Auchwitz, des photos inédites 60 ans après...
Le musée du Mémorial de l’Holocaust vient de publier des photographies inédites de la vie des SS sur le camp d’Auchwitz. Plus que des photos, elles sont un document intemporel de mémoire qui est en train d’émouvoir l’Amérique. Plus largement, elles semblent être une pièce majeure de l’histoire de l’humanité.
Aussi, la récente découverte de Rebecca Erbelding participe-t-elle de manière essentielle à la marche de la Mémoire. Ainsi, Rebecca, jeune archiviste au musée du Mémorial de l’Holocauste aux Etats-Unis a récemment ouvert le courrier d’un ancien officier de renseignement qui désirait donner une soixantaine de photographies d’Auchwitz. Erdeling fut intriguée par ce courrier atypique. En effet, bien qu’Auchwitz soit le camp le plus symbolique de la mémoire de la Shoah, seul un très petit nombre de photos sont connues concernant la vie concentrationnaire avant la libération du camp, le 27 janvier 1945. Quelques mois après cette missive, le musée de l’Holocauste reçut une série de photos dont la « signifiance » dépasse le simple cadre historique de la vie du camp d’Auchwitz. Alors que l’équipe de chercheurs commençait à décortiquer ces documents photographiques, Rebecca Elderling comprit rapidement sa portée...
Ces photos concernaient la vie des officiers SS dans le camp d’Auchwitz. On y retrouve notamment Karl Hocker, une des éminences nazis du site. Hocker fut en effet l’éternel second des camps de la mort. Il fut le numéro 2 d’Auchwitz. Une « promotion nazie » qu’il eut après avoir été numéro 2 dans d’autres camps moins connus. Ces photos dépeignent en fait la vie simple d’officiers passant du bon temps, dansant sous l’accompagnement d’un accordéoniste, plaisantant à table à côté d’un verre de vin blanc ou d’autres breuvages. On y voit Hocker allumant un sapin de Noël. D’autres prises montrent des jeunes femmes SS batifolant avec des officiers se relaxant sur des chaises longues tout en fumant quelques cigarillos. Sur les 116 photos récoltées finalement dont la plupart furent prises par Hocker lui-même, la toute première est édifiante, il s’agit toujours de Hocker prenant du bon temps avec le commandant du camp d’Auchwitz, Richard Baer...
Un des « shot » du 22 juillet 1944, remet une vie « très bourgeoise » en scène. Une rangée de réceptionnistes SS se gavant de mûres dans une forme de gaîté absolue... on ne pouvait pas imaginer que ce festin se situe à quelques pas d’une tragédie lugubre. Le même jour, 150 prisonniers arrivaient sur le site de Birkenau dont une vingtaine échappa au gazage immédiat. L’industrialisation de la mort poussée jusqu’à son comble. Une forme de fonctionnariat nazi pratiquant la mort du matin au soir et s’apaisant tranquillement aux heures de pose... Le long fleuve tranquille d’une vie de bourreau bien rangée... On ne peut d’ailleurs pas s’empêcher de penser à ces Utu qui faisaient leur massacres aux heures de bureaux, de 8 heures à 12 heures puis de 14 à 18 heures... finissant leur soirée en buvant naturellement des breuvages comme le ferait un mineur de fond éreinté par une journée de labeur. On doit également soumettre un parallèle plus récent : l’attitude d’un Omar Sheikh désinvolte après avoir fait décapité le journaliste Daniel Pearl. Chacun à son échelle a eu cette forme de négation inconsciente de l’abomination accomplie... chacun retournant à sa vie « normale ».
Mais Hocker est encore précieux. Il y a des clichés aussi marquants. On retrouve Mengele faisant son tri macabre de prisonnier afin de parfaire ses infâmes expérimentations. Le Mémorial d’ailleurs mentionna que ce sont les premières photos de Mengele « en exercice » à Auchwitz. Jamais la moindre image de ce docteur nazi en plein forfait n’avait été retrouvée. On note aussi des moments de vie SS assez « naturel ». Une sortie en bus de ces administratifs de camps alors que des trains arrivent sur d’autres photos... Deux mondes se croisent. Le parallèle encore une fois entre la vie des déportés et ces aryens fiers et profitant d’instants est saisissant. Il y a aussi ce cliché de la petite maison de repos pour SS décompressant au grand air, au milieu de la campagne, ce qui tranche avec les baraquements sordides des déportés.
Voilà donc... d’un côté ces vies paisibles de bourreaux affreux qui ressemblent à monsieur tout le monde et de l’autre l’abominable, les fours crématoires, les gazages de masse... Le train-train quotidien de fonctionnaires de la mort et l’agonie d’un peuple outragé. C’est aujourd’hui ce parallèle qui pousse à la révolte soixante ans plus tard. Le célèbre reporter Neil Lewis n’a pas pu taire son émoi en écrivant un article vibrant le 18 septembre dernier (New York Times)... parallèles de vies qu’on tuent brutalement, industriellement et ces bourreaux repues et bien portants, paisibles et sûrs de leurs faits... et souvent souriant à la caméra ou à l’objectif. Il y a aussi le comble d’un jeune homme en uniforme SS donnant de la tendresse à un chien obéissant tendant sa patte... encore ce chien qui joue avec un objet... un monde à part.
Ces photos ont donc fait un voyage de mémoire jusqu’à nous... Leur message est plus fort que des mots sur un bout de papier. Elles sont accessibles sur le site web du musée de l’Holocauste (www.ushmm.org). Leur symbole est très fort. En outre, elles accèdent directement au cyber-savoir, à la portée de tous. Elles ont traversé le temps depuis leur mise en « veille » en 1945. Un parcours rocambolesque et clandestin avant d’arriver jusqu’à nous... Elles furent tout d’abord découvertes par une valeureuse juive hongroise, Lili Jacob qui fut déportée en mai 1944 à Auchwitz. Alors qu’elle était transférée dans le camp de Dora-Mittlebau en Allemagne, Lili Jacob réussit à subtiliser les photos d’un baraquement SS abandonné. Elle conserva longtemps ces clichés... y reconnaissant ses sœurs de 9 et 11 ans avant leur gazage que Lili n’appris que bien plus tard. Elle se résigna à les transmettre à un officier du renseignement américain qui les garda innocemment sans trop comprendre leur valeur mémorielle. Après le destin de ces photos est dormant jusqu’à ce qu’elles rejaillissent pour faire éclater un sens nouveau de cette vie casanière des SS.
Lili Jacob, un espion voulant rester anonyme, l’œil de Rebecca Elderling et enfin la directrice du Muséum, Sarah Bloomfield : une transmission multi-générationnelle qui colle bien à la notion de travail de mémoire. Une sorte de legs universel. Ainsi, Sarah Bloomfield a joué un rôle important dans la présentation des photos optant pour épurer la présentation des clichés pour leur donner plus de sens. Sarah Bloomfield, tout comme Rebecca Elderling, a d’ailleurs saisi immédiatement la profondeur du parallèle de ces moments de vie SS gaies, enjoués... Elle n’a pas souhaité titrer les photos d’un intitulé quelconque « monstres se relaxant », « charmante soirée d’ignobles » ou « partie de plaisir champêtre entre sanguinaires ». Les mots n’avaient qu’un sens dérisoire par rapport au message d’un autre temps qui produisait une charge émotionnelle énorme. Un message qui passe de lui-même. Pour la petite histoire, Sarah Bloomfield aime aussi à rappeler que le SS Karl Hocker s’en est bien sorti malgré sa responsabilité notoire... Il ne fut inquiété que dans les années 80 où il fut condamné à quelques années de prison après quoi il reprit sa place de banquier sans histoire... Aujourd’hui, ces photos lui survivent et sont un criant appel à un travail de mémoire.
Pour conclure, il y a là, dans ces photos, un niveau de conscience collective qui vous bouscule. Qu’on soit éduquée ou non, qu’on soit croyant ou non, qu’on soit riche ou désargenté. « Le travail de mémoire » couvre résolument le souvenir des moments les plus lugubres de l’histoire de l’humanité. La Shoah rentre donc dans le principe même de la mémoire qui nous touche au plus profond, dans ce qui nous est de plus personnel. « Elle est ». Cela ne se décrit pas, cela se ressent. Mais surtout elle se travaille en soi et autour de soi. Il est crucial de garder le principe du souvenir et du travail de mémoire qui sera légué à son entourage pour éviter les contagions idéologiques les plus folles. Un simple travail d’introspection personnelle ou collective peut faire réaliser la part d’ombre qui sommeille en chacun. On touche à ce qui pousse n’importe qui à suivre un régime fanatique. Il faut partir du principe que chacun peut être un maillon génocidaire, passif ou actif, indifférent ou conscient. Oui, c’est ainsi...
Finalement, sans la moindre compréhension de ce qui pousse l’homme au pire, sans la moindre acceptation du fait que chacun peut être capable du pire, il n’y a pas réellement d’espoir d’annihilation de ce fond reptilien. On retrouve cette part d’ombre dans l’ampleur tout aussi brutale du génocide rwandais... Une forme de filiation entre ces massacres démesurés et les recettes macabres des crimes de guerre existe-t-elle ? Une similarité funeste ne se retrouve-t-elle pas en ex-Yougoslavie ou tout simplement au Darfour. L’échelle est différente, mais les rudiments barbares à la base de ces déferlantes de haines sont assez proches. On ne doit pas certes comparer les choses, mais il y a un maillage de réactions communes dans les barbaries.Ces photos sont un élément participatif indéniable sur ce point.
Bibliographie :
The United States Holocaust Memorial Museum’s : 1 2 et 3
Qui a tué Daniel Pearl ? Bernard-Henri Lévy ISBN-13 : 978-2246650515
Danny* (Daniel Pearl)
http://www.cndp.fr/Tice/teledoc/dossiers/dossier_shoah.htm
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