Comment faire baisser le chiffre des demandeurs d’emploi
Faire baisser artificiellement le nombre de chômeurs ? Très simple ! Il suffit, d’une part, de décourager les « candidats à Pôle emploi » en rendant difficile, voire impossible, toute communication, en leur réclamant des documents qu’ils n’ont pas, dans des délais impossibles à tenir et, d’autre part, en manipulant les chiffres.
Les « tracasseries » administratives
Commençons donc par le découragement de ceux qui veulent s’inscrire en parlant d’un cas précis que je connais bien, et pour cause : c’est le mien.
Je suis lectrice-correctrice, secrétaire de rédaction, pigiste, depuis plusieurs années. Qui dit « pigiste » dit « précarité », et j’étais inscrite à Pôle emploi (après licenciement de mon dernier poste en travail salarié), ce qui me permettait de percevoir quelques menues allocations les mois maigres en travail. Je parle à l’imparfait… Car aujourd’hui, je ne sais plus où j’en suis. En mars 2011, j’ai eu le malheur d’accepter un court CDD… Oui, « le malheur », car ce CDD est bien la cause de mes déboires, aussi étonnant que cela puisse paraître. J’ai fait la grave erreur également, croyant bien faire et souhaitant respecter les règles, d’envoyer mon contrat de travail à Pôle emploi. Résultat : radiation immédiate des demandeurs d’emploi, malgré la courte durée de ce contrat. Et un chômeur de moins sur les listes, un !
Fin mai, fin du CDD, je lance ma réinscription sur le site de Pôle emploi. Je n’étais pas (pas encore) particulièrement inquiète, seulement agacée de devoir remplir toutes ces cases par des informations qui étaient déjà dans mon dossier depuis plusieurs années. J’envoie et j’attends.
L’inquiétude commence à poindre le bout de son nez, car je n’ai pas de travail en vue. Enfin, je reçois un dossier à remplir – encore ! – en vue d’une « demande d’allocations ». Le terme m’étonne… Je pensais, ô pauvre naïve que je suis, que je n’avais qu’à signaler la fin du CDD pour revenir à la situation précédente. Bref, bien obligée, je remplis le fameux dossier qui me demande l’attestation Pôle emploi de l’employeur de mon CDD, les dates exactes du CDD, le salaire (éléments qu’ils avaient déjà, puisque j’avais envoyé le contrat de travail), si j’ai travaillé après cette date. Je remplis tout, bien comme il faut.
J’envoie et j’attends.
À partir de là – nous sommes fin juin, je n’ai pas travaillé et ne recevrai donc aucun salaire –, l’inquiétude commence à céder sa place à l’angoisse. Je précise que je vis seule avec mon fils de 15 ans, que j’ai atteint, voire dépassé, mon découvert autorisé à la banque, et que je ne sais pas comment je vais vivre en juillet. Mais bon. L’argent a toujours été pour moi un problème mineur que l’on résout toujours, d’une façon ou d’une autre. Mon fils part trois semaines en vacances avec son père, d’ici son retour tout sera régularisé, pensai-je avec optimisme… Je n’ai plus du tout d’argent, peu importe. Un ami m’en prête un peu, je me mets au régime pâtes-jambon-œufs-au-plat, je prends rendez-vous avec mon conseiller bancaire qui accepte « généreusement » d’augmenter mon découvert autorisé. Cela dit, la banque a tout de même rejeté le prélèvement de ma mutuelle, va pas falloir que je tombe malade…
On me demande un petit travail, les affaires reprennent, haut les cœurs !
Mais… je reçois un triste jour mon dossier retourné par Pôle emploi, accompagné d’un formulaire de « demande irrecevable » pour le motif suivant : absence des attestations des employeurs pour qui j’ai fait des piges… depuis 2009 !
Ahurissement total, d’autant que « ces pièces sont attendues dans un délai de 15 jours maximum », faute de quoi ma demande d’allocations « sera classée sans suite »… C’est qu’ils sont nombreux, mes employeurs ! Normal, quand on travaille un jour par ici, trois jours par là.… Et, cerise sur le gâteau, c’est l’été, donc la période de l’année où il quasiment impossible de joindre dans une entreprise la personne dont on a besoin, en l’occurrence la drh qui pourrait m’établir cette précieuse attestation.
Grande décision, je vais tenter une expérience périlleuse : avoir un conseiller Pôle emploi au téléphone. Ah ! Le 3949 ! Essayez un jour, si vous avez du temps à perdre ! Vingt minutes sur le serveur vocal, pour consulter votre dossier, dites « dossier », pour revenir au menu précédent, tapez « étoile »… mais y a aucune option du genre : pour parler à un conseiller, tapez 3 ; à force de persévérance, je finis par dénicher une option pour entendre une « vraie voix » d’une « vraie personne »… Seulement voilà : tous nos conseillers sont en ligne, merci de rappeler ultérieurement. Et clic, ça raccroche. Deux heures et dix appels plus tard, pour rien, je suis au bord de la crise de nerfs.
Changement de stratégie, et si j’envoyais un mail (auquel Pôle emploi s’engage à répondre en 48 heures ouvrables… ou en 7 jours ouvrables s’il s’agit d’une réclamation ? Notez bien qu’on parle de jours ouvrables. C’est-à-dire que, si vous faites une réclamation par mail un mercredi par exemple, vous n’aurez en réalité pas de réponse avant presque deux semaines : mercredi, jeudi, lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi = 7 jours. Donc réponse le 2e lundi qui suit le jour de la réclamation, d’autant qu’on ne travaille pas à Pôle emploi le vendredi après-midi. Pour peu qu’il y ait un jour férié suivi d’un « pont », pour peu qu’on soit en été (eh oui, pas de chance pour moi, c’est le cas) et que les effectifs soient réduits… pour peu que… Bon, vous l’aurez compris, il me semble brusquement inutile d’envoyer un mail, d’autant que, je le rappelle, les attestations doivent être envoyées dans un délai maximal de 15 jours. Euh… au fait… 15 jours ouvrés ou ouvrables ? Ils ne précisent pas, bien sûr.
Après avoir éliminé les options téléphone et mail, il ne me reste plus qu’une solution : aller à Pôle emploi et demander à rencontrer un conseiller. Ça paraît simple en théorie, mais que nenni… Je me heurte au mur de l’accueil : expliquez-moi votre problème, il est impossible de rencontrer un conseiller si vous n’avez pas de rendez-vous (et on fait quoi pour avoir un rendez-vous ? Ben… on téléphone, voyons !). Bon. J’essaie de rester calme et j’explique. Réponse : ces attestations sont des pièces comptables indispensables au calcul des allocations, et que tous vos employeurs sont obligés de vous fournir. Bien… j’essaie d’argumenter en lui disant que les attestations ne sont que des résumés des feuilles de paye que j’ai toutes en ma possession… Que ne je pourrai jamais me procurer TOUTES les attestations de mes employeurs en 15 jours… Peine perdue, il ne m’écoute déjà plus. Personne suivante !
Aujourd’hui, voilà où j’en suis : j’ai pu tout de même me procurer 2 attestations que j’ai envoyées à Pôle emploi en les suppliant de me donner un délai plus important pour les autres attestations. J’attends la réponse.
J’ai été payée fin juillet 360 € pour un petit travail. Et c’est tout depuis fin mai. Je n’ai pas payé mes loyers de juillet et août. Je me suis résolue à aller voir une assistante sociale, je devrais avoir quelques aides en septembre. Pour l’instant, je survis difficilement. Je viens de rendre un travail pour lequel je serai payée 1 400 € fin août, mais qui ne me permettra même pas de me remettre à flot (paiement des factures en retard, des loyers, de ma mutuelle,…) Si Pôle emploi ne me donne pas plus de délai pour lui fournir les attestations et/ou si je n’arrive pas à me les procurer toutes, je serai radiée des demandeurs d’emploi et, si je n’ai pas suffisamment de travail pour vivre décemment, je rejoindrai la cohorte des RSA.
Mais, ô victoire, il y aura un chômeur de moins dans les comptes… Et combien d’autres dans le même cas que moi, ou des cas approchants ? Et combien de gens qui maîtrisent mal le français et les aléas administratifs ? J’arrive encore à me battre, mais combien ne le peuvent pas ?
Combien y a-t-il VÉRITABLEMENT de chômeurs en France ?
La manipulation des chiffres
Voici un communiqué du gouvernement, daté du 27 juillet 2011, présentant la situation du chômage en France à fin juin :
Quand on – « on » représentant Pôle emploi, le gouvernement – diffuse le nombre de chômeurs, on s’appuie sur les inscrits à Pôle emploi en catégorie A. Or, il y a cinq catégories, de A à E. La catégorie A regroupe « les demandeurs d'emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi, sans emploi », mais les autres catégories sont loin d’être négligeables.
(cf. http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/categor-demandes-emploi-anpe.htm.)
La catégorie B regroupe les demandeurs d'emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi, ayant exercé une activité réduite courte (i.e. de 78 heures ou moins au cours du mois).
Il suffit d’avoir travaillé deux ou trois jours dans le mois pour ne plus être considéré comme un « vrai » chômeur.
La catégorie C regroupe les demandeurs d'emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi, ayant exercé une activité réduite longue (i.e. de plus de 78 heures au cours du mois).
Font partie de cette catégorie ceux qui ont travaillé plus de 78 heures (en gros, plus de deux semaines). Ce qui veut dire que les gens qui acceptent, soit un travail de deux semaines ou plus, soit un travail à temps partiel parce qu’il faut bien manger et payer son loyer en fin de mois, tout en continuant à chercher activement un vrai travail à temps plein, ne sont pas non plus considérés comme des vrais demandeurs d’emploi.
La catégorie D regroupe les demandeurs d'emploi non tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi (en raison d'un stage, d'une formation, d'une maladie...), sans emploi.
Intéressant… Les chômeurs malades, en stage (donc non rémunérés, ou quasiment pas) ou en formation (la plupart du temps une formation qui ne sert à rien… sinon à les retirer du chiffre des inscrits à Pôle emploi pendant un temps), ne sont pas/plus des chômeurs !
La catégorie E regroupe les demandeurs d'emploi non tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi, en emploi (par exemple : bénéficiaires de contrats aidés).
Cette dernière catégorie concerne les gens qui travaillent… Donc normal à priori qu’ils ne soient pas comptabilisés parmi les chômeurs. Mais ils travaillent dans le cadre de contrats bien particuliers. « Un contrat aidé est un contrat de travail dérogatoire au droit commun, pour lequel l'employeur bénéficie d'aides, qui peuvent prendre la forme de subventions à l'embauche, d'exonérations de certaines cotisations sociales, d'aides à la formation. »
(cf. http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/categor-demandes-emploi-anpe.htm)
Objectif évident de ce genre de contrat : fournir une main d’œuvre bon marché aux employeurs, et diminuer le chiffre des demandeurs d’emploi. Mais, le contrat aidé terminé, il y a peu de chances que l’on propose un « vrai contrat » à ces chômeurs qui retourneront donc à la case Pôle emploi. Heureusement pour les statistiques, il y aura d’autres contrats « aidés », ou autres (les qualificatifs changent souvent pour donner l’impression qu’on a créé du « neuf », mais le principe reste le même), et d’autres chômeurs longue durée pourront en « bénéficier »…
l’État cherche donc à faire passer le plus possible de chômeurs de la catégorie A à une autre catégorie pour pouvoir se targuer « d’une baisse significative du chômage »… Ben voyons ! On les met en formation, en stage, on leur conseille fortement de prendre un petit boulot à temps partiel « en attendant mieux »… Il faut savoir qu’un demandeur d’emploi qui refuse trois postes proposés par Pôle sera radié…
Combien de chômeurs Bac+3, 4, 5 et plus ont été radiés, parce qu’ils ont refusé un emploi de caissier dans une grande surface, « en attendant mieux » ?
Combien de chômeurs radiés ne sont pas comptés dans les statistiques de Pôle emploi ? Combien de chômeurs, dont la demande d’allocations « n’est pas recevable » (cf. mon histoire personnelle, « les tracasseries administratives ») pour X raisons sont radiés ?
Combien y a-t-il VÉRITABLEMENT de chômeurs en France ?
N.B. : je tiens à préciser que je ne jette pas la pierre aux employés de Pôle emploi, qui ne font qu'appliquer des directives.
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