Ces cadres dynamiques que l’on voudrait surhommes
90 000 chômeurs de plus sur les dernières statistiques de l’emploi. 400 000 à 450 000 suppressions de poste prévues pour 2009. Les chiffres font frémir.
A côté de ce tsunami qui touche particulièrement les employés en situation précaire ainsi que les postes de production, il semble que les cadres ou les agents de maîtrise soient miraculeusement protégés.
Un optimisme renforcé par de récents sondages.
Le 2 février, Le Figaro publie une enquête exclusive Apec-Reussir -L’Express-Le Figaro sur les stratégies des cadres face à la crise.
"Que révèle-t-elle ?" Questionne le journal.
"Que les cadres sont lucides sur la gravité de la crise (52 % des personnes interrogées estiment qu’elle aura des conséquences sociales graves et durables), mais aussi, qu’ils se montrent plutôt optimistes quant à leur avenir professionnel (un peu moins pour celui de leur entourage)."
Effectivement, les cadres ne sont pas tendres avec leurs entreprises qu’ils jugent sévèrement quant à leur capacité à défendre les salariés. En conséquence de quoi, ils n’attendent personnellement pas grand chose de la structure qui les emploie.
Toutefois, la lecture de l’enquête pourrait laisser penser que les cadres forment une population "à part", peu concernée par les dangers d’un un système économique en faillite et finalement assez tranquille dans une tourmente frappant tous les autres.
Cette première impression est à peine nuancée par l’entretien accordé le même jour par Jacky Chatelain.
- LE FIGARO. - Quels enseignements tirez-vous de cette enquête sur le moral des cadres face à la crise ?
- Jacky CHATELAIN. - Ce n’est pas une surprise, les cadres jugent à une forte proportion la situation économique préoccupante. Mais j’observe aussi qu’ils ne tombent pas dans le catastrophisme. Autre point que je juge positif, une majorité de cadres fait preuve d’un degré d’optimisme élevé concernant leur avenir professionnel. Compte tenu de l’environnement économique actuel, je ne m’attendais pas à un tel résultat
- LE FIGARO. - Les cadres se déclarent prêts à agir pour traverser la crise en 2009, mais, en même temps, ils ne comptent pas sur l’entreprise pour les aider. N’est-ce pas un signal négatif pour le climat social ?
- Jacky CHATELAIN. - Le point positif que je vois dans les réponses des cadres est qu’ils veulent agir pour affronter la crise et non pas simplement la subir. Mais ils déclarent aussi qu’ils vont s’en sortir par eux-même
Les bémols exprimés par le Directeur de L’Apec sont quelque peu noyés au milieu d’une terminologie positive que vient renforcer ce sondage effectué fin décembre 2008 qui conclue :
"La bonne tenue de la motivation des cadres et de leurs équipes est sans appel : 57 % des cadres estiment que "de manière générale" leurs "collaborateurs" sont "actuellement motivés"
D’ailleurs, certains l’affirment sans ambages : Cette crise est moins importante que les précédentes :
"Pour relativiser les effets de cette crise, il faut comparer les chiffres de recrutement 2009-2012 avec ceux des dernières grandes crises de 2001 et 1991. Au début des années quatre-vingt-dix, le nombre de recrutements des cadres était tombé à 71 160 annuel. En 2002, au plus fort de la crise, ce chiffre était de 142 400."
Une réalité nettement moins positive
Le 12 février , l’Apec publie un billet beaucoup moins rassurant intitulé "Le marché de l’emploi cadre dans un trou d’air". Trou d’air qui se manifeste dans tous les secteurs.
- "Le marché de l’emploi cadre a finalement été rattrapé par la crise. Si près de 200 000 embauches ont été réalisées par les entreprises en 2008, le dernier trimestre marquait déjà un sévère ralentissement. En 2009, il faut s’attendre à une baisse d’environ 17% des recrutements, soit quelque 165 000 cadres embauchés, ce qui resterait tout de même un bon niveau.
- Les 3 années suivantes constitueront une période de stagnation, avant un vigoureux redémarrage en 2013, à la faveur de la reprise des investissements des entreprises."
Malgré des formules à la "Christine Largarde" qui voudraient encore faire croire au lecteur que la situation n’est pas si préoccupante que cela (après tout pourquoi se plaindre puisque les embauches restent d’un "bon niveau" et qu’il suffit d’attendre 4 petites années pour que l’horizon se dégage...), on pressent déjà que tout n’est pas rose.
D’ailleurs, l’article se termine sur une note presque alarmiste :
- "La chute des recrutements de jeunes diplômés confirmera une fois de plus que cette catégorie constitue la variable d’ajustement sur le marché de l’emploi cadre. Entre 30 000 et 35 000 débutants seraient embauchés à des postes cadres, soit une baisse de 20 à 30% !"
Le 19 février, Courrier cadres exprime plus clairement la réalité dans son article "Le chômage partiel s’étend aux cadres".
- "Les cols blancs ne sont plus à l’abri de cette réduction forcée du temps de travail. Jusqu’ici protégés par des conditions d’application plus strictes, ils pourraient voir certains de leurs avantages remis en question.
- L’une des nouveautés de la crise actuelle est que cette réduction forcée du temps de travail touche dorénavant les cadres. Et pour cause : les conditions d’application du chômage partiel sont devenues beaucoup plus souples."
Un encart précise que Renault "a annoncé lundi qu’il réfléchit actuellement à une extension du chômage partiel à l’ensemble de ses 40000 salariés français. Dont les cadres et ingénieurs".
La dernière phrase de l’article tente néanmoins de minimiser, ce qui laisse songeur :
- " Ces cols blancs peuvent, toutefois, toujours se consoler en se disant qu’ils n’ont pas grand-chose à perdre. Dans certaines branches, les conventions collectives prévoient des indemnisations plus intéressantes pour les cadres" .
Cette affirmation pourrait aisément s’assimiler à une malheureuse ironie quand on sait que beaucoup de conventions collectives ne prévoient en réalité aucun avantage particuliers pour les encadrants.
Le 20 février, sur France Inter, l’émission "nous autres" de Zoé Varier est consacrée à "ces cadres qui pètent les plombs". Cinquante minutes de témoignage d’une cadre. Tellement banal dans sa violente réalité que cela en devient sordide.
- "Ils sont cadres, ils sont l’élite de la nation et ils pètent les plombs. Démission, dépression, reconversion, être cadre ce n’est plus la belle vie et ils le disent au risque de passer pour des loosers, quelle horreur, ou des révolutionnaires, pire encore."
- "Marina était la cadre parfaite, rêvée. Promue, elle s’investit de plus en plus, elle travaille sans compter, elle ne fait plus que travailler, plus d’horaires, plus de vie privée. Marina n’a pas vu le danger. Prise au piège, addict un jour, son corps a lâché."
Le 26 février, La Tribune propose un article intitulé "Tous Drogués" dans lequel le journaliste explique que "la consommation de cocaïne, d’héroïne et de cannabis sur le lieu de travail n’est plus réservée à certains milieux professionnels".
- Le phénomène de la drogue au travail n’est pas nouveau. Ce qui l’est, c’est que désormais "la cocaïne prend la place du cannabis d’il y a dix ans" et que tous les milieux professionnels sont touchés.
- Les cadres ne sont pas moins touchés que les autres. Bien au contraire, ils ont été d’une certaine manière précurseurs en la matière.
Déjà en octobre 2008, la revue Santé et travail sous le titre "les cadres "déboussolés", affirmait qu’ils subissaient "plus difficilement les contraintes, car les règles du jeu ont été modifiées"
- "Avec une espérance de vie à 35 ans de sept ans supérieure à celle des ouvriers, les cadres ne sont pas les plus mal lotis. Malgré tout, la pénibilité mentale se fait plus forte. Dans le dernier baromètre de la CFE-CGC, 70% des cadres se disent tendus à cause de leur travail, 54% ont mal au dos, 40% souffrent de migraines. Et 10% d’entre eux ont été en arrêt maladie à cause du travail. Un stress et une souffrance psychique que les cadres évoquaient moins auparavant, alors qu’ils ne comptaient pas plus leurs heures, se vouant corps et âme à leur mission."
- Jack Bernon, responsable du département santé-travail de l’Anact, rajoute : "Ils n’ont plus le même statut social, notamment parce qu’avec la tertiarisation de l’économie, leur nombre a considérablement augmenté. Les vagues de licenciements ne les épargnent plus. Les prises de décision, davantage motivées par des considérations financières, les ont également mis à distance des dirigeants. Sans compter qu’un de leurs pouvoirs - détenir l’information et la transmettre - s’est dilué avec le développement des systèmes d’information."
- Laurent Mahieu de la CFDT-Cadres précise : "Avec les nouveaux outils de communication, le travail déborde sur le soir, le week-end et sur le temps personnel, et on travaille chez soi, mais aussi dans d’autres services, chez le client, etc. En outre, le développement de la sous-traitance entraîne un nombre croissant de prestataires dans l’entreprise, avec des cultures différentes. Cela crée des interférences qui rendent l’encadrement plus difficile."
- Dans le baromètre CFE-CGC, 22% des personnes interrogées reconnaissent avoir "à exécuter des actions qui ne correspondent pas à leur éthique".
Les risques liés à ce mal-être des encadrants.
Hormis le fait qu’il existe dans ce contexte - pour les cadres comme pour les autres salariés - de réels dangers pour la santé que l’on réduit au terme vague et minimisant de "stress", l’impact pour les entreprises est loin d’être secondaire, ce qui devrait les encourager à reconsidérer certaines de leurs pratiques vis-à-vis de leur management.
Dans un environnement de changement, le rôle de l’encadrement (en particulier intermédiaire) est en effet essentiel.
- Il revient au leader de trouver la nouvelle vision de l’organisation, d’impulser le changement et de transmettre l’énergie.
- Sa capacité à générer l’énergie nécessaire pour motiver les acteurs et provoquer l’engagement vers l’action, sa capacité d’écoute et de compréhension, sont toutes deux engendrées par sa propre motivation"
Or, il s’avère que dans le cadre de leur métier, les consultants mesurent chaque jour davantage une démotivation croissante qui s’accompagne d’une grande lassitude nerveuse.
La preuve en est l’augmentation des demandes de formation ou d’accompagnement liées à ce que l’on nomme rapidement le "Développement personnel".
- Les modules permettant aux salariés de mieux s’organiser ou de savoir déléguer font également une percée significative et, en matière de développement personnel, le leadership et l’affirmation de soi sont les vedettes de cette année 2009.
- Autre valeur à la hausse : la gestion du stress et de son temps. « Les salariés ont de plus en plus de mal à s’organiser. Ils sont envahis par les mails, sont sans arrêt sollicités. Il leur faut apprendre à dégager des priorités et à communiquer à bon escient et au bon moment », estime Christophe Boisseau, directeur communication et marketing de l’IFG-CNOF."
Alors que pèse sur les cadres intermédiaires la responsabilité de maintenir l’implication des salariés dans un lourd contexte d’inquiétude, alors que ce sont à eux de renforcer la cohésion d’équipes réduites par les réductions soudaines d’effectif, les cadres souffrent aujourd’hui des mêmes maux que l’ensemble des salariés.
Le péril est donc grand de les voir "baisser les bras", se désengager et laisser-faire.
Ce ne sont pas les démarches classiques de "gestion du stress" qui vont permettre de modifier sérieusement la donne et de remotiver durablement l’encadrement pour lui permettre de maintenir un minimum de stabilité dans un contexte social de plus en plus tendu.
Ces démarches "de base" sont d’ailleurs remises en cause par les intervenants des premières rencontres du magazine Santé & Travail sur thème des risques psychosociaux.
En effet, plutôt que ces formations et accompagnements qui traitent le problème de manière superficielle, les experts préfèrent souligner l’actuelle nécessité de revoir l’organisation entière des entreprises, la mise en place de bonnes pratiques (en particulier l’Ecoute), l’apport de solutions personnalisées et le rôle indispensable et incitateur que l’Etat devrait jouer dans ce domaine.
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