loi de bioéthique") dont je parlais (certes sur le ton de la provocation), aux "pratiques d’exception" mentionnées par Mme Camby, il n’y a qu’un pas. Une loi de bioéthique sans bricolages et contresens pour 2010 ? Il me semble qu’on en est encore loin. Ne peut-on imaginer que l’Agence de biomédecine, à l’issue de la loi de bioéthique de 2010, se verra renforcée dans son rôle d’encadrement de "pratiques d’exception par rapport à des principes" ? Rappelons que cette Agence a été issue d’un décret parlementaire (Assemblée Nationale et Sénat). "La légalité d’une pratique n’est pas une garantie de sa conformité à la morale", disait le Professeur Grimfeld, cité plus haut. Il me semble que c’est là une conséquence directe d’un mariage contre nature, mais consommé depuis les années 90 : celui de la loi avec celui de la bioéthique (en tant que questionnement sur la vie).
En tant qu’usager de la santé, j’observe avec angoisse l’émergence - par le biais du lobby "Agence de la biomédecine", qui ne défend que ses propres intérêts au détriment de l’intérêt commun que j’appellerais "humanisme" - de deux Minotaures : les "lois de bioéthique" (monstrueuse alliance de la loi avec la démarche de questionnement éthique ou humaniste) et les "Etats généraux de la bioéthique" (référendum fermé ou limité dans le temps, portant sur des questions de biomédecine qui, par définition, du fait même de l’héritage humaniste, sont ouvertes sur une continuité dans le temps).
Il faut mettre à nu les rouages de la désinformation institutionnelle sur le "don" d’organes - cette désinformation étant partiellement consentie ou recherchée par le grand public, approuvant l’idée selon laquelle les organes d’un mort peuvent soigner un vivant, or il s’agit là d’un mythe, car bien entendu seuls les organes d’un mourant peuvent à la rigueur remplir cette mission. Mais en même temps, il faut donner aux usagers de la santé l’envie de comprendre que c’est tout l’héritage humaniste qui est mis en péril par le lobby "Agence de la biomédecine", dont le rôle est d’"encadrer", c’est-à dire de techniciser quitte à déshumaniser, des "pratiques d’exception" ou transgressions, par rapport à la "norme" ou héritage humaniste. Mission impossible ? Il en va de même pour la mission, ou "challenge", que représentent les Etats généraux de la biomédecine, car enfin, comment prétendre, et en un court laps de temps, non seulement informer le grand public sur des sujets scientifiques, éthiques et moraux complexes divisant les spécialistes, mais encore recueillir un consensus qui, au sein des spécialistes, qu’ils soient scientifiques ou politiques, est inexistant à l’heure actuelle ? L’humanisme est ringardisé comme un dinosaure de l’époque pré-scientifique. Or les dissensions, le consensus mou et les multiples dilemmes mis à jour lors du chantier de "révision" des lois de bioéthique de 2004 montrent bien que cet humanisme que l’on croyait disparu n’a pas dit son dernier mot.