Affaire Galliano (suite) : qui a commandité la vidéo ?
Je propose d’explorer deux autres aspects de cette affaire. L’un a été évoqué dans certains commentaires et mérite je crois d’être mis en avant. Je ne suis pas fan des théories de complots. S’il en existe, je ne veux pas m’encombrer l’esprit de choses que je ne peux pas vérifier. Je fais mon chemin selon mes convictions, mes appartenances ne recoupent pas les clivages habituels et c’est ainsi. Mais même si je ne reprends pas à mon compte les théories de complot, certaines affaires ont un drôle de parfum.
John Galliano a dit deux phrases qui vont le poursuivre longtemps. Je ne mets pas cela en question. Il est possible qu’il soit même condamné, non pas pour la supposée agression d’il y a une semaine pour laquelle il y a, selon la presse, cinq témoins en sa faveur. Ils n’ont pas entendu d’injures antisémites. S’il est condamné ce sera logiquement sur la vidéo. Concentrons-nous donc sur elle.
La vidéo qui tombe à point
Beaucoup de choses ont été dites ça et là. Je résume (voir aussi mon précédent billet).
D’abord cette vidéo qui tombe à point, le lundi, six jours après que John Galliano ait été accusé. Le timing était parfait. Trop parfait ? Comme de par hasard alors que Nathalie Portman vient de recevoir comme prévu l’Oscar de la meilleure actrice. Ce qui lui confère soudain une autorité morale formidable pour faire une déclaration par laquelle elle signe l’arrêt de mort de John : « Je ne veux plus travailler avec lui ». Le message à la maison Dior est clair : c’est lui ou moi. Elle passe pour la victime en rappelant qu’elle est juive, et pour un ange grâce à sa victoire éclatante aux Oscar. C’est très manichéen tout cela, et très amalgamé. Elle est l’offensée pure et positive, lui est l’offenseur alcoolique que l’on jette dans la fosse. Je pense qu’elle n’aurait pas dû invoquer le fait d’être juive et ainsi provoquer un amalgame malheureux. Cela fera encore dire que les juifs (tous, forcément, puisqu’elle amalgame et parle quasiment en co-victime) utilisent à fond la victimisation. A mon avis elle a commis une faute. Je soutiens le droit d’exister à l’Etat d’Israel. Mais là je suis choqué.
Autre chose : cette vidéo a été diffusée après que cinq témoins aient disculpé Galliano des accusations du couple Géraldine Bloch et Philippe Virgiti, qui se sont répandus dans la presse. Or cette vidéo n’a rien à voir avec la supposée altercation. Mais elle est bien utile : s’il a prononcé des paroles outrageantes sur la vidéo, il a forcément pu le faire il y a une semaine. C’est ainsi qu’on valide une accusation pour lequel on n’a pas de preuve.
La fin de la vie privée
Continuons sur la vidéo. Galliano a visiblement été filmé sans son autorisation. L’angle de vue au ras d’un verre d’eau le démontre. D’ailleurs il ne parle jamais à la caméra. Donc il y a un enregistrement illégal de la vie privée d’une personne. En France la jurisprudence est claire :
« Le droit à l’image est le droit de chacun de s’opposer à la fixation et à la diffusion de son image. Il peut aussi être apparenté en plus au droit à la vie privée qui est l'atteinte à l'intimité de la vie d'autrui en fixant ou utilisant l'image d'une personne se trouvent dans un lieu privé. Si le sujet de la photographie est une personne, elle possède un droit absolu de s'opposer à l'utilisation de son image. »
Donc le fait de filmer (ou d’enregistrer en audio) et de reproduire les images doit être expressément autorisé. La jurisprudence admet que ce droit ne peut être exercé lorsque l’image sert à valider une actualité. Or la vidéo ne valide aucune actualité puisqu’elle ne concerne pas la situation de la semaine dernière. La liberté de diffuser des images, surtout si elles sont à charge, doit être très précisément délimitée. Sans quoi on entre dans une forme de dictature.
La presse relatait hier que l’auteur des images les a vendues et a touché 65% du prix de vente. Il a probablement gagné son année !
Mais la vidéo, que montre-t-elle ? Elle peut être vue ici. En effet elle n’est plus disponible en lecteur exportable pour une question de droits d’auteur ! D’abord on ne sait pas ce qui se passe avant. Ni après. Elle commence abruptement et finit tout aussi abruptement sans que l’on sache pourquoi. D’après les voix il y a deux femmes, l’une qui rit et relance Galliano, l’autre que l’on sent choquée, mais sans plus. Aucune agressivité particulière, on dirait qu’ils continuent un entretien qui a commencé depuis un moment et auquel les femmes ne se sont pas soustraites. Au contraire, elles alimentent.
Que cherchent-elles ? Pourquoi, si elles sont insultées, restent-elles en riant pour l’une ? Parce qu’elles ont compris que ce sont des paroles d’ivrogne auxquelles il ne faut pas donner suite ? Comme quand on voit une personne ivre dans un café ? Qui n’a pas connu cette situation ? Plus on se met près de la personne, plus elle cherche à faire alliance ou au contraire à agresser. C’est l’alcool. L’alcool déforme. L’alcool amplifie. En restant près de lui et en alimentant, elles participent en co-responsabilité à ce qui se passe.
Ensuite, pourquoi la personne qui a filmé a-t-elle gardé ce film pendant trois mois ? Que comptait-elle en faire ? Et comment a-t-elle trouvé les acheteurs ? Tout cela n’est pas anodin.
Au vu de la tournure qu’a pris cette affaire, on peut se demander si cette personne a agi de son plein gré ou sur commande.
Indignation, indignation !
Dans cette époque où la mode est à l’indignation, parfois sur n’importe quoi pourvu qu’on s’indigne (comme si l’indignation était un but en soi), et bien je m’indigne contre le fait que n’importe qui peut filmer n’importe qui et le passer impunément sur le net. Je m’indigne contre une mentalité Big Brother qui peut casser une carrière pour deux phrases stupides et méchantes un soir de déprime et d’alcool. Je suis outragé que l’on ait fait savoir tout cela à la presse aussi vite, et que même le Parquet diffuse publiquement ses réquisitions.
On assiste en direct à un plein dérapage de l'Etat de droit. Big Brother ? Nous y sommes ! Et regardez comme tout cela s’est mis en place. On dirait un spectacle bien préparé. Galliano aura peut-être des comptes à rendre. Mais j’espère qu’il ne sera pas le seul. Car Galliano a déconné. Il n’est pas le premier. Mais là on vient de le flinguer. Et autour de ce flingage flotte une curieuse odeur.
Le lynchage
Le second point à mettre en évidence est le lynchage express de Galliano. C’est incroyable le nombre de personnes qui se sont érigées en juges. Que de gens parfaits derrières ces écrans anonymes ! Des purs qui jugent et assassinent plus vite que l’éclair. La société du spectacle alliée à la justice populaire. Les pogroms ne sont plus très loin. Ils sont même déjà. C'est le cyber-pogrom.
Je récuse tous ces juges parfaits qui ont déjà condamné. Je les récuse non parce que c’est Galliano. J’en ai récusé d’autres pour des inconnus. Et tant mieux si Galliano est connu. Cela permet de montrer en clair ce qui se passe dans ce monde.
Je constate qu’une partie d’internet a tué la vie privée. C’est fini, Messieursdames, cachez-vous dorénavant. Rasez les murs, baissez les yeux, ne crachez plus, ne rotez plus, ne pétez plus, ne dites plus, un jour de colère : « Merde au cons, aux riches, aux pauvres, aux arabes, aux chinois, aux ricains, aux juifs, aux musulmans, à vos parents, à vos collègues ». Taisez-vous, vous n’avez plus droit à la colère, à la connerie, à la dépression, à la parole.
Pétez : vous serez sur le net et des millions de cons seront pliés en deux comme des baleine sur un bateau japonais. Traitez votre voisine de pétasse ou votre voisin de connard : vous serez sur le net et des millions de juges derrière leur écran vous condamneront et vous mettront à mort, du haut de leur perfection et de leur pureté, avant qu’une convocation d’un juge ne vous parvienne à six heures du mat’.
L’histoire du bouc émissaire recommence. Mais enfin, on est en train de faire une affaire mondiale d'un homme qui souffre, boit, et sort une connerie qui fait rire celles qui le filment. On en est où, là ?
L’affaire Galliano cache une dérive beaucoup plus grave. La police de la pensée gagne du terrain. C’est pourquoi il faut en parler. La tournure prise est démesurée par rapport aux supposés faits. On avait besoin d’un diable. On a pris un homme qui gère mal sa souffrance et dit une connerie d’ivresse. Allez, cela fera l’affaire. En plus il est célèbre, riche, cela fera plaisir au petit peuple. Massacrez, massacrez ! Avant que ce ne soit votre tour. Car dans cette mort de la vie privée, personne ne sera plus épargné. C’est fini.
Heureusement il y a une arme contre la police de la pensée et du comportement : être soi-même, fièrement, librement, en se foutant pas mal de ce qu’en pensent les autres. Provoquer le monde, rire, s’éclater, mettre des couleurs partout comme Galliano le faisait. Ne ressembler à personne. Ne surtout pas penser selon les clivages. Repeindre ce putain de monde gris, rigide, judiciarisé à outrance, dans lequel certains voudraient nous enfermer.
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